INTRODUCTION GENERALE
« Qui s’est penché sur le désarroi des villes est obligé de déclarer qu’on ne peut urbaniser les Villes sans aménager les Campagnes ». Cette phrase écrite par le Corbusier en 1938, à une résonance tout à fait actuelle, et appliqué aux domaines économique, sociale et environnementale, définit fort bien l’aspect essentiel des problèmes posés par les implantations industrielles en milieu rural, qui peuvent se définir en termes d’aménagement du territoire c’est-à-dire de gestion et de développement espaces ruraux. En fait, l’étude ou l’analyse de la cohabitation entre les implantations industrielles et les activités agricoles en milieu rural relève plus particulièrement de l’aménagement rural, qui doit être lui-même, conçu comme un aspect de l’aménagement du territoire. Poser le problème en ces termes constitue donc en soi, une justification de l’étude des implications et des conséquences de l’activité des industries dans un milieu qui jusque-là n’a vécu que d’activités essentiellement agricoles et artisanales. Mais il est bien certain que l’on ne peut évoquer l’aménagement rural sans le replacer dans un cadre plus large de l’aménagement du territoire au niveau national, en tenant en compte les impératifs d’harmonisation à la fois des structures économique tel que l’agriculture, le sociale et des niveaux de vie. Toutefois, l’aménagement du territoire comme le soutient fort justement Fréderic Giraut (2007) « visait une valorisation sectorielle selon les ressources et les vocations supposés des différents milieux vers des zones ou des régions de développement … ». Elle était donc dominée comme définit dans ses objectifs par la « volonté d’assurer l’épanouissement et le bien-être de la population par l’exploitation optimal de toutes les ressources et potentialités du Pays là où elles se trouvent ». JOHN IGUE (1995 op. Cité). Ainsi le Sénégal dans le souci de se conformer à cette logique de l’aménagement du territoire pour consolider un développement économique, social et environnemental harmonieux, a su axer ses premières interventions en matière d’aménagement du territoire dans le monde rural (Alexis Campal) qui malgré ses multiples potentialités, souffrait d’un sous-équipement criard. Ce qui a fait dire à Amadou Diop que : « L’aménagement du territoire a une origine rurale ». Toutefois cette approche ruraliste de l’aménagement du territoire va se globaliser notamment par l’élaboration du premier schéma national d’aménagement du territoire en 1968. Et ceci à travers une forte reprise de la promotion du secteur industrielle. Conscient que le développement d’aucun Pays du Monde ne peut se faire sans une bonne assise du secteur secondaire c’est-à-dire de l’activité industrielle. Et d’ailleurs même, la simple observation de la répartition des implantations industrielles dans le monde nous donne un effet saisissant des effets de l’activité industrielle sur le développement socio économique des Pays. En effet, les Pays les plus développés sont les plus industrialisés et les moins développés les moins industrialisés. L’industrialisation est alors associée au développement, à l’aménagement du territoire de façon indissociable. Le Sénégal dans le but d’atteindre l’objectif de sa politique d’aménagement qui est de promouvoir un développement socio-économique, avait entrepris avant son accès à l’indépendance, un politique d’aménagement de son territoire consistant à mettre en place des infrastructures industrielles aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural. C’est dans cette logique que la Commune de Taïba Ndiaye fortement dépendante de l’activité agricole a bénéficié l’installation d’unités de production industrielle sur son terroir.
Paysage agraire
Le concept de paysage agraire est composé de deux terme « paysage » et « agraire » Le premier terme « paysage » est longtemps apparu suspect au géographes qui en trouvaient l’étude bien peu scientifique. Quand il n’était pas assimilé à la nature ou à la relation homme/nature (démarche géographiquement dépassée aujourd’hui), on ne voyait là qu’un regard subjectif sur l’espace géographique. Le terme recouvre une réalité complexe dont rend compte la multitude des utilisations. Paysage imaginaire, virtuel, utopique, politique etc… Les naturalistes considèrent le paysage comme une partie de la surface terrestre constitué d’un ensemble complexe de systèmes, il est produit par l’action des roches, de l’eau, de l’air des êtres vivants etc. Pour les économistes, de l’environnement, le paysage a une valeur économique, comme une ressource ou une espèce. Tandis que pour les géomorphologue, l’étude d’un paysage concerne les reliefs et modèles, à leur formation, leur évolution, les rapports qu’entretiennent les populations avec le milieu (MARCHAL et BLANC-PAMARD). D’une manière générale le paysage n’est pas clairement définit. En effet, quand on se réfère à S. MORRIN « Le paysage est l’affichage de la polysémique (conscient et inconscient) dans l’espace et dans un milieu donné, des projets et des héritages des sociétés permettent ainsi le balisage et l’identification d’un territoire, mais également enregistrent les dysfonctionnements du complexe milieu société. Il est l’expression d’un certain système socio-spatiale, l’apparence d’une formation socio-spatiale donnée, a un moment donné ». Veyret/ Lenaître le conçoivent comme un lieu soumis au regard. Tricort/ Deffontaine « portion de territoire vu par un observateur où s’inscrit une combinaison de fait et des interactions dont on ne perçoit à un moment donné que le résultat global ». J. L Nembunu le considère comme « un aspect visible de l’espace géographique » que l’auteur complète de plus loin en précisant qu’il s’agit de la « vision subjective de la réalité d’un espace géographique ». Le paysage n’existe que par le regard de celui qui l’observe. C’est cette dimension charnelle qui fait vivre le concept et à travers lui la géographie tout entière. Le terme « Agraire » englobe tout ce qui tourne autour de la production agricole et son environnement écologique, technique, économique et social. Tandis que le rural est plutôt spatial mois économique et plus paysager et social. Le paysage agraire désigne un espace plus ou moins vaste qui porte l’empreinte des activités agricoles. C’est une notion visuelle correspondante a un espace plus ou moins vaste qui englobe les unités de production, l’habitat, le parcellaire, les chemins, les éléments du paysage. C’est enfin le résultat de l’aménagement et de la mise en valeur par les agriculteurs d’une portion de la surface terrestre.
Structure des exploitations agricoles traditionnelles
L’exploitation agricole traditionnelle était caractérisé par un important recours à la main d’œuvre familiale mais aussi par de fortes interrelations entre la famille et l’exploitant agricole. Une organisation ingénieuse du territoire alliant agriculture et élevage était pratiquée. Elle reposait sur une gamme diversifiée de production incluant les cultures vivrières, de rente, l’élevage, l’exploitation forestier et d’autres activités économiques non agricoles comme l’artisanat et le petit commerce. Le système agraire d’avant l’industrialisation était basé sur un assolement biennal. Tout d’abord, des parcours étaient réservés aux animaux sous forme de jachère courte en rotation avec les cultures. Selon les personnes enquêtées, le territoire était divisé en trois auréoles de culture concentriques autour des villages en fonction des moyens de fertilisation des sols. L’activité agricole dépendait généralement de la pluviométrie et variait en fonction de la morphologie du terrain. La première auréole est consacrée pour chaque village et durant chaque hivernage à la culture du petit mil ou Sunna en wolof, la deuxième à la grande mil (sanio) en association avec le niébé vient enfin la partie en jachère. Ces trois auréoles sont en perpétuelle rotation suivant un sens précis et suivant la décision prise par les « Lamanes » Il apparait donc que l’Agriculture dans la Commune de Taïba Ndiaye reposait en ces temps-là sur quatre éléments fondamentales :la jachère, la céréaliculture, le niébé, et un élevage extensif. Cependant, c’est l’introduction de la spéculation arachidière comme culture de plein champ qui a modifié complétement la structure du paysage agraire taîbatoi. Le système d’assolement devient triennal (céréale, arachide, jachère). Le fait d’altérer ces différentes spéculations sur les parcelles constituaient le principal mode de gestion de la fertilité des sols. L’incorporation de cette nouvelle oléagineuse constitue un atout de taille sur le plan économique et social. Sa commercialisation constitue une source de revenus monétaire important pour les paysans. Ses fanes contribuent à la diversification de l’alimentation animale. Surtout en saison sèche. Mais son entré dans le système augmente le rythme d’exploitation des terres. A l’approche de chaque saison des pluies et pour chaque village, les paysans se regroupaient à la place publique pour statuer sur les parcelles à cultiver, la nature des cultures qu’on y pratique et celles mises en jachère. Cette configuration était changeante d’une saison à l’autre. Les parcelles cultivées d’une année à l’autre pour éviter la dégradation des sols. La pérennité de ce système agricole est due à l’élevage. Les troupeaux occupaient de manière permanente le terroir et constituaient un moyen d’entretien de la fertilité des sols. Ainsi selon le chef du village de Ndoyène Mbar, « la présence des troupeaux bien que constituaient un atout pour la fertilisation des terres mais il a induit chez le cultivateur un travail annuel d’édification de haie et d’épineux en guise de clôture pour protéger à la fois les cultures contre le bétail et séparer les champs de pâture à ceux de cultures ». Ainsi durant cette époque malgré l’usage d’outil rudimentaire, le paysan se sentait bien épanoui dans son. Le calendrier des travaux agricoles montre la permanence du maraîchage et de la culture du Manioc pratiqués durant toute l’année. Par contre pour les cultures pluviales la date des premiers semi est fonction de la pluviométrie généralement entre Juin et Juillet et la récolte entre Septembre et Octobre selon la variété cultivée.
Les premières heures de l’intégration de la culture du manioc
Le manioc a été introduit en Afrique au début du XIXe siècle. Il s’est rapidement répandu dans toute la région et joue aujourd’hui un rôle important dans la sécurité alimentaire, tant des ménages qu’au niveau des pays. La présence du manioc comme culture de rente en plein champ au niveau de notre zone d’étude date de 1990. C’est la dégradation des conditions environnementaux qui a déclenché son extension comme culture de plein champ. Cette nouvelle spéculation s’est incorporée dans l’ancien système de culture et est devenue prédominante au détriment des autres. La capacité du manioc à prospérer dans des environnements marginaux et à bien supporter des périodes de sécheresse, ainsi que la flexibilité avec laquelle il s’intègre aux système agricole alimentaire en explique l’attrait auprès de nombreux paysans sénégalais en particulier taîbatois qui se trouve dans une zone fortement menacée par les activités industrielles. Le Manioc joue aussi un rôle important dans la sécurité alimentaire des populations de cette commune. Il s’agit en général d’une culture de subsistance, destinée à l’autoconsommation alimentaire et seul l’excédent est vendu en vue d’un revenu monétaire. Le manioc à un cycle cultural long, de 12 à 18 mois pour de nombreuses variétés, avec pour certaines un temps de maturation allant jusqu’à 24 mois. C’est une spéculation qui selon le FAO « peut s’implanter et croître dans des conditions marginales, sur un sol peu fertile, et peut supporter des périodes de sécheresse32 ». Cette capacité d’adaptation du manioc explique en partie l’importance qui lui est accordée dans les systèmes de culture au niveau cette localité caractérisée par des phénomènes de pollution industrielle. Son intégration dans le système de culture ne s’est tout de même fait de manière simultanée. Son succès rapide et presque intégrale sur toute l’étendue de la Commune et même au-delà s’explique selon THIAO. M33 au fait qu’il est une culture peu exigeante en eau et en engrais. Son mode de stockage en terre durant des périodes considérables après maturité permet d’écouler la production tout au long de l’année. Il y’a également le constat réel des producteurs sur l’évolution très positive du prix pouvant varier selon la période entre 17.500 et 30.000 f CFA le sac de 80 à 90 kg durant la période de 1995 à 2005. Selon les enquêtés, le manioc constitue une culture très résistante face au aléas climatique et aux diverses formes de pollution émanant de l’industrie. La culture du manioc est beaucoup plus présente dans les villages de Thiallé, Taïba Ndiaye Taïba Mbaye, Djingué, où on trouve de gros producteurs et des parcelles pouvant dépasser 3 ha. Toutefois nos enquêtes de terrain ont révélé que les villages de Khelcom de Taïba Santhie et la zone de Mayenne 3 abritent des vergers de manioc qui dépasse 4,5 ha. Elles ont affirmé également que depuis le début des années 1990, environ 80% de leurs terres sont consacrées à la culture du manioc. La culture du manioc assure une sécurité à l’exploitation familiale. Il est important de noter aussi que la variété a un impact sur les rendements. Les variétés « Comba pire » et « Soya » ainsi que celles dites « kolole » et « Abdou Diouf ». La production de ces variétés dépend de la nature du sol.
La pollution
Le terme pollution désigne « une modification défavorable du milieu naturel qui apparait en totalité à ou en partie comme un sous-produit de l’action humaine, au travers d’effets directs, altérant les critères de répartition des flux d’énergie des niveaux de radiation, de la constitution physico-chimique du milieu naturel et de l’abondance des ressources agricoles, en eaux, et d’autres produits biologiques. Elles peuvent aussi l’affecter en altérant les objets physiques qu’il possède, les récréatives du milieu ou encore enlaidissant la nature. Ainsi la pollution désigne l’ensemble des rejets de composés toxiques que l’homme libère directement à travers ses activités dans l’atmosphère. Les substances qui sans être vraiment dangereuses pour les organismes vivants exercent également une influence perturbatrice sur l’environnement. Le développement des activités industrielles a provoqué depuis plusieurs décennies, un accroissement considérable des pollutions et nuisances responsables de la dégradation et du dynamisme, des systèmes de culture qui jadis faisaient le bonheur de toute la population. Cette pollution se manifeste sous plusieurs formes.
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Table des matières
INTRODUCTION
PROBLEMATIQUE
METHODOLOGIE
PREMIERE PARTIE : CADRE PHYSIQUE ET SOCIO-ECONOMIQUE
Chapitre I : Localisation et présentation du Cadre physique
Chapitre II : Environnement humain et socio-culturel
Chapitre III : les activités socioéconomiques, infrastructures et services
DEUXIEME PARTIE : LES CHANGEMENTS ET MUTATIONS DU PAYSAGE AGRAIRE RELATIF A L’ACTIVITE INDUSTRIELLE
Chapitre I : Les systèmes de production agricole dans la Commune avant l’industrialisation
Chapitre II : Mutation et dégradation des systèmes de cultures traditionnels
Chapitre III : Dangers et nuisances industriels responsable de la dynamique et de la dégradation du paysage agraire taibatois
TROIXIEME PARTIE : IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX SOCIOECONOMIQUES ET STRATEGIES DEVELOPPEES PAR LES ACTEURS CONCERNES
Chapitre I : Les impacts environnementaux liés à la présence industrielle
Chapitre II : Les impacts socio-économiques du phénomène industrielle
Chapitre III : Configuration actuel du paysage agraire et les stratégies développées par les populations
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
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