La démographie humaine et les volumes de productions agricoles vont de pair. L’apport de fertilisants est un levier essentiel pour répondre à l’accroissement de la demande mondiale en nourriture : les fertilisants azotés, par exemple, ont largement contribué au triplement des productions alimentaires lors des cinquante dernières années [Mosier et al., 2004] permettant à la population de passer de 2,8 à 6,5 milliards d’individus [UN, 2008]. Pour nourrir les 3 milliards d’individus supplémentaires prévus d’ici 2050, la FAO [2007] estime que 80% de la production agricole terrestre résultera d’un recours accru aux intrants.
Cependant, l’intensification mal gérée de l’agriculture présente des risques environnementaux, sociaux et économiques. Sur le plan environnemental, ces risques concernent, entre autres, la dégradation des sols, la pénurie des ressources en eau, la pollution accrue de l’air et de l’eau par les effluents d’élevage [FAO, 2007]. Dans l’Europe des 15 en 2004, l’agriculture représentait 9% et 33% des émissions anthropiques contribuant respectivement au réchauffement climatique et à l’acidification des milieux [EEA, 2008]. Elle est aussi la principale émettrice de nitrates, forme préférentielle de la nutrition azotée des plantes, mais qui, en trop grande quantité, est nocive pour les écosystèmes et la santé humaine [Nixon, 2004]. Le défi de l’agriculture intensive actuelle est d’être durable et notamment en réduisant ses impacts sur l’environnement [UNCED, 1992].
L’épandage d’effluents en particulier est au cœur des préoccupations environnementales de l’agriculture. Goulding [2004] estime que 50% de l’azote des effluents d’élevage peut être perdu pendant ou après épandage. Au Danemark, important pays d’élevage, des analyses économiques montrent que la mesure la plus efficace pour réduire les émissions nationales d’ammoniac consisterait à réduire les émissions des épandages d’effluents animaux [Sommer & Hutchings, 2001].
Les techniques d’épandage d’effluents peuvent être un levier important pour diminuer les émissions. L’épandage en bandes ou l’enfouissement du lisier par exemple permettent des abattements d’émissions d’ammoniac de l’ordre de 42% et 73% respectivement [Søgaard et al., 2002]. Cependant, la réduction des émissions d’ammoniac par les épandeurs peut être accompagnée d’une augmentation d’émissions de protoxyde d’azote (N2O), un important gaz à effet de serre, dont l’effet nocif sur la couche d’ozone a également été reconnu [Crutzen & Ehhalt, 1977; Cicerone, 1987].
Une évaluation intégrée des performances environnementales des techniques d’épandage d’effluents est donc nécessaire si l’on cherche à encourager le développement de techniques d’application plus durables. Ce défi est précisément l’objet d’un projet de recherche sur l’éco-conception des machines d’épandage, ECODEFI, coordonné par le Cemagref (Institut de recherche en sciences et technologies pour l’environnement). L’éco-conception est une démarche intégrant les critères environnementaux dans la conception de produits (biens ou services) [Schiesser, 2001]. Ce projet fait partie de la démarche d’amélioration des performances environnementales des épandeurs engagée par le Cemagref et s’inscrit dans le cadre du plan d’action pour les écotechnologies adopté par la commission européenne en 2004 [Thirion, 2006].
L’épandage se définit comme « l’action de répandre un produit sur une surface étendue » [Thirion & Chabot, 2003, p.39]. On utilise surtout ce terme pour l’apport de fertilisant ou de déchet en agriculture. Différentes techniques ont été conçues pour réaliser la fonction d’épandage. Les quatre principales techniques d’épandage ainsi que les critères de qualité de l’épandage et de choix des épandeurs sont présentés en annexe 1. Nous nous sommes principalement intéressés aux lisiers, mais les matériels présentés peuvent également épandre d’autres types d’effluent liquides, comme les boues de station d’épuration. Les critères de choix et de qualité ont jusqu’à présent plutôt été guidés par des préoccupations d’ordre pratique, agronomique ou économique. Les constructeurs ont orienté leurs efforts de conception selon les demandes de leur clientèle. Cependant, ces améliorations sont issues de démarches souvent peu structurées et ne sont pas valorisées faute de référentiel d’évaluation adapté [Thirion, 2006]. La composante environnementale dans ces critères reste largement à caractériser et à introduire.
L’analyse de Cycle de Vie (ACV) a été retenue comme la méthode la plus appropriée pour évaluer les impacts de différentes solutions technologiques d’épandage. C’est une méthode normalisée d’évaluation des impacts environnementaux d’un produit, d’un procédé ou d’un service [ISO 14040, 2006; ISO 14044, 2006]. L’intérêt et la spécificité de cette méthode résident dans son caractère global : les impacts sont évalués dans un même cadre d’analyse prenant en compte toutes les phases du cycle de vie du système étudié, de l’extraction des matières premières jusqu’au traitement des déchets. Cela permet d’identifier les postes de pollution critiques et de mettre en évidence d’éventuels transferts de pollutions. L’ACV constitue « l’outil le plus abouti d’évaluation globale et multicritère des impacts environnementaux d’un produit sur l’ensemble de son cycle de vie » [ADEME, 2004] et offre une référence d’évaluation privilégiée en matière d’éco-conception [Doglioli, 2001].
Développée à l’origine pour les produits industriels dans les années 1970, l’ACV est appliquée aux productions agricoles depuis une quinzaine d’années [Audsley et al., 2003; Meeusen & Weidema, 2000]. Plusieurs auteurs tels Wegener Sleeswijk et al. [1996], Cowell & Clift [1997], Haas et al. [2000], Brentrup et al. [2001] ou Basset-Mens [2005] ont conclu que cette méthode pouvait être appliquée aux productions agricoles malgré les différences fondamentales sur la nature des ressources, des émissions et des catégories d’impacts des deux types de systèmes de production, industriels et agricoles.
Les techniques d’épandage d’effluents constituent un objet d’étude original parmi les ACV réalisées dans le domaine de l’agriculture. En effet, les ACV liées à l’agriculture s’intéressent généralement à des fonctions plus « larges » comme par exemple la comparaison (a) de cultures différentes remplissant la fonction de production d’énergie [Renouf et al., 2008; Gasol et al., 2009; Schmidt, in press], ou (b) de modes de production contrastés tels que l’agriculture conventionnelle et biologique pour remplir une fonction de production d’aliments [De Boer, 2003; Basset-Mens & Van Der Werf, 2005; Meisterling et al., 2009]. Ici l’évaluation s’est focalisée sur la technique utilisée pour réaliser une opération particulière : l’épandage d’effluents. Par conséquent, des données d’inventaire très spécifiques, relatives à la technique d’épandage même, sont nécessaires à cette évaluation.
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Table des matières
1 L’analyse de Cycle de Vie : une approche globale des impacts environnementaux
1.1 Présentation de la méthode
1.1.1 Éléments historiques
1.1.2 Les phases de la réalisation d’une ACV
1.1.2.1 Définition des objectifs et du champ de l’étude
1.1.2.2 Inventaire de cycle de Vie
1.1.2.3 L’évaluation des impacts environnementaux
1.1.2.4 Interprétation
1.1.3 Aspects méthodologiques de l’ACV
1.2 Application de l’Analyse de Cycle de Vie aux systèmes agricoles
1.2.1 Le sol, un intrant de la production limité dans le temps et l’espace
1.2.2 La variabilité des données d’inventaire agricoles
1.2.2.1 Description des systèmes de production étudiés
1.2.2.2 Estimations des flux
1.3 Traitement de la variabilité et de l’incertitude
1.3.1 Définition et typologie des sources d’incertitude
1.3.2 Représentation de l’incertitude
1.3.3 Propagation de l’incertitude
1.4 Conclusion
2 Analyse de Cycle de Vie des techniques d’épandage de lisier, basée sur des données expérimentales issues de la littérature
2.1 Introduction
2.2 Materials and methods
2.2.1 Goal and scope of the analysis
2.2.2 Life Cycle Inventory
2.2.2.1 N losses estimates
2.2.2.2 Other field emissions
2.2.2.3 Equipment-related inventory data
2.2.3 Uncertainty analysis
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