L’allaitement maternel : les enjeux de santé

L’allaitement maternel : les enjeux de santé 

L’allaitement après une césarienne a un double enjeu. En effet, il y a un enjeu pour l’enfant et pour la mère.

Un enjeu pour l’enfant

Pour l’enfant, l’allaitement maternel est le mode d’alimentation le plus adaptée. La composition du lait maternel évolue avec l’enfant, et permet de nombreux apports, notamment biologiques (hormones, facteurs de croissances, cellules immunocompétentes…), comme le montre la revue de littérature du Pr Turck et de son équipe datant de 2013 (12). Il a été démontré qu’un allaitement maternel exclusif de plus de 3 mois diminue le risque d’otite moyenne aiguë, ainsi que le risque de diarrhée aiguë infectieuse d’après l’Académie Américaine de Pédiatrie (13). Comme le montre l’étude de l’Agency for Healthcare Research and Quality (AHRQ), il diminue aussi le risque d’asthme chez les enfants à risque d’allergie (c’est à dire dont un des parents au premier degré est allergique) (14). Il est aussi conclu qu’un allaitement exclusif de 4 mois diminue le risque d’hospitalisation pour des infections respiratoires sévères dans l’enfance. Selon l’OMS, l’allaitement maternel diminue aussi le risque de surpoids et d’obésité dans l’enfance et l’adolescence (15). Il aurait aussi un bénéfice cognitif sur les enfants, notamment sur le plan moteur et du langage, selon la méta-analyse menée par Anderson et son équipe en 1999, regroupant 20 études réalisées (16). Enfin, à l’âge adulte, les personnes ayant été allaitées ont une pression artérielle et une cholestérolémie moindre. C’est ce que montre Christopher Owen dans sa revue systématique réalisée en 2002, et qui a été repris par la société Française de Pédiatrie en 2005 dans le rapport sur l’allaitement maternel à propos des bénéfices pour la mère et l’enfant (17) (18).

Un enjeu pour la mère

Pour la mère, l’allaitement a aussi un enjeu, et ce sur le long terme. Tout d’abord, l’allaitement a des avantages sur le plan psychologique. D’après la revue de littérature du Dr Turck, il facilite la création du lien mère-enfant, et diminue le risque de dépression du post-partum. L’allaitement maternel diminue la réponse au stress de la mère, et augmente son bien-être et son estime de soi (12). Par ailleurs, les travaux d’Anne Chantry montrent que l’allaitement entraîne bien une diminution du taux de dépressions du postpartum, mais qu’on ne peut pas parler d’un moyen de prévention de la dépression du postpartum (11). De plus, les hormones sécrétées lors de la mise au sein diminuent le risque d’infection puerpérale. Selon l’AHRQ, après un allaitement maternel, l’utérus reprend plus vite sa taille d’origine car la sécrétion d’ocytocine lors de l’éjection du lait permet une meilleure contraction de l’utérus et donc un retour plus rapide à sa forme initiale (14). La même étude décrit une diminution du risque de cancer de l’ovaire. La société Française de Pédiatrie conclue que l’allaitement maternel permet une perte de poids plus rapide après l’accouchement (18). La méta-analyse réalisée par Victora et al, montre que l’allaitement maternel diminue le risque du cancer du sein (19). Enfin, Christopher Owen décrit en 2006 que l’allaitement maternel diminue le risque de développer un diabète de type 2 (20). Quelle que soit la voie d’accouchement, la mise en place de l’allaitement maternel est donc un enjeu aussi bien pour la mère que pour son enfant, aussi bien pour leur santé physique que psychique.

Allaitement maternel et césarienne

Épidémiologie

D’après l’enquête nationale périnatale de 2016, le taux de césarienne en France est de 20,4%, ce qui est stable (4). Comme énoncé en préambule, l’étude Épiphane de 2012 montrait un taux d’initiation d’allaitement maternel de 65% après une césarienne, le taux d’initiation de l’allaitement était alors de 69% après un accouchement par voie basse, ainsi qu’un taux d’allaitement maternel à un mois de vie de 49,8% après une césarienne (21). L’étude de Zanardo et al, publiée en 2010, montre par ailleurs que le taux d’allaitement maternel après une césarienne était plus faible, quel que soit le contexte de la césarienne (programmée ou en urgence) (22). Enfin, les données de l’étude Epifane de 2012, étudiées par Salanave et son équipe, montrent que la durée médiane de l’allaitement maternel était plus courte en cas de césarienne (98 jours contre 105), mais cette différence n’est plus retrouvée à 3, 6 et 12 mois (23)

Les difficultés 

La douleur
La douleur post-opératoire est un élément important après une césarienne. Elle est très importante dans les 48 premières heures après l’opération. Dans l’étude de Karlström en 2007, 78% des patientes cotaient leur douleur à plus de 4 sur l’échelle visuelle analogique (EVA). Cette étude a été menée en Suède, mais peut être transposable en France. On voit donc que c’est une douleur qui doit être prise en charge, d’autant plus que d’après cette même étude, la douleur post-opératoire a un impact négatif sur l’allaitement et les soins prodigués par la mère à son enfant, surtout ceux nécessitant une station debout (bain, changement de couche, soins du cordon) (24). Une étude menée à Marseille en 2019 montre que la césarienne est à l’origine de plus de douleurs pelvis-périnéales aiguës en post-partum qu’après un accouchement par voie basse.

De plus ces douleurs sont intenses et peuvent entraîner un sentiment de détresse maternelle. Dans 6 à 10% des cas, la césarienne est à l’origine de douleurs pelvis-périnéales chroniques qui doivent être prises en charge, sur le plan physique et psychique (25).

La douleur peut pourtant être traitée, en effet le CRAT (Centre de Référence des Agents Tératogènes) ne contre indique pas l’utilisation d’antidouleur lors de l’allaitement (26). Les anti-douleurs non opioïdes, comme le paracétamol, ou certains AINS (ibuprofène, kétoprofène, diclofenac, flurbiprofène) peuvent être utilisés pendant l’allaitement. L’aspirine (AINS aussi) ne peut cependant être donnée que lors d’une prise unique ou d’une prise chronique à visée anti-agrégante plaquettaire (dose efficace la plus basse possible), mais est contre-indiquée en prise répétée à posologie antalgique ou anti-inflammatoire (26). Le paracétamol est l’anti-douleur de première intention d’après le CNGOF (grade B) (27). Le Néfopam peut être utilisé dans les 48 premières heures du post-partum (accord professionnel). Le Tramadol n’est pas contre-indiqué dans les 4 premiers jours postopératoire, et plus tard s’il est prescrit de manière ponctuelle, pour 2 à 3 jours (accord professionnel) (26) (27). La codéine quant à elle est contre-indiquée dans les 2 semaines après l’accouchement. En ce qui concerne les antalgiques de palier 3, comme la nalbuphine ou la morphine, leur utilisation est possible dans les 3 premiers jours du post-partum, mais par la suite si un antalgique de palier 3 est nécessaire, l’allaitement devra être suspendu (14).

La mobilité et l’autonomie 

Comme il a été vu précédemment, la douleur est très présente dans le post-partum d’une naissance par césarienne, pouvant affecter l’autonomie et la mobilité des patientes. L’étude de Zanardo et al, réalisée en 2007 en Italie, montrait que les patientes ayant accouché par césarienne avaient plus de douleurs, et avaient plus de difficultés à se mobiliser, les rendant moins autonomes dans leurs gestes, et donc les mettant en difficulté pour allaiter leur nouveau-né. Cette étude était monocentrique et étudiait les taux d’allaitements chez 2137 nouveau-nés en fonction de la voie d’accouchement (22). Dans son article, Amy Hobbs décrit aussi des douleurs plus intenses pour la mère après une césarienne, rendant difficile un bon positionnement pour allaiter (28).

Le positionnement 

Lors d’un allaitement on sait qu’un bon positionnement est primordial, or comme vu précédemment, les études de Zanardo et al et de Karlström et al montraient une difficulté à se mouvoir et s’occuper de leur nouveau-né, rendant difficile les mises au sein dans une position optimale pour la tétée (22,24). Ces difficultés sont à prendre très au sérieux quand on sait qu’un bon positionnement permet d’éviter les crevasses, qui sont la première cause d’arrêt de l’allaitement maternel, comme l’a montré une enquête sur les arrêts de l’allaitement au Havre (29). Le rôle de la sage femme est donc d’aider la patiente dans ses premières mises au sein, afin de trouver les positions les plus adaptées pour l’allaitement et sans douleur pour cette dernière.

Le vécu psychologique 

Une césarienne peut avoir un impact négatif sur le plan psychologique, et on peut distinguer le ressenti après une césarienne programmée ou en urgence. En effet, une étude a montré que les patientes ayant accouché par césarienne en urgence vont moins bien sur le plan psychologique que les patientes ayant eu une césarienne programmée (30). Lors d’une césarienne en urgence, le ressenti des patientes est mitigé. Une étude qualitative réalisée par Laurie Glorieux dans son mémoire de fin d’études montre que beaucoup de patientes décrivent une déception voire une frustration de ne pas avoir vécu l’accouchement qu’elles avaient imaginé, avec un sentiment de stress intense, mais aussi de tristesse car elles n’ont pas pu voir leur enfant naître. Le fait que leur conjoint n’ait souvent pas pu assister à la naissance les rend aussi un peu plus fragile. Enfin, elles n’ont souvent pas anticipé la douleur du post-partum, et leur incapacité à s’occuper seule de leur enfant dans les premiers jours (31). Ces propos sont appuyés par l’article de Julie Fabregoul, sage-femme, qui conclut que ces patientes sont plus fragiles sur le plan psychologique, et qu’un accompagnement pour la création du lien mère-enfant est important (32). Une présence et une écoute de ces patientes par l’équipe soignante est donc très importante en suites de couches.

Mise en place de la lactation 

Après un accouchement par césarienne, la mise en place de la lactation est plus tardive, en effet, les mises au sein retardées entraînent un retard de la montée laiteuse. L’étude italienne réalisée par Zanardo et al, et incluant 677 patientes ayant accouché par césarienne montrait que les femmes réalisaient leur première mise au sein en moyenne 10,4h après l’accouchement, alors que cette dernière était réalisée en moyenne 3,1h après un accouchement voie basse (22) Il a de plus été démontré par une étude scandinave réalisée en 1996 qu’il y avait une diminution de la hausse du taux de prolactine, mais aussi de la hausse du taux d’ocytocine après une césarienne, par rapport à un accouchement par voie basse (33). Il faudrait pour éviter cette diminution mettre l’enfant en peau à peau sur sa mère le plus précocement, et surtout le plus longtemps possible comme montré par l’étude Polonaise menée par Kostyra et al. L’étude incluait 1250 nouveau-nés et montrait que 78% des nouveau-nés avaient été allaités dans les 2 heures après la naissance quand ils avaient été mis en peau à peau, contre 26% en l’absence de peau à peau (34). Enfin la méta-analyse réalisée par Prior et al, qui compte 48 études, montre qu’il y a une relation négative entre un accouchement par césarienne et le taux d’initiation de l’allaitement maternel. Cependant, à distance de la naissance, la méta analyse montre qu’une fois l’allaitement maternel bien initié, sa durée n’était pas influencée par le mode d’accouchement (35).

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Table des matières

I. Introduction
I.1. L’allaitement maternel : les enjeux de santé
I.1.1 Un enjeu pour l’enfant
I.1.2 Un enjeu pour la mère
I.2 Allaitement maternel et césarienne
I.2.1 Épidémiologie
I.2.2 Les difficultés
I.3 Les recommandations ?
I.3.1 Les recommandations concernant la césarienne
I.3.2 Réhabilitation précoce
I.3.3 Recommandations sur l’allaitement maternel
II. Matériel et méthode
II.1 Objectifs et hypothèses
II.2 Type d’étude
II.3 Population d’étude
II.4 Outil méthodologique
II.5 Éléments réglementaires
II.6 Déroulé de l’étude
II.7 Stratégie d’analyse
III. Résultats et analyse
III.1 Caractéristiques de la population
III.2 Les soins et la pratique clinique
III.2.1 « Pas de différence » ?
III.2.2 Gérer la douleur
III.2.3 Conduite de l’allaitement
III.2.4 Réhabilitation précoce
III.3 Les facteurs humains
III.3.1 : Liés aux professionnels
III.3.2 : Liés aux patientes
III.4 L’organisation des soins
III.4.1 A l’échelle nationale : une politique insuffisante
III.4.2 Enjeux de la sortie
III.4.3 Organisation sage-femme/ auxiliaire de puériculture (parfois infirmière)
IV. Discussion
IV.1 Points forts
IV.2 Biais et limites
IV.3 Résultats principaux
IV.3.1 Pas de différence
IV.3.2 Les principales pratiques
a) Prise en charge de la douleur
b) Positions
c) Conduite de l’allaitement maternel
d) Réhabilitation précoce
IV.3.3 Facteurs limitants
a) Éléments spécifiques à la césarienne
b) Facteurs généraux
IV.4 Perspectives
Conclusion

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