L’aleucie toxique alimentaire
CHEZ LE CHEVAL
Les rapports de cas et études expérimentales concernant la toxicité des trichothécènes chez les équidés sont particulièrement rares.En Colombie britannique, en 1973, un rapport fait état de l’intoxication de deux chevaux par un aliment contenant de l’orge contaminé à hauteur de 25 mg/kg de toxine T-2. Suite à son ingestion, les chevaux ont présenté une hypersialorrhée, sont devenus apathiques et légèrement fébriles. La durée des troubles n’est pas rapportée. Plusieurs espèces étant impliquées, des recherches poussées et une reproduction expérimentale chez des oies ont permis d’incriminer l’aliment moisi et de conclure à une fusariotoxicose [Greenway & Puls, 1976].
Après administration de 7 mg de toxine T-2 in totto, par voie orale, la seule anomalie rapportée est un ensemble de lésions de type « radiomimétique » autour de la bouche, régressant rapidement à la fin de l’étude. Aucune altération de la fonction de reproduction n’a été détectée [Juhaszet al., 1997].La consommation d’orge contaminé à hauteur de 36-44 mg/kg n’a provoqué aucun symptôme ou lésion [Johnson et al., 1997].
CHEZ LES RUMINANTS
La résistance des ruminants – ovins et bovins – aux trichothécènes explique le peu de références concernant ces espèces. Malgré une importance historique – les rapports d’intoxication de bovins par les trichothécènes sont parmi les plus anciens – les études ultérieures ont confirmé cette résistance naturelle.En conséquence, les DL50 n’ont pas été déterminées et les études sont rares [JECFA, 2001,WHO, 1990].Certains auteurs préconisent même, si les éleveursne peuvent se permettre de détruire un aliment contaminé, de le donner aux bovins – plus résistants – plutôt qu’aux porcins ou aux volailles [Trenholm et al., 1984].Les symptômes et lésions rapportés lors d’intoxication chronique par les trichothécènes dans les espèces bovine et ovine sont rassemblés dans les tableaux 5 à 7.
Historique et rapports de cas
Dans les années 1970-80 les trichothécènes ont étéimpliquées dans différentes affections sources de controverses, résultant de la méconnaissance des mycotoxines et de leurs effets, de la faiblesse des méthodes d’analyse et de l’engouement des chercheurs pour ces nouvelles substances toxiques.Une série de cas regroupés sous le terme de « maladie du maïs moisi » (moldy corn disease) ou encore « syndrome hémorragique » ont parfois té attribué aux trichothécènes [Shreeve et al., 1975a] suite à la découverte de toxine T-2 dans les aliments moisis impliqués [Petrie et al., 1977].D’autres auteurs restent prudents et concluent à un e mycotoxicose de par l’épidémiologie et l’exclusion d’autres étiologies, sans préciser al mycotoxine impliquée mais en éliminant parfois la toxine T-2, non détectée dans l’aliment[Albright et al., 1964, Dyson et al., 1977, Shreeve et al., 1975b].L’implication de la toxine T-2 dans ce syndrome hémorragique reposait essentiellement sur une étude dans laquelle une vache recevait 30 à 72 mg/kg de toxine T-2 par voie IM et/ou orale, et qui entraîna sa mort après 73 jours de traitement, suite à un syndrome hémorragique, ainsi que sur l’évolution de l’aleucie toxique alimentaire, maladie humaine due aux trichothécènes comprenant de nombreux troubles hémorragiques (Partie 1. 5. L’aleucie toxique alimentaire) [Forgacs, 1962, Kosuri et al., 1970].Dès 1977, certains auteurs réfutent cependant l’implication de la toxine T-2 dans le syndrome hémorragique suite aux premières reproductions expérimentales réalisées [Matthews et al., 1977, Patterson et al., 1979, Weaver et al., 1980].L’observation des symptômes décrits lors de reproductions expérimentales, la progression des connaissances concertant le mécanisme d’action et la cinétique des trichothécènes, la connaissance des autres mycotoxicoses permettent aujourd’hui de conclure à l’implication simultanée de plusieurs mycotoxines [Matthewset al., 1977, Weaver et al., 1980].Par ailleurs, un rapport de cas fait état de multiples lésions cutanées sur le mufle, les mamelles et les postérieurs dans un troupeau bovin laitier. Une chute de production laitière et deux cas de mortalité, dont l’autopsie révèle de multiples hémorragies et un emphysème pulmonaire, plus une infiltration leucocytaire dans tous les tissus, y sont associés. L’aliment et une dermatophytose sont rapidement écartés, et l’attention est attirée sur la litière par la présence de lésions cutanées semblables chez l’éleurv. L’analyse de cette litière révèle la présence de Fusarium sporotrichioides et de quantités anormalement élevées de trichothécènes du groupe A (0.22 mg/kg de matière èche)s. Le diagnostic est confirmé par une reproduction expérimentale sur peau de rat et une égression des lésions après retrait de la litière. Le tableau clinique étant évocateur de stachybotriotoxicose, il est cependant regrettable que cette toxine n’ait pas été également recherchée[Wu et al., 1997].
Symptômes
Forme aiguë
Les symptômes rapportés lors d’intoxication aiguë c oncernent un veau préruminant. Comme chez les porcins, des signes nerveux et neuro-musculaires ont été observé, mais aucun signe digestif.
20 minutes après administration de 0.6 mg/kg de poids vif (PV) par sondage oesophagien, le veau présente une parésie postérieure, de l’apathie puis une dépression sévère. Ces signes rétrocèdent au bout de 12 heures [Weaveret al., 1980].
Forme chronique
Les symptômes rapportés lors d’intoxication chronique par les trichothécènes sont une baisse de consommation alimentaire, voire un refus de consommer l’aliment, accompagnée avec des doses élevées et/ou chez des animaux préruminants de troubles nerveux, neuro-musculaires, et de l’émergence de pathologies opportunistes.Un refus partiel est observé chez des agneaux avec un aliment contaminé à hauteur de 5 mg/kg de DAS, entraînant une perte de poids [Harvey et al., 1994]. Ce refus partiel est transitoire et n’influence pas le poids lors d’admi nistration à des bovins adultes d’un aliment contaminé par 6 mg/kg de DON [Trenholmet al., 1984, 1985].Le refus total de l’aliment contaminé est observé pour un niveau de contamination de 50 mg/kg de toxine T-2, même lorsque celui-ci est additionné d’agents appétents. Il est intéressant de noter que par la suite, ces animaux vont refuser de consommer un aliment identique non contaminé, alors que le foin proposéest consommé. Cependant, le mécanisme de ce refus alimentaire n’implique manifestement pas seulement une aversion alimentaire, puisqu’un veau préruminant recevant 6 mg/kg PV de toxine T-2 par intubation oesophagienne devient progressivement anorexique [Weaver et al., 1980].Aucune baisse de consommation alimentaire n’est observée lors de l’administration de 0.3-0.6 mg/kg PV de toxine T-2 par intubation oesophagienne, ou lors de distribution d’aliment contaminé à hauteur de 15.6 mg/kg de DON à des agneaux. Chez des bovins adultes, ni la consommation alimentaire, ni la production laitière et la composition du lait ne sont altérées par la consommation d’un aliment contaminé par 2-66 mg/kg de DON hauteur de 2 mg/kg de DON à des bovins adultes [Charmley et al., 1993, Côté et al., 1986, Friend et al., 1983, Harvey et al., 1986].Des troubles nerveux et neuro-musculaires semblables à ceux décrits dans la forme aiguë sont observés après administration de 6 mg/kg PV detoxine T-2 par intubation oesophagienne chez un veau préruminant, : parésie postérieure, apthie puis dépression profonde, de durées croissantes avec les administrations successives [Weaver et al., 1980].L’administration de 0.3-0.6 mg/kg PV de toxine T-2 par intubation oesophagienne à des agneaux n’entraîne aucun effet spécifique. Les animaux développent en revanche un ecthyma contagieux et des signes de coccidiose plus sévères, et avec une incidence supérieure [Friend et al., 1983]. L’altération des fonctions du système immunitaire sera plus largement abordée dans la partie consacrée à l’immunotoxicité (Partie3. 8. Immunotoxicité).
Lésions
Des lésions digestives sont décrites chez la vachelaitière après administration par voie orale de fortes doses de toxines T-2 – 182 mg in totto, l’équivalent d’une contamination de l’aliment à hauteur de 50 mg/kg. Elles rappellent c elles que l’on peut observer dans l’espèce porcine : ulcération de la muqueuse ruminale, congestion voire œdème des muqueuses digestives [Weaver et al., 1980].Suite à l’administration de 0.3-0.6 mg/kg PV de tox ine T-2 par intubation oesophagienne à des agneaux, on observe de nombreuses lésions des organes lymphoïdes primaires et secondaires, à mettre en relation avec les manifest ations cliniques d’immunodépression rapportés plus haut [Friendet al., 1983]. Aucune lésion n’est par contre observée après une dministration prolongée trichothécènes selon les protocoles suivants :
– 0.6 mg/kg PV de toxine T-2 par sondage oesophagien à un veau préruminant [Weaver et al., 1980],
– distribution d’un aliment contaminé à hauteur de 2-6 mg/kg de DON à des bovins adultes [Trenholm et al., 1984],
– distribution d’un aliment contaminé par 15.6 mg/kg de DON à des agneaux [Harvey et al., 1986].
Biochimie et hématologie
Aucune altération biochimique concordante n’est observée dans aucune des études de reproduction expérimentale de la toxicité des trichothécènes chez les ruminants [Côtéet al., 1986, Friend et al., 1983, Harvey et al., 1986, 1994, Weaver et al., 1980].De même, aucune altération hématologique n’a ététectéedé même lors d’administration de doses massives trichothécènes. Ces observations écartent donc la responsabilité de la toxine T-2 dans le « syndrome hémorragique » (3.1.Historique et rapports de cas) [Harvey et al., 1986, Weaver et al., 1980].Par contre, suite à l’administration de 0.6 mg/kg P V de toxine T-2 par intubation oesophagienne à des agneaux, on note une leucopénie transitoire (une semaine) accompagnée d’une lymphopénie prolongée. S’y ajoute une baissede l’érythropoïèse qui, étant donné la durée de l’étude, n’a pas d’influence sur le nombrede globules rouges [Friend et al., 1983].
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE 1.MYCOTOXICOSES
1. Dans l’espèce porcine
1.1. Rapports de cas
1.2. Symptômes
1.3. Lésions
1.4. Biochimie et hématologie
2. Chez le cheval
3. Chez les ruminants
3.1. Historique et rapports de cas
3.2. Symptômes
3.2.1. Forme aiguë
3.2.2. Forme chronique
3.3. Lésions
3.4. Biochimie et hématologie
4. Chez les volailles
4.1. Rapports de cas
4.2. Symptômes
4.3. Lésions
4.3.1. Forme aiguë
4.3.2. Forme chronique
4.4. Biochimie et hématologie
5. L’aleucie toxique alimentaire
5.1. Etude clinique
5.1.1. Stade 1 de l’aleucie toxique alimentaire
5.1.2. Stade 2 de l’aleucie toxique alimentaire
5.1.3. Stade 3 de l’aleucie toxique alimentaire
5.1.4. Stade 4 de l’aleucie toxique alimentaire
5.2. Etude lésionnelle
6. Diagnostic et moyens de lutte
6.1. Diagnostiquer une intoxication par les trichothécènes
6.2. Notions de risque
6.3. Traitement
PARTIE 2. TOXICOCINETIQUE ET RESIDUS
1. Toxicocinétique
1.1. Absorption
1.2. Distribution plasmatique et tissulaire
1.3. Métabolisme
1.4. Elimination
2. Résidus
2.1. Les muscles
2.2. Les abats
PARTIE 3. PHYSIOPATHOLOGIE ET TOXICOLOGIE EXPERIMENTALE
1. Intoxication par les trichothécènes chez les espèces de laboratoire
1.1. Toxicité aiguë
1.2. Toxicité subaiguë
1.3. Toxicité chronique
2. Carcinogénicité et genotoxicite
2.1. Carcinogénicité
2.2. Génotoxicité et mutagénicité
2.3. Conclusion
3. Fonctions de reproduction, embryotoxicité et tératogénicité
3.1. Action sur les gonades
3.2. Altération de la fertilité et de la fécondité, embryotoxicité
3.3. Tératogénicité
3.4. Conclusion
4. Toxicité cardio-respiratoire et altération des paramètres vasculaires
4.1. Déroulement du choc induit par les trichothécènes
4.2. Rôle du système nerveux
4.3. Modification de l’hémodynamique
4.4. Rôle des pertes sanguines et plasmatiques
4.5. Toxicité cardiaque
4.6. Altérations biochimiques
4.7. Conclusion
5. Dermotoxicité
6. Action sur l’appareil digestif
6.1. Modification du comportement alimentaire
6.2. Caractère émétisant
6.3. Diarrhée
6.4. Modification des activités enzymatiques
6.5. Lésions du tube digestif
7. Hématotoxicité
7.1. In vivo
7.2. In vitro
7.3. Altération de la coagulation
8. Immunotoxicité
8.1. Atteinte des organes lymphoïdes
8.2. Altération de la formule sanguine
8.3. Altération de la sensibilité aux agents infectieux
8.4. Altération de la sensibilité aux tumeurs
8.5. Exploration spécifique du système immunitaire
8.6. Etude des mécanismes de l’immunotoxicité
8.7. Conclusion
9. Bases moléculaires de la toxicité
9.1. Altérations de la membrane plasmique
9.2. Modulation des synthèses macromoléculaires
9.3. Toxicocinétique cellulaire
9.4. Toxicité mitochondriale
9.5. Peroxydation lipidique
9.6. L’apoptose
9.7. Conclusion
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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