L’album de jeunesse, une œuvre littéraire ?
Lors de nos séances en classe, il est important de proposer aux élèves des albums les aidant à développer leur intellect. Or, avec plus de huit milles nouveaux ouvrages sortant chaque année dans la seule rubrique des albums de jeunesse, tous n’ont pas les qualités requises pour remplir les rayonnages des écoles. Comment peut-on discriminer un bon album et selon quels critères ? Tout d’abord, il faut s’intéresser à la définition même de l’œuvre littéraire. Si on se concentre sur les étymologies respectives, l’œuvre littéraire peut se définir par une production de l’Homme qui véhicule une communication d’ordre esthétique entre un auteur et un lecteur. Ce serait donc cette valeur esthétique qui donnerait sens à la catégorie.
Effectivement, tout texte ne pourrait se prétendre œuvre littéraire. Et force est de constater que la recevabilité d’un texte pour cette catégorie n’a pas d’étalonnage par une batterie de demandes normalisées. Néanmoins Roman Ingarden essaye de répondre à cette question d’une définition moins terre à terre de l’œuvre littéraire en dégageant quatre grandes spécificités de l’œuvre littéraire, que sont : « les moyens de la représentation du monde dans l’œuvre littéraire », « la spécificité du discours littéraire par rapport au discours scientifique ou philosophique », « la dépendance du texte envers son auteur et envers son lecteur » et enfin « la nature de l’expérience de lecture ».
Qu’est ce qu’un album jeunesse, quelles sont ses caractéristiques et ses différentes catégories ?
Au sein de la mobilisation du langage, l’éducation nationale consacre une part importante au rôle de la littérature jeunesse, son enjeu étant : « d’habituer à la réception du langage écrit afin d’en comprendre le contenu » .
La littérature de jeunesse en général pourrait être définie par sa finalité esthétique. Effectivement, lorsque les premiers albums, « les albums de Trim » (Pierre l’ébouriffé, Joyeuses histoires et Images drolatiques), apparaissent dans l’hexagone vers la fin du XIXème siècle, ceux-ci ne sont pas considérés pour leur valeur communicationnelle, mais sont relayés au titre de collection d’images, ce qui leur vaudra un échec commercial.
Laurence Tonelli, conseillère pédagogique, définit l’album comme œuvre où la gestion du récit est partagée entre son texte et son image. De ce fait, un album comporterait une double narration, entre narrateur textuel et narrateur imagier . Cette double narration permet donc diverses articulations entre elles, plus ou moins corrélatives.
Comme le souligne Florence de Vismes , la littérature de jeunesse, à l’école, ne doit pas se limiter à l’observation d’un simple intérêt chez l’enfant, ou encore une recommandation forcée des parents. Se voyant ainsi restreindre, tant par l’horizon des récits que de la qualité de l’œuvre en général, les albums jeunesse que nous pourrions proposer à nos élèves. Trois facteurs dans le choix de ces albums nous paraissent cependant intéressants à prendre en compte : la qualité du texte, la qualité de l’illustration, et indépendamment de l’album, le rôle du lecteur.
Le rôle de l’image
Au sein des albums de jeunesse, on peut distinguer deux grands types de productions d’images : les illustrations qui utilisent le dessin avec diverses techniques, allant de la gouache au collage, pour ne citer qu’eux ; et la deuxième grande famille d’illustrations, la photographie, technique de plus en plus présente dans les albums destinés aux enfants. De ces deux techniques en résulte une approche différente de l’image par l’enfant. Quand le dessin va utiliser des couleurs vives en contraste avec un fond blanc immaculé, et épaissir les traits pour renforcer ce contraste entre l’objet et le fond, il permettra à l’enfant de se focaliser dessus. La photographie, elle, cherchera à unifier l’objet et l’environnement pour mettre en relation, créer différentes inférences, exerçant le regard et la conscience de l’enfant.
Sophie Van Der Linden, spécialiste des albums de jeunesse, détermine deux codes qui sont couramment utilisés dans l’élaboration des images que sont les signes iconiques et les signes plastiques. Les signes plastiques sont une réinterprétation de l’interprétation plastique de l’image. Les signes iconiques, eux, travestissent une réalité en jouant sur la représentation de cette icône. Néanmoins la qualité graphique de l’illustration n’est pas seule décisionnaire dans l’influence de l’image sur l’œuvre littéraire car son positionnement spatial avec le texte amènera aussi une lecture différente de ces illustrations.
L’auteur(e) peut décider de consacrer une simple ou une double page à cette illustration, l’associer au texte ou présenter l’un sur une page, et l’autre sur la deuxième page. Ces choix de dispositions ne sont pas anodins. Sophie Van Der Linden , spécialiste des albums de jeunesse, nous explique que si l’enfant est en présence d’un album qui présente le texte sur la page de gauche, dissociée de son illustration, il aura tendance à considérer ce texte comme prioritaire à l’illustration. A contrario, si le lecteur est en face d’un texte inscrit au sein même de l’illustration, alors la présentation ainsi que la taille de la police agiront sur sa lecture des deux langages que sont le texte et l’image.
A contrario des premiers albums où l’image habillait le texte, on observe depuis les années 90 une prédominance de l’image. L’image se veut illustrative, mais aussi pédagogique.
Le rôle du texte
Le texte dans un album se doit de porter une réelle plus value à l’œuvre, et ne doit pas se contenter d’une figuration, au risque de faire basculer cette œuvre dans la catégorie des livres d’illustrations. Le texte se doit donc d’être complémentaire à l’image, et vice versa. Les thématiques abordées sont nombreuses et variées mais répondent souvent aux différents questionnements de l’enfant. On a donc, en plus des albums représentant les différents contes anciens et contemporains (questionnements psychologiques), des albums centrés sur les émotions et leur gestion (ex : la couleur des émotions), les rôles sociaux. Certains albums contemporains, comme La couleur des émotions d’Anna Llenas sont remarquablement composés et attirent par la richesse du texte et de l’image qui s’entremêlent. D’autres comme Histoire à quatre voix d’Anthomy Browne en sont remarquables par l’ingéniosité littéraire et montrent que le texte d’album, offrant différents niveaux de lecture, s’offrent aux jeunes et aux moins jeunes.
Les différentes articulations entre images et textes
Les caractéristiques différenciant les albums par leur articulation entre leurs images et leur(s) texte(s) ne faisant pas consensus dans la sphère scientifique, nous avons prit le parti de baser ces distinctions sur les critères établis par l’Université de Sherbrooke . Trois groupes, de part la nature des articulations entre images et textes se dégagent : l’album illustré, l’album de littérature (de jeunesse ou non) et le livre d’images.
Le premier groupe, les albums illustrés, présente au sein des livres des illustrations accompagnant le texte, mais étant dissociables de celui-ci, n’amputant pas l’œuvre d’informations utiles à sa compréhension. Les albums de littérature, fruit de la collaboration d’un illustrateur et d’un auteur, ou d’une personne endossant les deux rôles, présentent une indissociabilité des images et du/des textes dans la compréhension de cette œuvre. Les livres d’images, à l’opposé des albums illustrés, privilégient l’image comme support à l’intention de communication. Ici le texte est relié au second plan, très peu présent, voire absent .
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Table des matières
Introduction
1. Le fonctionnement de la mémoire
1.1. Les processus de mémorisation
1.1.1. La mémoire sensorielle
1.1.2. Mémoire à Court Terme (MCT) et Mémoire de Travail (MdT)
1.1.3. Mémoire à long terme (MLT)
1.2. Les étapes du développement cognitif chez l’enfant de J. Piaget
1.3. Les intelligences multiples selon H. Gardner
2. L’album de jeunesse, une œuvre littéraire ?
2.1. Qu’est ce qu’un album jeunesse, quelles sont ses caractéristiques et ses différentes catégories ?
2.1.1. Le rôle de l’image
2.1.2. Le rôle du texte
2.1.3. Les différentes articulations entre images et textes
2.1.4. Le rôle du lecteur
2.1.5. Pourquoi l’utilise-t-on en maternelle
3. Méthodologie
3.1. Choix du public et environnement
3.2. Présentation de l’album « Du bruit sous le lit »
3.3. Méthode d’acquisition des données
3.4. Groupes
3.5. Temporalité
3.6. Elaboration du questionnaire
4. Résultats
4.1. Observation au cours des lectures
4.2. Résultats par groupe et analyse descriptive
4.3. Résultats des groupes dans les différentes parties du questionnaire
4.4. Un personnage non présent : le loup
5. Interprétation
5.1. Obstacles psychologiques et affectifs
5.2. Différents processus selon les modalités de lecture
5.3. Limites et perspectives
6. Conclusion
7. Annexes
Page de lecture pour le groupe « lecture »
8. Bibliographie
9. Sitographie