L’aide sociale aujourd’hui
Contextualisation
Historiquement, c’est la commune, notamment au travers de l’action des églises, qui est en charge de la réalisation des diverses formes de solidarité (Tabin & al., 2008). Avec la constitution officielle de l’État fédéral en 1848, la question de la protection des individus reconnus comme citoyens devient saillante. En effet, définir qui est légitime à percevoir une aide étatique pose plus largement la question de la constitution d’une société nationale, par opposition à l’extérieur ne faisant pas partie de la « Nation » (Bommes & Geddes, 2005). De plus, l’État suisse fonctionnant selon le principe de subsidiarité, il s’agit dès lors d’identifier la plus petite entité politique compétente à même de prendre en charge la gestion des prestations sociales. La commune étant donc compétente en la matière (Tabin & al, 2008), le critère de la résidence devient alors, et demeure aujourd’hui encore, déterminant pour ce qui est de l’accession à certaines prestations sociales. A cette époque, les droits sociaux se voient conditionnés au statut de travailleur si bien que seule cette population est éligible à ce droit. De ce fait, ce sont les militaires en tant que professionnels qui bénéficient les premiers d’une assurance accident et maladie. Cette évolution concernant la prise en charge étatique des situations d’assistance pointe un tournant puisqu’il s’agit dès lors d’intégrer ces thématiques au registre assurantiel (OFAS, 2014). A la suite de l’instauration de cette première ébauche de protection sociale, l’État social suisse se développe. De plus, un nombre croissant de prérogatives sont progressivement transférés du niveau communal au niveau cantonal. En 1918, l’assurance accident est implémentée et les bases légales sur lesquelles l’assurance vieillesse et survivants ainsi que l’assurance invalidité seront fondées sont posées (OFAS, 2014). En 1948, l’assurance vieillesse et survivants est créée. Suivra, en 1960, l’assurance invalidité puis l’assurance chômage en 1984 (OFAS : 2014). Cette période d’extension de l’État social n’est toutefois pas sans controverse. En effet, plusieurs projets politiques tentent de freiner cette expansion, notamment en utilisant la rhétorique du financement pour argumenter sur le risque que de telles dépenses pourraient faire encourir à l’État dans son entier (OFAS, 2014). De ce fait, les politiques sociales évoluent selon deux dynamiques distinctes. D’une part, elles couvrent toujours plus de risques et prennent en charge de plus en plus d’individus. En effet, la crise des années trente modifie les perceptions alors en vigueur autour du chômage. Tous les travailleurs sont dès lors éligibles aux prestations sociales, quel que soit le mérite qu’on leur attribue (Tabin & al., 2008). De plus, les prestations sociales s’élargissent pour concerner les citoyens de manière globale. L’accroissement de la population étrangère, au début du 20ème 8 siècle, questionne son accession à ces prestations alors balbutiantes. Il faut ainsi définir qui détient le droit de revendiquer des prestations sociales de la part de l’État et sous quelles conditions (Arlettaz & Arlettaz, 2006). Diverses mesures sont alors mises en place afin de souligner le caractère national de ce droit social qui par extension, étaient destinées à la population nationale et donc aux individus détenant la nationalité suisse. « Faire partie de la communauté, c’est en effet se trouver dans la situation d’être un destinataire potentiel de la solidarité » (Tabin & al., 2008, p.73). L’augmentation des échanges internationaux et l’interdépendance toujours plus grandes entre les différents États occidentaux poussent les gouvernements à introduire progressivement et selon des normes strictes certains individus étrangers à leur système de prestations sociales et ce, afin que leurs propres ressortissants puissent également en bénéficier dans leur pays de résidence. C’est donc dans un souci de réciprocité que cette évolution tire ses racines, bien qu’elle questionne plus fondamentalement les bases fondatrices de la citoyenneté et donc la logique de l’État-Nation (Rosenthal, 2006). Le critère de la nationalité s’est donc vu affaibli en ce qui concerne son rôle dans l’accession aux prestations sociales de l’État. Mais aujourd’hui, c’est en fonction d’un autre critère tout aussi discriminant que les aides étatiques sont accordées : la régularité de séjour (Isidro, 2016). La logique cachée de ce glissement juridique repose « sur le postulat du caractère attractif du système de protection sociale qui inciterait les personnes étrangères à venir en France (argument transposable au contexte suisse) dans le but de bénéficier de prestations sociales. Dans cette perspective, poser des obstacles à l’accès à la protection sociale concourrait à les dissuader de chercher à s’installer » (Isidro, 2016, p.110). L’extension des droits sociaux ne signifie toutefois pas un changement radical en ce qui concerne leur caractère momentané. Pensées pour pallier un déficit individuel sporadique, diverses politiques, ou absence de politique, sont discutées et mises en œuvre afin de souligner cet aspect constitutif. C’est pourquoi l’introduction d’un minimum vital est refusé dans plusieurs cantons entre 1956 et 1958, le personnel politique arguant qu’une telle évolution pourrait faire paraître l’aide étatique comme permanente (Tabin & al., 2008). Ces diverses évolutions ne sont bien évidemment pas déconnectées du contexte global dans lequel elles prennent place et des enjeux sociétaux particuliers alors saillants. « L’idée que l’Europe devient un lieu qui permet l’innovation grâce à la migration et qui donne une chance à toute personne d’accroître sa position sociale par son propre engagement et grâce à un système qui permet l’accès facile au soutien minimal, bref, l’idée d’une société à haute mobilité sociale et territoriale fait son chemin. A cette société correspond un ensemble d’initiatives de 9 soutien à des personnes précarisées, freinant l’aggravation de leur situation. Ce soutien lie l’aide à un devoir (la « contre-prestation ») de recherche de toute possibilité d’amélioration de la position sociale » (Cattacin, 2005, p.110). Toutefois, cette croyance en l’égalité des chances et par extension en l’individualisation des situations de réussite mais aussi d’échec criminalise et rend culpabilisant le recours à l’aide (Dubet, 2010). La crise pétrolière des années 1970 sème l’incertitude en Europe, et bien que la Suisse ne soit pas touchée au même degré par cette crise économique, le climat de doute environnant la pousse à un repli identitaire. C’est à cette époque que les partis néo-libéraux attaquent la constitution de l’État social, accusée d’entacher la croissance économique et de péjorer les finances publiques. La remise en question de l’État social ainsi que de ses prestations est alors une thématique récurrente qui ressortira de manière systématique dans les débats politiques (Leimgruber, 2011).
L’aide sociale aujourd’hui : aspects juridiques
« En Suisse, plus de 270’000 personnes perçoivent l’aide sociale. L’aide sociale est le dernier filet lorsqu’une personne ne trouve plus de travail, que toute sa fortune a été consommée et que la responsabilité n’incombe à aucune des assurances sociales » (skos.ch). Aujourd’hui, ce sont 10 les cantons qui sont compétent en matière d’aide sociale, ce qui explique les variations législatives et pratiques observables entre eux. Il existe toutefois une institution, le CSIAS, éditant des recommandations à l’égard des cantons et ce, afin de limiter les divergences et d’apporter une expertise permettant dès lors d’orienter les pratiques de manière éclairée et cohérente. Ces normes toutefois non contraignantes, détiennent une certaine légitimité dans le milieu puisqu’elles ont acquis la place de référence en matière de question sociale. De ce fait, c’est au CSIAS que revient la tâche d’émettre un barème relatif aux prestations à même de guider les actions et les futures révisions juridiques au sein des cantons. En collaboration étroite avec eux, le CSIAS propose donc des normes tenant notamment compte du coût de la vie pour ce qui est de l’adaptation des forfaits à allouer aux bénéficiaires, de sorte à viser l’intégration économique etsociale de l’usagère (CSIAS, 2005). Ainsi, depuisle 1er janvier 2000, un montant minimum, constituant le minimum vital, a été introduit dans la Constitution Fédérale. Il vise à permettre à l’individu de continuer une vie digne mais aussi d’entretenir des liens de sociabilité fondamentaux à l’intégration sociale de tout un chacun dans la société (CSIAS, 2005). Un individu sera donc soumis au régime social du canton dans lequel il réside ou auquel il a été attribué, notamment dans le cas d’une demande d’asile (admin.ch). Contrairement aux restrictions historiques en matière d’aide sociale, qui conditionnait l’aide étatique à la preuve de la motivation et de la bonne foi de l’individu (Tabin & al., 2008), tous les citoyens suisses sont aujourd’hui éligibles à ce droit (admin.ch). Toutefois, l’idée selon laquelle l’usagère est responsable de sa situation de dépendance financière et par conséquent, qu’elle doit être la principale actrice de sa réinsertion sociale et / ou économique n’a pas quitté l’imaginaire collectif et par là-même les normes entourant cette thématique : « la personne dans le besoin se doit d’entreprendre tout ce qui est en son pouvoir pour se sortir par ses propres moyens d’une situation critique » (CSIAS, 2005, A.4-2). Les étrangères, sous certaines conditions, sont également concernées par ces droits sociaux. Le permis de séjour alors détenu par l’individu en question aura des répercussions sur l’aide alors allouée (admin.ch). En effet, un individu détenteur d’un permis B peut aujourd’hui se voir renvoyé dans son pays d’origine s’il dépend de l’aide sociale.
|
Table des matières
Introduction
Contextualisation
Bref historique de la question sociale en Suisse
L’aide sociale aujourd’hui : aspects juridiques
L’aide sociale aujourd’hui : fonctionnement pratique de l’institutionLa professionnalisation du champ de l’action sociale
Cadre théorique
La Street Level Bureaucracy
L’analyse de discours
La catégorisation comme processus psychosocial
Méthodologie et procédé analytique
La Grounded Theory
Mon terrain
La récolte des données
L’analyse de mes données
Codage et procédures analytiques
Questionnements éthiques et implications pour ma recherche
L’anonymisation des données et ses implications pratiques
La place du chercheur et ses implications pratiques
La transparence comme gage premier de la scientificité
La forme comme outil de valorisation du fond : réflexion autour de la mise en page de mon étude
La non inclusion de la parole des bénéficiaires dans mon étude : La difficulté d’accès aux population
sensible
Analyse
L’assistante sociale, l’institution et le besoin de cohérence
La surcharge : Stratégie de gestion organisationnelle et instrumentalisation stratégique
L’expertise sociale au regard des logiques néolibérales de fonctionnement institutionnel : La remise en
question du statut d’experte
Une double casquette révélatrice d’un double sens antagoniste : Le contrôle de l’aide en question
Buts institutionnels et réalité de terrain : Quels imaginaires pour quelle pratique ? Le sens de l’aide : Comprendre la Genèse de l’Etat social
Inégalités perçues et inégalités vécues
Le sens de l’aide différencié : Entre besoin d’efficacité et besoin de cohérence
L’assistante sociale, l’usagère et le besoin de cohérence
L’individualisation de l’échec
Le retour à l’emploi comme indicateur de la réussite de l’investissement social
L’activation du bénéficiaire comme stratégie de mise à distance des injonctions contradictoires
Les catégories de classement dans la pratique quotidienne
La figure de l’usagère étrangère : Une légitimité perpétuellement remise en question
L’usagère et sa légitimité : Entre bénéficiaire de prestations sociales et assisté de l’Etat
L’investissement rationnel des assistantes sociales selon les logiques institutionnelles et leur public idéal71
Bénéficiaire valide, bénéficiaire invalide et assistée : l’activation comme stratégie cruciale
La place de la bénéficiaire invalide : Le sens de l’aide questionné
La bénéficiaire valide comme usagère idéale de l’institution sociale
Conclusion : S’investir pour qui ? S’investir pourquoi ?
Réflexivité et retour critique sur mon travail
Réflexivité méthodologique
Critiques et ouvertures possibles
Remerciements
Bibliographie
Ouvrages et articles
Ressources internet
Télécharger le rapport complet