L’aide française est-elle une politique publique sans stratégie ?

Les objectifs des parties prenantes dans l’aide au développement de l’Afrique 

Nous analysons ici les objectifs que poursuivent les pays receveurs et les pays donateurs. À chaque fois, nous illustrerons notre propos avec des exemples rapportés par nos interlocuteurs ou tirés de l’actualité. Les objectifs décrits ci-dessous ne sont pas hiérarchisés.

Les objectifs des pays africains

“Faire bouillir la marmite” : c’est ainsi qu’un de nos interlocuteurs nous a décrit l’intérêt de l’aide au développement étrangère pour les gouvernements des pays africains. Il s’agit d’obtenir des financements réguliers pour assurer l’équilibre budgétaire. Cette assistance peut se faire sous plusieurs formes, allant du prêt pour un projet à l’annulation d’une dette précédemment contractée, en passant par l’aide programme destinée à un secteur particulier et assez largement gérée par le destinataire. Dans certains cas, l’obtention d’une aide étrangère a été une condition déterminante pour le maintien au pouvoir d’un régime. Par ailleurs, l’augmentation du niveau de vie de la population est un des objectifs des pays receveurs. Les secteurs variés auxquels l’aide est octroyée le démontrent : santé, éducation, énergie ou encore transport. Néanmoins, il est difficile de juger du caractère prioritaire de cet objectif par rapport aux autres. Le corollaire de cette assistance financière est une dépendance marquée vis-à-vis du pays donateur. Deux défis principaux se posent : d’une part, conserver une bonne relation avec le pays donateur, par exemple en favorisant des relations commerciales intenses ou en le soutenant dans d’autres contextes. Il est intéressant de constater que le président américain Donald Trump ait menacé de retirer l’aide américaine à certains pays ayant condamné sa reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël (Le Monde, 2018). D’autre part, les pays receveurs souhaitent conserver une relative indépendance et souveraineté. C’est pourquoi il est préférable, pour un pays receveur, de “faire jouer la concurrence” à la fois pour obtenir les meilleures conditions (prêt à taux faible, part de don importante, conditionnalité moins stricte) et pour ne pas se retrouver trop lié à un seul État. C’est à juste titre que les médias et intellectuels s’inquiètent de l’ambition chinoise en Afrique. Le dernier élément en date est le rôle trouble qu’aurait joué la Chine dans la chute du zimbabwéen Robert Mugabe (Le Monde Afrique, 2017), alors même qu’elle affirme se distinguer des Occidentaux par l’absence de toute ingérence dans les affaires politiques des pays qu’elle aide. Enfin, les pays africains cherchent à maintenir la dette à un niveau soutenable. Le Club de Paris a tenté de juguler la grande crise de la dette dans les années 1990 par des annulations de dette. Mais aujourd’hui, plusieurs pays africains se retrouvent encore confrontés à des dettes massives (exemples du Mozambique (Geopolis, 2018) et du Tchad). La solution est jusqu’à présent venue des créanciers, à la fois par des actions a posteriori (l’annulation partielle ou totale de la dette lorsque celle-ci devient insoutenable) et par des mesures a priori (en France, la doctrine dite “doctrine Lagarde” empêche de prêter à un pays dont l’endettement est trop élevé). Toutefois, l’exemple du Tchad, qui a emprunté au-delà de ses capacités à un créancier privé, montre la limite de ces précautions. Ce cas n’est pas isolé.

Les objectifs de la France

Les dispositifs d’aide française au développement s’enracinent dans l’organisation coloniale. Ainsi, comme le décrivent Olivier Charnoz et Jean-Michel Severino (Charnoz & Severino, 2007), tant le régime de Vichy, à travers un plan de mise en valeur de la partie de l’Empire qui continuait de le soutenir, que la France libre, avec la Caisse centrale de la France d’OutreMer, ont soutenu le développement des colonies. Parfois, ce développement s’est réalisé en interconnectant les territoires sous domination française, comme en témoigne l’importation par le Sénégal de riz produit en Indochine que raconte l’ex-président sénégalais Abdoulaye Wade (Biseau, 2008). Or, après la chute des empires coloniaux, l’aide au développement a perduré, ce qui signifie que les objectifs de l’aide ont évolué et que celle-ci a trouvé un sens nouveau pour les pays donateurs. On peut relever des objectifs de trois ordres : stratégiques, économiques et politiques. Les objectifs stratégiques sont revenus régulièrement dans les entretiens que nous avons menés : l’aide permet à la France d’avoir des relations de qualité avec un certain nombre d’États (relation bilatérale). Il faut constater que ces relations sont particulièrement intenses entre la France et ses anciennes colonies, qui sont des receveurs importants de l’aide française. Pour la France, l’aide peut également contribuer à garantir la sécurité d’un espace géographique en interaction avec le territoire national : l’aide au développement pourrait avoir pour objectif de contribuer à limiter, par exemple, les flux migratoires ou le risque terroriste. Plus généralement, nos interlocuteurs ont à plusieurs reprises insisté sur l’aspect symbolique de l’aide : aider est un impératif pour être considéré par les autres pays comme une grande puissance. Cet argument justifie à lui seul, pour nombre de nos interlocuteurs, la contribution de la France à la Banque mondiale. Cette contribution est importante, alors que le contrôle exercé par la France sur l’utilisation de son financement est faible, que l’évaluation de l’efficacité de cette contribution est complexe et que l’aide multilatérale ne permet pas nécessairement d’améliorer une relation bilatérale avec la France. Les objectifs économiques sont eux aussi majeurs : les pays aidés sont des partenaires commerciaux à double titre. Comme clients, ils permettent aux entreprises françaises d’exporter si celles-ci gagnent les appels à projets d’aide, en particulier dans les anciennes colonies dont les institutions, souvent proches de celles de la France, et la langue commune de travail facilitent les relations. De façon plus directe, une des questions récurrentes est celle de l’aide liée ou déliée. Une aide liée est une aide octroyée à la condition qu’un contrat revienne à une entreprise du pays donateur. Par exemple, un prêt octroyé par la France à un pays pour la construction d’une route sous réserve que les travaux soient réalisées par une entreprise française est une aide liée, tandis que l’aide sera déliée si le contrat de construction est soumis à un appel d’offres ouvert. L’aide liée n’est pas comptabilisée par l’Organisation pour la Coopération et le Développement Économique (OCDE). L’AFD ne pratique pas d’aide liée, à la différence de certains de ses homologues. Néanmoins, il existe des moyens d’aider les entreprises nationales sans briser la concurrence internationale. Ceux-ci sont employés par bon nombre de pays bailleurs :
– l’octroi d’aides dans des domaines où les entreprises du pays donateur sont puissantes (par exemple, pour la France : eau, construction) ;
– les discussions entre le donateur et les entreprises de son pays pour s’assurer que ces dernières soient au courant des appels d’offres et y répondent.

Enfin, les pays aidés sont aussi des fournisseurs de matières premières, un bon exemple étant celui de l’uranium du Niger. Soutenir économiquement le Niger est vecteur de stabilité et rend donc cette source d’approvisionnement plus sûre. Enfin, l’aide au développement répond aussi à des objectifs de politique intérieure. Les sondages réalisés sur le sujet en France (Ifop, 2015) montrent que l’aide au développement est soutenue par l’opinion publique. Les Français citent comme premier motif “une logique de solidarité avec les populations” : il y a une dimension morale dans l’aide au développement. On peut aussi mentionner la préoccupation pour le changement climatique : dans le même sondage, 85% des Français estiment que l’aide au développement doit “prendre en compte la lutte contre le réchauffement climatique dans les projets qu’elle finance”. Par conséquent, outre que cela contreviendrait aux engagements pris sur la scène internationale, diminuer le budget alloué à l’aide au développement serait certainement impopulaire.

Les ambitions des « nouveaux entrants » : la Chine, le Maroc et la Turquie 

Dans tous les domaines, nos interlocuteurs évoquent la montée en puissance de la Chine, dont les réseaux s’étendent et concurrencent les influences occidentales. C’est particulièrement vrai en Afrique : la presse est riche de spéculations sur le rôle joué par la Chine. Pourtant, bien que le passé colonial y soit inexistant, les objectifs chinois sont assez proches de ceux des puissances occidentales, même si les modalités, l’échelle et l’affichage diffèrent.

Des relations économiques existent bien entre la Chine et les pays d’Afrique. L’Afrique représente pour la Chine et ses entreprises un marché sur lequel elle tente de décrocher des contrats, par exemple en construisant des infrastructures en Ethiopie (France 24, 2016). C’est aussi une source d’approvisionnement importante :
– sur le plan alimentaire : l’importation et les très médiatisés achats de terres arables. La réalité du phénomène (Dijk, 2016) et l’idée que l’Afrique pourrait, à terme, nourrir la Chine (Sy, 2015), sont contestées. Les importations alimentaires massives constitueraient en tout cas une différence notable par rapport aux objectifs des donateurs occidentaux ;
– en minerais, indispensables pour la production industrielle chinoise, par exemple depuis l’Afrique du Sud (Ericsson, 2011). Inversement, et comme c’est le cas pour les pays occidentaux, la Chine voit en l’Afrique un débouché commercial pour ses grandes entreprises, notamment ZTE et Huawei qui sont en première ligne pour construire les réseaux de télécommunications (Gbadamassi, 2018).

Sur le plan diplomatique, la Chine inscrit sa politique africaine dans une stratégie plus large, celle des “Nouvelles routes de la soie”, plus connues sous leurs noms anglais (Belt and Road Initiative, ou One Belt One Road). Ce grand dessein concerne l’Afrique uniquement dans sa partie orientale, où des pays comme le Kenya, l’Ethiopie et l’Egypte sont considérés comme des relais indispensables. Par ailleurs, la Chine tente de trouver des alliés ailleurs sur le continent, soit pour isoler un peu plus Taiwan, encore soutenu par le Burkina Faso et le Swaziland (Bax, Gongo, & Dlamini, 2017), soit dans une optique de constitution d’alliances de long terme.

Le Maroc développe, depuis quelques années, une véritable politique africaine, qui mêle influence et partenariats économiques. Dans certains domaines, le pays de Mohammed VI entend jouer le rôle d’interface et d’intermédiaire entre l’Europe et l’Afrique. Dans d’autres, il se positionne comme un poids lourd du continent ; les ambitions du groupe OCP (pour lequel l’un des auteurs a travaillé) dans le domaine des intrants agricoles illustrent cette stratégie. Enfin, la Turquie d’Erdogan semble, elle aussi, très active en Afrique. Cette stratégie s’explique par la recherche de nouvelles alliances pour ce pays qui sent son rapprochement avec l’Union Européenne mis à l’épreuve par les évènements de ces dernières années. La proximité religieuse avec certains pays, dont le Sénégal, est un catalyseur de cette stratégie. À titre d’exemple, la construction d’une grande partie du nouvel aéroport de Dakar par des entreprises turques a été décidée au plus haut niveau bilatéral.

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Table des matières

Introduction
Le mémoire du Corps des Mines
Introduction: pourquoi ce sujet ?
1) Pourquoi s’intéresser à l’aide au développement de l’Afrique ?
2) Comment aider au développement autonome de l’Afrique ?
Partie I – L’aide française est-elle une politique publique sans stratégie ?
1) Les objectifs des parties prenantes dans l’aide au développement de l’Afrique
2) L’aide française au développement de l’Afrique entre bilatéralisme et multilatéralisme
3) Les options prises par d’autres pays
4) Les tendances récentes de l’aide française au développement
5) Conclusion de la première partie
Partie II – Une aide de transformation est-elle possible ? Les enseignements du terrain
1) Aide au développement et développement économique du pays aidé
2) Les freins à l’investissement en Afrique : le point de vue des entreprises
3) Ce qui pose problème de façon limitée
4) Ce qui ne pose pas problème
Partie III – Une nouvelle stratégie pour l’aide publique française au développement
1) Esprit général d’une stratégie française
2) Aider les administrations
3) Le soutien à l’enseignement professionnel et supérieur
4) Comment financer nos propositions ?
5) Positionnement des différents acteurs concernés par nos propositions
6) Calendrier
Conclusion

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