L’agriculture face aux politiques alimentaires

Les nouvelles aspirations alimentaires des citoyens : du « manger mieux » au « produire mieux »

      « Manger mieux » est devenu ces dernières années un nouveau mot d’ordre et une nouvelle revendication pour des citoyens de plus en plus méfiants vis-à-vis du contenu de leur assiette. Notre alimentation bénéficie aujourd’hui d’une publicisation inédite : les scandales alimentaires ou les tops 5 « des aliments qui nous font du bien » se relaient à la une des magazines alors que les émissions culinaires ont fait leur grand retour à la télévision. Sur les réseaux sociaux, le foodporn, ou le fait de publier en ligne des photos de son déjeuner, est devenu une nouvelle tendance, tandis que les blogs culinaires et les sites internet de recettes figurent parmi les plus consultés en France. Le slogan ministériel « manger cinq fruits et légumes par jour » s’affiche dans les étals de tous les supermarchés, sur des produits que l’on peut scanner avec son téléphone portable dont l’une des applications nous donnera la composition ou la provenance. Les régimes alimentaires sont eux aussi de plus en plus publicisés ou débattus, qu’ils s’agissent des régimes contenant moins de protéines animales (flexitariens, végétariens, végans), des régimes « sans » (sans gluten, sans sucre) ou des régimes diététiques (substitut de repas, régime macrobiotique, paléolithique, etc.). Au-delà de l’affichage croissant du sujet de l’alimentation sur la place publique, les pratiques alimentaires individuelles évoluent aussi. En 2017, 82 % des Français déclaraient être plus attentifs à leur alimentation et 77 % cherchaient à consommer des produits plus sains. Ces préoccupations pour le « manger mieux » semblent donc être largement partagées au sein de la population française, sans s’arrêter aux assiettes des classes dominantes. En effet, contrairement à certaines idées reçues relayées parfois dans les discours politiques, avoir le souci de son alimentation, comme vouloir manger des produits issus de l’agriculture biologique, n’est pas uniquement une préoccupation de « bobos » monde, Se nourrir lorsqu’on est pauvre, souligne ainsi les aspirations similaires que nourrissent les classes populaires : « accéder à une nourriture saine et équilibrée, comme le recommandent les messages d’éducation à la santé, fait partie des préoccupations importantes des personnes en situation de précarité, en particulier pour leurs enfants ». Vouloir « manger mieux » semble donc unanimement partagé au sein de la société. Mais que veut dire « manger mieux » ? Selon les individus, les définitions d’un bon produit ou d’une bonne alimentation diffèrent. Elles peuvent renvoyer à la consommation d’aliments « sains » ou considérés comme « bons pour la santé » (sans résidu de pesticide, moins transformés, moins salés, etc.), à la réduction de sa consommation de viande, à l’achat de produits locaux ou uniquement de saison, au fait de s’approvisionner directement chez un producteur ou encore de témoigner une solidarité avec lui en achetant des produits issus du commerce équitable ou d’une AMAP (association pour le maintien d’une agriculture paysanne). Selon un sondage de 2016, pour une majorité de Français « manger mieux » passait par l’amélioration de l’impact social et environnemental de leur alimentation en favorisant notamment les produits locaux (75 %), en consommant des produits de saison (70 %) ou en faisant principalement leurs courses dans des lieux de vente proposant des produits durables (61 %). Un nombre croissant de citoyens déclaraient aussi se préoccuper de la présence de pesticides dans les produits achetés (43 %), de la quantité de ressources naturelles nécessaires à leur production (26 %) ou des conditions de vie des agriculteurs les ayant produits (18 %). Ainsi, si les définitions varient, la volonté de « manger mieux » semble cependant renvoyer immanquablement à des enjeux liés au monde agricole. Une série d’interrogations nouvelles vient désormais définir ce qu’est un « bon produit » : Est-ce produit près de chez moi ? Issu de l’agriculture biologique ? Quelles ont été les conditions de travail des producteurs ? Pour quels revenus ? Et qu’en est-il du bien-être animal ? Etc. Au-delà de ce que les citoyens mettent ou souhaiteraient mettre dans leurs assiettes, les nouvelles attentes envers le système alimentaire se matérialisent au travers des nombreuses initiatives citoyennes et privées en lien avec l’alimentation. Portées par des collectifs de quartiers, des parents d’élèves, des associations ou des entreprises privées, ces initiatives sont depuis une quinzaine d’années en pleine expansion et investissent toutes les étapes du système alimentaire qu’il s’agisse de la production, de la distribution, de la consommation ou de la gestion des déchets alimentaires. On peut citer par exemple les structures qui visent à favoriser l’installation de nouveaux agriculteurs (association de préservation du foncier agricole, plateformes internet de financement participatif de nouveaux projets agricoles), celles qui œuvrent pour la réintroduction de la production alimentaire dans les villes (jardins partagés ou jardins familiaux, agriculture sur les toits, fermes verticales) ou celles qui en font un vecteur de justice sociale (commerce équitable, jardins d’insertion). Il existe aussi une pluralité de projets développant des modes alternatifs de commercialisation des denrées alimentaires, que cela soit dans une optique de solidarité avec les agriculteurs (AMAP), de développement de circuits courts ou de proximité (groupement d’achats, boutique paysanne, drive fermier) ou de démocratie alimentaire (supermarché coopératif, épicerie solidaire). Enfin, les initiatives qui luttent contre le gaspillage alimentaire sont aussi de plus en plus nombreuses (déchétarisme, mouvement freegan, repas partagés à base d’invendus). Ces initiatives alimentaires ne sont pas homogènes et les actions qui en émanent diffèrent quant à leurs orientations politiques, leurs modes opérationnels, leurs échelles d’action, leur intégration ou non à l’économie marchande ou leur degré d’institutionnalisation. Elles investissent cependant pareillement le système alimentaire dans ses multiples dimensions et en particulier dans sa dimension agricole. Que cela soit dans les aspirations du « manger mieux » ou dans le développement d’initiatives alimentaires dites durables, les citoyens associent de plus en plus les enjeux de l’agriculture aux enjeux de l’alimentation et plaident pour de nouveaux liens entre production et consommation. Cette préoccupation témoigne d’un phénomène nouveau : le regain d’intérêt de la société envers la chose agricole. Partant, la revendication du « manger mieux » précède généralement celle du « produire mieux » qui, tout comme l’expression de « bonne alimentation », renvoie à une multitude de définitions. Les citoyens définissent ainsi aléatoirement le « produire mieux » par le fait de limiter les pollutions agricoles, d’améliorer le salaire et les conditions de travail des agriculteurs, de relocaliser les productions, de comprendre les impacts du secteur agricole sur la santé humaine ou encore de prendre des mesures en faveur du bien-être animal. Manger semble ainsi redevenu « un acte agricole » pour reprendre l’expression du paysan et écrivain étasunien. Et les revendications du « manger mieux » deviennent ainsi des « vecteurs de critique » du système alimentaire industriel et notamment du modèle agricole intensif productiviste qui lui est associé (Fouilleux & Michel, 2020a).

Les politiques alimentaires territoriales transforment-elles la régulation publique locale du secteur agricole ?

     L’échec des tentatives de réforme du modèle agricole dominant à l’échelle de l’État et l’absence de corrélation entre la multiplication des initiatives alimentaires locales et la transformation du système alimentaire global ou de sa régulation nous amènent à nous intéresser à une autre possibilité de changement de l’action publique agricole, celle de sa régulation locale. Nous proposons ainsi dans cette thèse d’étudier la traduction politique de la nouvelle demande sociale du « produire mieux pour manger mieux » aux échelles de gouvernance infranationale, en répondant à la question de recherche suivante : les politiques alimentaires territoriales transforment-elles la régulation publique locale du secteur agricole ? L’hypothèse générale de notre thèse est que le nouveau problème public de l’alimentation et sa traduction politique aux échelles de gouvernance locale constituent une mise en controverse du référentiel de la politique agricole sectorielle. Cette controverse peut autant donner lieu à des innovations politiques majeures qu’à des formes de récupération ou de canalisation de la critique par les acteurs hégémoniques de la régulation locale du secteur agricole. Afin de savoir si le « local » serait devenu le lieu privilégié de l’élaboration d’un nouveau « pacte social » entre mangeurs et agriculteurs, nous étudions les volets agricoles de six politiques alimentaires territoriales. Par volet agricole on entend l’ensemble des mesures publiques menées au sein de ces politiques alimentaires qui ont un impact sur l’organisation du secteur agricole que cela soit en termes d’idées véhiculées, de représentations d’intérêts pluriels, d’allocation d’aides directes ou indirectes aux producteurs, de gestion du foncier, etc. Ces mesures sont considérées de manière dynamique (de leur élaboration à leur mise en œuvre), pragmatique (par leur contenu et leur budget) et incarnée (par l’ensemble des acteurs qui leur sont directement ou indirectement liés). On cherche ainsi à savoir dans quelles mesures et selon quelles modalités les politiques alimentaires territoriales et leur volet agricole influencent ou non les politiques agricoles mises en œuvre au niveau infranational. Cette question renvoie à la nature du rapport de force qui s’établit dans les collectivités territoriales entre nouveaux acteurs de l’alimentation et acteurs traditionnels des politiques agricoles locales. Les politiques alimentaires territoriales cristalliseraient-elles un nouveau rapport de force au sein de l’action publique agricole ? En étudiant le potentiel réformateur des politiques alimentaires vis-à-vis du secteur agricole, notre travail de thèse entend contribuer aux études émergentes sur le nexus des politiques publiques alimentaires qui consiste en une gestion politique intégrée des enjeux de l’agriculture et de l’alimentation (IPES-Food, 2017). Il témoigne aussi du fait que l’analyse des enjeux agricoles et alimentaires continue de participer aux débats académiques de science politique en abordant notamment les enjeux de territorialisation, d’inter-sectorialité ou de participation citoyenne à l’élaboration de l’action publique (Daugbjerg & Swinbank, 2012; Lacombe, 2007; Muller, 2007). Il renvoie in fine à la question du changement de l’action publique dans un contexte idéologique qui place l’individu, l’initiative citoyenne ou l’innovation territoriale au cœur des transformations sociétales. Plus largement, ce travail sur les politiques alimentaires territoriales s’inscrit aussi dans le contexte singulier de renégociation des relations entre les êtres humains et leur environnement qui anime de manière transversale la communauté scientifique et les grands débats publics. Pour traiter cette question de recherche (les politiques alimentaires territoriales transforment-elles la régulation publique locale du secteur agricole ?), nous mobilisons un cadre d’analyse à la croisée de la sociologie des problèmes publics, de la territorialisation des politiques publiques et de leur analyse cognitive. Ce cadre d’analyse des controverses de politiques publiques est présenté en détail dans le premier chapitre de ce manuscrit. Nous y exposons aussi la stratégie d’enquête de notre thèse qui repose sur une double comparaison effectuée entre six cas de politiques alimentaires territoriales (trois politiques urbaines et trois politiques régionales), répartis dans trois régions françaises : la Bretagne, le Grand Est et l’Occitanie. Ce premier chapitre décrit aussi la construction et le contenu de la base de données qui sous-tend notre analyse. Celle-ci est composée de l’ensemble du corpus de la littérature grise et des documents institutionnels collectés, de l’ensemble des comptes rendus d’événements publics et de réunions internes auxquels nous avons assisté et de l’ensemble retranscrit des 100 entretiens que nous avons menés auprès des acteurs clés des six politiques alimentaires territoriales étudiées. Nous dressons dans le deuxième chapitre un panorama historique et institutionnel de la régulation du système alimentaire à l’échelle nationale et aux échelles infranationales. Nous y présentons ainsi les leviers et marges de manœuvre dont bénéficient les collectivités territoriales françaises dans l’élaboration d’action publique touchant aux enjeux agricoles et alimentaires. Le troisième chapitre interroge le potentiel « retour de villes » dans la régulation des systèmes alimentaires par une analyse comparée de trois politiques alimentaires urbaines, celles des villes et métropoles de Rennes, Montpellier et Strasbourg. Cette analyse indique que le renouvellement des gouvernements urbains représente une fenêtre d’opportunité pour l’accession au pouvoir d’outsiders politiques de l’alimentation porteurs de propositions alternatives pour le développement agricole local. Cependant, les compétences et les rapports de force internes des administrations urbaines freinent considérablement la mise en œuvre opérationnelle et la portée de leur programme politique. Cette situation constitue à notre sens un paradoxe majeur des politiques alimentaires urbaines. Un regard croisé sur les politiques alimentaires régionales de Bretagne, du Grand Est et d’Occitanie nous permet ensuite d’exposer dans le quatrième chapitre les canaux d’influence des groupes d’intérêts locaux dans la formulation de politiques des conseils régionaux. Les politiques alimentaires qui y sont déployées oscillent entre soutien classique des autorités publiques au secteur agroalimentaire, sans transformation du modèle agricole dominant, et reformulation d’un pacte agricole régional laissant présager des changements futurs dans l’administration locale du secteur. Malgré ces divergences, les politiques alimentaires régionales étudiées ont pour point commun d’être fortement investies, lorsqu’elles ne sont pas directement initiées, par les acteurs hégémoniqueslocaux du secteur agricole. Cette situation nous amène à discuter dans ce quatrième chapitre le mythe du syndicalisme agricole majoritaire unifié. En effet si l’implication des élites agricoles locales dans les trois régions étudiées relève d’une même forme hybride de cogestion des politiques alimentaires, les idées sur le développement agricole qu’elles y défendent s’opposent diamétralement. Enfin, une comparaison transverse des six cas d’étude, nous permet de cerner dans le dernier chapitre de cette thèse les nouvelles formes d’organisation bureaucratique induites par les politiques alimentaires territoriales (transversalité et projectification de l’action publique), mais aussi la place prépondérante et protéiforme qu’y occupe les enjeux de communication. Par l’analyse des différentes facettes de la communication des politiques alimentaires territoriales nous montrons ainsi que l’usage des images attachées au nouveau problème public de l’alimentation ne se limite pas à des enjeux de marketing territorial, mais fournit aussi de nouvelles ressources symboliques de pouvoir pour les autorités publiques et pour les élites agricoles locales, faisant des questions alimentaires un nouvel enjeu électoral et partisan.

Construction et mise à l’agenda politique des problèmes publics : le rôle des entrepreneurs de cause

     Les problèmes publics ne sont pas des « billes brillantes » dans la société qu’il suffirait de repérer et de sélectionner afin de pouvoir les traiter au sein d’une politique publique (Schutz in Neveu 2015). Pour exister dans l’espace médiatique et politique, un problème public doit être l’objet d’une « problématisation » : il faut montrer en quoi la situation en question constitue un problème pour la société, lui assigner une cause ou des coupables et revendiquer à son sujet une prise en charge politique (Felstiner et al., 1980). Un problème public n’existe donc pas en dehors de la perception que les individus en ont : il n’émerge que lorsque « les gens commencent à penser que quelque chose peut-être fait pour changer la situation » (Kingdon, 1984, p. 114). Par exemple, avant les découvertes scientifiques reliant les activités humaines aux dérèglements climatiques, le problème déjà préexistant du réchauffement climatique ne faisait pas l’objet de politique publique, ni même de débats politiques. Ainsi, ce ne sont pas les propriétés intrinsèques d’un problème social ou environnemental telles que sa gravité, sa récurrence ou sa répartition qui en conditionnent l’émergence « spontanée » et la prise en charge politique, mais une série d’opérations de problématisation d’une situation jusque-là pensée comme naturelle ou d’ordre privé. Ces opérations sont de différentes nature (définition, qualification, publicisation, intéressement, cadrage) et constituent le processus de mise à l’agenda (agenda setting) d’une situation problématique qui accède alors au rang de « problème public » (R. Cobb et al., 1976; De Maillard & Kübler, 2016; Hassenteufel, 2010). Il existe différents types d’agenda (médiatique, gouvernemental, institutionnel, partisan) dont nous présentons les particularités variées à travers l’exemple des questions alimentaires et de leur problématisation. De la vache folle aux lasagnes à la viande de cheval, du poulet aux hormones aux œufs au fipronil, l’accumulation de scandales alimentaires ainsi que la publicisation des externalités négatives du système alimentaire mondialisé ont fait pénétrer les enjeux alimentaires en plein cœur de l’agenda médiatique lors des dernières décennies (Lepiller, 2012). Centré dans un premier temps sur la défiance grandissante des mangeurs (Lepiller & Yount-André, 2019), l’intérêt médiatique pour les enjeux alimentaires couvre aujourd’hui le renouveau de la cuisine et du « fait-maison », la valorisation des produits naturels (Lepiller, 2010), la diffusion d’une culture diététique (Fournier, 2011; Poulain, 2009), les nouveaux régimes alimentaires ou la certaine « politisation » du contenu des assiettes (C. M. Counihan & Kaplan, 2013; C. Counihan & Siniscalchi, 2013; DubuissonQuellier, 2009; Lamine, 2008). Ce regain d’intérêt pour le fait alimentaire de la part des médias mais aussi des consommateurs et des citoyens fait progressivement émerger l’alimentation comme un sujet d’importance majeur sur l’agenda politique français. La tenue en 2000 des premier états généraux de l’alimentation marque ainsi le retour formel des questions alimentaires sur cet agenda, compris ici au sens de « gouvernemental » (Bellemain et al., 2017). La création de politiques publiques visant à réguler une partie des nouveaux enjeux alimentaires suite à ces états généraux inscrit l’alimentation à l’agenda institutionnel, celui des administrations et des services. Par ailleurs, l’alimentation occupe aussi de plus en plus de place sur l’agenda des partis politiques, comme l’illustre par exemple la prédominance de ce thème lors de la campagne présidentielle de 2017 (Fouilleux & Michel, 2020a). Ainsi, dans le cas de l’alimentation, la publicisation de nombreux scandales alimentaires, mais aussi la valorisation du « bien manger » et des enjeux de santé qui y sont liés, ont permis aux questions alimentaires d’accéder à l’agenda médiatique. Avec leur publicisation s’affirme progressivement les contours d’un nouveau problème public, celui des dérives du système alimentaire industriel et mondialisé. L’alimentation acquière de ce fait une dimension publique et politique, ce qui s’est révélé être un préalable nécessaire à son inscription à l’agenda politique puis institutionnel, jusqu’à devenir aujourd’hui un enjeu partisan significatif. De manière générale, l’agenda politique est défini comme « une liste de sujets auxquels les représentants et agents de l’État prêtent une attention particulière à un moment donné » (Kingdon, 1984, Chapitre 1). L’inscription d’un nouveau problème public à cette liste peut se produire à la faveur d’élections et de l’accès au pouvoir de nouvelles équipes dirigeantes, porteuses d’idées et de conceptions nouvelles des politiques à mettre en œuvre. La mise à l’agenda d’un nouveau problème public dépend en effet du portage politique qui en est fait, c’est-à-dire de son degré d’appropriation par des acteurs de la sphère politique. Celui-ci peut dépendre de plusieurs facteurs. Afin de renforcer leur position dans la compétition politique, les acteurs de cette sphère peuvent en effet faire le choix d’investir tel ou tel problème public en fonction des bénéfices politiques attendus en termes électoraux, symboliques ou stratégiques (Hassenteufel, 2010). De manière moins intéressée, il existe aussi des cas de portage politique faisant écho aux convictions ou au vécu des décideurs. Dans le modèle de mise à l’agenda politique qualifié de « silencieux » (Garraud, 1990) ce sont les autorités publiques ou les membres d’un gouvernement qui ont un rôle moteur dans la traduction politique d’un problème public. Le personnel politique n’est pas le seul à avoir accès à l’agenda politique et il existe au contraire un vaste ensemble d’acteurs capables d’inscrire de nouveaux problèmes publics à cet agenda. Ces entrepreneurs de causes (R. W. Cobb & Elder, 1972), entrepreneurs moraux (Becker, 1966) ou entrepreneurs de politique publique (Kingdon, 1984) peuvent appartenir aux mondes des médias, des lanceurs d’alerte, des lobbies ou encore des mouvements citoyens. Leur tâche réside dans la mise en évidence de dissonances entre les principes et anticipations formulés par les politiques publiques existantes et leurs effets concrets (Jacobs & Weaver, 2015) et dans l’amorçage de controverses et de nouvelles trajectoires argumentatives (Chateauraynaud, 2011). Leur capacité à ébranler l’existant et à forcer les décideurs à la mise à l’agenda de questions nouvelles est étroitement liée à leur capacité de mobilisation, elle-même indissociable de la problématisation des problèmes publics identifiés qu’ils proposent (Fouilleux & Jobert, 2017). L’agenda politique est limité de différentes manières, que cela soit par exemple au niveau des politiciens convaincus d’un problème, du temps que peuvent lui consacrer les législateurs, des ressources budgétaires pour le traiter ou de l’attention publique et politique dont il va bénéficier (Hilgartner & Bosk, 1988). Les problèmes publics sont donc le fruit d’activités concurrentielles entre entrepreneurs de cause quant à la mobilisation de ressources, la constitution de coalitions ou les différentes opérations de traduction et de mise en récit du problème (Neveu, 2015). Le terme traduction renvoie ici à la sociologie de la traduction développée à partir des années 1980 (Callon, 1986; Latour, 1989). Traduire peut s’apparenter tantôt au fait de recoder un problème dans un langage intelligible aux acteurs que l’on veut enrôler, tantôt au fait de rendre celui-ci « intéressant » au plus grand nombre, que cela soit en termes d’intérêt partagé, de notoriété ou bien de manne financière à capter. Le processus de mise à l’agenda politique renvoie ainsi à la sélection par les autorités publiques d’un problème dont les entrepreneurs de causes ont réussi la traduction à travers sa politisation et/ou sa publicisation. Nous abordons dans la sous-partie suivante les différents acteurs, forums et processus qui interviennent dans la politisation d’un problème public.

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Table des matières

Introduction générale
Les nouvelles aspirations alimentaires des citoyens : du « manger mieux » au « produire mieux »
« Produire plus » : le pacte historique passé avec les agriculteurs
L’échec des réformes « par le haut » des politiques agricoles
« Réformer par le bas » : une agrégation progressive d’initiatives locales pour un changement radical du système alimentaire global ?
Les politiques alimentaires territoriales transforment-elles la régulation publique locale du secteur agricole ?
Chapitre 1 Les politiques alimentaires territoriales comme mise en controverse du référentiel des politiques agricoles locales
Introduction
1. L’alimentation, nouveau problème public
A) Construction et mise à l’agenda politique des problèmes publics : le rôle des entrepreneurs de cause
B) Cadrage des problèmes publics au sein des forums de politique publique
C) Imposer son référentiel dans les arènes de politiques publiques
2. Spécificités des politiques locales
A) La territorialisation de l’action publique
B) Secteur et territoire, un enjeu majeur des politiques publiques
C) Des scènes politiques locales ouvertes aux intérêts privés et à la participation citoyenne
D) Différenciation et homogénéisation des politiques locales dans la compétition des territoires
3. Analyser le changement de l’action publique : outils et hypothèses de recherche
A) Le rôle des entrepreneurs de cause de l’alimentation dans la mise en controverse du référentiel des politiques agricoles
B) Diversité et rapports de force entre partenaires des volets agricoles des politiques alimentaires territoriales
C) Organisation transversale des services et ressources des politiques alimentaires territoriales
4. Méthodologie, cas d’étude et base de données
A) Mise en place d’une double comparaison de politiques alimentaires territoriales
B) Sélection et présentation des cas d’étude
C) Travail de terrain et constitution de la base de données
D) Les bornes chronologiques de la thèse : étudier des politiques « en train de se faire »
Conclusion
Chapitre 2 La régulation publique du système alimentaire aux échelles de gouvernance infranationales
Introduction
1. Un système alimentaire régulé par un ensemble de politiques nationales disparates
A) Bref historique de l’action publique nationale en matière de régulation du système alimentaire
a) Politique agricole et politique d’aide alimentaire
b) Le PNNS : une approche nutritionnelle de l’alimentation
c) PNA et états généraux de l’alimentation de 2017 : une reconnaissance symbolique des enjeux multidimensionnels de l’alimentation
B) Prolongement de l’action de l’État en région : les services déconcentrés de la régulation publique du système alimentaire
a) Le rôle des préfectures dans la régulation des affaires agricoles
b) Actions des administrations déconcentrées d’État
2. Régions et collectivités urbaines, les nouveaux acteurs locaux de la régulation publique du système alimentaire
A) La multiplication de politiques alimentaires territoriales
a) Des politiques alimentaires multi-acteurs et multi-niveaux
b) Des politiques mêlant enjeux agricoles et enjeux alimentaires
B) Des compétences restreintes en matière d’agriculture et d’alimentation
a) Les conseils départementaux, guichets historiques du secteur agricole local
b) Les conseils régionaux, nouveaux chefs de file de la régulation locale du système alimentaire
c) Le retour des villes dans la régulation du système alimentaire
C) Structuration des élites agricoles aux échelles de gouvernance locale
Conclusion
Chapitre 3 Réguler l’agriculture depuis la ville ?
Introduction : Les politiques alimentaires urbaines signent-elles le retour des villes dans la régulation publique du secteur agricole ?
1. Microsociologie des élues urbaines de l’alimentation : le parcours d’outsiders politiques
A) Engagement militant, trajectoire politique et accession au pouvoir
a) De la contestation d’un projet urbain à la mairie de Strasbourg
b) De l’opposition locale à l’artificialisation de terres agricoles à la vice-présidence de la métropole de Montpellier
c) De la liste municipale EELV à la délégation des achats publics de la ville de Rennes
B) Mêler enjeux alimentaires et enjeux agricoles au sein d’une même politique
a) La redéfinition de la délégation « agriculture » au sein de la métropole de Montpellier
b) Se servir des questions alimentaires pour repenser le développement agricole à Strasbourg
c) L’approvisionnement des cantines comme levier d’action sur le secteur agricole à Rennes
C) Quelle idée se fait-on de l’agriculture depuis la ville ?
a) Défendre l’agriculture paysanne et agroécologique à la métropole de Montpellier
b) Transformer l’agriculture autour de Strasbourg afin de développer l’offre en circuits courts
c) « Emmener tout le monde à l’agriculture biologique » dans la région rennaise
D) Des ambitions politiques dissonantes vis-à-vis de la régulation locale du secteur agricole
a) À Rennes et à Strasbourg des paysages agricoles façonnées par des politiques lointaines
b) La politique agricole de promotion des filières viticoles à la métropole de Montpellier
Conclusion intermédiaire
2. Faire valoir ses idées : stratégies politiques des élues urbaines pour intervenir sur le secteur agricole
A) Comment justifier légalement l’intervention des villes sur le secteur agricole ?
B) Constitution, mobilisation et montée en compétences des groupes de travail internes
a) « Pousser toute la machine ensemble »
b) Constituer des tandems politico-techniques : la création de « binômes de confiance »
c) Faire monter en compétences les services sur les questions agricoles
C) Le choix des partenaires agricoles dans les politiques alimentaires urbaines
a) (Ré) écriture des conventions de partenariat avec les chambres d’agriculture départementales
b) La multiplication inédite de collaborations institutionnelles avec des partenaires agricoles « alternatifs »
Conclusion intermédiaire
3. Les limites structurelles des projets urbains de réforme de l’agriculture
A) Précarité politique des élues de l’alimentation : le cas de la métropole Montpellier
a) Persistance de la cogestion sur les « actions phares »
b) « Je ne suis pas le bon pion » : précarité des outsiders politiques dans le jeu partisan local
B) Le rapport de force inégal des équipes de l’alimentation face aux services de l’urbanisation
a) « Je ne suis pas assez nombreuse ! »
b) Hiérarchie entre les services : la toute-puissance des services historiques d’urbanisme
C) L’équation impossible de la préservation du foncier agricole et de l’extension urbaine
a) Les limites matérielles de l’action des villes sur le foncier agricole
b) La logique d’expansion urbaine
Conclusion : « le paradoxe des élues urbaines de l’alimentation »
Chapitre 4 Élites agricoles locales et politiques alimentaires régionales
Introduction : les élites agricoles locales, nouvelles propriétaires du problème public de l’alimentation ?
1. Organisation interne et politique alimentaire des conseils régionaux étudiés
A) Organisation interne des conseils régionaux
B) Présentation des politiques alimentaires régionales étudiées
2. « Manger local », la canalisation de la controverse alimentaire par les élites agricoles des régions Grand Est et Bretagne
A) Genèse et mise en œuvre des projets alimentaires régionaux en Bretagne et en région Grand Est : le leadership des chambres d’agriculture régionales
a) La démarche Breizh Alim’ en Bretagne
b) Les Assises alimentaires du Grand Est
B) Un cadrage politique de l’approvisionnement local excluant les acteurs de l’AB et générant des tensions sur les territoires
a) « Produits locaux » et « produits de qualité » : des définitions politiques
b) Mise à l’écart des organismes régionaux de soutien à l’agriculture biologique
c) Tensions locales avec les collectivités territoriales infrarégionales porteuses de politiques alimentaires alternatives
C) Des politiques alimentaires au profit de l’agro-industrie, et au détriment des agriculteurs ?
a) Les agriculteurs absents des politiques alimentaires régionales
b) Les acteurs agro-industriels, premiers sur la liste des conventions d’affaires
c) Les chambres d’agriculture représentantes des industries agroalimentaires ?
Conclusion intermédiaire
3. La « révolution alimentaire » en Occitanie et ses implications sur les politiques agricoles régionales
A) Genèse et tenants du Pacte régional pour une alimentation durable en Occitanie
a) La volonté politique de construire une politique alimentaire concertée
b) La consultation citoyenne
c) Le contenu du Pacte alimentaire régional
B) Transformer l’agriculture en adaptant la politique aux nouveaux enjeux de l’alimentation durable
a) Vers un nouveau pacte agricole ?
b) Repenser l’action publique agricole de la région à l’aune du Pacte alimentaire
c) Coopération avec les élites agricoles locales
Conclusion – Forme hybride de cogestion et révision du mythe du syndicalisme agricole majoritaire unifié
Chapitre 5 Transversalité, communication et enjeux partisans : les politiques alimentaires territoriales comme nouvelles ressources du pouvoir local
Introduction
1. Nouveaux modes d’organisation bureaucratique : transversalité et projectification des politiques alimentaires territoriales
A) La multisectorialité de l’alimentation à l’épreuve de l’organisation sectorielle des services
a) Organiser l’intersectorialité dans les services des collectivités territoriales
b) Difficultés pratiques et politiques de la mise en œuvre de l’intersectorialité
B) Les politiques alimentaires comme projets, les politiques alimentaires par projets
a) La labélisation nationale des politiques alimentaires territoriales
b) Le financement par projets comme mode d’opérationnalisation privilégié des politiques alimentaires territoriales
Conclusion intermédiaire
2. Communication et politiques alimentaires territoriales : les nouvelles ressources symboliques de pouvoir local
A) L’alimentation comme enjeu de marketing territorial
a) Les politiques alimentaires territoriales et l’impératif communicationnel
b) « C’est le Mmmag qui fait la politique ! » : la place de la communication dans la politique de la métropole de Montpellier
B) Les politiques alimentaires territoriales comme politiques de communication à l’égard du monde agricole : le cas de Breizh Alim’
a) Le choix de la filière porc, un choix d’affichage politique
b) La faible prise en compte des attentes lycéennes vis-à-vis de leur restauration collective
c) Le pouvoir très limité des conseils régionaux sur l’approvisionnement des cantines lycéennes
C) Les politiques alimentaires territoriales, outils de communication contre « l’agribashing »
a) L’alimentation, nouveau pont entre les chambres d’agriculture et les collectivités territoriales
b) Une « agriculture vitrine » autour des villes pour lutter contre « l’agribashing »
c) S’afficher du côté des éleveurs
Conclusion intermédiaire
3. Enjeux électoraux et partisans des politiques alimentaires territoriales
A) Se faire réélire : les enjeux politiciens de la politique alimentaire de la métropole de Montpellier
a) Instrumentalisation politicienne de la communication sur la politique alimentaire
b) Variables partisanes et politique alimentaire à la métropole de Montpellier
B) Élites agricoles et partis verts : une collaboration impossible ?
a) Une élue « de gauche, mais pas verte »
b) « Tout sauf des écologistes à l’agriculture » : l’impasse politique bretonne
Conclusion
Conclusion générale
Résultats et discussion des hypothèses
Politiques alimentaires territoriales : un changement pour l’agriculture « à voir »
Influencer au-delà de son champ de pouvoir ?
Bibliographie

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