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Le rattachement indirect du cautionnement à l’objet social
Dans les sociétés à risque illimité, la responsabilité solidaire et indéfinie justifie la limitation des pouvoirs des dirigeants quant à l’accomplissement d’actes de cautionnement devant engager celles-ci. Précisément, les sociétés de personnes ne sont engagées que pour les actes de cautionnement pris par leurs dirigeants conformes à l’objet social tel que défini dans leurs statuts151. Mais, cette conformité de l’acte de cautionnement à l’objet de la société caution est une condition souffrant, d’un défaut de souplesse, dans son appréciation. En effet, la notion d’objet social est d’une portée limitée (paragraphe I). C’est pourquoi, dans certains cas, pour valider le cautionnement, il est fait référence à une notion au contenu plus large : l’intérêt social (paragraphe II).
La portée limitée de la notion d’objet social
Les pouvoirs des dirigeants sociaux trouvent leurs limites dans l’objet social152. Ils ne peuvent accomplir des actes qui ne rentrent pas dans l’objet social si tant est que ceux-ci sont commandés par la réalité du contexte dans lequel évolue la société. Mais cette notion d’objet social réduite au principe de la spécialité des sociétés (1) ne s’accommode pas avec le besoin de déploiement des sociétés à risque illimité qui, en certains cas, peuvent tirer profit des cautionnements souscrits par leurs dirigeants en leur nom mais en dépassement de l’objet social (2).
L’objet social : une notion réduite au principe de la spécialité des sociétés
L’objet social, au même titre que le consentement, la capacité et la cause, fait partie des conditions générales de validité du contrat de société. A ce titre, il peut être défini, selon le doyen Ph. MERLE, comme « le genre d’activité que la société se propose d’exercer en vue de faire des bénéfices ou de réaliser des économies »153. Concrètement, il s’agit d’un programme, consigné dans les statuts de la société, déterminant le domaine précis d’activité de la société ainsi que le champ d’action de ses dirigeants. Le législateur OHADA a fait sienne cette définition de l’objet social à travers le texte de l’article 4 de l’AUSC GIE lorsqu’il exige, une affectation d’apports à une activité, pour la formation du contrat de société154.
En outre, la notion d’objet social est définie par référence au principe de la spécialité des sociétés. Sous ce rapport, le cautionnement fourni par une société doit être conforme à son objet social. Toutefois, cette condition n’a pas la même intensité dans toutes les formes sociales. Autrement dit, sa violation n’est pas sanctionnée de la même manière. Dans les SARL et les SA, les limites de l’objet social sont inopposables aux tiers de bonne foi155. Le respect de l’objet social ne constitue, véritablement, une limite objective aux pouvoirs du représentant de la société caution que dans les sociétés civiles et les sociétés commerciales de personnes. C’est, essentiellement, dans ces types de sociétés que la référence à l’objet social peut être une entrave à la liberté du dirigeant d’engager sa société en tant que caution. A cet égard, l’objet social sera entendu comme une notion réductrice laissant une marge de manœuvre très étroite aux représentants de la société. De même, dans les rapports entre la société et les tiers créanciers, ces derniers ne seront pas à l’abri d’éventuels errements des dirigeants. Dès lors, la notion d’objet social ne suffit plus à justifier la raison d’être de la société caution d’où la nécessité de faire référence à l’intérêt social.
Par ailleurs, il a été noté que l’objet social est à distinguer de l’intérêt social qui apparaît comme étant une notion plus large en ce sens qu’il renvoie, dans sa définition, à un impératif de conduite imposant aux organes sociaux de se conformer à l’objet social. Mieux, il prohibe tout acte qui tendrait à le contrarier156.
La validation du cautionnement conforme à l’intérêt social
L’acte de cautionnement, qui ne rentre pas dans l’objet social de la société caution et dont les associés sont solidairement et indéfiniment responsables des dettes sociales, peut être valable à la condition que ces derniers marquent leur accord sur le cautionnement de manière unanime (A). Mais la jurisprudence ne retient pas cette seule condition. Elle requiert, en plus de l’unanimité des associés pour les garanties accordées par les sociétés à risque illimité, une conformité de la garantie dont s’agit à l’intérêt social. Il en est ainsi lorsqu’il y a communauté d’intérêts entre les sociétés caution et débitrice (B).
La validation du cautionnement à l’initiative des associés
La jurisprudence permet aux associés d’une société à risque illimité de procéder à la validation d’un cautionnement souscrit au nom de celle-ci en dépassement de l’objet social. Il suffit d’une décision unanime desdits associés dans ce sens (1). Cette délibération, intervenant à postériori pour sauver la garantie, présente un intérêt à plus d’un titre (2).
La nécessité d’une décision unanime des associés de la société caution
Une société à risque illimité est valablement engagée par son gérant pour les actes qu’il aura à accomplir, dès lors que celui-ci s’est conformé à l’objet social de la société170. Dans ce cas, l’accord unanime des associés ne sera point nécessaire puisque le gérant agira en vertu des pouvoirs qui lui sont assignés à cet effet.
Toutefois, avec le cas de la société en participation, cette possibilité du gérant à engager la société à responsabilité illimitée est à relativiser. Dans ce type de société, chaque associé reste seul engagé à l’égard des tiers ; chaque associé accomplit des actes en son nom et est en principe seul engagé par ces actes171. La seule conformité d’un acte pris par un associé à l’objet social de la société en participation n’assure pas à l’acte sa validité.
Aussi, la jurisprudence française a-t-elle requis, conformément aux dispositions de l’article 1852 du Code civil172, l’accord unanime des associés pour déclarer valable le cautionnement fourni par une société civile et de manière générale le cautionnement donné par une société à risque illimité173. En effet, il a été soutenu l’idée selon laquelle une décision unanime des associés dans ce type de société n’est que l’expression de la volonté d’atteindre un même but ; celui de réaliser des bénéfices ou des économies. La jurisprudence a, de manière constante, conclu à la validité du cautionnement donné par une société à risque illimité. Elle s’est, le plus souvent, référée à la décision unanime des associés pour le cautionnement174. Ce faisant, la jurisprudence contourne la difficulté qu’il y a parfois à établir la conformité de l’acte de cautionnement à l’objet social. Cette unanimité des associés a servi de fondement à la jurisprudence pour déclarer valable l’acte de cautionnement. Concrètement, celle-ci vérifie si les associés ont formellement marqué leur accord dans le sens de l’engagement de leur société comme caution175 ou bien se réfère aux pouvoirs du gérant en vertu d’un mandat général unanimement donné par ces associés176. Ainsi, cette solution qui consiste à s’appuyer sur une décision unanime des associés pour valider un acte de cautionnement présente un intérêt à plusieurs égards.
LES ALEAS RELATIFS A L’ACQUISITION DE LA PERSONNALITE JURIDIQUE
Il a été relevé que, pour participer au commerce juridique, la société doit naturellement justifier d’une personnalité juridique avec son immatriculation au RCCM. Cependant, cette formalité d’immatriculation, qui consacre l’existence juridique de la société, est précédée d’une période de gestation au cours de laquelle ses fondateurs202 vont travailler à sa création203. Cette période est dite de formation. En effet, des diligences sont accomplies en vue de l’immatriculation et ce, après la signature des statuts qui consacre la constitution de la société. La signature des statuts marque la clôture des formalités préliminaires à la création de la société, tel qu’il résulte de l’article 101 alinéa 1er de l’AUSC GIE qui précise : « Toute société est constituée à compter de la signature de ses statuts. ». C’est à partir de ce moment que les premiers dirigeants sociaux vont travailler à la reconnaissance de la personnalité morale de la société avec notamment l’accomplissement d’actes matériels et administratifs. Dans l’intérêt de la future société, une activité sociale est déployée par anticipation sur la vie de la personne morale. Durant cette période présociale les actes passés avec les tiers au nom de la future société sont en principe repris, par elle, à l’immatriculation.
A cet égard, il faut noter que les tiers créanciers auront tout intérêt à ce que les contrats conclus avec la société en formation soient repris une fois que celle-ci est immatriculée. En effet, la société venant d’acquérir la personnalité juridique présente plus de garantie de solvabilité, de crédibilité que ses premiers dirigeants et fondateurs.
En revanche, il peut arriver que ces contrats conclus par les fondateurs ou premiers dirigeants ne soient pas repris par la personne morale. Dans pareille hypothèse, les tiers créanciers s’estimeront fortement lésés en ce sens qu’ils perdront un débiteur à la surface financière supposée plus large. Dès lors, ils verront leurs prévisions contractuelles voire financières faussées car en lieu et place de la personne morale ils trouveront des fondateurs pour le recouvrement de leurs créances. Or, ces tiers, en contractant avec les fondateurs, entendaient faire crédit à une société dont l’existence était encore virtuelle, la prospérité hypothétique.
Le principe de protection des créanciers bénéficiaires de cautionnement par la reprise des engagements souscrits pour le compte de la société en formation
Les engagements pris par les fondateurs pour le compte de la société en formation sont, en principe, repris par la société venant d’être constituée au moment même de cette constitution. Mais, c’est après immatriculation que cette reprise va prendre effet. Sous ce rapport, les engagements concernés seront réputés avoir été souscrits dès l’origine par la société. Quant aux cautionnements leur servant de garantie, ils seront maintenus par l’effet de cette reprise.
Ainsi, le maintien des droits des créanciers sur leurs garanties, par application des règles du droit des sociétés et du droit du cautionnement (paragraphe II), sera soumis à une condition préalable: la reprise rétroactive, par la société venant d’être constituée, des engagements souscrits pour son compte (paragraphe I).
La reprise rétroactive des engagements cautionnés
Il a été déjà relevé que les engagements pris par les fondateurs pour le compte de la société en formation sont, en principe, repris par la société venant d’être constituée au moment même de cette constitution205. Cette reprise, en tant que formalité de nature à régulariser un acte accompli au nom et pour le compte d’un être moral qui n’existe pas encore, peut s’opérer suivant plusieurs modalités (A) mais produit ses pleins et entiers effets à compter de l’immatriculation de celui-ci au RCCM (B).
Les modalités de la reprise
La reprise des actes passés pendant la période de « conception » de la société suppose un accord des associés qui peut être donné suivant différentes modalités.
Une première modalité est prévue par le législateur OHADA à l’article 107 de l’AUSC-GIE. Elle consiste en la reprise des actes passés avant la signature des statuts. Dans ce cas, il sera annexé aux statuts de la société un état des actes et engagements pris pour le compte de la société en formation dans lequel seront répertoriés tous ces actes et engagements avec indication, pour chacun, des obligations qui en découlent quant à leurs nature et portée. La signature des statuts vaut ratification des engagements antérieurs. En annexant les actes aux statuts, les associés manifestent leur accord quant à la reprise des actes dont s’agit.
Une reprise exceptionnelle est possible après immatriculation de la société.
La situation des créanciers sociaux dans le cautionnement
Toutefois, cette modalité de reprise n’est possible que dans les sociétés ne faisant pas appel public à l’épargne206.
Une deuxième modalité est prévue par le législateur de l’OHADA à l’article 108 de l’AU précité. Elle renvoie à la reprise des actes passés entre la signature des statuts et l’immatriculation. Ainsi, ces actes sont accomplis en vertu d’un mandat donné par les associés à l’un deux soit à la faveur d’une clause statutaire207soit par acte séparé208. Ce mandat peut même être donné par l’ensemble des associés postérieurement à la souscription de l’acte pourvu que son auteur reçoive mandat avant l’immatriculation de la société. A cet égard, la jurisprudence exige que le mandat soit donné avant l’immatriculation de la société209 s’il doit viser à régulariser des actes accomplis antérieurement210. Donc, un acte doit, en principe, être ratifié au plus tard à la date d’immatriculation de la société. Mais, dans tous les cas, ce mandat doit être suffisamment précis sur la nature des actes à passer211. Ce faisant, l’immatriculation vaut reprise de ces actes accomplis sur la base de ce mandat.
La fragilisation des créanciers bénéficiaires de cautionnement par le défaut de reprise des engagements souscrits pour le compte de la société en formation
Les actes et engagements accomplis pendant la période présociale par les fondateurs ou les premiers dirigeants sociaux, selon le cas, sont en principe repris par la société venant d’être immatriculée. Il suffit que ces actes et engagements soient conformes à l’intérêt de la société. Ce n’est qu’à titre dérogatoire qu’ils ne sont pas imputés à la personne morale. Sous le bénéfice de cette précision, le défaut de reprise peut se produire suivant plusieurs modalités (paragraphe I), faisant perdre au créancier des chances de recouvrer sa créance dans les meilleures conditions (paragraphe II).
Les cas de défaut de reprise d’engagements cautionnés
Le défaut de reprise tient à plusieurs raisons. C’est ainsi qu’il peut s’agir d’un délaissement des engagements dont s’agit par la personne morale (A), d’une absence d’immatriculation (B) ou de leur annulation pure et simple par le juge (C).
Le délaissement des engagements cautionnés à l’immatriculation de la société en formation
Cette hypothèse de défaut de reprise des engagements pris pour le compte de la société en formation avant sa constitution, ou pour le compte de la société constituée avant son immatriculation, est prévue à l’article 110 alinéa 2 de l’AUSC GIE qui dispose : « Les actes et engagements qui n’ont pas été repris par la société, dans les conditions prévues par le présent Acte uniforme, sont inopposables à la société et les personnes qui les ont souscrits sont tenues solidairement et indéfiniment par les obligations qu’ils comportent. »233. Ces dispositions appellent, au moins, deux observations.
D’une part, il faut relever que la reprise des engagements par la société venant d’être immatriculée234n’est qu’une faculté pour elle. En effet, la personne morale peut ne pas reprendre l’acte ou l’engagement pris pour le compte de la société en formation. Autrement dit, l’immatriculation de la société en formation n’emporte pas systématiquement reprise de tous les engagements souscrits en son nom.
L’art. 113 de l’AUSC GIE sur le défaut de reprise des actes et engagements pris pour le compte de la société constituée avant son immatriculation opère un renvoi à l’al. 2 de l’art 110.
La reprise est également facultative pour la société en formation venant d’être constituée.
La situation des créanciers sociaux dans le cautionnement
D’autre part, ce défaut de reprise ou délaissement peut faire suite à un quelconque dysfonctionnement ou d’un non-respect des règles ou des conditions d’accomplissement des actes au nom d’une société en formation. C’est pourquoi d’ailleurs, un tel dysfonctionnement est sanctionné par l’article 110 susvisé qui prévoit l’inopposabilité des actes dont s’agit ainsi que la responsabilité solidaire et indéfinie des personnes les ayant accomplis.
Dans la pratique, il est très fréquent de voir ces mêmes personnes se porter caution lorsque la société est encore en voie d’être constituée. En pareille hypothèse, leur responsabilité sera doublement engagée en tant que souscripteur de l’engagement et en tant que caution. A cet égard, la première Chambre civile de la Cour de cassation française, dans un arrêt du 2 octobre 2002, avait retenu la responsabilité d’un fondateur-caution ayant contracté un prêt au nom d’une société en cours de constitution qui n’a pas été repris après immatriculation de celle-ci. C’est ainsi que ce fondateur a été condamné à restituer les fonds prêtés en sa double qualité de débiteur principal et de caution. Sa responsabilité en tant caution s’est superposée à celle retenue à son encontre à titre de personne ayant contracté le prêt235. Mais en réalité cette superposition de responsabilités n’a aucune incidence sur le plan pratique puisqu’une seule action sera intentée à cet effet.
Il s’y ajoute que seule la société venant d’être immatriculée peut procéder à la reprise et ce suivant les conditions prévues par le présent AU236. Ces conditions visent pour l’essentiel à protéger les tiers créanciers ayant contracté, soit avec les fondateurs agissant pour le compte de la société en formation, soit avec les premiers dirigeants sociaux agissant en vertu d’un mandat pour la société constituée. De même, l’assemblée des associés ne saurait se substituer à la société en tant qu’être moral237. En ce sens, la Chambre commerciale de la Cour de cassation française avait, dans un arrêt du 6 décembre 2005, refusé d’admettre la reprise d’un contrat conclu au nom de la société en formation. Ce refus a été motivé par le fait que la procédure de reprise n’a pas été respectée et ce même si les futurs associés avaient tous marqué leur accord pour la conclusion de ce contrat. A travers cette décision, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a exigé que la reprise d’un engagement n’intervienne qu’après immatriculation de la société au nom duquel cet engagement a été pris.
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Table des matières
Introduction
1ère Partie : La vulnérabilité de la situation des créanciers sociaux dans l’opération de cautionnement
Titre I. : Le renforcement des conditions de validité du cautionnement
Chapitre I. : L’application des conditions générales de validité du cautionnement au cautionnement de dettes sociales
Chapitre II : L’adjonction de conditions spécifiques au cautionnement de dettes sociales
Titre II : Les incertitudes dans la mise en œuvre du cautionnement
Chapitre I : Les aléas relatifs à l’acquisition de la personnalité juridique
Chapitre II : La modification de la situation juridique de la société
2nde Partie : L’aggravation de la situation des créanciers sociaux dans l’opération de cautionnement en cas de procédures collectives
Titre I : L’indifférence de la procédure collective sur la fragilité de la situation des créanciers à travers l’engagement cautionné
Chapitre I : L’indifférence de la procédure du règlement préventif sur la fragilité de la situation des créanciers
Chapitre II : L’indifférence des procédures collectives de traitement des difficultés de la société cautionnée sur la fragilité de la situation des créanciers
Titre II : La fragilisation de la situation des créanciers sociaux par les procédures collectives à travers l’engagement de la caution
Chapitre I : La fragilisation de la situation des créanciers par la procédure collective de prévention des difficultés de la société cautionnée
Chapitre II : La fragilisation de la situation des créanciers par les procédures collectives de traitement des difficultés de la société cautionnée
Conclusion général
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