L’affaire Omar Raddad, de la fiction à l’emballement médiatique

L’affaire Omar Raddad, de la fiction à l’emballement médiatique

L’affaire comme roman policier

Le lundi 24 juin 1991, aux alentours de 17 heures, les gendarmes enfoncent la porte de la cave de la villa « La Chamade », propriété de Ghislaine Marchal située sur les hauteurs de Mougins, près de Cannes. Ils ont été alertés par des voisins. Elle ne donne plus signe de vie depuis 24 heures alors qu’elle devait aller déjeuner la veille, le dimanche 23 juin, chez une de ses amies. Après avoir réussi à dégager le lit et un tuyau métallique qui obstruaient la porte, les gendarmes découvrent son corps sans vie, vêtu d’un seul peignoir, « violemment frappé de coups de couteau », selon les termes du procès verbal. Au fond de la cave, une inscription en lettres de sang apparaît sur une porte : « OMAR M’A TUER ». Quelques mètres plus loin, la phrase est inscrite de nouveau mais de manière partielle : « OMAR M’A T ».
Les gendarmes remarquent la présence d’un chevron de bois ensanglanté par terre.
Après enquête, ils établiront que l’objet a servi à frapper Ghislaine Marchal, mais l’arme du crime, décrite par les experts comme un couteau, n’a jamais été retrouvée.
Très vite, les soupçons se portent sur Omar Raddad, le jardinier de Ghislaine Marchal, immédiatement désigné par le voisinage lorsque les gendarmes enquêtent pour savoir à qui peut faire référence le prénom « Omar » inscrit en lettres de sang. L’homme est un Marocain âgé de 28 ans qui travaille depuis deux ans, à raison d’une fois par semaine, à La Chamade. Il est également employé par Francine Pascal, une voisine de Ghislaine Marchal, chez qui il se rend trois fois par semaine. L’homme parle mal français et ne sait ni lire, ni écrire. Il nie être l’auteur du crime. Quant à Ghislaine Marchal, il s’agit d’une riche veuve d’un équipementier automobile. Cette femme de 65 ans, assez secrète, vivait seule dans sa villa depuis la mort de son mari de qui elle était séparée. Selon Vernier, si les médias se sont intéressés à cet événement, c’est avant tout dû aux « éléments liés aux faits eux-mêmes : un cadavre retrouvé dans un local de chaufferie, fermé de l’intérieur ou de l’extérieur par un lit de camp, constituant une énigme digne des meilleurs romans policiers ; des lettres tracées avec du sang vraisemblablement humain […] »(2007, p.466). Sans compter la faute de français « m’a tuer » au lieu de « m’a tuée » qui rajoute unetouche de mystère.
En effet, les premiers éléments de ce fait divers offrent de fortes similitudes avec les caractéristiques d’un roman policier, ce que les journalistes n’ont pas manqué de soulever.
Dans le corpus analysé, nombreuses sont les références littéraires : « Une affaire ficelée comme de l’Agatha Christie » ; « L’assassinat de Ghislaine Marchal […] fait partie de ces affaires criminelles hors série dignes de la licence créatrice d’Agatha Christie » ; « Conan Doyle aimait offrir d’emblée au lecteur le nom d’un suspect largement compromis aux yeux du docteur Watson et que la police tracassait jusqu’à l’instant où Sherlock Holmes confondait un meurtrier au-dessus de tout soupçon. Gaston Leroux, dans le Mystère de la chambre jaune, confinait son intrigue dans un lieu hermétiquement clos […]. À bien des égards, l’assassinat de Ghislaine Marchal […] ressemble à ces ouvrages construits autour d’une suite de mystères » ; « Tous les éléments de mauvais roman populaire semblent ici réunis : la riche veuve, le crime abject, la victime traçant – ultime vengeance – le nom du criminel avec son sang. Fantômas sur la Côte d’Azur… » ; « Le crime sauvage de Mougins, sorte de “mystère de la chambre jaune” azuréen, sera-t-il jamais élucidé ? » ; « Une sorte de roman à la Agatha Christie à l’envers, dont on connaîtrait à la première page le nom de l’assassin présumé. »
L’analyse montre que les deux quotidiens, Le Mondeet Le Figaro, ont autant comparé l’affaire Omar Raddad à un roman l’un que l’autre. Cela ne dépend pas non plus de l’auteur de l’article car les six références citées ci-dessus ont été écrites par cinq journalistes différents.
De même, ce sentiment a continué de persister au fur et à mesure des années car certaines phrases proviennent d’articles rédigés en 1991 quand d’autres sont issus d’articles écrits pendant le procès en 1994. Cette comparaison à un roman policier est donc générale.
Le correspondant régional du Figaro confirme cette impression commune : « Pour nous, dans le Sud-Est, ça a été un véritable feuilleton. Dans le sens où c’était le Mystère de la chambre jauneau début puisqu’il y avait cette inscription qu’on supposait être écrite par la victime et dans un local qui était complètement hermétique de l’extérieur. »
L’affaire Omar Raddad possède effectivement des caractéristiques dignes d’une fiction notamment dues au mystère qui l’entoure. Nombreuses sont les références à l’ambiance mystérieuse qui règne. Ce vocabulaire est utilisé pour qualifier l’enquête (« cette drôle d’enquête » ), la description des lieux du crime (« l’endroit garde ses mystères » ), mais aussi la vie de Ghislaine Marchal (« une femme […] assez secrète »  ) et celle de Jacques Vergès, l’avocat d’Omar Raddad (« l’énigmatique avocat » ). Cette ambiance se révèle être un avantage pour les médias car, comme l’évoque le correspondant du Figaro, la presse a fait de ce fait divers un « feuilleton » donc chaque article était comme un chapitre d’une histoire, apportant un peu plus d’informations au fur et à mesure de l’avancée de l’enquête.
Ce type d’affaire permet de tenir en haleine les lecteurs et donc de faire vendre. Car, si ce genre d’événement persiste dans le journal, c’est bien parce que l’audience continue à s’y intéresser. Lacour en a fait le constat avec l’affaire Grégory : « Si les couvertures de ParisMatch, les “unes”de France-Soir, du Parisien libéréet les reportages du Figaroou de RTL avaient laissé indifférents leurs destinataires, l’affaire Grégory se serait médiatiquement éteinte en quinze jours. Mais les Français […] se sont repus pendant des mois de ce feuilleton. » (2006, p.366)

La médiatisation : l’exemple du Mondeet du Figaro

Une fois tous les éléments réunis pour faire de ce fait divers un véritable feuilleton, « la presse, d’abord locale, puis nationale, s’empare de l’affaire » (Inchauspé, 2010, p.4). En effet, la presse locale, notamment Nice-Matin, est la première à s’intéresser à l’événement mais la presse quotidienne nationale suit très rapidement derrière. Le premier article du Figarodate du 27 juin 1991 et celui du Mondedu 29 juin 1991, soit respectivement trois et cinq jours après la découverte du corps de Ghislaine Marchal. Pourquoi cette précipitation ? Alfonsi, Blanc, Bonzi & Fournier avancent une explication : « Parce qu’il n’y avait pas lieu de perdre son temps : tous les éléments du crime étaient réunis, il ne restait plus qu’à se forger une conviction en élaborant une théorie. » (2000, p.42) Selon Henri Leclerc, l’avocat de Ghislaine Marchal, interrogé dans cette étude, « le roman policier devient un ingrédient à un véritable roman médiatique ».
Ce mémoire s’intéresse en particulier à la presse généraliste parisienne qui a très vite donné une dimension nationale à l’événement. Le choix s’est porté sur deux titres en particulier : Le Figaro et Le Monde. Ils font partie de ceux qui ont la plus large diffusion nationale à cette époque et permettent ainsi de représenter au mieux ce qui est qualifié de « presse quotidienne nationale »: 366 690 exemplaires en 1999 pour le premier et 390 840 pour le second, la même année. Par comparaison, la diffusion de Libération n’était que de 169 427 exemplaires à la fin des années 1990. Il était important d’analyser au moins deux titres pour pouvoir comparer leur traitement de l’affaire notamment en fonction de leur ligne éditoriale.
La première analyse a consisté à évaluer la place donnée par ces deux journaux à l’affaire Omar Raddad notamment en dénombrant le type d’articles.
L’analyse révèle que dans la majorité des cas (61 % pour Le Monde et 55 % pour Le Figaro), le format « article » a été utilisé pour évoquer l’affaire Omar Raddad, suivi du format « brève ». On remarque que les articles ont davantage fait l’objet d’une annonce en Une dans Le Figaro (14 %) que dans Le Monde (seulement 2 %). Ceci est cohérent avec le nombre d’articles consacrés à l’affaire de 1991 à 1995 : Le Figaroa publié 97 articles contre seulement 46 pour Le Monde. Le premier a donc choisi de donner plus d’importance à l’événement que le second, à la fois en terme de nombre d’articles publiés mais aussi dans le traitement.
À l’inverse, proportionnellement, le format « commentaire / opinion / éditorial » a été employé plus fréquemment par Le Monde que Le Figaro. Ceci peut suggérer une part de subjectivité sur l’affaire plus importante chez le premier que chez le second.
Enfin, Le Monden’a publié aucun courrier de lecteur à ce sujet, contrairement au Figaro qui en a consacré trois, ce qui équivaut à environ 3 % du nombre d’articles publiés. Ce résultat est cohérent avec l’analyse de la ligne éditoriale des deux quotidiens car il n’existe aucune possibilité d’interaction avec les lecteurs dans Le Mondeen 1991 alors que dans Le Figaro, une colonne entière de la rubrique « Opinions » située dans les premières pages du journal est destinée au courrier des lecteurs. Ils peuvent donner leur avis sur un sujet évoqué par le journal dans les jours précédents. Il s’agit généralement de sujets très médiatisés.
Concernant le numéro de page et le type de rubrique, les articles du Mondesur l’affaire Omar Raddad sont presque tous classés dans la rubrique « Société / justice », située à la page dix environ. Le schéma est à peu près le même pour Le Figaroqui classe les articles dans la rubrique « Notre vie » qui regroupe des sujets de société, située à la page dix environ également. Cependant, 11 articles du Figaro, soit environ 11 % des articles, ont été publiés dans la rubrique « L’actualité », située à la dernière page du journal. Cette catégorie semble mettre en avant les sujets les plus importants du jour. Ce résultat conforte celui obtenu à propos des annonces de Une, à savoir que Le Figaro a donné plus d’importance à l’affaireOmar Raddad dans la façon de présenter le sujet dans le journal que Le Monde.

Un emballement médiatique

Les caractéristiques de l’affaire Omar Raddad rejoignent celles des faits divers qui ont défrayé la chronique pendant plusieurs années comme l’affaire Grégory, dans les années 1980, ou l’affaire d’Outreau, au début des années 2000. Dans ce type d’affaire, les médias s’emparent de l’événement mais celui-ci suscite une telle émotion dans l’opinion publique et/ou dans la presse que cela engendre un véritable emballement médiatique. Est-ce le cas pour l’affaire Omar Raddad ? Pour pouvoir répondre à cette question, la première analyse qui a été réalisée a consisté à calculer le nombre d’articles publiés par mois dans chacun des deux quotidiens de juin 1991 à décembre 1995 et de comparer les résultats obtenus aux différentes étapes de l’affaire :

L’implication personnelle des protagonistes

Le déséquilibre des sources citées

L’analyse sur l’emballement médiatique en terme du nombre d’articles publiés révèle une forte implication des médias dans l’affaire. Mais l’hypothèse principale émise dans l’introduction de ce mémoire est que la subjectivité s’est surtout exprimée à travers la représentation d’Omar Raddad.
En effet, l’étude du corpus montre qu’Omar Raddad a été cité bien plus de fois dans les deux journaux que Ghislaine Marchal. Il apparaît à 681 reprises dans les deux titres confondus contre 482 fois pour la victime, soit une répartition d’environ 60 % pour Omar Raddad contre 40 % pour Ghislaine Marchal que ce soit pour Le Mondeou Le Figaro.
Cette constatation se confirme par l’analyse des illustrations associées aux articles sur l’affaire. Dans 74 % des cas c’est Omar Raddad qui apparaît sur la photo, dans Le Figaro(seul Le Figaroa été analysé car Le Monden’a publié quasiment aucune illustration sur le sujet).
Les journalistes ont donc choisi d’insister davantage sur le meurtrier présumé que sur la victime. Omar Raddad devient ainsi très vite le sujet principal des médias.
Ceci va à l’encontre de l’étude de Sécail qui montre que les années 1990-2000 marquent un revirement sur la médiatisation de la victime. La presse est davantage centrée sur celle-ci en la présentant avec un « plan large compassionnel » (2010, p.7). Dans le cas où elle est décédée, les journalistes s’intéressent alors à leurs familles, ils recueillent leur témoignage sur la disparue. « Les héros ne sont donc plus tant les criminels que leurs victimes. » (2010, p.8)
Alors comment expliquer cette disproportion de médiatisation dans l’affaire Omar Raddad ?
La réponse a été apportée par l’analyse des sources citées dans les deux quotidiens. À noter que Le Mondeet Le Figaron’ont pas été distingués dans cette analyse car il ne ressortaucune différence significative entre eux. Le seul écart s’observe à propos « d’Omar Raddad etses proches » qui ont été deux fois plus cités dans Le Figaro que dans Le Monde.

Une guerre des egos

L’arrivée de Jacques Vergès à la défense au moment du procès va entraîner un intérêt encore plus prononcé des médias. Car l’affaire réunit alors de fortes personnalités en plus de l’avocat d’Omar Raddad, comme Henri Leclerc, pour la partie civile, mais aussi Armand Djian, le président de la cour d’assises. La quatrième personnalité à faire son apparition et que nous avons déjà évoquée est Jean-Marie Rouart, académicien persuadé de l’innocence d’Omar Raddad, qui fera une entrée en scène médiatique après le procès, au moment de la sortie de son livre. Ainsi, la réunion de tous ces protagonistes va déchaîner les passions au sein des médias d’autant qu’Henri Leclerc n’est pas à sa place habituelle.
Vernier résume la situation : « À l’audience, la distribution des rôles avait de quoi étonner : Me Henri Leclerc, qui a présidé longtemps la Ligue des droits de l’homme, et se trouve plus souvent sur le banc de la défense que sur celui de la partie civile, assistait la famille de la victime. Et il avait pour adversaire l’un des avocats les plus provocateurs du barreau de Paris, Me Jacques Vergès, qui fut en 1987 le conseil de Klaus Barbie. Sans compter un président de cour d’assises [Armand Djian], ancien magistrat des colonies qui se flattait de savoir parler arabe et tenait des propos frisant le racisme. À cela, il faut ajouter qu’à peine le verdict tombé, un académicien et chroniqueur du FigaroJean-Marie Rouart a pris fait et cause pour Omar Raddad et s’est porté à la tête d’un mouvement en faveur de la révision de son procès. » (2007, p.466)
La présence d’Henri Leclerc du côté de l’accusation s’explique par le fait que la victime, Ghislaine Marchal, avait pour beau-frère le bâtonnier Bernard du Bigault du Granrut qui a sollicité l’avocat pour se constituer partie civile.
Le chroniqueur judiciaire du Mondeaffirme que la confrontation entre Henri Leclerc et Jacques Vergès ajoutait ainsi de l’intérêt à la couverture du procès : « Rien que le fait de parler d’Henri Leclerc à l’époque provoquait immédiatement une attirance. […] Jacques Vergès qui, lui, n’a pas du tout la même réputation qu’Henri Leclerc mais provoque lui aussi l’attirance parce que c’est un provocateur, c’est l’homme de la défense de rupture et c’est l’homme, d’ailleurs, qui va s’amuser d’avoir à lutter contre Henri Leclerc. »
Les médias étaient donc attirés par la réunion de tous ces personnages. Mais puisque ceux-ci avaient tous des points de vue affirmés et une certaine notoriété, les journalistes avaient généralement un avis arrêté sur eux. Le correspondant régional du Figarosouligne en effet que le chroniqueur judiciaire du journal, Pierre Bois, – aujourd’hui décédé – « détestait cordialement » Henri Leclerc. Il estime que cela a pu faire pencher Le Figaro du côté d’Omar Raddad : « Çapeut jouer, sachant qu’il [Henri Leclerc]était dans l’autre camp. On a été discrètement pro-Omar, voilà. »

La subjectivité des journalistes

Pour comprendre la place prise par la subjectivité dans cette affaire, il est important de s’intéresser aux journalistes qui ont couvert l’événement. L’analyse révèle qu’il y a eu 11 auteurs d’articles différents sur l’affaire Omar Raddad pour Le Monde contre 20 pour Le Figaro. Leur fonction a notamment été prise en compte dans cette étude.
On note que Le Mondea davantage fait appel à des envoyés spéciaux que Le Figaro qui, lui, au contraire a consacré plus d’articles du correspondant régional. La fonction joue ici un rôle essentiel car le correspondant régional ne couvre pas l’affaire avec le même regard que son confrère envoyé spécial. Le chroniqueur judiciaire du Monde explique qu’il existe d’ailleurs une règle orale qui établit que « celui qui avait couvert les événements en tant que fait divers ne pouvait pas couvrir le procès » . Cela permet au journaliste venu de Paris de ne pas « partir avec une idée pré-conçue » car il ne connaît alors presque rien de l’affaire ou seulement des échos par les confrères ou l’arrêt de renvoi . En revanche, le chroniqueur du Mondeavoue qu’il ne connaissait pas l’ambiance locale, ayant très peu mis les pieds à Nice. Il explique alors les travers que cela peut engendrer : « Il faut se méfier des regards qui se prétendent nationaux et qui ne sont que parisiens. »
La différence se retrouve également dans le rapport aux sources car les habitants voient « arriver le Parisien avec une certaine réserve ».
À l’inverse, le correspondant régional du Figaro explique habiter dans le Sud depuis l’âge de huit ans et avoir commencé à exercer son métier à 16 ans. Il connaît donc extrêmement bien le territoire et ses acteurs au point d’avoir accès à des sources privilégiées : « On noue des relations particulières. J’avais déjà à l’époque 35 ou 40 ans de métier donc tu finis par connaître énormément de gens. »
C’est cette connaissance de la zone qui l’a poussé à élaborer sa propre théorie, à savoir que Ghislaine Marchal « a pu confondre son agresseur.
Elle connaissait donc évidemment Omar Raddad puisqu’elle l’employait [raclement de gorge] mais elle a très bien pu être agressée par un autre jeune Maghrébin. Je fais pas du tout du racisme [petit rire], comprend-moi bien, mais… c’est quand même des régions où il y a pas mal de délinquance dans les beaux quartiers là, si tu veux. Les villas font l’objet de rapines, parfois même d’attaques à domicile. Elle a très bien pu être agressée par un Nord-Africain.
Une fois violemment frappée et presque mourante donc, elle a pu se dire c’est Omar. »
Le journaliste a évoqué cette « impression »,comme il la nomme, à cinq reprises sur les22 articles qu’il a rédigé sur l’affaire. Or, cette piste n’a jamais été évoquée par quelle que personne que ce soit. Il admet même en avoir fait part à un des avocats d’Omar Raddad, Gérard Baudoux, qui « n’a pas voulu entendre [s]es arguments » . Le journaliste a donc développer un point de vue sur le sujet à partir de ses idées pré-conçues au point d’en faire part ouvertement aux lecteurs voire d’essayer d’imposer sa thèse à ses sources. Cet exemple reflète bien la part de subjectivité dans la couverture de l’affaire Omar Raddad.

Les médias, « chiens de garde de la démocratie »

Pointer du doigt les erreurs

Selon les termes de Paul Lefèvre, Omar Raddad était donc non seulement « arabe et tout fluet et n’avait pas l’air très vif » ce qui a encouragé les journalistes à prendre son parti, mais il semblait aussi avoir été victime d’erreurs ce qui a conforté les médias dans leur position. Alfonsi & al. confirment : « La grande majorité des journalistes ont, quelques jours après le début de ce qu’ils ont appelé dans un premier temps “L’affaire Marchal”, et le constat des premières carences de l’enquête, opté pour l’innocence du principal intéressé (après la victime elle-même) du crime, sur la base d’une accusation sanglante “trop romanesque pour être vraie” et pour l’ombre du grand nuage noir “erreur judiciaire” quiplane dans le ciel de la justice française, dans un deuxième temps. »(2000, p.44).

Analyse et contre-enquête des médias et autres acteurs

Poussés par la volonté de mettre au clair cette affaire chargée de lacunes, les journalistes se sont surtout impliqués une fois le procès terminé. Alfonsi & al. résument cela en affirmant que « les journaux ont continué sur leur lancée originelle avec, cependant plus de conviction » (2000, p.49). Ils soutiennent également que l’élément déclencheur a été la phrase déclarée par Jacques Vergès sur les marches du Palais du justice comparant l’affaire Omar Raddad à l’affaire Dreyfus.
Comme nous l’avons relevé grâce à la figure 7 de la partie 1.3, l’emballement médiatique s’est en effet principalement manifesté, notamment pour Le Monde,lorsque Omar Raddad a été reconnu coupable. Le chroniqueur judiciaire du Mondeexplique cela par une prise de recul des journalistes : « Ce procès a déchaîné des suites de comportement, si bienque, effectivement, nous sommes revenus dessus, presque tous d’ailleurs, nous sommes revenus dessus de manière analytique. Pour analyser ce qui s’était passé, pour analyser les réactions, pour comprendre un peu certains comportements. »
L’étude sur le cadrage des articles confirme cela.
Mais au-delà de la publication de simples articles d’analyses, les médias ont participé à la réalisation d’une contre-enquête afin de compléter celle des enquêteurs qu’ils ont jugée lacunaire. Alfonsi & al. confirment le rôle endossé par la presse française « qui se placera dans la situation du journaliste d’investigation qui tentera, autant qu’elle le pourra, de dénicher de nouveaux éléments soit inconnus, soit mis à l’écart au moment de l’instruction pour amender l’idée qu’Omar Raddad ait été victime d’une erreur judiciaire. Ce point de vue sera encore plus soutenu lorsque les journalistes se rendront compte que le lancement de la procédure de révision deviendra une forte éventualité » (2000, p.49).
L’exemple même du journaliste d’investigation est Jean-Marie Rouart, académicien et directeur du Figaro littéraire, évoqué dans la partie 1.2. Il va s’appliquer à reconstituer point par point les éléments de l’enquête et notamment ceux dont il doute. Le film « Omar m’a tuer » s’inscrit dans sa lignée en tâchant de montrer que l’innocence d’Omar Raddad ne fait aucun doute. L’œuvre de Roschdy Zem sortie en 2011 retrace la contre-enquête de Jean-Marie Rouart en s’inspirant de son ouvrage Omar, la construction d’un coupable, publié en 1994. L’écrivain explique, dans un article du Figaro, avoir même « escaladé le mur de La Chamade, la villa de Ghislaine Marchal, alors que les gendarmes affirmaient qu’il impossible de pénétrer dans la propriété sans avoir la clé… »
Cette contre-enquête des médias est à mettre en perspective avec la différence entre une enquête policière et une enquête journalistique. Le premier élément qui les oppose est le rapport au temps comme le souligne Paul Lefèvre interrogé par Ambroise-Rendu et Sécail : « Un juge d’instruction a besoin de temps pour diriger ses flics et des commissions rogatoires, pour savoir ce qu’il faut demander aux experts et bien comprendre ce que les experts répondent. Une recherche ADN demande trois semaines, mais on ne peut pas attendre trois semaines pour faire un papier. Il y a donc là un conflit structurel et objectif entre le temps de la justice et le temps des médias. » (2010, p.9) La contre-enquête de la presse s’organise donc de manière beaucoup plus précipitée que celle des enquêteurs : les médias ont besoin de nouvelles révélations sur l’affaire et vite, au risque de publier un article dès que le moindre élément nouveau est mis à jour.

La relance du débat sur la réforme des assises

La figure 12 de la partie 3.1 montre que 7 % des articles du Figaroet 11 % du Monde ont pour cadrage la réforme des assises, soit autant que pour l’erreur judiciaire pour le second.
En effet, l’affaire Omar Raddad a été l’occasion pour les médias de centrer le débat sur cette réforme qui avait déjà été débattue il y a quelques années. Car, non seulement de nombreuses personnes ont estimé que reconnaître Omar Raddad coupable était une erreur judiciaire, dans le sens où il aurait dû être acquitté au bénéfice du doute, mais en plus il était impossible de revenir sur cette décision. En effet, en 1994, il n’était pas possible de faire appel d’un verdict de cour d’assises car il s’agit d’une décision rendue par des jurés « au nom du peuple français »et elle ne peut donc être remise en cause.
Vernier estime que le verdict rendu par la cour d’assises des Alpes-Maritimes a encouragé « la presse généraliste à vraiment s’intéresser à la question de la pertinence et de l’efficacité de la procédure criminelle » (2007, p.465). Ainsi, comme le soulignent Alfonsi & al., « les journalistes constatent que l’affaire Omar Raddad n’est pas une simple occasion d’écrire des articles à fort caractère romanesque mais, est aussi un catalyseur de la remise en cause de divers et importants éléments sociaux et institutionnels » (2000, p.49) La presse a alors instrumentalisé l’affaire pour remettre en cause le système judiciaire existant.
Mais l’affaire Omar Raddad n’a pas été la seule origine de cette relance du débat sur la réforme des assises. Elle s’est conjuguée à celle de Marie-Élisabeth Cons-Boutboul qui s’est vue infliger une peine de 15 ans de réclusion criminelle par la cour d’assises de Paris le 24 mars 1994. Elle a été accusée d’avoir commanditer le meurtre de son gendre. Ces deux verdicts ont été particulièrement contestés car, dans chaque cas, l’absence de preuves formelles aurait dû entraîner l’acquittement. Vernier explique que « les associations de défense et comités de soutien qui se sont créés et les avocats qui se sont exprimés à cetteoccasion auraient pu mettre en cause le système de l’intime conviction qui ne nécessite pas de preuve formelle de la culpabilité, ou l’absence de motivation qui rend parfois inintelligibles certaines décisions de cours d’assises. Mais en fait les voix qui se sont élevées à ce moment-là ont particulièrement mis l’accent sur la nécessité d’instaurer un deuxième degré de juridiction pour les personnes accusées de faits criminels, afin d’éviter de telles situations »(2007, p.449)

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Table des matières
Introduction
1. L’affaire Omar Raddad, de la fiction à l’emballement médiatique
1.1 L’affaire comme roman policier
1.2 La médiatisation : l’exemple du Mondeet du Figaro
1.3 Un emballement médiatique
2. L’implication personnelle des protagonistes
2.1 Le déséquilibre des sources citées
2.2 Une guerre des egos
2.3 La subjectivité des journalistes
3. Les médias, « chiens de garde de la démocratie »
3.1 Pointer du doigt les erreurs
3.2 Analyse et contre-enquête des médias et autres acteurs
3.3 La relance du débat sur la réforme des assises
Conclusion
Bibliographie
Table des annexes
Annexes
Annexe 1 : identité éditoriale duMonde en 1991
Annexe 2 : identité éditoriale duFigaro en 1991
Résumé

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