L’adultère au XIXème siècle
L’adultère est un acte d’infidélité d’un des conjoints à l’encontre de son partenaire. Pour qu’il y ait infidélité il faudrait qu’il y ait une union qui soit scellée et reconnue par les autorités compétentes. Cette union n’est rien d’autre que le mariage dont il est impossible d’élaguer dans l’étude de la question relative à l’adultère. Fait de société, il a fini d’alimenter les débats au XIXème. Qu’est-ce-qui peut donc bien être à l’origine de cette mouvance collective à commettre le péché de l’adultère à cette époque? Tout porte à croire que l’espoir de jouissance misé sur le mariage a buté sur une désillusion. Celle-ci rend conscient le partenaire désireux d’assouvir le plaisir de ses sens du large faussé à combler. Naturellement, le concerné se tourne copieusement vers une nouvelle aventure. Misogyne avéré, Maupassant fait porter la responsabilité de l’adultère à la femme dans Pierre et Jean tout comme dans une bonne partie de sa production littéraire. Cet état de fait trouve son explication dans l’impossibilité de dénouer les liens conjugaux. En d’autres termes, au XIXème le divorce n’était pas du tout envisageable : du moins pas avant 1884 avec la loi Naquet qui restaure le droit de divorce. Pendant plus de trois quarts de siècle la femme devait se soumettre à son époux même si ce dernier lui agaçait comme il en est de Madeleine dans Bel-Ami qui voit son mari valser d’aventure en aventure trouvant refuge dans les bras de ses concubines. Il en va de même de Jeanne dans Une vie dont le mari a eu la coquetterie de la tromper avec son amie Gilberte. Madame Roland a vécu pareil supplice dans Pierre et Jean. Par contre, à la différence des autres, elle n’a pas eu à payer les frais de l’infidélité de son mari. Celui-ci ne l’a guère trompé avec une autre femme mais elle a du plutôt souffrir du sort qui s’est acharné sur elle en lui donnant pour mari un homme assez frivole. D’ailleurs elle se désole de la légèreté de Gérôme à telle enseigne qu’elle considère que : « c’est si affreux pour une jeune fille d’épouser un mari comme le mien.» Ne trouvant aucune issue possible à part la soumission, la femme est donc contrainte à faire avec le chagrin. Dès lors, le mariage se présente sous forme de claustration. Le code civil de 1804 de Napoléon 1er s’inscrit dans la même dynamique. Ainsi, il rétrograde la femme dans les rapports hiérarchiques qui l’opposent à l’homme. Il donne à l’homme tous les droits tout en retirant à la femme tous les devoirs. En effet, il oblige la femme à avoir l’accord écrit de son mari pour poser un acte quelconque même quand il s’agit de saisir le tribunal pour s’en prendre à lui. Ce qui à la limite parait insensé dans la mesure où le mari n’acceptera jamais d’écrire une note susceptible de porter atteinte à ses intérêts. Par contre, ce code accorde au mari toute sorte de liberté. Fort de ce constat, certains maris rusés en usaient pour fréquenter d’autres femmes et la leur se devait de tolérer ces manquements conjugaux sans broncher. Il exerce donc un pouvoir tyrannique sur la femme. Ainsi, cette faiblesse constitutionnelle d’une loi régie en faveur des hommes sera transmuée en force passionnelle fondée sur une relation extraconjugale en faveur des femmes. A force d’être astreinte à une loi autoritaire, la femme nourrit l’intention de se révolter contre les garde-fous de la législation d’une part, contre la gaucherie du mariage de l’autre et en fin de compte contre les rouages d’un mari trompeur. Madame Roland, lassée de la vulgarité de son mari Gérôme, le trompe avec Maréchal. De même, Madeleine dans Bel-Ami prend le dessus sur son mari à deux reprises. Exacerbée par l’infidélité de son conjoint, elle cède à la révolte et va commettre l’adultère en nouant de nouvelles relations amoureuses en dehors du mariage. Jeanne quant à elle adopte une démarche révolutionnaire dans Une vie. Très remarquable, l’acte qu’elle a posé n’engage pas directement le mari, même s’il est vrai qu’il a commis l’adultère. En effet c’est plutôt sa maman qui est allée à la quête d’une nouvelle aventure. Tout est parti d’une découverte de Jeanne des lettres cachées de sa mère sous le tiroir avant de prendre sur elle la décision de les brûler. Bien évidemment ses lettres avaient pour expéditeur non pas le mari mais l’amant. Son attitude prend ici les allures d’un purgatoire dont le passage est obligatoire pour réparer les erreurs passées de sa mère.
L’adultère et la législation de nos jours
« L’adultère serait ainsi une violation d’un code, la rupture d’un contrat, la transgression des frontières provoquant un dérèglement dans la stabilité précaire de l’ordre social.» Tout porte à croire que cette assertion emprunte la charpente d’un plaidoyer prononcé par le législateur. En fait, celui-ci n’est appelé à prononcer solennellement une sentence qu’à condition que la loi soit violée. C’est bien de ce dont il s’agit ici. Il se pose dès lors un problème de loyauté d’un des conjoints. Ayant à sa charge la prérogative de faire régner l’ordre, la loi est naturellement appelée à prendre des décisions fermes pour décourager la pratique de pareils actes. Force est de constater que la loi a la ruse de se conformer aux différentes sociétés et époques. Selon qu’elle soit destinée à être appliquée à une époque médiévale ou moderne, à une société conservatrice ou libérale, la loi s’accommode aux réalités du moment et du milieu. Notre étude consistera à montrer la prise en charge qui est faite de l’adultère de nos jours par la législation en vigueur. Mais de quelle loi parle-t-on? Vu que la France a servi d’espace narratif où s’est tramée une partie non négligeable de la narration, il convient donc de s’intéresser à la législation de la nation qui a le plus connue ce fléau au XIXème siècle. De prime abord, la position de la loi quant à l’adultère est catégorique. Elle tend à décourager toute personne qui aurait envisagée, ne se reste un moment la pratique d’un pareil acte. Au fil du temps, la rigueur de la loi va s’effriter. Des mesures draconiennes ont été prises. Avant l’entrée en vigueur de la loi du 11 juillet 1975, l’adultère était passible de sanctions pénales pour l’homme tout comme pour la femme. A l’époux était demandé de verser une amande allant de 360 à 7200 francs et à l’épouse était réservée une peine d’emprisonnement comprise entre trois mois et deux ans de réclusion selon l’article 337 de l’ancien code pénal. En parfaite conformité avec notre démarche analytique qui consiste à prendre la femme pour unique responsable de l’adultère, cet article réprime sévèrement la mariée et reste indulgent au mari. Cette indulgence sera au fil du temps appliquée à la pénalité de l’adultère. Il est finalement dépénalisé par la loi du 11 juillet 1975 qui abroge par-là les articles 336 et 339 de l’ancien code pénal. La nouvelle disposition de la loi l’a doté de circonstances atténuantes. L’adultère ne rime plus avec une amende financière encore moins un séjour carcéral. En effet, il est désormais considéré comme une faute conjugale. Par conséquent, le juge peut l’écarter voire l’excuser au besoin. Le passage de sa pénalisation à sa dépénalisation rompt avec la sanction. Le fait est que la conception de l’adultère a changé de posture au regard de la loi française. Il n’est plus appréhendé comme un délit mais plutôt comme une faute et par conséquence n’est plus passible de sanction mais de pardon. Cependant, cela n’enlève en rien son caractère de délit d’atteinte au devoir de fidélité. Toutefois, il convient de ne pas se laisser amadouer par la dépénalisation de l’adultère pour lui ôter toute connotation punitive. Par-là il faut comprendre que l’idée de sanction ne change pas, c’est seulement sa nature qui connait une mutation. En effet, la dépénalisation de l’adultère par le biais de la loi du 11 juillet 1975 prévoit une punition civile de l’adultère contrairement à la sanction pénale.
L’adultère selon la science
« Le problème du naturalisme tient à ce que, saturé de scientisme, il finit par diluer le champ du littéraire […] le naturalisme devient une philosophie, une prise de position, une politique, il envahit tout le raisonnement et à partir de ce moment-là justement s’éloigne de la littérature qui lui a servi de premier laboratoire.» Qu’est-ce-qui explique ce penchant pour la science? Le naturalisme dont la vocation est la représentation de la vérité s’obstine à trouver un référent qui pourrait donner de la crédibilité à son propos. Or, pour qu’il soit accepté par l’opinion publique pour véridique il faudrait que ce propos s’éloigne de toute subjectivité. La science étant par essence objective est dès lors un terreau fertile apte à donner à la représentation littéraire des naturalistes une touche réaliste. Fidèle à sa mission de recherche de vérité, le naturalisme observe scrupuleusement la société et les faits de société tels que l’adultère qui n’a de cesse nourri le débat littéraire au XIXème siècle. C’est en ce sens que Maupassant lui-même parle de « roman objectif» dans la préface de Pierre et Jean. Cette assertion met en exergue l’envie manifeste des écrivains naturalistes d’examiner le monde en se fondant sur l’expérience. A cela s’ajoute l’influence du scientisme chez les auteurs naturalistes. Le précurseur Émile Zola en est la première victime. Inspiré par L’introduction à l’étude de la médecine expérimentale, Zola rédige Le roman expérimental où il prône : « La recherche de la vérité à l’aide de l’analyse des êtres et des choses. » En effet, il part de la science pour expliquer les faits sociaux. C’est ainsi que dans les Rougon-Macquart il fait état, à travers l’hérédité des caractères, de la perpétuité des tares héréditaires dont les traits de caractères seront déterminants dans le comportement des membres d’une même famille de génération en génération. Maupassant quant à lui recourt à la science pour inculper la femme. C’est ainsi qu’il fait appel à la fonction médicinale au détriment de celle législative pour diagnostiquer la pathologie de l’adultère. En effet, Maupassant en définissant l’éventuel profil de ses personnages a misé sur deux types de professions assignées aux deux personnages éponymes : le premier Pierre est médecin tandis que le second Jean est avocat. Tout porte à croire qu’il est du ressort de l’avocat de statuer sur la responsabilité des hors la loi après les avoir inculpé de leur chef d’accusation. Paradoxalement, c’est au médecin que revient la tâche d’identifier la maladie dont souffre la société. Maupassant lui confie la responsabilité de mener l’enquête sur l’adultère. Cela est certainement dû : premièrement au fait que la fonction d’avocat n’émane pas de la science mais de la littérature, deuxièmement au fait que la société est elle-même malade et qu’il n’y a pas mieux qu’un médecin pour trouver un remède à la maladie de l’adultère qui gangrène les mœurs. De Pierre et Jean à Mont-Oriol l’image du médecin est omniprésente et joue un rôle différent d’une œuvre à une autre. En effet, si dans Mont-Oril les médecins : « se disputent la femme infertile »; dans Pierre et Jean, le médecin a réussi là où tout le monde a failli. Pendant que tout un chacun s’afférait à fêter l’heureux événement de la fortune de Jean après l’annonce du testament de Maréchal, lui (Pierre), au lieu de s’emballer dans l’euphorie d’une ambiance festive, était resté sur ses gardes et menait une enquête à l’insu des siens. D’où la pertinence de la préférence du narrateur quant au choix du médecin. Celui-ci se doit d’examiner, de diagnostiquer, de passer à la loupe ce qui à priori parait invisible à l’œil nu pour en déceler la quintessence. Toujours fidèle à sa mission d’inculpation de la femme, Maupassant s’en prend à la fonction matricielle qui lui était assignée. Celle-ci tente de pallier les séquelles causées par la guerre et ce en dépit du désir d’émancipation de la femme : « La femme a beau réclamé une liberté civile que le code Napoléon lui refuse, même « affranchie », elle reste jusqu’à la fin du siècle emprisonnée dans un discours paternaliste dont l’origine médicale confirme la marginalisation de la religion par la science. »
Illusion de fidélité
La fidélité, sève nourricière de toute union conjugale, reste le principe fondateur du mariage. La violation du pacte de fidélité d’un des conjoints peut être lourde de conséquence pour lui en cas de découverte de sa déroute par son partenaire conjugal légal. La précision, pour banale qu’elle paraisse, est d’une importance capitale puisqu’à côté du partenaire officiellement connu, il y a un autre qui partage officieusement l’intimité de la femme mariée. Infidèle, elle se doit d’être intelligente pour mieux cacher son jeu à son mari et mener en bateau son entourage immédiat. C’est d’ailleurs ce qui explique le fait que la femme pour tromper la vigilance de son mari lui manifeste une illusion de fidélité. Illusion dans la mesure où la fidélité en tant que telle n’est qu’utopique. La fidélité servie par la femme à son mari sur un plat d’illusion est par ailleurs garant de sa respectabilité, de sa dignité afin que sa bonne foi ne soit nullement sujette à caution, du moins tant que restera incognito sa relation hors mariage. Puisque la femme est le personnage concerné par le jeu des apparences trompeuses, nous allons nous intéresser à la manière dont elle s’y prend. Notre étude s’intéressera à madame Roland, personnage féminin qui occupe l’essentiel de la narration. Louise a des aptitudes très poussées à tromper la vigilance des siens. Pourquoi choisir délibérément l’option de tromper son mari? Pourquoi en l’absence de compassion de la femme à l’égard de celui-ci elle ne le quitte pas tout bonnement? Un bref détour sur le contexte historique du XIXème siècle nous permettra à coup sûr d’y voir un peu plus clair. En effet, la législation de cette époque soustrait à la femme le droit de divorce. Elle était contrainte à rester avec son mari de gré ou de force. Le mariage prenant des allures de claustration n’assure désormais plus la félicité. La femme mariée en manque de bonheur et ne pouvant se départir de son mari cherchera par tous les moyens ce bonheur tant rêvé : cette fois-ci pas auprès du mari mais de l’amant. Les mains liées par la législation, elle trouve une solution palliative en l’adultère qui lui assure la liberté. Cette rétrospection sur l’histoire nous permet donc de mieux cerner la posture de madame Roland. Elle se présente à son entourage comme étant une femme vertueuse. C’est d’ailleurs en ses qualités intrinsèques que se fie Pierre, hanté par le soupçon d’une éventuelle infidélité de sa maman, pour dissiper en lui toute idée accusatrice. A l’idée de la soupçonner, il pense : « Je suis fou […] je soupçonne ma mère.» Cette image que Pierre s’est faite de sa mère n’est qu’illusoire, seulement il n’en est nullement responsable car ne s’étant filler qu’aux apparences. Amadoué par la bonne mine de celleci, il en arrive à la disculper en ces termes : « Est-ce-que l’âme de cette femme simple, chaste et loyale, n’était pas plus cher que l’eau?» En effet, la succession des adjectifs qualificatifs « simple », « chaste » et « loyale » font respectivement allusion à la sobriété de l’âme, à la pudeur d’une femme mariée et fidèle à son conjoint et à la législation avec qui elle est en phase, du moins si on s’en tient à son jeu. « L’eau » connue pour sa pureté est ici étudiée en corrélation avec madame Roland dont la clarté de l’âme et la fidélité affichée au mari ne peuvent souffrir d’aucune souillure. D’ailleurs c’est ce qui explique l’étude comparative de Pierre qui fait le rapprochement entre la douceur aquatique et celle matrimoniale. La mère bénéficie d’emblée d’une immunité morale qui lui a permis de tromper la vigilance de tout le monde.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : CONCEPTION ET REPRESENTATION
CHAPITRE 1 : CONCEPTION DE L’ADULTERE
CHAPITRE 2 : REPRESENTATION DE L’ADULTERE
DEUXIEME PARTIE : RECIT FEMININ
CHAPITRE 3 : CULTE DE L’APPARENCE FEMININE
CHAPITRE 4 : ALTERITE EMOTIONNELLE
TROISIEME PARTIE : ETUDE SPACIALE ET STYLISTIQUE
CHAPITRE 5 : FIGURATION DE L’ESPACE
CHAPITRE 6 : PRINCIPES ESTHETIQUES
CONCLUSION
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