L’adoption est une pratique fréquente autant dans les sociétés allochtones, qu’autochtones. Elle poursuit néanmoins des finalités différentes. Alors que dans les sociétés allochtones, l’adoption vise à instituer une filiation en tout point identique à la filiation biologique, l’adoption coutumière autochtone s’inscrit davantage dans une vision plus large d’échange et de libre circulation des enfants au sein de la société.
L’adoption comme institution de filiation
Au sein d’un groupe social, les liens formels et informels qui unissent un parent et un enfant sont déterminés à la fois par le nom (aspect juridique), le sang (aspect biologique) et le quotidien (aspect psychologique) (Weber, 2005). Dans les sociétés allochtones, le lien biologique détermine l’existence d’un lien de parenté et l’instance juridique entérine, par l’entremise de l’émission du certificat de naissance, le lien filial établi. La sanction juridique confère ainsi un ensemble de droits et de responsabilités aux parents à l’égard de l’enfant. Toutefois, dans certaines situations, comme lors d’une adoption, un lien de filiation d’ordre juridique est établi entre un parent et un enfant, en l’absence d’un lien de sang.
Historiquement, l’adoption s’est développée dans les sociétés allochtones comme une façon de porter assistance aux enfants orphelins ou abandonnés (Fine, 2008). Au départ, l’objectif de l’adoption était d’offrir aux enfants illégitimes, nés hors des liens du mariage, un statut social équivalent au lien généalogique existant entre un parent et son enfant (Goubau & O’Neil, 2000; Ouellette, 2003). Puis, progressivement l’adoption est devenue une forme de contrôle social visant à assurer le bien-être de l’enfant et à le protéger de l’exploitation et des abus (Lavallée, 2005; Sokoloff, 1993). À l’heure actuelle, la majorité des adoptions dans les sociétés allochtones sont partiellement ou totalement médiatisée par l’État et reposent, pour la plupart, sur la preuve que les parents biologiques ne sont pas en mesure de satisfaire à leurs obligations parentales et d’assurer le bon développement de l’enfant (Ministère de la Justice et ministère de la Santé et des Services sociaux, 2007; Selwyn & Sturgess, 2000). Ainsi, au nom de l’intérêt de l’enfant une nouvelle filiation lui est accordée, entraînant, dans certains cas, une rupture avec sa filiation d’origine (Ouellette, 1995). Même si dans certains pays il est possible pour les parents biologiques de consentir librement à donner leur enfant en adoption, cette pratique demeure moins fréquente et assez mal perçue dans les société allochtones (Ouellette, 1995). Wegar (2000) souligne que l’adoption est encore sujette à de nombreux stéréotypes, les parents biologiques étant perçus comme « incompétents et inadéquats » et les parents adoptifs n’étant pas toujours considérés comme les « vrais » parents de l’enfant. Ainsi, dans les sociétés allochtones, la filiation adoptive demeure marginale et est perçue comme une filiation de second ordre, souvent la conséquence d’une impossibilité de devenir parent « naturellement » (Kirk, 1981, 1984).
L’adoption comme mode de circulation d’enfant
Chez les peuples autochtones ainsi qu’au sein de certains peuples d’Afrique de l’Ouest, différents modes de circulation, d’échange ou de prises en charge des enfants existent, allant d’un simple gardiennage provisoire à la prise en charge complète et définitive d’un enfant (Fine, 2008). Autant en Océanie chez les Maori (McRae & Nikora, 2006; Pitama, 1997), les Kanak (Pérousse de Montclos, Ducamp, & Ridel, 2001), les Paicî et les Tahitiens (Lebic, 2004; Monléon, 2004), qu’au Burkina et au Togo (Lallemand, 1980, 1993b), les enfants sont régulièrement pris en charge par un autre membre de la communauté qui n’est pas son géniteur biologique. Les motivations et les principes qui régissent les transferts et les échanges d’enfants varient énormément. Alors que certains anthropologues conçoivent ces pratiques comme répondant de prime abord à une logique économique ou biologique visant à assurer la survie de la progéniture par un rééquilibre du rapport entre les sexes et un partage équitable des ressources disponibles (Dunning, 1962; Silk, 1987), d’autres considèrent que ces pratiques découlent du rapport don contre-don existant au sein des sociétés autochtones (Lallemand, 1993b; Mauss, 1925).
Les deux formes de prise en charge les plus connues et les plus documentées au sein des communautés autochtones du Canada sont l’adoption juridique ou coutumière et le gardiennage (« fosterage ») (Houde, 2003; Keewatin, 2004). Alors que l’adoption juridique/ coutumière fait référence à une prise en charge permanente par un autre membre de la famille ou de la communauté, le gardiennage est de nature provisoire et survient davantage lors d’un moment difficile, lorsque les parents font appel à leur réseau de soutien pour obtenir de l’aide. Par ailleurs, Guemple (1979) mentionne que le « fosterage » concerne généralement des enfants plus âgés. Il précise aussi que contrairement à l’adoption qui entraîne un transfert total de la responsabilité parentale des parents biologiques aux parents adoptifs, le fosterage maintient une certaine forme d’obligation ou de responsabilité du parent biologique à l’égard de l’enfant.
Les Inuit du Nunavik
Un peuple marqué par le joug colonial
L’histoire des peuples autochtones du Canada et, notamment, celle des Inuit du Nunavik est marquée par de multiples traumatismes résultant de la colonisation. Depuis la Confédération en 1867 et jusqu’à la fin des années 1970, la politique canadienne à l’égard des autochtones visait essentiellement à les assimiler à la culture dominante judéo-chrétienne (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015). À travers la création de réserves, la relocalisation dans des régions éloignées et les écoles résidentielles, les politiques gouvernementales visaient essentiellement à éradiquer et à supprimer la culture autochtone perçue comme « primitive » (Kirmayer, Brass, & Tait, 2000) . Même si les Premières Nations et les Inuit ne sont pas soumis à la même législation et que les Inuit ne sont pas reconnus comme « Indiens » au sens de la Loi fédérale sur les Indiens, ceux-ci ont connu plusieurs sévices similaires (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015) .
Réalité moderne et conditions de vie au Nunavik
Trois grandes enquêtes menées dans les trente dernières années permettent de mieux décrire la réalité des enfants et des familles inuit du Québec : le recensement canadien de 2006 et de 2011, l’enquête Qanuippitaa 2004 basée sur un échantillon représentatif des14 communautés du Nunavik, et le Nunavik Child Development Study (NCDS), une étude longitudinale menée auprès d’une cohorte de bébés recrutés à la naissance.
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Table des matières
CHAPITRE 1 : INTRODUCTION
1.1. L’adoption
1.1.1.L’adoption comme institution de filiation
1.1.2.L’adoption comme mode de circulation d’enfant
1.2. Les Inuit du Nunavik
1.2.1.Un peuple marqué par le joug colonial
1.2.2.Réalité moderne et conditions de vie au Nunavik
1.2.3.La persistance d’une pratique culturelle : l’adoption coutumière inuit
1.2.3.1. Une brève description de l’adoption coutumière inuit
1.2.3.2. Le développement de l’enfant inuit adopté
1.3. Le développement de l’enfant adopté
1.3.1.Constats cliniques
1.3.2.Développement affectif et comportemental de l’enfant adopté
1.3.2.1. Méta-analyses sur le développement comportemental de l’enfant adopté
1.3.2.2. Études de prévalence des problèmes de comportements chez les enfants adoptés
1.3.2.3. Limites méthodologiques
1.3.2.4. Synthèse des connaissances sur le développement affectif et comportemental des enfants adoptés
1.3.3.Facteurs de risque liés au développement de l’enfant adopté
1.3.3.1. Facteurs génétiques et biologiques
1.3.3.2. Facteurs prénataux et périnataux
1.3.3.3. Facteurs pré-adoptifs
1.3.3.4. Facteurs post-adoptifs
1.3.4.La double filiation de l’enfant adopté
1.3.4.1. Le degré d’ouverture du milieu adoptif face à l’adoption
1.3.4.2. Le contexte social
1.4. Objectifs et Hypothèses
1.4.1.Objectifs
1.4.2.Hypothèses
CHAPITRE 2 : ARTICLE 1
L’adoption coutumière chez les Inuit du Nunavik : ses spécificités et conséquences sur le développement de l’enfant
RÉSUMÉ
2.1 Référents culturels distincts au sein des sociétés allochtones et inuit
2.1.1.Dans les sociétés allochtones
2.1.2.Dans la société inuit
2.2. Les caractéristiques de l’adoption coutumière inuit
2.2.1.Motifs menant à l’adoption
2.2.2.Consentement à l’adoption
2.2.3.Préservation du lien de filiation et partage de l’autorité parentale
2.2.4.Confidentialité et contacts
2.3. L’adoption coutumière et les autres formes d’adoption
2.4. État actuel du droit en matière d’adoption coutumière au Québec et au Canada
2.5. Le développement des enfants inuit adoptés selon les pratiques coutumières
2.6. Conclusion
RÉFÉRENCES
CHAPITRE 3 : ARTICLE 2
Impact of inuit customary adoption on behavioral problems in school-age inuit children
RÉSUMÉ
ABSTRACT
3.1. Introduction
3.2. Methods
3.2.1.Participants
3.2.2.Instruments and variables
3.2.2.1. Prenatal, sociodemographic and biological variables
3.2.2.2. Family environment variables
3.2.2.3. Behavior assessments
3.2.3.Statistical analyses
3.3. Results
3.3.1.Sample characteristics
3.3.2.Comparison of prenatal and family environment characteristics between adopted and non-adopted children
3.3.3.Relation between adoption status and behavioral problems
3.4. Discussion
3.5. Conclusion
REFERENCES
CHAPITRE 4 : ARTICLE 3
Risk factors of externalizing behaviors and attention problems among school-age inuit children adopted at birth
RÉSUMÉ
ABSTRACT
4.1. Introduction
4.1.1.Adoption and behavioral problems at school age
4.1.2.Risk factors associated with behavioral problems
4.1.3.Prevalence rates of risk factors for behavioral problems in Nunavik
4.2. Methods
4.2.1.Participants
4.2.2.Instruments and variables
4.2.2.1. Prenatal biological and sociodemographic variables
4.2.2.2. Postnatal family environment variables
4.2.2.3. Behavior assessments
4.2.3.Statistical analyses
4.3. Results
4.3.1. Sample characteristics
4.3.2. Prenatal and familial risk factors associated with behavioral problems
4.3. Discussion
4.4. Conclusion
REFERENCES
CHAPITRE 5 : DISCUSSION GÉNÉRALE
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