L’adolescente consommatrice a la recherche de son autonomie

Courses entre copines et essayages collectifs, conseils et assistance mutuels, fous rires et chamailleries… Aujourd’hui, les bandes d’adolescentes qui se promènent en ville pour faire du shopping sans leurs parents sont de plus en plus nombreuses. Que nous disent-elles ?

« Avant, je faisais du shopping avec ma mère. Maintenant, c’est avec mes copines. On s’amuse à essayer des vêtements, on se donne des conseils et c’est l’occasion de se retrouver et de discuter » (Marine, 15 ans). « Le shopping, c’est simple, c’est toujours avec mes copines. On finit les cours le samedi matin, on prend direct le bus pour aller dans le centre ville et on fait les boutiques l’après midi » (Marion, 16 ans).

Les marques et les enseignes prennent aujourd’hui conscience des enjeux commerciaux et marketing liés à ces comportements d’achat et de consommation, bien spécifiques des adolescentes. Ces enjeux semblent particulièrement saillants sur des marchés comme ceux des vêtements et des produits de maquillage. Ainsi, dans le domaine des cosmétiques, Séphora a crée un rayon spécifique aux adolescentes « le rayon Séphora Girl » avec des marques comme Urban Decay ou encore Benefit et a lancé depuis peu son blog « Sephora Piink» destiné aux « Girls». Dans le domaine vestimentaire, le groupe Inditex va plus loin en lançant une marque exclusivement destinée aux adolescentes : la marque Bershka. Ce nouveau concept espagnol propose aux adolescentes des magasins spécifiques pour elles avec une esthétique avant gardiste offrant des collections modernes, dynamiques et accessibles en prix.

« Les entreprises adorent aujourd’hui ce qu’elles ont brûlé hier » explique Joël-Yves Le Bigot, président de l’association Génération 2020, qui réalise des études sur les jeunes. « Avant, les entreprises considéraient les adolescentes comme une cible instable sur laquelle il était impossible d’investir. Elles se sont rendues compte depuis qu’elles passaient à côté de plusieurs millions de clients potentiels ».

L’adolescent 

La période de la vie socialement reconnue sous le nom d’adolescence, transition entre le monde de l’enfance et celui de l’adulte, ne se laisse pas facilement définir. De nombreuses revues sont spécifiquement consacrées à ce groupe social mais, selon chaque discipline, les frontières d’un tel groupe sont variables.

En vue de bien comprendre l’adolescence et ses multiples aspects, nous devons envisager les différentes approches dont elle a fait l’objet dans les diverses disciplines, au-delà du marketing : sociologie, psychologie mais aussi droit et histoire.

Du point de vue de l’histoire, les bornes de l’adolescence sont variables au fil des siècles. « L’adulescens » de la Rome antique est un jeune homme entre 17 et 30 ans qui a quitté l’état de « puer » en abandonnant la bulle et la toge prétexte au profit de la toge virile, selon un certain nombre de rites (Hacquart, 1953). Néanmoins, seuls les praticiens puis les citoyens romains sont concernés : ni les femmes – même romaines – ni les esclaves ne pouvaient être considérés comme des adolescents aux yeux de la loi romaine. L’adolescence disparait ensuite pendant de longs siècles en Occident pour ressurgir au XVIIIe siècle et surtout au XIX e siècle. L’adolescence ne touche cependant pas de la même façon toutes les classes de la société (Galland, 2001). Alors que l’ouvrier passe directement, vers 12-13 ans, de l’école primaire à la fabrique, le jeune bourgeois connaît une période de latence et de formation (lycée, école militaire…) qui ressemble par de multiples aspects à l’adolescence telle qu’elle est vécue aujourd’hui.

Parmi les différents domaines de la psychologie, la définition de l’adolescence la plus objective et la plus incontestable, car basée sur des critères biologiques, est fournie par la psychologie différentielle. Elle conçoit en effet l’adolescence comme un stade du développement individuel qui débute avec la puberté et s’achève lorsque la croissance est terminée. De prime abord, ces critères semblent simples et susceptibles de permettre une segmentation de la population en enfants, adolescents et adultes. Dans la réalité, ces critères sont difficilement mesurables. En effet, la puberté ne commence ni se termine au même âge pour tous les individus. De plus, on constate, depuis une vingtaine d’années, un abaissement de l’âge de la puberté (Claes, 1991). Enfin, on imagine peu de conséquences directes de la puberté pour le marketing, hormis dans quelques marchés très spécifiques (sous-vêtements féminins…).

L’approche adoptée en psychanalyse ou en psychopathologie peut, par contre, s’avérer plus génératrice d’implications en marketing. Ces deux domaines de connaissance mettent l’accent sur la structuration de la personnalité au cours de l’adolescence. La notion de « crise d’adolescence » (Erikson, 1972) résume, sans l’éclairer, les turbulences, les troubles et les revirements vécus par les adolescents. A défaut d’être un critère de segmentation, l’existence de cette crise laisse présager que l’individu aura, à cette période de la vie, des relations très particulières avec tout ce qui contribue à lui retourner une image de lui-même, notamment la consommation. On peut s’attendre à ce que l’adolescent consommateur se démarque des autres consommateurs, l’enfant et l’adulte, dans différents domaines : relations avec les marques, importance des critères sociaux dans les choix, préférence pour des canaux de distribution ou des modes de communication… (Fosse-Gomez, 1991).

Une autre branche de la psychologie, la psychologie cognitive, s’intéresse plus particulièrement au développement et à la structuration de la pensée logique chez l’individu. L’un des principaux résultats mis en évidence par Piaget (1932) concerne l’existence de stades de développement qui permettent de passer de l’absence de pensée logique (à la naissance) à une pensée pleinement structurée. Le stade ultime peut être atteint vers l’âge de 15 ans.

La sociologie préfère, en général, parler de jeunesse que d’adolescence et certains sociologues se méfient même de cette catégorie. Tous les sociologues n’adoptent pas la même définition de la jeunesse : certains s’en tiennent aux limites légales et fixent à 18 ans la fin de la jeunesse, tandis que d’autres la prolongent jusqu’à 25 ans, voire 30 ans pour les « jeunes adultes ». Le début de la jeunesse est, lui aussi, entouré d’un certain brouillard : 13 ans pour les uns, 15 ans pour les autres (Galland, 2001 ; Fize, 2002). Si la plupart des sociologues n’hésitent pas à remettre en cause les « bornes » d’âge pour délimiter la jeunesse, ils reconnaissent néanmoins que c’est l’institution « Ecole » qui recouvre de facto en grande partie le développement historique de la jeunesse. L’allongement de la scolarisation, qui s’est lentement étendue à toutes les couches sociales au cours du XIXe et XXe siècle, est en effet à l’origine de cette population en devenir, qui a quitté l’enfance sans être cependant vraiment entrée dans le monde des adultes. Alors que le jeune ouvrier de la fin du XIXe siècle passait à 12 ou 13 ans de l’école primaire à la manufacture ou l’atelier, les lois scolaires garantissent aujourd’hui une certaine période d’apprentissage (professionnel ou général) et fixent à 16 ans le seuil minimum d’entrée dans la vie active (Galland, 2001). Même si d’autres institutions interviennent – famille, armée… – dans la vie des jeunes, l’école est le lien et le ferment de toute la communauté adolescente. La tendance actuellement décelée est à l’allongement de la période de la jeunesse – prolongement des études, importance du chômage et de la précarité -,
ce qui prolonge la situation de dépendance et d’adolescence pour l’individu (Fize, 2002).

L’indépendance 

L’histoire de toute espèce humaine est une histoire de prise d’indépendance. Comme l’ont souligné quelques philosophes , le besoin d’indépendance est une des caractéristiques de l’homme.

Parmi les espèces animales, là où les parents assument un rôle de tutelle auprès de leur progéniture, l’émancipation apparaît comme un processus naturel qui prend place bien souvent avant que le jeune animal n’accède à la maturité pubertaire. Les observations réalisées par le zoologue De Grazia (1997) auprès des espèces animales vivant en groupe laissent voir que la reconnaissance du statut adulte est assez rapide et irréversible. Au contraire, dans les sociétés humaines, la tutelle parentale ne précède pratiquement jamais la puberté et se prolonge durant toute l’enfance, l’adolescence voire même les débuts de l’âge adulte aujourd’hui (Claes, 1991).

La notion d’indépendance est particulièrement présente dans la littérature non marketing sur cette période de l’existence, située entre une enfance caractérisée par la dépendance vis-à-vis des parents et un âge adulte marquée par l’indépendance dans toutes ses formes, économique, résidentielle, juridique… L’adolescence se caractérise par un désir d’accéder à plus d’indépendance, que ce soit dans les domaines affectif (indépendance vis-à-vis des parents), financier, comportemental, cognitif… Différentes disciplines reconnaissent en l’indépendance un thème fondamental et pertinent pour comprendre l’adolescence : le droit, la sociologie et la psychologie.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PARTIE I :
CHEMINEMENT THEORIQUE : EN QUOI L’ADOLESCENTE EST-ELLE UNE
CONSOMMATRICE SPECIFIQUE ?
INTRODUCTION DE LA PREMIERE PARTIE
CHAPITRE 1 : L’ADOLESCENCE EST UNE PHASE DE CONSTRUCTION IDENTITAIRE
Section 1 : Le concept d’identité
1. Le concept d’identité en marketing
2. Une approche multidisciplinaire du concept d’identité
Section 2 : L’importance de la construction identitaire à l’adolescence
1. L’adolescence : une étape significative dans la construction identitaire
2. La construction identitaire : un processus complexe et dynamique à l’adolescence
Section 3 : Les significations de la consommation à l’adolescence
1. Consommation, identité et adolescence
2. Les comportements déviants des adolescents en matière de consommation
Section 4 : La place de l’apparence physique dans la construction identitaire de l’adolescente
1. Le soi physique : un élément déterminant à l’adolescence
2. L’usage symbolique des vêtements comme supports d’identité de l’adolescente
3. L’usage symbolique du maquillage comme supports d’identité de l’adolescente
CHAPITRE 2 : L’ADOLESCENCE PASSE PAR UNE INTENSE ACTIVITE SOCIALE ET L’INTEGRATION DANS DES GROUPES
Section 1 : Les relations sociales à l’adolescence
1. Les différents groupes sociaux à l’adolescence
2. Les pairs : un groupe de référence essentiel à l’adolescence
Section 2 : Consommation et relations sociales à l’adolescence
1. L’importance des relations sociales dans l’apprentissage de la consommation
2. La contribution de la consommation aux relations sociales
CHAPITRE 3 : L’ADOLESCENCE EST UNE ETAPE DE LA VIE ENTRE DEUX PERIODES, L’ENFANCE ET L’AGE ADULTE
Section 1 : Pertinence du concept de rites de passage aujourd’hui ?
Section 2 : L’émergence du concept d’autonomie pour rendre compte de l’acquisition progressive d’un statut supérieur, application au marché du maquillage
Section 3 : L’autonomie : un concept pertinent pour aborder l’adolescence
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
PARTIE II
ELABORATION DES CONCEPTS ET DES OUTILS DE MESURES CENTRAUX DE LA RECHERCHE : AUTONOMIE DE L’ADOLESCENTE ET IDENTIFICATION DES
GROUPES DE PAIRS
INTRODUCTION DE LA DEUXIEME PARTIE
CHAPITRE 4 : MISE AU POINT D’UNE DEFINITION ET D’UN INSTRUMENT DE MESURE DE
L’AUTONOMIE DE L’ADOLESCENTE
Section 1 : Recherche conceptuelle sur l’autonomie de l’adolescente
1. L’autonomie de l’adolescente en marketing
2. L’autonomie dans les différentes sciences sociales
3. Bilan de la revue de la littérature : la nécessité d’éclaircir le concept d’autonomie
Section 2 : Une nécessaire approche exploratoire
1- Nos choix méthodologiques
2. L’analyse du discours : nos principaux résultats
Section 3 : Mise au point de l’outil de mesure de l’autonomie
1. Création d’une échelle de mesure destinée aux adolescentes
2. Construction des items
3. Procédure de collecte des données
4. Présentation de l’échelle
CHAPITRE 5 : IDENTIFICATION DES GROUPES DE PAIRS ET NATURE DE LA SITUATION LA PLUS PERTINENTE DE L’ADOLESCENTE AU SEIN DES GROUPES
Section 1 : Position du problème
Section 2 : Premier objectif : identification des sous-groupes de pairs
1. Sous-objectifs 1
2. Résultats
Section 3 : Second objectif : Repérer la nature de la situation la plus pertinente de l’adolescente au sein de son groupe de pairs
1. Sous-objectifs 1
2. Résultats
APPORTS DE LA DEUXIEME PARTIE
PARTIE III :
METHODOLOGIE ET CONTEXTE DE LA RECHERCHE
INTRODUCTION DE LA TROISIEME PARTIE
CHAPITRE 6 : POSITIONNEMENT EPISTEMOLOGIQUE DE LA RECHERCHE, CADRE THEORIQUE ET CORPS D’HYPOTHESES
Section 1 : Choix du paradigme positiviste de la recherche
1. L’adolescence et l’autonomie : deux phénomènes universels
2. Le groupe de pairs plutôt que la tribu
3. La consommation en tant que « possible conséquence sociale »
Section 2 : Elaboration du cadre conceptuel et du corps d’hypothèses
1. Pertinence des concepts d’autonomie et de sensibilité à l’influence interpersonnelle des pairs
2. Mise en œuvre de notre modèle appliqué empiriquement au maquillage
3. Présentation du modèle conceptuel à tester auprès des adolescentes
CHAPITRE 7 : CHOIX METHODOLOGIQUES ET MISE AU POINT DES INSTRUMENTS DE MESURE
Section 1 : Opérationnalisation des variables
1. Adaptation d’échelles existantes
2. Pré-test d’échelles existantes dans la littérature : l’estime de soi
3. Opérationnalisation des autres variables
Section 2 : Mise en œuvre de la phase terrain
1. Mise au point du questionnaire final
2. Procédure d’échantillonnage
APPORTS DE LA TROISIEME PARTIE
CONCLUSION GENERALE

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