L’adolescence, la consommation de psychotropes et la santé mentale

L’adolescence, la consommation de psychotropes et la santé mentale

Contexte théorique

Ce chapitre expose les aspects théoriques jugés essentiels à la compréhension de la problématique explorée dans le cadre de la présente étude. Cinq sections forment le contexte théorique. La première se consacre à la description des concepts d’adolescence en lien avec l’abus de psychotropes et avec la détresse psychologique. La seconde section permet d’associer la notion de consommation abusive de psychotropes avec certains concepts issus des théories de la personnalité, d’une part et de la neuropsychologie, d’autre part. Grâce à la troisième section, il est possible de comprendre pourquoi certains chercheurs considèrent l’abus de psychotropes comme un trouble neurodéveloppemental. La quatrième section décrit les données actuelles de la recherche en ce qui concerne les traitements de l’abus de psychotropes et des troubles cognitifs et émotionnels concomitants. Cette section met en lumière les troubles neuropsychologiques associés à l’abus de psychotropes ainsi que leur possible récupération. Enfin, la cinquième section définit les objectifs et les questions de recherche qui découlent de l’examen du contexte théorique tel que présenté dans la documentation scientifique et qui orienteront, à leur tour, les points d’analyse spécifiques de la présente étude.

L’adolescence 

L’adolescence constitue la période de transition qui permet à l’individu, au sortir de l’enfance, d’acquérir graduellement les habiletés nécessaires pour fonctionner de façon indépendante à l’âge adulte (Spear, 2000). Bien qu’il demeure difficile d’établir les limites temporelles d’un tel processus d’accession à la maturité, il est généralement admis que l’adolescence se situe entre 12 et 18 ans (Cloutier, 1996; Spear, 2000). La période développementale de l’adolescence coïncide avec la phase de maturation sexuelle que constitue la puberté (Spear, 2000). Celle-ci consiste dans un processus neuroendocrinien culminant dans la maturation des gonades et rendant possible la capacité de reproduction, caractéristique essentielle de l’âge adulte chez toutes les espèces vivantes (Sisk & Foster, 2004). Quant au concept d’adolescence, il peut référer soit à l’ensemble des changements qui marquent le passage de l’enfance à l’âge adulte, ce qui inclut les modifications physiologiques dues à la maturation sexuelle (Spear, 2000), soit plus spécifiquement au développement des comportements sociaux et cognitifs adultes (Sisk & Foster, 2004).

L’organisation mondiale de la santé (OMS, citée dans McCauley & Salter, 1995) offre une définition de Y adolescence intégrant trois domaines du développement, à savoir la progression vers la maturité sexuelle et gonadique, l’acquisition de mécanismes mentaux adultes et d’une identité d’adulte, de même que la transition vers une relative indépendance socio-économique. Dans tous les cas, les auteurs s’entendent pour caractériser l’adolescence comme une période chargée de changements comportementaux, cognitifs et émotionnels qui peuvent être mis en parallèle avec un remodelage important des structures et du fonctionnement cérébral (Blakemore & Choudhury, 2006; Yurgelun-Todd, 2007). La neuromaturation, commencée dès la période prénatale, se poursuit en effet jusqu’au début de l’âge adulte. L’adolescence représente une période de vulnérabilité à l’apparition de dysfonctionnements cognitifs, émotionnels et comportementaux.

Ainsi, c’est à l’adolescence qu’émergent fréquemment les problèmes de santé mentale répertoriés chez l’adulte, de même que débute la consommation de substances pouvant mener à un abus (Hawkins, 2009). Entre autres facteurs précipitants, les adolescents subissent nombre de stresseurs, tels que des changements physiques et psychologiques rapides, de fortes expériences émotionnelles, de même que des relations interpersonnelles plus nombreuses et plus intimes en dehors du cercle familial (Lee & Hoaken, 2007). En outre, ils se retrouvent graduellement confrontés à une variété de situations dans lesquelles ils doivent effectuer, de façon indépendante, des choix souvent lourds de conséquences. Or, leur inexpérience et l’immaturité de leurs processus cognitifs peuvent amener les adolescents à prendre des décisions non optimales qui favoriseront l’adoption de comportements risqués, tels que l’usage de substances psychotropes (Lee & Hoaken, 2007; Percy, 2008). Il faut toutefois souligner que la majorité des jeunes surmontent les difficultés de l’adolescence sans encourir de séquelles à long terme (Cloutier, 1996).

La consommation et l’usage abusif de psychotropes : Le terme de substance psychotrope désigne tout produit qui agit chimiquement sur le cerveau et conduit à une modification du fonctionnement psychique d’un individu. De telles substances peuvent entraîner des changements dans la perception, l’humeur, la conscience, le comportement et diverses autres fonctions physiologiques et psychologiques. Ces produits peuvent être licites, tels que les médicaments psychotropes (p. ex., anxiolytiques, psychostimulants) et l’alcool, ou illicites tels que les drogues dites récréatives ou de rue (p. ex., cannabis, amphétamines) (Centre québécois de lutte aux dépendances, 2006). En outre, l’âge légal de consommation de l’alcool étant de 18 ans au Québec, cette substance demeure illicite pour les adolescents (Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies, 2011). L’usage de psychotropes est considéré à risque ou abusif lorsque la consommation devient susceptible de provoquer une détérioration de l’état physique ou psychologique, ou encore d’entraîner des conséquences financières, judiciaires ou sociales négatives pour la personne consommatrice ou pour son environnement (Centre québécois de lutte aux dépendances, 2006). En ce sens, la consommation problématique de psychotropes peut être définie comme une psychopathologie.

L’abus de psychotropes et le neurodéveloppement Tous les individus ne profitent pas d’un parcours développemental identique en ce qui a trait à l’acquisition de l’autorégulation. Tel que mentionné dans une section précédente, il existe des différences individuelles quant à la propension à la prise de risque et à l’impulsivité. Selon les connaissances actuelles, de telles différences proviennent de l’influence combinée et réciproque de facteurs biologiques et environnementaux. Entre autres facteurs génétiques, des recherches ont souligné l’influence de variantes des gènes responsables de la production de dopamine dans les régions sous-corticales correspondant aux circuits de la récompense (O’Doherty, 2004). Par ailleurs, l’autorégulation est sujette à des influences externes telles que la qualité de l’attachement précoce et la nature de la supervision parentale pendant le développement (Colman, Hardy, Albert, Raffaelli, & Crockett, 2006; Gunnar & Cheatham, 2003; Schore, 2001a, 2001b; Siegel, 2001). En outre, les observations comportementales démontrent que les capacités executives d’autorégulation se manifestent dès la petite enfance (Dawson, et al., 1992; Tarter et al., 2003).

Or, des études ont démontré qu’une faible capacité d’autorégulation augmente la probabilité de s’engager dans des comportements à risque, tels que l’usage de psychotropes (Kirisci, Tarter, Vanyukov, Reynolds, & Habeych, 2004; Magar et al., 2008). Par exemple, Tarter et ses collaborateurs (2003) ont observé que de faibles scores d’une variable de désinhibition neurocomportementale révélant la présence, chez des garçons de 10 à 12 ans, de déficits dans la capacité d’autorégulation comportementale et émotionnelle pouvaient prédire la survenue d’un trouble de l’abus de substances psychotropes à la fin de l’adolescence. À la lumière de ce qui précède, il est possible de considérer que l’usage abusif de psychotropes à l’adolescence constitue une pathologie développementale. À cet égard, il apparaît pertinent de décrire les processus de la maturation cérébrale afin de mieux comprendre l’origine possible des facteurs de risque favorisant l’apparition des troubles psychopathologiques et neurocognitifs à l’adolescence. La section suivante se consacre à cette question.

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Table des matières

Sommaire
Liste des tableaux
Remerciements
Introduction
Contexte théorique
L’adolescence, la consommation de psychotropes et la santé mentale
L’adolescence
La consommation et l’usage abusif de psychotropes
L’adolescence et la psychopathologie
La consommation de psychotropes et la comorbidité psychopathologique
L’abus de psychotropes, la personnalité et la neurocognition
L’approche des traits de personnalité
L’approche neuropsychologique
Le processus neurocognitif de l’inhibition
Les fonctions exécutives
Les capacités exécutives d’autorégulation
L’abus de psychotropes et le neurodéveloppement
Les mécanismes de la neuromaturation
Le développement de la substance grise cérébrale
La maturation des aires cérébrales
Le développement de la substance blanche cérébrale
La vulnérabilité du cerveau adolescent
L’asynchronie maturationnelle
Des anomalies neurologiques
Les déficits neuropsychologiques associés à l’abus de psychotropes
Les traitements de l’abus de psychotropes
Les modèles thérapeutiques
Les changements neurocognitifs et émotionnels associés au traitement
Les questions de recherche
Méthode
Participants
Instruments de mesure
Questionnaire sociodémographique
Mesure de la consommation de psychotropes
Mesure de la détresse psychologique
Mesures du fonctionnement exécutif d’autorégulation
Questionnaire dysexécutif (DEX)
Figure complexe de Rey
Tour de Londres
Traitement
Déroulement
Résultats
Caractéristiques sociodémographiques
Résultats des participants aux différentes mesures
Première question de recherche
Deuxième question de recherche
Troisième question de recherche
Quatrième question de recherche
Cinquième question de recherche
Discussion
Objectifs et questions de recherche
Discussion des questions de recherche
Première question de recherche : la détresse psychologique et l’abus de psychotropes en début de traitement
Situation des résultats en regard des données issues de la recherche
Comparaison des résultats groupés selon la persistance et le genre
Abandon ou completion du traitement
Filles ou garçons
Hypothèses associant la détresse psychologique et l’abus de psychotropes
Deuxième question de recherche : l’évolution de la détresse psychologique au cours du traitement
Situation des résultats en regard des données issues de la recherche
Hypothèses relatives à la diminution de la détresse pychologique en cours de traitement
Troisième question de recherche : les capacités exécutives d’autorégulation et l’abus de psychotropes
Situation des résultats en regard des données issues de la recherche…
Tour de Londres et Figure complexe de Rey
Questionnaire Dysexécutif (DEX)
Liens entre les trois instruments d’évaluation neuropsychologique
Hypothèses concernant les associations et les divergences observées entre les variables exécutives à l’étude
La nature des habiletés spécifiques impliquées dans la tâche
Des niveaux hétérogènes de complexité d’une tâche à l’autre
Le choix des indices de performance
La portée écologique des tâches exécutives
Des performances équivalentes résultant de processus cognitifs dissemblables
Synthèse des déficits exécutifs d’autorégulation suggérés par les résultats actuels
Quatrième question de recherche : l’évolution des capacités exécutives d’autorégulation au cours du traitement de l’abus de psychotropes
Approche statistique
Approche clinique
Les variables temporelles
Les variables de planification et d’organisation stratégique
Les variables autorapportées d’autorégulation
Situation des résultats en regard des données de la recherche
Hypothèses explicatives des changements observés à l’issue du traitement
Cinquième question de recherche : la détresse psychologique, les dysfonctions exécutives et l’abus de psychotropes
La détresse psychologique, la psychopathologie externalisée et F autorégulation émotionnelle
La psychopathologie et les anomalies neurologiques associées
Forces, limites, implications et perspectives
Les forces de l’étude
Les limites de l’étude
Les implications cliniques de l’étude
Évaluer et traiter la psychopathologie internalisée comorbide à l’abus de psychotropes
Évaluer et traiter les déficits exécutifs d’autorégulation comorbides à la consommation abusive de psychotropes
Intervenir précocement auprès des jeunes présentant des dysfonctions exécutives d’autorégulation
Les perspectives de recherche
Conclusion
Références
Appendice A : Questionnaire sociodémographique
Appendice B : Formulaires de consentement

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