L’administration d’une périphérie : la Haute-Cornouaille dans le diocèse de Quimper

L’itinéraire emprunté par l’évêque de Quimper

A partir des procès-verbaux de visite pastorale de 1782, il est possible de reconstituer l’itinéraire précis emprunté par l’évêque au cours de cette année. Ce parcours a été initialement reconstitué pour la tournée de Haute-Cornouaille sous la forme d’un tableau par le chanoine Le Floc’h : nous avons complété son travail en ajoutant les deux autres tournées puis avons cartographié l’itinéraire épiscopal34. Comme l’a déjà remarqué J.-L. Le Floc’h, la paroisse de Laz et sa trève de Saint-Goazec ont été oubliées dans les procès-verbaux de cette année 1782. Nous les avons volontairement incluses dans la conférence Trégourez-Saint-Thois-Leuhan car elles relient ces trois paroisses ; elles ont pu tout aussi boen être convoquées avec Spézet à Châteauneuf, mais nous n’avons aucune certitude35. Le territoire couvert par la tournée haut-cornouaillaise est constitué de 58 paroisses et de 38 trèves. Sachant qu’il y existe 56 trèves (Saint-Rivoal non comprise) dans le carnet, comment se fait-il que dix d’entre elles (Saint-Goazec non comprise) ont été omises par les procès-verbaux ? A raison de 24 paroisses de Haute-Cornouaille visitées par an, comme en 1782, l’évêque faisait alors une visite effective de toutes les paroisses de cette région en un peu moins de deux ans et demi.
Tout d’abord, une chose frappe concernant l’itinéraire épiscopal de 1782 : peu importe la tournée effectuée, l’évêque s’arrête dans les paroisses périphériques, il longe les limites diocésaines, ce qui fait que le parcours prend la forme d’une boucle dans les deux premières tournées, de deux boucles dans la tournée occidentale. Il fait quand même une incursion dans l’intérieur pour s’arrêter dans des paroisses dans lesquelles devait être réalisée la visite des lieux. Dans chaque tournée, l’essentiel du clergé des paroisses centrales est convoqué dans celles du pourtour. Mais avec le système de rotation annuelle, la configuration de l’itinéraire change sans être complètement bouleversée : chaque année Mgr Conen de Saint-Luc doit faire en sorte de longer les confins de ses trois tournées en faisant ici et là quelques passages dans des paroisses de l’intérieur. Il y est obligé pour pouvoir faire une visite effective de toutes les paroisses au bout de quelques années. Sûrement est-ce pour cette raison que chaque tournée est modelée de la sorte. L’évêque leur a donné une forme longitudinale – tournée ouest et haut-cornouaillaise – ou grossièrement circulaire – tournée sud-est – pour que son itinéraire emprunte le plus souvent les paroisses du pourtour ; en effet avec cette configuration, ces dernières sont plus nombreuses que les paroisses du centre. L’évêque n’a donc pas à aller chaque année dans ces dernières en plus faible nombre, ainsi il dévie peu de sa trajectoire qui est essentiellement marginale (c’est-à-dire qui passe par les marges du territoire de la tournée). L’évêque de Quimper essaye donc de ne pas visiter trop de paroisses de l’intérieur chaque année, cela pourrait lui faire perdre du temps dans une visite qui semble réglée au jour près. Pour savoir à combien de ces paroisses centrales il doit rendre visite en une année, il divise le nombre total des paroisses de l’intérieur de chacune des tournées par le nombre d’années qui lui est nécessaire pour se rendre dans l’ensemble de celles-ci. Pour la Haute-Cornouaille, l’on voit clairement qu’il visite trois ou quatre paroisses du centre en 1782 : Plounévézel (1937), Trébrivan (20) et dans une moindre mesure Plussulien (23) et Bothoa (30). Il a donc à visiter une douzaine de paroisses intérieures en deux ans et demi. Cette répartition et cette gestion du temps lui évitent de prendre du retard en allant trop souvent dans l’intérieur à chaque tournée. Par ailleurs, l’on constate que, dans le cadre du système de rotation annuelle, beaucoup de paroisses du centre sont convoquées dans les paroisses de la périphérie. Sur l’ensemble du diocèse, nous dénombrons seulement deux blocs de paroisses liées entres elles qui n’ont pas d’ouverture sur les limites de leur tournée. Le premier d’entre eux comprend Plounévézel, Carhaix et sa trève de Tréffrin. Les deux paroisses de Maël-Carhaix et Trébrivan (trève du Moustoir incluse) constituent le second.
Autrement, il arrive à l’évêque de visiter une paroisse sans en convoquer d’autres : c’est le cas pour celles de Saint-Michel en Quimperlé (6), Le Faouët (9) – quoiqu’associée au prieuré de Pontbriand –, Langonnet (10), Saint-Caradec (26), Merléac (27) – quoiqu’avec sa trève du Quillio –, Plougastel (43) et Plomeur (52). A l’inverse, Pleyben (36) réunit par exemple des prêtres exerçant dans des paroisses ou trèves assez éloignées.
Le rythme de la visite, qu’il soit rapide ou lent, est un signe qui permet là encore d’approcher la structure mentale du visiteur38. Rien que le fait de rassembler plusieurs paroisses dans une seule pour éviter de les parcourir toutes montre le rythme soutenu voire pressé de la visite. Il témoigne surtout du pragmatisme de l’évêque qui utilise là un choix d’itinéraire, régi par le système de rotation annuelle, qui peut différer de ceux d’autres évêques de l’ancienne France39. La plupart du temps, l’évêque ne s’attarde guère dans chacune des paroisses-étapes40 : un jour ou deux tout au plus.
Cependant, il arrive aussi au visiteur, non pas de s’éterniser, mais de rester plus longuement en certains endroits. Cela s’explique par la présence de communautés religieuses qui sont soumis à la juridiction de l’évêque. Sachant que le 4 et 6 mai, l’évêque visite respectivement les paroisses de Lothéa et de Saint-Michel, aujourd’hui en Quimperlé, le 5 du même mois devait être consacré à la visite de l’abbaye de Sainte-Croix, et peut-être à l’hôpital de Quimperlé, ainsi qu’au couvent des Ursulines voire à celui des Dominicains dit de « l’Abbaye Blanche ». Trois jours séparent la convocation des prêtres à Tréogan et celle à Plounévézel, paroisse dans laquelle l’évêque a donné rendez-vous au clergé de Carhaix : ce laps de temps est en fait réservé à l’évêque pour se rendre dans les communautés religieuses carhaisiennes, masculines (augustins, carmes déchaussés) comme féminines (ursulines, hospitalières)41. La visite de la paroisse de Plouguernével dure près de quatre jours : l’évêque, en plus d’interroger les ecclésiastiques convoqués, visite les bâtiments du petit séminaire et sans doute y rencontrait-t-il ses jeunes occupants. Il doit aussi avoir de longues entrevues avec le supérieur, l’un de ses représentants sur place. Figuraient aussi dans son
programme l’abbaye cistercienne de Bon-Repos en Saint-Gelven43 (trève de Laniscat) et celle de Coatmalouen, également de l’ordre de Cîteaux, à Kerpert en Saint-Gilles Pligeaux44. Après la visite
de Plusquellec le 14 juin, les 15 et 16 de ce mois devaient être réservés, selon Jean-Louis Le Floc’h, aux conférences de l’évêque avec son vicaire général et recteur de Plusquellec Guillaume Floyd de Rosnéven. Dans la tournée de Cornouaille de l’Ouest, deux jours (les 29 et 30 juin) séparent l’inspection des paroisses de Loperhet (ou se présentaient les prêtres de la paroisse de Saint-Thomas de Landerneau) et de Plougastel : y devaient se dérouler la visite des communautés religieuses de la cité landernéenne (ursulines, capucins et récollets). Pas de doute pour les dates du 3 et 4 juillet : l’évêque s’arrêtait alors à l’abbaye de Daoulas. Même certitude pour la date du 7 juillet, affectée à l’entrevue avec les moines de Landévennec.
A priori, pour l’ensemble de ses visites annuelles (1775-1788), Mgr Conen de Saint-Luc devait respecter cet ordre précis de la visite de 1782 : d’abord la Cornouaille méridionale et la partie « morbihannaise » du diocèse (le Sud / Sud-Est ; tournée 1), la Haute-Cornouaille (Nord / Nord- Ouest ; tournée 2) puis la partie ouest du diocèse (Nord-Ouest / Sud-Ouest ; tournée 3), et cela de mai à juillet. Les faits le confirment globalement. Les comptes de chapelles du diocèse, examinés, datés et signés de la main de l’évêque chaque année, permettent d’ébaucher le parcours épiscopal pour d’autres années, en tenant compte du temps nécessaire pour effectuer chaque tournée diocésaine (tournée 1 : quinze jours ; tournée 2 : 1 mois ; tournée 3 : 1 mois). Pour l’année 1777 par exemple, l’évêque signe les comptes de Langolen le 26 mai, de Plouguernével le 17 juin, de Trégourez le 1er juillet, de Saint-Coulitz le 16 juillet, de Plogastel-Saint-Germain le 7 août et d’Ergué-Armel le 22 septembre. Que conclure de l’ordre de ces étapes ? D’abord, l’évêque inverse l’itinéraire de sa tournée de Haute-Cornouaille : le clergé de Langolen est convoqué un mois avant celui de Trégourez, situation inverse de l’année 1782 ; il est probable qu’il en fasse autant à l’intérieur des deux autres tournées 1 et 3 du diocèse. Ensuite, et c’est ici que cela se complique, il y a eu « rotation » des trois tournées diocésaines. En effet, si, comme en 1782, l’évêque parcourt la Haute-Cornouaille avant la Cornouaille occidentale, le laps de temps de quinze jours entre ces deux tournées suggère qu’il se charge alors de la tournée du sud-est. Autrement dit, quand l’ordre des tournées est 1-2-3 en 1782, il était de 2-1-3 en 1777. Troisième conclusion, et c’est assez déconcertant, la rencontre avec le clergé d’Ergué-Armel en 1777, paroisse n’appartenant à aucune des trois tournées, s’est faite le 22 septembre, soit plus d’un mois après la fin de la visite diocésaine . En fait, l’année 1777 semble être une année exceptionnelle : l’ordre des tournées des années 1778, 1779, 1780, 1781 ou encore 178659 est le même qu’en 1782 (1-2-3). L’évêque doit de temps à autre effectuer une rotation entre les trois tournées, histoire d’éviter une trop grande redondance de sa visite annuelle. Pour preuve, en 1788, l’évêque traverse d’abord la Haute-Cornouaille, puis la Cornouaille du sud, puis celle de l’Ouest (2-1-3)60, comme en 1777. De toute façon, peu importe l’itinéraire, chaque tournée s’achève toujours à Quimper. Mais dans l’ensemble, l’évêque suit globalement l’ordre des tournées et des paroisses de l’année 1782. Il lui arrive juste parfois de traverser la Haute-Cornouaille en inversant le parcours de 178261. Cependant, et c’est incompréhensible, comment se fait-il qu’en 1781, les prêtres de Plogastel-Saint-Germain sont consultés six jours après ceux de Saint-Coulitz, alors que les autres années, l’écart est d’environ un mois ?… La tournée de 1788 prête aussi à interrogation : quinze jours d’écart entre la fin de la tournée du sud (20 août) et le fin de la tournée ouest (5 septembre), alors qu’elle devrait être d’un mois. L’évêque s’octroyait-il de plus longues vacances à cause de son grand âge ? Ou déléguait il, à raison de sa fatigue, le reste de sa visite à un vicaire général ? Ce n’est pas impossible. Le début de la visite pastorale est également sujet à de fortes variations : la tournée peut commencer à la fin du mois d’avril (en 1782 par exemple) comme à la fin du moins de juin (exemple en 1788) et respectivement se terminer à la fin juillet et à la fin du mois de septembre.
Cet itinéraire serait-il en partie lié à la voirie du diocèse ? L’évêque aura certainement tendance à utiliser les axes principaux pour se déplacer. Certes l’état de ces « grandes routes » n’était pas forcément excellent mais il était meilleur que celui des chemins secondaires. La Haute- Cornouaille était en effet médiocrement pourvues en voies de communication. Mais le pasteur a quand même dû emprunter par moments ces petits chemins secondaires dans la mesure où, avec son système de rotation annuelle de visite, il passait par toutes les paroisses de son diocèse à échéance de trois ou quatre ans. La prise de notes en voiture, parfois maladroite voire illisible de l’évêque, à cause du cahot des roues dans les ornières, le montre. C’est un exemple des conditions de la visite épiscopale du diocèse, mais ce n’est pas le seul.

Les conditions de la visite

Le passage dans les paroisses-étape du diocèse est codifié. D’abord, un évêque est toujours accompagné de son administration, quoique celle de Mgr Conen de Saint-Luc semble limitée au secrétaire de l’évêché Dominique Boissière. L’évêque arrivait dans la paroisse tôt le matin et en grande pompe, au moins

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