Les pertes de substances dentaires ont pendant longtemps été restaurées au moyen de matériaux comme l‟amalgame qui ont comme avantage une bonne résistance mécanique aux contraintes occlusales. Cependant, leurs inconvénients majeurs sont la toxicité environnementale notamment avec les risques de pollution mercurielle mais également leur teinte disgracieuse (11). Ces deux inconvénients majeurs associés à la demande sans cesse croissante des patients pour des restaurations esthétiques ont contribué à de grandes avancées dans le domaine de la dentisterie adhésive. Pour répondre à cette exigence, les cliniciens et chercheurs ont travaillé en étroite collaboration pour obtenir des systèmes polyvalents dont les propriétés biomécaniques et surtout optiques permettent leur utilisation tant au niveau antérieur que postérieur (6,28). C‟est ainsi que sont apparus des matériaux comme les résines composites qui dans leur utilisation en techniques directe ou indirecte nécessitent l‟usage de systèmes adhésifs, de ciments ou de colles. Cependant, l‟inconvénient majeur des restaurations adhésives est leur durée de vie limitée en bouche (3 à 5 ans). En effet, la pérennité des restaurations dépend en grande partie de plusieurs paramètres tels que la nature du substrat (type de dentine, situation clinique de la perte de substance, etc.) (2,25). Toutefois, la valeur du collage aux tissus dentaires est influencée par plusieurs facteurs étroitement liés au praticien tels que les conditions de stockage, l‟indication clinique, la technique de mise en œuvre, l‟expérience du praticien, etc. (26,27). Au Sénégal, les travaux de Kouadio sur les causes d‟échecs des restaurations aux résines composites dans le département de Dakar ont rapporté que 56,2% de ces échecs sont liés au non-respect du protocole de stockage et de mise en œuvre (62).
L’ADHESION AUX TISSUX DENTAIRES CALCIFIES
Définitions
Adhésif : agent capable de développer seul ou associé à un agent de couplage un phénomène d‟adhésion sur un substrat déterminé.
Adhésion : ensemble des interactions qui contribuent à unir deux surfaces entre elles s‟opposant ainsi à leur séparation.
Adhérant : attraction entre les molécules de surface de deux corps en contact; elle ne peut exister que si la distance entre les deux surfaces est de l‟ordre de 0,7 à 0,8 nm.
Collage : procédure consistant à unir une substance à une autre par le biais d‟un adhésif.
Cohésion : attraction entre atomes des molécules d‟une même substance.
Principes
L‟adhésion est l‟attraction des molécules de surfaces, la résistance du collage dépend de l‟intensité des forces présentes sur chaque site de contact. A l‟échelle atomique, les solides présentent souvent des surfaces rugueuses, ce qui veut dire que celles-ci ne sont en contact les unes des autres qu‟en certains points. Leur contact est meilleur si une couche intermédiaire est interposée entre elles. Quelques théories ont étés avancées pour expliquer le phénomène de l‟adhésion.
– la théorie mécanique : L‟adhésion a longtemps été considérée comme étant un simple phénomène mécanique ; la solidité du joint résultant de la pénétration de l‟adhésif dans les aspérités de la surface solide entrainant ainsi un verrouillage micromécanique. En effet, les microreliefs créés après mordançage acide des tissus dentaires seront ensuite comblés par une résine de basse viscosité (bonding) capable par la suite de développer des liaisons avec la matrice organique du composite de restauration.
– la théorie de l’adsorption (chimique) : Elle englobe tous les types de liaisons chimiques entre l‟adhésif et l‟adhérant incluant les liaisons primaires (ioniques et covalentes) et secondaires (hydrogènes, interactions dipolaires, et forces de dispersion de London). Elle interprète la liaison par la formation de liaisons covalentes entre deux corps en présence. Cette composante chimique dont l‟effet à court terme est masqué par la ténacité de l‟ancrage micromécanique pourrait jouer un rôle non négligeable dans le potentiel d‟adhérence de certains adhésifs auto mordançants faiblement acides et dans la longévité des joints collés. En effet, malgré l’importance de l’adhésion mécanique, des interactions chimiques additionnelles peuvent contribuer également à la liaison lorsque l‟adhésif contient certains monomères fonctionnels capables de s‟unir notamment à l‟hydroxyapatite (88).
– la théorie de la diffusion selon laquelle l‟adhésion est le résultat du collage entre des molécules libres. Les polymères de chaque côté d‟une interface peuvent traverser et réagir avec les molécules de l‟autre côté. Eventuellement, l‟interface va disparaitre et les 2 parties devenir une.
– la théorie électrostatique : L‟adhésion serait due à l‟établissement d‟une couche électrique aux interfaces, les forces étant de nature électrostatique. Elle stipule qu‟une double couche électrique se forme à l‟interface entre un métal et un polymère, donnant une certaine contribution à la force d‟adhésion bien que cela ne soit pas clairement démontré. Une condition importante et nécessaire pour que chacune de ces phénomènes interfaciaux ait lieu est que les deux matériaux à coller doivent être suffisamment proches et être en contact intime. Ce critère est rempli par l‟intermédiaire de substances liquides ou fluides que sont les adhésifs ou les colles. Cependant, cette théorie est très controversée.
Parmi toutes ces théories, celles mécanique et chimique sont les plus acceptées dans le phénomène de l‟adhésion. Cependant, cette adhésion peut être influencée par plusieurs paramètres.
Facteurs influençant l’adhésion aux tissus dentaires
Différents facteurs ont une influence sur l‟adhésion aux tissus dentaires :
La composition et la structure de l’émail et de la dentine
La portion inorganique de l‟émail représente 95 à 98 % en poids (86 % en volume) constituée essentiellement d‟hydroxyapatite ; le reste étant constitué d‟eau (4% en poids) et de matériel inorganique (1 à 2 % en poids). La dentine contient plus d‟eau (12 % en poids), du matériel organique (18 % en poids) et 70% d‟hydroxyapatite. Elle est aussi traversée par des tubuli sur toute son épaisseur faisant d‟elle un tissu hautement perméable. Ces différences tant dans la composition que dans la structure de l‟émail et la dentine auront une répercussion sur l‟adhésion à ces tissus du point de vue du degré d‟humidité et du temps d‟application de l‟acide (69,91,94). En effet, au niveau de l‟émail, vu la faible teneur en eau, il est possible d‟obtenir une surface sèche ; ce qui est favorable à l‟adhésion avec les monomères qui sont essentiellement hydrophobes (17,42,43). Par contre, au niveau de la dentine, la présence d‟eau impose l‟utilisation de monomères hydrophiles ou amphiphiles (une partie hydrophile et une partie hydrophobe) pour permettre l‟infiltration des fibres collagènes.
Les changements dans la structure de la dentine
La dentine sous l‟effet de lésions carieuses ou non carieuses (abrasion ou érosion) présente une structure différente de celle de la dentine saine. On peut avoir de la dentine sclérotique (du fait de l‟âge, de l‟abrasion ou de l‟érosion) ou de la dentine tertiaire (en réponse à la carie ou à l‟attrition). Toutes ces modifications physiologiques ou pathologiques de la dentine la rendent moins réceptive pour l‟adhésion qu‟une dentine saine .
La boue dentinaire
Les préparations cavitaires à l‟aide d‟instruments rotatifs (fraises) conduisent à la formation d‟une couche de débris appelée boue dentinaire qui diminue la perméabilité dentinaire de 86 % (82,96,111). De plus, la granulométrie des fraises utilisées permet d‟obtenir une épaisseur de boue dentinaire comprise entre 1 et 3µm en moyenne .
La perméabilité de la dentine
Elle dépend de plusieurs facteurs tels que le diamètre et la longueur des tubuli, la viscosité du fluide dentinaire, la localisation de la dentine (occlusale, proximale, coronaire ou radiculaire). La surface d‟une préparation n‟est que rarement constituée de dentine primaire saine. Les parois d‟une même cavité peuvent être composées de différents types de tissus modifiés : dentines secondaire, tertiaire, sclérotique, carieuse, déminéralisée, reminéralisée ou hyper minéralisée. La spécificité de ces différents états est nécessairement conséquente sur les valeurs d‟adhésion et d‟étanchéité aux interfaces cavitaires (67,109,113). La variabilité de la perméabilité de la dentine rend le collage à la dentine plus délicat qu‟au niveau amélaire.
La Qualité et la durabilité de l’interphase adhésif/dentine
L‟interphase dentine-adhésif peut être imparfaite dans le cas où la zone de dentine déminéralisée n‟est que partiellement infiltrée par les monomères (5). Ce différentiel entre l‟épaisseur de tissu déminéralisé et l‟épaisseur de l‟infiltration est générateur de défauts à la base de la couche hybride, source de nanofuites (12). C‟est la raison pour laquelle il est conseillé de limiter le temps de mordançage de la dentine à 15 secondes pour les systèmes à mordançage et rinçage (MR). Même si la pénétration de l‟adhésif peut apparaître dans certains cas matériellement complet, la qualité de l‟hybridation n‟est pas nécessairement bonne. En effet, des études récentes ont montré que le réseau de collagène jouait le rôle de filtre sélectif conduisant à des séparations de phases de l‟adhésif (71,89,110). Les monomères à poids moléculaire élevé et à caractère hydrophobe ne pénètrent que superficiellement la matrice protéique. À l‟inverse, les monomères hydrophiles à bas poids moléculaire (type HEMA) constituent l‟essentiel de la zone d‟infiltration profonde. L‟imprégnation du collagène à ce niveau est faite par une résine de mauvaise qualité, peu polymérisée et susceptible de s‟hydrolyser dans le temps. Le collagène qui n‟est plus protégé par une gaine de résine peut à son tour être le siège de dégradations par l‟action protéolytique d‟enzymes d‟origine bactérienne, salivaire, voire endogènes .
La rétraction de polymérisation des résines composites
Tous les matériaux composites actuellement disponibles sur le marché présentent une rétraction de polymérisation ; ce qui a une conséquence défavorable sur la pérennité du joint adhésif-substrat.
MOYENS DE COLLAGE EN ODONTOLOGIE
Plusieurs moyens existent et peuvent être répartis en 2 groupes: les adhésifs amélo-dentinaires et les moyens d‟assemblage.
Les adhésifs amélo-dentinaires
Définition
Un adhésif amélo-dentinaire ou système adhésif amélo-dentinaire est un biomatériau d‟interface. Il contribue à former un lien idéalement adhérent et étanche entre les tissus dentaires calcifiés et des biomatériaux de restauration ou d‟assemblage (27).
Critères de performance
Un adhésif doit posséder un certain nombre de critères propres tels que la biocompatibilité, l‟adhésion et l‟étanchéité, la durabilité, la simplicité et la facilité d‟utilisation
Biocompatibilité
Un adhésif ne devrait pas induire de réaction néfaste ni pour son utilisateur, ni pour son destinataire. Idéalement, il ne doit pas être allergisant ni toxique. Il ne doit pas avoir de potentiel mutagène (27). Sur un plan plus local, un adhésif ne doit pas être cytotoxique pour la pulpe, il devrait promouvoir la cicatrisation dentino-pulpaire .
Adhésion et étanchéité
Un adhésif doit avant tout coller. Il doit assurer de manière immédiate un joint adhèrent suffisamment fort pour s‟opposer aux contraintes de polymérisation du composite qu‟on applique à sa surface. Par ailleurs, ce joint doit présenter une résistance précoce suffisante particulièrement lorsque la rétention est faible et que l‟essentiel de la tenue est assurée par le collage. Il est habituellement admis qu‟il doit être étanche à l‟échelle du micromètre qui est celle de la bactérie (27).
Durabilité
Les qualités d‟adhérence et d‟étanchéité doivent non seulement être immédiates mais durables pour éviter les colorations marginales, les caries récurrentes, les sensibilités, voire la perte de la restauration qui sont autant des phénomènes de dégradation limitant la longévité des restaurations. Au niveau de l‟émail, ce critère est bien établi par le mordançage avec des solutions d‟acide phosphorique. Quant à la dentine, plusieurs études mettent en évidence in vitro et in vivo, une détérioration de la zone profonde de la couche hybride .
Simplicité et fiabilité de mise en œuvre
Dans l‟emploi de tout adhésif, on devrait idéalement pouvoir espérer des résultats thérapeutiques fiables et reproductibles. Ce n‟est pas le cas actuellement car la technique adhésive est très sensible à la manipulation. De petits écarts dans la procédure de mise en œuvre sont susceptibles de compromettre la durabilité du collage .
Classifications
Plusieurs classifications ont été proposées. Cependant, deux sont actuellement les plus utilisées :
– celle en « générations »
– et celle selon le principe d‟action et le nombre de séances.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : Revue de la littérature
I. L’ADHESION AUX TISSUS DENTAIRES CALCIFIES
1.1 Définition
1.2 Principes
1.3 Facteurs influençant l’adhésion aux tissus dentaires
1.3.1 La Composition et la structure de l’émail et de la dentine
1.3.2 Les changements dans la structure de la dentine
1.3.3 La boue dentinaire
1.3.4 La perméabilité de la dentine
1.3.5 La Qualité et la durabilité de l’interphase adhésif/dentine
1.3.6 La rétraction de polymérisation des résines composites
II. LES MOYENS DE COLLAGE EN ODONTOLOGIE
2.1 Les adhésifs amélo-dentinaires
2.1.1 Définition
2.1.2 Critères de performance d’un adhésif
2.1.2.1 Biocompatibilité
2.1.2.2 Adhésion et étanchéité
2.1.2.3 Durabilité
2.1.2.4 Simplicité et fiabilité de mise en œuvre
2.1.3 Classification
2.1.3.1 Classification en « générations »
2.1.3.1.1 Première génération
2.1.3.1.2 Deuxième génération
2.1.3.1.3 Troisième génération
2.1.3.1.4 Quatrième génération
2.1.3.1.5 Cinquième génération
2.1.3.1.6 Sixième génération
2.1.3.1.7 Septième génération
2.1.3.2 Classification selon le principe d‟action et le nombre de séances
2.1.3.2.1 Les systèmes à mordançage et rinçage (MR)
2.1.3.2.1.1 Les systèmes MR3
2.1.3.2.1.2 Les systèmes MR2
2.1.3.2.2 Les systèmes auto-mordançants
2.2 Les moyens d’assemblage
2.2.1 Les ciments
2.2.2 Les matériaux hybrides
2.2.3 Les colles
2.2.3.1 Les colles sans potentiel adhésif propre
2.2.3.2 Les colles avec potentiel adhésif
2.2.3.2.1 La résine 4-META
2.2.3.2.2 La résine MDP
2.2.3.3 Les colles auto-adhésives
III INDICATIONS
DEUXIEME PARTIE : Enquête sur le niveau de connaissances et la manipulation des adhésifs et colles dentaires
I JUSTIFICATION ET OBJECTIFS
II MATERIEL ET METHODE
III RESULTATS
3.1 Caractéristiques socio-professionnelles
3.1.1 Sexe
3.1.2 Secteur d’activité
3.1.3 Année du diplôme
3.1.4 Spécialité
3.2 Connaissances sur les adhésifs et les colles
3.2.1 Formation continue
3.2.2 Familles d’ adhésives
3.2.3 Critères de choix des adhésifs
3.2.4 Différence entre ciment et colle
3.3 Manipulation des adhésifs et colles dentaires
3.3.1 Utilisation des composites
3.3.2 Type d’adhésif
3.3.3 Type de ciment ou de colle
3.3.4 Moyens de conservation
3.3.5 Durée d’application de l’agent de mordançage
3.3.5.1 Au niveau de l‟émail
3.3.5.2 Au niveau de la dentine
3.3.6 Respect des recommandations des fabricants
IV DISCUSSION
4.1 Données socio-professionnelles
4.1.1 Sexe
4.1.2 Secteur d’activité
4.1.3 Année du diplôme
4.1.4 Spécialité
4.2 Connaissances sur les adhésifs et colles dentaires
4.2.1 Formation continue
4.2.2 Familles adhésives
4.2.3 Critères de choix des adhésifs
4.2.4 Différence entre ciment et colle
4.3 Manipulation des adhésifs et colles dentaires
4.3.1 Utilisation des composites
4.3.2 Type d’adhésif, de ciment ou de colle utilisés
4.3.3 Moyens de conservation
4.3.4 Durée d’application de l’agent de mordançage
4.3.5 Respect des recommandations des fabricants
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE