L’adaptation
L’adaptation en génétique
L’adaptation d’une population d’organismes vivants a été définie comme une réponse à l’environnement (Fisher 1930). Ce processus améliore la performance du phénotype pour un environnement donné. En biologie évolutive, thématique dans laquelle s’inscrit cette thèse, des définitions plus précises et récentes sont proposées: « Lorsque l’on considère l’échelle populationnelle et les relations interspécifiques, l’adaptation comme processus est un succès reproductif différentiel entre variants obtenu par sélection naturelle. L’adaptation comme résultat est un état dérivé de caractère conférant un avantage testable dans un milieu donné » (Lecointre 2012); « L’adaptation peut-être définie de manière complète comme un caractère nouveau apparu chez un organisme et maintenu par la sélection naturelle » (Heams et al. 2009).
L’adaptation, ainsi définie comme héritable, relève principalement de la génétique. Les facteurs épigénétiques peuvent également être pris en considération mais ne sont pas développés dans cette thèse. La génétique a pour objet d’étude le génome, qui code l’information nécessaire au développement des êtres vivants. Des modifications au sein du génome peuvent donc faire varier le phénotype d’un individu. La transmission complète ou partielle du génome d’un individu à un autre permet la diffusion de ces nouveaux phénotypes dans la population. L’adaptation (utilisée ici et dans l’ensemble du manuscrit au sens génétique du terme) repose donc sur l’apparition de variations au sein du génome, créant différents génotypes. L’exemple emblématique d’adaptation génétique est celui de la phalène du bouleau, un papillon de nuit dont la coloration des ailes s’est assombrie avec l’augmentation de la pollution industrielle du XIXème siècle. La coloration sombre, dont le déterminisme génétique repose sur la présence d’un allèle dominant, permet en effet un meilleur camouflage du papillon sur un support sali par des dépôts de poussières industrielles (Kettlewell 1958). L’adaptation par le biais de la variation du génome a dans ce cas été rapide (en quelques années) et localisée (autour de certaines grandes villes industrielles de Grande-Bretagne). Dans le cas des bactéries, leurs temps de génération sont courts, et leurs génomes présentent généralement des taux de mutation élevés. Ainsi, l’adaptation à une nouvelle contrainte environnementale peut opérer en quelques jours voire quelques heures (Baym et al. 2016) .
Les forces évolutives
Au début du XXème siècle, l’existence de mécanismes à l’origine de la diversité génétique entre individu est connue (Muller 1927), et des théories expliquant l’évolution, comme le Darwinisme, ont été formulées. La combinaison des deux, nécessaire pour appréhender la génétique évolutive, sera faite au milieu du siècle, entre autres par J. Huxley, qui publie en 1942 le livre Evolution : the modern synthesis (Huxley 1942). Le néodarwinisme est né : la diversité héritable est créée au sein des populations, et la fréquence des différents variants est modifiée par la sélection naturelle. Cinq forces évolutives formalisent aujourd’hui les mécanismes de création et de variation en fréquence des allèles au sein d’une population .
La mutation
Le terme mutation est ici utilisé au sens large, et comprend donc la substitution d’un nucléotide par un autre ainsi que les insertions/délétions de nucléotides. Les génomes bactériens ont généralement un taux de substitution de l’ordre de 10⁻⁷ substitution par site et par an (Duchene et al. 2016) tandis qu’il est de l’ordre de 10⁻⁹ chez l’humain (Scally & Durbin 2012) et jusqu’à 10⁻³ pour certains virus à ARN (Jenkins et al. 2002). On considère que l’évolution par mutation est un processus graduel, qui modifie le phénotype au fil des générations. Cependant, dans certains cas, une seule ou quelques mutations peuvent être suffisantes pour, par exemple, dans le cas d’interactions hôte-pathogène, conférer un phénotype résistant à l’hôte ou au contraire la virulence au parasite (Dimijian 1999; Ebert 1998; Hurtle et al. 2003).
Sélection
La sélection naturelle est le processus selon lequel les allèles avantageux pour la survie et la reproduction d’une population dans un environnement donné augmentent en fréquence tandis que ceux qui sont désavantageux voient au contraire leur fréquence diminuer. En outre, la force de la sélection appliquée sur un allèle ou une combinaison d’allèles dépend de la variation de valeur sélective entre l’individu porteur et la moyenne de cette valeur sélective pour la population. L’action de cette force évolutive permet le déplacement du phénotype d’une population en direction d’un nouvel optimum, engendrant des niveaux de différenciation qui relèvent alors de l’adaptation, comme dans le cas de la phalène du bouleau présenté plus haut .
Migration
En génétique, la migration correspond à un déplacement de matériel génétique d’une population à une autre. Ce flux de gènes peut se présenter sous la forme d’un mouvement de gamètes (e.g. du pollen transporté par le vent), d’individus (e.g. une graine transportée par un oiseau) ou encore de fragments d’ADN (cas particulier traité en II). Chez les bactéries, la présence de migrations récurrentes entre deux populations a tendance à homogénéiser leurs fréquences alléliques jusqu’à ce que les deux populations deviennent indiscernables et n’en forment plus qu’une. La migration d’un nombre restreint d’individus vers une nouvelle niche écologique crée une population nouvelle qui ne présente qu’une fraction de la variabilité génétique de la population fondatrice.
Dérive génétique
Lors de la colonisation d’une nouvelle niche par un faible nombre d’individus, l’effet de fondation, c’est à dire la dérive génétique associée à la migration, sera très fort. Cet effet de fondation peut amener la fixation d’allèles rares dans la nouvelle population, et ainsi générer une population divergente. Cette force évolutive représente la variation de la fréquence des allèles dans une population suite à des phénomènes aboutissant à l’échantillonnage aléatoire d’individus, comme par exemple dans le cas d’un goulet d’étranglement. La spéciation par la seule action de la dérive génétique est difficile à démontrer dans la nature, mais son action, couplée à celle de la sélection naturelle, a un impact considérable sur l’évolution des espèces. En effet, la sélection n’opère que si plusieurs génotypes ont des valeurs sélectives différentes. Le caractère aléatoire de la dérive génétique permet en revanche l’exploration de la diversité de génotypes adaptés ayant des valeurs sélectives équivalentes. Le passage de manière transitoire par l’un d’eux peut permettre d’accéder par sélection à un génotype de valeur sélective plus forte. La perte aléatoire de certains allèles suite à des événements de dérive est d’autant plus rapide que la taille de la population est faible.
Recombinaison et régime de reproduction
Chez les eucaryotes, la recombinaison homologue lors de la méiose crée de nouvelles combinaisons alléliques. Si deux individus parents non clonaux ne sont pas homozygotes, leur descendance ne sera pas non plus homozygote. Elle présentera de plus une association d’allèles différente de celle du génome de ses parents. La fréquence d’apparition de nouvelles combinaisons dépend du régime de reproduction, qui influence la dynamique évolutive d’une population en déterminant comment les allèles s’échangent dans la population. Si les allèles peuvent s’échanger librement entre individus on parle de régime panmictique et s’ils ne s’échangent pas du tout on parle de régime clonal. Le régime de reproduction d’une population correspond à sa capacité à effectuer de la recombinaison au sens large (homologue et hétérologue ). Seul, il n’a un effet que sur l’association des allèles mais pas sur la fréquence de ceux-ci dans la population. Par contre, lorsqu’un gène est soumis à une sélection positive, la taille du segment d’ADN sur laquelle se porte la sélection varie en fonction du régime de reproduction. En effet, elle se limite au gène (et aux régions avoisinantes en déséquilibre de liaison) dans le cas d’un régime de reproduction panmictique, alors qu’elle concerne l’intégralité du génome comprenant le gène adaptatif dans le cas d’un régime clonal. La stricte clonalité apparaît ici être un frein à l’adaptation.
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Table des matières
INTRODUCTION
Contexte général
Revue bibliographique
I L’adaptation
I.1 L’adaptation en génétique
I.2 Les forces évolutives
I.3 Le cas des bactéries dites « monomorphes »
II Le transfert horizontal de gènes
II.1 Généralités
II.2 Distribution des gènes chez les individus
II.3 Facteurs contraignant les transferts horizontaux de gènes
II.4 Approches pour l’inférence de transferts de gènes
II.5 Réseau de similarité de gènes
II.6 Une diversité d’éléments génétiques mobiles
II.7 Le plasmide, véhicule pour les transferts horizontaux de gènes
III Substances antimicrobiennes en agriculture
III.1 Généralités
III.2 Les métaux lourds
III.3 Le cuivre
IV Une bactérie phytopathogène comme modèle d’étude : la bactérie monomorphe Xanthomonas citri pv. citri
IV.1 La plante-hôte : les agrumes
IV.2 Le chancre asiatique des agrumes : généralités
IV.3 Pouvoir pathogène
IV.4 Structure génétique
IV.5 Epidémiologie
IV.6 Méthodes de lutte
Objectifs généraux
CONCLUSION