Éléments de définition
En citant Cosnier, Catherine Kerbrat-Orecchioni, linguiste, rappelle que la notion d’interaction est apparue « d’abord dans le domaine des sciences de la vie et a été, à partir de la seconde moitié du 20ème siècle, adoptée par les sciences humaines pour qualifier les interactions communicatives » (Kerbrat-Orecchioni 2005 : 318). Elle établit que lors d’une interaction, on a toujours affaire à un système d’influences mutuelles, ou bien encore à une action conjointe. Elle écrit que : « Tout au long du déroulement d’un échange communicatif quelconque, les différents participants que l’on dira donc des “interactants”, exercent les uns sur les autres un réseau d’influences mutuelles. Parler, c’est échanger, et c’est changer en échangeant. » (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 17) Les sciences du langage vont dans ce sens en définissant l’interaction « comme étant un lieu ouvert de co-construction et de transformation permanente des identités et des microsystèmes sociaux » (Goffman cité par Cuq, 2003 : 134-135). Les traces verbales, vocales et kinésiques de ce processus sont décrits sur la base de transcriptions d’interactions réelles filmées, dans des lieux et institutions divers (centre de soins, entreprises, systèmes éducatifs, commerces…). Ainsi, tout chercheur qui analyse les échanges verbaux en s’appuyant sur une théorie linguistique interactionniste s’appuie sur l’idée que « tout discours est une construction collective » d’où la notion « d’inter-actions » ou encore d’actions entre (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 13). Par ailleurs, « Le terme interaction sociale désigne à la fois un processus et un produit : Il s’agit d’un processus d’ajustement réciproque et simultané entre des individus, accompli au moyen de mécanismes de régulation et de synchronisation, dont le produit est un enchaînement d’actions langagières (verbales et non verbales). » (Lauzon, 2014 : 14) Kerbrat-Orecchioni (1990) précise que « pour qu’il y ait interaction il faut que l’on observe certains phénomènes de rétroaction immédiate ». Autrement dit, cela exclut les échanges par courrier électronique. Puis, « pour déterminer le degré d’interactivité d’un discours quelconque, C. Kerbrat-Orecchioni [explique qu’il faut déterminer] la nature des participations mutuelles et – quand on a affaire à une véritable alternance des tours de parole – le rythme de cette alternance, (en relation avec la longueur des tours) ainsi que la répartition des prises de parole (plus ou moins équilibrée) ; et corrélativement, le degré “d’engagement” des participants dans l’interaction » (Kerbrat-Orecchioni cité par Kozlova, 2009 : 119). De surcroit, une interaction sociale peut-être « institutionnelle ou noninstitutionnelle, indépendamment du lieu où elle prend place ». Celles qui sont institutionnelles sont orientées « vers un but déterminé alors que les conversations ordinaires n’ont souvent d’autre but que d’établir ou de maintenir une relation sociale » (Lauzon, 2014 : 16). En classe, les interactions sont institutionnelles car elles sont orientées vers un but : l’apprentissage et le développement de connaissances et compétences par les élèves. Quant au CECRL ; il définit l’interaction orale de la façon suivante : « Dans l’interaction, au moins deux acteurs participent à un échange oral et alternent les moments de production et de réception, qui peuvent même se chevaucher dans les échanges oraux. Non seulement deux interlocuteurs sont en mesure de se parler mais ils peuvent simultanément s’écouter. Même lorsque les tours de parole sont strictement respectés, l’auditeur est généralement en train d’anticiper sur la suite du message et de préparer une réponse. Ainsi, apprendre à interagir suppose plus que d’apprendre à recevoir et à produire des énoncés. On accorde généralement une grande importance à l’interaction dans l’usage et l’apprentissage de la langue étant donné le rôle central qu’elle joue dans la communication » (p. 18). Ainsi, lors d’une interaction, les interactants construisent un discours commun. Participer à une interaction nécessite donc de mobiliser des compétences multiples dans l’organisation d’un discours. Ces compétences consistent à structurer son propre discours et l’articuler de façon appropriée à celui d’autrui. Dans la sous partie suivante, nous allons aborder très rapidement cette notion de discours afin de mieux comprendre ce que sous-tend une interaction.
L’interaction non verbale
C’est Birdwhistell (1971), anthropologue américain, qui a initialement travaillé sur la kinésique, c’est-à-dire le langage corporel. Il a formalisé 50 positions du corps, aussi appelées « kinèmes ». Il a beaucoup utilisé la vidéo pour observer l’interaction des participants à la communication : mouvements corporels, gestes, postures, mimiques correspondant aux gestes et actions qui accompagnent les activités langagières. Mais pour l’auteur, cité par Le Breton, « il est hors de question de figer la signification d’un geste indépendamment du contexte de l’échange ». En effet, le sens « se construit dans l’avancée même de l’interaction. » Par ailleurs, il considère qu’il n’y a pas de communication verbale à proprement parlé car « les mouvements de la parole et du corps s’enchevêtrent à la façon d’un système et ne peuvent être étudiés isolément » (Le Breton, 2012 : 88-89). Vidard (2014) explique dans sa thèse que la kinésique comprend :
– « La désignation, par exemple du doigt, de la main, d’un coup d’œil, par un hochement de tête. Ces gestes accompagnent des déictiques pour l’identification de choses, de personnes » (p. 108).
– « La démonstration, accompagnant les déictiques et des verbes simples au présent : Je prends ça et je le fixe ici, comme ça » (p. 108).
– « Des actions clairement observables de type commentaire, ordre, etc. : ne fais pas ça ! » (p. 108).
En accord avec l’idée qu’il n’y a pas de communication non verbale sans communication verbale, Scherer (1984) a montré qu’il existe plusieurs fonctions différentes des gestes. Pour lui, il y a des gestes dialogiques c’est-à-dire des gestes qui permettent de cadrer l’interaction ; par exemple un signal des interlocuteurs à chaque prise de parole. Puis, des gestes pragmatiques qui rendent possible l’expression des sentiments des interlocuteurs ainsi que des indications de compréhension ou d’attention. D’autres gestes sont syntaxiques ; c’est-à-dire qu’ils accompagnent la chaîne sonore. Enfin, il y a des gestes dit sémantiques qui illustrent, amplifient ou même modifient le contenu verbal. L’interaction non verbale comprend également la proxémique. Celle-ci a été définie par Hall (1981) en tant que « l’étude de la perception et de l’usage de l’espace par l’homme ». Elle comprend des variables comme « la distance interpersonnelle, l’orientation du corps et le contact corporel et visuel des interlocuteurs » (Tabensky, 1997 : 53).
Acquisition de la langue première
L’espèce humaine, en parlant, a « inventé » les langues, « systèmes stabilisés de signes partagés par des groupes sociaux, que l’on peut décrire dans leurs régularités à travers les usages ». Les linguistes considèrent que les langues se sont constituées il y a environ 60 000 ans. Actuellement, il y aurait entre 3 000 et 10 000 langues parlées sur Terre. Et pour nous, c’est le français (Brigaudiot, 2015). Mireille Brigaudiot écrit que nous avons une « chronologie des activités langagières de l’humanité qui correspond strictement à l’ordre dans lequel progressent les enfants » (p. 11) :
– La communication
– Le langage oral
– Le dessin
– L’écriture
– La lecture des écrits fictionnels et fictifs
C’est dans cet ordre que nos enfants découvrent notre culture. Et quand on dit que : « Le bébé d’homme est “programmé” pour apprendre à parler, cela veut peut-être dire qu’il a en lui l’héritage de centaines de milliers d’années de son espèce. A partir de cet équipement, s’il a des adultes qui l’aiment et qui lui parlent une langue, il se met à communiquer, et il réinvente sa ou ses langues maternelles : On dit qu’il apprend à parler. » (Brigaudiot, 2015 : 11) C’est l’école qui permettra à l’enfant de progresser davantage à l’oral et de faire toutes les autres conquêtes symboliques, notamment celle de l’écrit (Brigaudiot, 2015 : 12). Acquérir les usages scolaires du langage sera un enjeu crucial pour les aider à structurer leur pensée et découvrir leur pouvoir d’agir sur le monde grâce aux mots. Cette langue maternelle ou première a un rôle fondamental dans la construction de l’identité car elle est indissociable de la pensée. En effet, comme l’affirme Henri Delacroix, « la pensée fait le langage en se faisant par le langage » (1924 : 345). Bruner rejette l’idée que « le langage humain soit une capacité innée ». Selon lui, le langage est « un outil forgé par l’espèce humaine pour prolonger, amplifier ses capacités cognitives » (Gaonac’h, 1991 : 188) et est totalement lié à l’action humaine :
1. « Le langage s’ajuste à l’organisation du traitement de l’information par l’attention »
2. « Le langage s’ajuste à la structure de l’action conjointe enfant-adulte »
Ainsi, « le décodage du langage par le jeune enfant ne peut se faire qu’au travers de ses utilisations dans l’action » (Gaonac’h, 1991 : 189). Dès lors, on peut admettre que : « Les acquisitions linguistiques ne sont en quelque sorte qu’une extension d’acquisitions plus précoces concernant l’action et l’attention : ces acquisitions ont pour caractéristiques d’être établies en interaction avec des personnes qui parlent la langue à apprendre ; c’est cette conjonction qui permet l’émergence des acquisitions linguistiques. » (Gaonac’h, 1991 : 190) Gaonac’h écrit que « l’acquisition du langage ne consiste donc pas à apprendre à parler. Il s’agit d’abord pour l’enfant d’apprendre les usages qu’il peut faire du langage dans son commerce quotidien avec le monde ». Il rappelle que Bruner considère le jeu comme étant le moyen privilégié par lequel l’enfant fait du langage et de ses règles l’objet de son attention. C’est une situation où l’enfant est protégé contre les conséquences éventuelles de l’action ; il peut alors se focaliser sur l’acte même de la communication (Gaonac’h, 1991 : 190). De même, les progrès des enfants dans l’acquisition de leur langue première semblent intimement liés à l’attitude de l’adulte et sa capacité à interpréter leurs intentions. Gaonac’h explique que Bruner pose une notion centrale en ce qui concerne les processus d’acquisitions linguistiques. L’adulte « assure la gestion de l’attention conjointe : Il contrôle les exigences du milieu et peut les ajuster aux capacités de traitement de l’enfant » (Gaonac’h, 1991 : 190). Ainsi, par la répétition, la segmentation, la catégorisation, le commentaire… l’adulte amplifie les occasions que peut avoir l’enfant pour acquérir les structures de l’action et le structures du langage. Autrement dit, l’acquisition de la langue première se produit : « par tâtonnements, par une succession d’essais, d’échecs, de corrections et de répétitions. Une structure langagière ne sera acquise que si elle suit cette procédure. Toutefois, il faut remarquer qu’une structure n’est jamais définitivement acquise, même lorsqu’elle est répétée, si elle n’est pas affermie dans une pratique quotidienne ou au moins correspondant à des habitudes quasi quotidiennes. » (Jamet, 2000 : 22) Par ailleurs, l’idée selon laquelle le jeune enfant s’affranchirait du langage corporel lorsqu’il atteint l’âge de 2 ans pour parvenir à la maîtrise de la communication verbale s’avère totalement fausse (Colletta, et al., 2010 : 5-8). En effet, « non seulement la gestualité ne disparaît pas de la communication avec l’âge, non seulement elle évolue tout au long du développement langagier, mais en outre, elle joue un rôle de premier plan dans l’émergence des acquisitions linguistiques tout comme dans les acquisitions ultérieures » (Colletta, et al., 2010 : 5-8). Chez l’enfant plus âgé, entre 6 et 11 ans, « on assiste à une remarquable évolution de la capacité à raconter, or cette évolution affecte aussi bien les aspects non verbaux que les aspects verbaux du récit ». De même, Colletta explique que dans le domaine de l’apprentissage des mathématiques et des sciences, l’explication d’un phénomène s’accompagne souvent de gestes référentiels. Or, il arrive « que le geste de l’enfant ne corresponde pas à son explication verbale ». Cette non-concordance entre la parole et le geste « disparaît une fois l’acquisition réalisée et signalerait une phase transitoire entre deux états de connaissance, où l’enfant parviendrait à exprimer par le geste la connaissance nouvelle avant qu’il ne soit en mesure de la verbaliser » (Colletta, 2005 : 32). Autrement dit : « Tout se passe comme si le corps anticipait sur le verbe, comme si le corps devait emprunter les voies du corps avant de se fixer dans les mots. » (Colletta, 2005 : 32) Nous avons donc là des éléments plaidant en faveur de « la thèse de la cognition incorporée qui postule l’origine perceptivo-motrice de nos représentations mentales, et l’ancrage de nos concepts dans l’expérience corporelle » (Colletta, et al., 2010 : 5-8). Nous y reviendrons un peu plus loin avec plus de détails. Pour résumer, nous avons souhaité apporter quelques éléments théoriques quant à l’acquisition de la langue première avant d’aborder l’apprentissage d’une langue seconde. En effet, savoir comment les enfants acquièrent leur langue maternelle et interagissent dans celle-ci peut donner des pistes précieuses quant à l’enseignement-apprentissage d’une autre langue même si aujourd’hui nous savons que : « nous n’apprenons pas une seconde langue avec les mêmes stratégies que nos langues premières et il existe de très grandes variations de stratégies en fonction de l’âge de l’apprentissage. » (Aden et Eschenauer, 2014 : 1) Néanmoins, « toutes les langues ont un fond commun sur lequel nous pouvons appuyer notre pédagogie » (Aden et Eschenauer, 2014 : 1). En effet, « Elles émergent à partir d’un langage plurisensoriel dont la fonction est de créer le lien social. De nombreux travaux en sciences cognitives, psychologie du développement et neurosciences montrent que toute langue seconde ou étrangère se construit en référence à ces premières langues qui sont intimement liées à nos rythmes vitaux, à nos sens et nos affects, donc à notre identité propre. » (Aden et Eschenauer, 2014 : 1) Ainsi, il est clair qu’on ne peut ignorer la langue première des apprenants5 lors de l’apprentissage d’une langue seconde surtout si ceux-ci sont en début d’apprentissage (niveau A1-A2). On peut alors s’interroger sur la place de la L1 dans le cours de langues.
Le théâtre en classe de langues
La pratique théâtrale en classe de langues est loin d’être une idée nouvelle. Cependant, il semble qu’elle peine à trouver sa place dans les classes de l’école primaire. Si nous nous intéressons aux programmes du 26 novembre 2015 de l’école élémentaire, en cycle 2 le théâtre est un outil utilisé dans l’enseignement du français pour aider les élèves à la mémorisation oral de textes ainsi qu’à la compréhension de l’écrit. Il est aussi utilisé en enseignement moral et civique comme outil de communication pour faire part de ses sentiments par exemple. Lors du cycle 3, le théâtre occupe une place dans l’enseignement de l’histoire des arts en plus de celui du français et de l’enseignement moral et civique. Pour ce qui est de l’enseignement des langues étrangères, l’utilisation du théâtre comme moyen pédagogique n’est pas mentionné dans les programmes de 2018. Pourtant, celui-ci engage « l’ensemble des mécanismes de l’interaction humaine : kinesthésiques, émotionnels, verbaux » (Aden et Eschenauer, 2014 : 1). En effet, le théâtre, en s’appuyant sur l’association du corps et des émotions, place les enfants dans une situation de communication qui n’est pas artificielle, comme peuvent l’être les situations de certains cours de langue traditionnels. Comme le précise Prisca Schmidt, le théâtre est « un art de l’action, de la parole, du faire et du dire dans une situation imaginaire ». A priori nous pouvons donc dire qu’il existe un lien de parenté très fort entre le jeu théâtral et l’apprentissage d’une langue étrangère (Schmidt, 2006 : 95). Il semble donc paradoxal que le théâtre ne soit pas plus au cœur de l’apprentissage dans les programmes de langues, en France. Par ailleurs, c’est souvent la production langagière des élèves qui focalise l’attention des professeurs de langues lors de la mise en place d’activités théâtrales. Certes ; celle-ci est importante mais selon Jacques Lecoq, metteur en scène et comédien, « l’acteur, avant d’être un interprète, est un corps sensible » (Ryngaert et al., 1999 : 21). En effet, le corps s’approprie d’abord le monde qui l’entoure par des sensations. Le même principe devrait donc s’appliquer lors de l’apprentissage d’une langue étrangère. En pratique, Jacques Lecoq explique qu’il commence ses séances de théâtre « par le silence car la parole oublie, le plus souvent, les racines dont elle est issue, et il est souhaitable que les élèves se remettent, dès le départ, en situation de naïveté première, d’innocence et de curiosité » (Lecoq, 1997 : 57). Il précise que le silence avant les mots est indispensable pour établir une situation d’interaction authentique. En effet, « recorporaliser la langue », selon les termes de Cormanski, c’est « partir en terrain de re-connaissance, c’est réinvestir le champ perdu du signe, pourtant tellement empreint de signifiance, que le corps orchestre dans la construction du discours par le jeu des interactions. » (Cormanski, 2015 : 319) C’est également oser entrer en relation avec l’autre : « dans la construction de l’interaction avec cet autre co-apprenant impliqué dans un processus d’apprentissage partagé, c’est affronter la question de la gestion des craintes et des angoisses dans l’inter compréhension pour pouvoir énoncer. » (Cormanski, 2015 : 319) Autrement dit, lorsque les élèves vivent de situations qui mettent en jeu l’imaginaire et l’affect, « l’intention de parole préexiste au verbe ». Les élèves doivent alors « chercher, demander, imaginer, transformer les bribes de langues apprises pour nles mobiliser dans les situations qu’ils sont en train de vivre ». En liant « l’action à un vécu, pas seulement psychomoteur, mais un vécu affectif dans des situations qui enrichissent l’imaginaire de l’enfant, les activités théâtrales permettent de rétablir le besoin de parole nécessaire à l’appropriation (Aden, 2004 : 25). N’oublions pas que les élèves ne pourront pas faire l’expérience de l’imprégnation langagière, en dehors de la salle de classe et qu’ils ont peu, voire presque pas d’acquis dans la langue qu’ils apprennent. C’est précisément « à cause de ce manque de moyens dans la langue que le langage corporel prend tout son sens » dans les activités de théâtre (Aden, 2004 : 27). Pour résumer, le théâtre de Jacques Lecoq est une puissante source d’inspiration pour comprendre la nécessité d’incorporer la langue avant de la parler et pour revenir aux sources du langage poétique : « Il s’agit d’une dimension abstraite, faite d’espaces, de lumières, de couleurs, de matières, de sons, qui se retrouvent en chacun de nous. Ces éléments sont disposés en nous, à partir de nos diverses expériences, de nos sensations, de tout ce que nous avons regardé, écouté, touché, goûté. Tout cela reste dans notre corps et constitue le fonds commun à partir duquel vont surgir des élans, des désirs de création. » (Lecoq, 1997 : 57) Enfin le théâtre développe de nombreuses compétences transversales comme le sens de la précision du geste, le goût de l’effort et le respect d’autrui (Aden, 2004 : 33). Puis, grâce aux interactions que les élèves vont jouer, ils vont être amenés à « mobiliser de façon efficiente et créative toutes les ressources langagières du Vivant, disponibles aux individus dans une situation donnée » (Aden, 2013b : 105) c’est-àdire, explorer des stratégies verbales et surtout les stratégies non-verbales et dont l’objectif serait non pas d’apprendre des : « éléments linguistiques par le geste ou le mouvement, mais bien de redécouvrir et de revivre des expériences déjà explorées […] au travers d’univers émotionnels déjà expérimentés […] dans un nouveau contexte culturel, linguistique et sonore. » (Aden, 2013b : 108) Le théâtre n’est donc pas un prétexte pour apprendre des structures langagières mais à l’inverse un premier point de départ, un objectif, qui rend la langue indispensable. En effet, pour comprendre et jouer des histoires, les enfants seront obligés de passer par des éléments langagiers. Ainsi la langue utilisée sera systématiquement « contextualisée dans des situations d’énonciation où l’authenticité, c’est précisément le « faire semblant » (Aden, 2004 : 15). Par ailleurs, certains auteurs expriment que grâce au théâtre, certains élèves se laissent porter par le rôle qu’ils incarnent, loin de cette réalité qui les angoisse et parfois les oppresse (Boal, 2004). Ainsi ce nouveau monde imaginaire dans lequel ils évoluent grâce à la créativité les protège des situations de stress vécues dans la « vraie vie ». Les peurs ou tensions disparaissent, et sous couvert d’un simple masque, fictif ou réel, ils peuvent au cours de la période de jeu changer, renverser les situations quotidiennes qu’ils ne maîtrisent pas ou dans lesquelles ils ne se sentent pas à l’aise (Ryngaert, 1996). Ainsi Ryngaert affirme avoir vu une élève effacée s’exprimer de plus en plus. L’objectif étant qu’à plus ou moins long terme, les élèves se servent des compétences gagnées lors des activités théâtrales pour enlever petit à petit ce masque afin de se mettre à nu. Pour résumer cette deuxième partie, le plaisir de s’exprimer dans une langue seconde a lieu quand il y a « acceptation de soi, de sa voix dans cette langue, dégagées des résistances produites par le regard et l’écoute des autres ». En effet, la peur de s’exprimer dans une autre langue n’est pas toujours liée à « des carences de compétences linguistiques. Elle dépend de la possibilité donnée ou non, que s’ouvre un espace sonore ». Or, le théâtre permet justement de poser « les conditions de libération de la parole et débloque cette réaction de peur en tant qu’il ouvre un nouvel espace » (Pierra, 2001 : 29). Nous finirons par une citation de Prisca Schmidt illustrant à la perfection les avantages du théâtre en classe de langues : « L’avantage du théâtre est qu’il se présente comme fiction et qu’il permet ce saut sur une scène imaginaire, dans une autre langue, un autre pays, une autre culture, le référent imaginaire. Il y a bien mimésis puisque l’élève imite des êtres et leurs actions grâce au masque de la langue étrangère et grâce au référent imaginaire : la contrée lointaine, irréelle. La distance est double et le faire semblant est authentifié par l’art dramatique. » (Schmidt, 2006 : 99) En permettant ce saut sur une scène imaginaire, le théâtre ouvre une véritable voie vers la créativité. Il permet aux élèves d’expérimenter des choses différentes, de conforter leur identité grâce aux interactions créées entre les autres participants. Dans la prochaine partie, nous allons tenter de donner une définition de la créativité et montrer en quoi la créativité a une place fondamentale dans l’enseignement / apprentissage des langues étrangères. Le désir de création peut naître grâce à de nombreuses pratiques artistiques ; ici, nous nous intéressons exclusivement à la créativité, propre à l’activité théâtrale.
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Table des matières
Introduction
Partie 1 Cadre théorique
1.1. La notion d’interaction
1.1.1. Éléments de définition
1.1.2. La notion de discours dans l’interaction
1.1.3. Les différents types d’interactions : non verbales, para-verbales, verbales
1.1.3.1. L’interaction non verbale
1.1.3.2. L’interaction para-verbale
1.1.3.3. L’interaction verbale
1.1.4. Interactions entre langue première et langue seconde
1.1.4.1. Acquisition de la langue première
1.1.4.2. Langue première et langue seconde ; en interaction dans la classe de langues ?
1.2. Transformer la classe de langue : Un lieu d’interactions complexe
1.2.1. Les spécificités de la classe de langues
1.2.2. Le rôle du corps et des émotions dans l’interaction
1.2.2.1. L’émergence du sens
1.2.3. Le théâtre en classe de langues
1.3. La créativité
1.3.1. Les enjeux de la créativité à l’école
1.3.2. La créativité : Une notion à définif
1.3.3. Créer par le théâtre en classe de langues
1.3.3.1. Les mécanismes mis en jeu lors de la réalisation d’une tâche créative
Partie 2 Problématique et formulations d’hypothèses
2.1. La problématique
2.2. Nos hypothèses
2.2.1. Hypothèse 1
2.2.2. Hypothèse 2
2.2.3. Hypothèse 3
2.3. Les objectifs de cette recherche
2.4. Nos moyens pour y parvenir : Le drama, une approche britannique de l’apprentissage des langues
Partie 3 Méthodologie de recueil et de traitement de données
3.1. Participants
3.1.1. La classe de CM2
3.1.2. La classe de CE1
3.2. Protocole expérimental
3.2.1. Contexte
3.2.2. Description et justification de nos trois séances
3.2.2.1. Description de la première séance
3.2.2.2. Description de la deuxième séance
3.2.2.3. Description de la troisième séance
3.2.2.4. Description de la quatrième séance
3.2.3. Condition de la recherche : Le recueil et le traitement des données
3.3. Résultats
3.3. 1. Pour confirmer ou infirmer notre hypothèse 1 :
3.3. 1.1. Observations récoltées lors des phases d’échauffement (en séance1 et en séance 4)
3.3. 1.2. Analyse de l’engagement global des élèves observés lors des phases de création
3.3. 1.2.1. Classe de CM2
3.3. 1.2.2. Classe de CE1
3.3. 1.3. Analyse de l’engagement des élèves réservés par domaines : Jeu et apprentissage
3.3. 1.3.1. Classe de CM2
3.3. 1.3.2. Classe de CE1
3.3. 1.4. La validation ou non de l’hypothèse 1
3.3. 2. Pour confirmer ou infirmer notre hypothèse 2 :
3.3. 2.1. Analyse des interventions des élèves dans l’élaboration d’un projet créatif commun
3.3. 2.1.1. Classe de CM2
3.3. 2.1.2. Classe de CE1
3.3. 2.2. La validation de l’hypothèse 2
3.3. 3. Pour confirmer ou infirmer notre hypothèse 3
3.3. 3.1. Analyse des questionnaires
3.3. 3.1.1. Traitement des questionnaires après chaque séance
3.3. 3.1.1.1. Classes de CM2
3.3. 3.1.2. Classe de CE1
3.3. 3.2. Analyse des questionnaires donnés à la fin du projet
3.3. 3.2.1. Résultats obtenus dans la classe de CM2
3.3. 3.2.2. Résultats obtenus dans la classe de CE1
3.3. 3.2.3. Comparaison des résultats entre la classe de CM2 et la classe de CE1
Partie 4 Discussion
4.1. Recherches antérieures et hypothèses : confirmées ou infirmées ?
4.2. Limites et perspectives
Conclusion
Bibliographie
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