La rétrospective d’un vécu au sein d’un service de formation professionnelle pour adultes laisse paraître des évolutions relatives à la professionnalisation. Ayant investi un dispositif actuel de professionnalisation nous constatons la présence permanente d’un formateur aux missions particulières, dénommé fil rouge.
Histoire professionnelle
Après avoir exercé plusieurs métiers, dans différentes filières, en divers lieux géographiques, une occasion fit qu’en 1983 nous fûmes mutés dans le service de la formation professionnelle d’un groupe industriel du domaine de l’énergie. Le milieu de la formation professionnelle pour adultes restera notre cadre de travail jusqu’à la date de notre départ de l’entreprise. Au moment de notre mutation au sein du service de la formation, notre profil était celui d’un expert technique issu du process industriel. La mission de formateur devait être un passage dans une carrière. Toutefois, au prix de choix personnels nous avons réussi à nous maintenir dans ce qui fut bien plus qu’une parenthèse.
Au cours des années, nous avons vécu diverses périodes que nous résumerons. Il y eut d’abord une période de qualification où pour exercer il fallait avoir participé à des stages professionnels qui étaient répertoriés selon trois domaines : les stages liés aux savoirs, les stages liés aux techniques de savoir-faire, enfin les stages relevant du savoir-être. Puis suivit une période compétences, avec ses référentiels compétences, ses descriptions de postes, ses évaluations hiérarchiques. Coté formation professionnelle, seule une évaluation finale en fin de session portant sur des capacités semblait modifier la logique des stages du moment par rapport à la logique des stages de la période précédente. Ensuite il y eut une période de management plus collective. Notre évaluation annuelle dépendait, alors, pour partie de l’appréciation managériale à laquelle s’ajoutait désormais l’appréciation informelle, mais importante, de nos collègues. Si auparavant chaque agent du service suivait le même plan de formation, désormais seuls quelques individus choisis pouvaient prétendre à un stage. L’on comptait ensuite sur les échanges internes au service pour démultiplier les savoirs. Enfin vint l’ère de la professionnalisation avec ses dispositifs de professionnalisation. L’autorisation d’exercer était désormais liée à une habilitation ; somme d’une évaluation de capacités réalisée à l’issue de sessions de formation, et d’une évaluation d’attitudes effectuée en situation de travail.
Coté spécificités du métier, nous avons souvent œuvré dans l’ingénierie de formation. Les démarches d’ingénierie que nous utilisions étaient définies et encadrées par des procédures. Chaque période traversée semblait marquée par une évolution dans la rédaction des procédures. Paradoxalement les démarches d’ingénierie n’ont guère évolué. De même, une approche par objectifs rédigés selon la taxonomie de Bloom a perduré au cours de ces décennies. Au regard de ce vécu, malgré une relative stabilité dans les approches pédagogiques utilisées pour la formation professionnelle des adultes, nous avons constaté différentes époques qui sont chronologiquement ; celle de la qualification, celle de la compétence individuelle, celle de la compétence collective, celle de la professionnalisation. Aussi, entre ces termes, ces idées, quel glissement s’est véritablement opéré ? Ces périodes ont-elles véritablement une chronologie ou bien leurs successions résultent-elles d’une vision provoquée par un glissement de nos centres d’intérêts ? Aujourd’hui, de nombreux écrits confèrent à la formation une mission de professionnalisation. Mais que veut bien dire le terme professionnalisation utilisé à « tour de bras » pour ce qui ressemble être la formation d’autrefois. Les acteurs sont pratiquement les mêmes, les ingénieries également. Qu’est-ce qui a bien pu changer ? Le terme professionnalisation est-il une incantation ou décrit-il une réalité ?
Un second type d’évolution, lié aux politiques de l’entreprise, a accompagné cette carrière professionnelle. Notre premier poste à la formation était dans un domaine relatif à la maintenance des installations. A l’époque deux écoles de métiers nationales, se partageaient la réalisation de la majorité des stages dits de maintenance. La plupart des formations se déroulaient autour de laboratoires ou autour de maquettes pédagogiques. Deux autres centres de formation nationaux dispensaient les stages, plus théoriques dédiés à la conduite du process. Puis des orientations politiques basées sur un recentrement des activités vers le cœur de métier et sur une transition du faire au faire-faire ont conduit à la fermeture des écoles de maintenance. Seuls subsistèrent les deux centres nationaux de formation à la conduite qui furent, peu de temps après, éclatés sur chacun des 19 sites géographiques de production, nommés : Centre Nucléaire de Production d’Electricité (CNPE). Chaque équipe de formateurs fut dotée d’un simulateur de conduite du process, copie conforme des installations, et dépendait structurellement d’une direction nationale de la formation tandis que des services de formation locaux, qui auparavant dépendaient directement des sites de production, disparaissaient. Aujourd’hui, un projet consiste pour chaque site de production, à reprendre le contrôle de l’équipe de formation nationale délocalisée et à la rendre dépendante du management hiérarchique de l’unité de production (CNPE). Les équipes de formateurs se voient renforcées par des experts d’autres domaines (maintenance, qualité, sécurité…) que ceux de la conduite du process et des maquettes de toutes sortes viennent désormais équiper les nouvelles structures de formation locales afin de favoriser les formations pratiques. Toutefois l’entité nationale de formation existe toujours.
Prémices d’une évolution
Peu avant notre départ de l’entreprise, nous étions saisi d’une demande : concevoir un dispositif de plusieurs mois destiné tant au personnel en reconversion qu’aux nouvelles recrues et cela quels que soient leurs profils. Ce dispositif, se justifiait par le fait que les plans de formations, qui cumulaient des suites de stages, ne correspondaient plus aux aspirations du moment, (ce que CARRE (2009, p. 170) définit comme « la montée critique du discours envers les formes canoniques de la formation… »). Le nouveau dispositif devait également garantir une intégration et une opérationnalité rapide du stagiaire. Le dispositif fut scindé en deux parties, l’une généraliste qui était commune à tous et une seconde spécifique au corps de métier dans lequel serait affecté le nouvel arrivant. La première partie prit successivement plusieurs noms : acculturation, tronc commun, savoirs communs puis académie des métiers et enfin dispositif de professionnalisation. Voici, succinctement, ce qui la caractérise. La connaissance technologique et fonctionnelle du process industriel est reléguée en fin de cursus. Les premiers mois sont destinés à prendre conscience des contraintes et des risques inhérents aux activités ; à connaître l’environnement social, l’organisation de l’entité, les cadres de références, les résultats de l’entreprise, les politiques économiques, les politiques environnementales, les politiques humaines, les valeurs de l’entreprise… Dans les dispositifs conventionnels de formation, les stagiaires de plusieurs unités géographiques étaient regroupés pour suivre les stages qui n’étaient pas obligatoirement réalisés dans la région où ils travaillaient. Dans cette nouvelle formule, les sessions sont réalisées sur le lieu de l’unité où travaille le stagiaire et sont émaillées de nombreuses visites sur le terrain, sous la conduite de tuteurs, de référents métiers. Les formateurs intervenant sont majoritairement des managers du terrain accompagnés d’un acteur particulier et permanent dénommé fil rouge.
Un formateur aux missions particulières
Afin d’accompagner la première réalisation et pour parfaire l’élaboration du dispositif, il fut décidé qu’un personnage, à qui on attribua le nom de « fil rouge », suivrait le dispositif dans son intégralité, au sein du groupe de stagiaires. Le terme de fil rouge fut choisi car les missions du personnage étaient difficilement codifiables dans le registre des métiers de la formation d’alors. Coté de la maîtrise d’ouvrage (unité à laquelle appartenaient les stagiaires) un personnage fut également positionné afin de faire la liaison entre le fil rouge et les tuteurs des stagiaires sur le terrain. Lors de l’élaboration du dispositif, les principales missions du fil rouge se situaient :
◈ sur le plan pédagogique : cohérence des objectifs, des contenus. Mise à jour des documents d’animation en temps réel. Appui aux intervenants, notamment ceux des métiers. Points de synthèse des apprentissages ;
◈ sur le plan animation de groupe : cohésion du groupe. Régulation et animation du groupe. Détection et assistance aux apprenants en difficulté ;
◈ sur le plan organisation : problèmes logistiques en temps réel. Relations avec la maîtrise d’ouvrage, avec la maîtrise d’œuvre, avec les multiples intervenants ;
◈ sur le plan de la capitalisation : communication quotidienne avec le fil rouge du second site engagé dans le dispositif. (En fait deux unités distantes de quelques dizaines de kilomètres et basées en vallée du Rhône, ont opté pour une coopération, ce qui, compte tenu des déplacements multiples générait quelques problèmes d’intendance et de gestion des emplois du temps). Détection et alerte en cas d’anomalie, d’écarts. Participation à toutes les synthèses, au conseil de promotion. Proposition d’évolutions, d’améliorations.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 : Contextes de la recherche
1.1 Contexte historique
1.2 Contexte actuel
1.3 Questionnement
Chapitre 2 : Construction de l’objet de recherche
2.1 Qualification
2.2 De la qualification à la compétence individuelle
2.3 Le concept de compétence individuelle
2.4 De la compétence individuelle à la compétence collective
2.5 La notion de compétence collective
2.6 De la compétence collective à la compétence coopérative
2.7 Des compétences « hard » aux compétences «soft »
2.8 Les compétences émotives ressort des compétences
2.9 Le concept de compétence aujourd’hui
2.10 Des compétences à la professionnalisation
2.11 Le concept de professionnalisation
2.12 Le concept d’accompagnement
2.13 Objet d’observation
Chapitre 3 : Méthodologie
3.1 Critères de faisabilité
3.2 Stratégie méthodologique
3.3 Instrumentation
3.4 Collecte des données
Chapitre 4 : Analyse et interprétations des résultats
4.1 Analyse des questionnaires
4.2 Analyse des entretiens
4.3 Interprétations des résultats
4.4 Fonctions opératoires et postures caractéristiques
4.5 Champs d’activités du fil rouge
4.6 Compétences spécifiques du fil rouge
4.7 Synthèse sur l’interprétation de la mission de fil rouge
Chapitre 5 : Conclusions et perspectives
5.1 Conclusions au regard du fil rouge
5.2 Conclusions au regard de la question de départ
5.3 Effets de la professionnalisation
5.4 Point de vue au regard de notre interprétation
5.5 Perspectives contributives
5.6 Perspectives de recherche
Conclusion
Bibliographie