L’activité de bibliothérapeute
Etre bibliothérapeute : quel parcours ?
Le bibliothérapeute est par définition celui qui pratique la bibliothérapie. Il peut l’exercer aussi bien en libéral que dans le cadre ou en parallèle d’une autre profession, qui peut avoir rapport au secteur du livre (bibliothécaire, documentaliste, libraire, éditeur…) ou à d’autres domaines, plus spécifiquement médicaux et sociaux. Il ne s’agit pas d’une profession reconnue en France, et il existe très peu de bibliothérapeutes sur le territoire français actuellement. La première, et jusqu’à récemment seule, formation proposée à ce jour est celle de Régine Detambel dans le sud de la France, à proximité de Montpellier. Cette formation, d’une durée d’une journée, délivre une attestation donnant droit au bénéficiaire d’exercer cette pratique.
Elle est destinée, d’après le site de la formatrice, aux « libraires, bibliothécaires, animateurs d’ateliers d’écriture, art-thérapeutes, psychologues, psychiatres, sophrologues, coachs, toutes professions liées au soin ou aux lettres, enseignants, aidants et bénévoles en maison de retraite ou associations diverses, lecteurs convaincus9… », ce qui laisse un panel assez large d’individus potentiellement intéressés par le sujet, travaillant plus particulièrement avec des publics spécifiques, en bonne santé ou non.
Réception par les publics et les bibliothèques
Une approche sociologique de la lecture doit nous permettre, ici, d’analyser les pratiques et besoins des publics pour comprendre ce qu’ils recherchent précisément dans la lecture, ce qu’elle peut leur apporter. En effet, d’une époque à l’autre, les attentes diffèrent et c’est plus précisément celles de notre époque actuelle qui nous intéressent. Alexandre Gefen, dans son essai intitulé Réparer le monde : la littérature française face au XXIe siècle, bâtit sa réflexion sur la constatation suivante : partant des tendances commerciales et du succès, notamment, des ouvrages de développement personnel et des romans « feel good » (tendance récente ayant émergé aux Etats-Unis et proposant des romans ou bandes dessinées aux intrigues non légères mais simples, visant délibérément à apaiser le lecteur), il décrète que la littérature du XXIe siècle se veut résolument thérapeutique, à une époque où le lectorat cherche à fuir les problèmes du quotidien et trouver de la détente dans le loisir. Se pose pour lui également le problème du rôle de la littérature, qui change et n’est jamais le même : toute la question est de savoir si, comme certains écrivains disent, elle doit ne servir qu’elle-même ou bien servir d’outil au service d’une cause précise (ici, le soin de l’âme). Alexandre Gefen garde une distance prudente vis-à-vis de ce dernier positionnement, notamment sur la question de la bibliothérapie, sur lequel il s’étend assez longuement le temps d’un chapitre et dont il interroge l’efficacité, du point de vue de Régine Detambel.
La bibliothérapie au sens antique du terme
Le terme de bibliothérapie est jeune ; le concept, lui, est ancien. Le fait que le mot soit composé de deux mots grecs n’est pas dû au hasard, et pour cause : les Anciens pratiquaient déjà une forme de bibliothérapie et même d’art-thérapie de manière globale. Pour citer un exemple relativement connu, nous ferons mention de la notion aristotélicienne de catharsis : la purgation des passions. Aristote s’était principalement intéressé à l’art, au théâtre et à leurs effets sur les foules, partant du principe que la tragédie grecque, qui mettait en scène le déchaînement des passions de personnages de la mythologie, avait pour but de retirer chez le spectateur tout désir de violence et d’inspirer la pitié pour les personnages. Cette catharsis avait également un autre objectif : montrer que la raison prenait le pas sur les émotions, qu’un bon citoyen ne devait jamais se laisser dépasser par elles. L’apprentissage des arts et de la rhétorique constituait une étape importante dans la formation du citoyen au sein de la cité grecque, et également chez les Romains. Il n’est pas absurde que la bibliothérapie y ait parfaitement trouvé sa place, les Anciens ayant un usage très particulier des lettres à cette période-là (le terme de littérature apparaît beaucoup plus tardivement).
Le point de vue des bibliothécaires anglo-saxons…
Il y a différents types de bibliothérapies. Rhea Joyce Rubin avait déjà entrepris une classification dans les années 1970, à la parution de son ouvrage Using bibliotherapy : a guide to Theory and Practice : un premier type similaire à la pratique du conseil donné par le bibliothécaire, il s’agit d’une bibliothérapie non médicale. Le second type est une science maîtrisée par des professionnels de santé. D’un point de vue francophone, considérer la bibliothérapie comme une science peut être exagéré, c’est pourtant le cas aux Etats-Unis et l’intention de Rhea Joyce Rubin a été de le démontrer en invoquant la raison suivante : comme toute science, la bibliothérapie a besoin d’un corps de données expérimentales pour prouver qu’elle est effective. La comparaison entre les pratiques anglophones et francophones nous montre déjà qu’il peut y en avoir autant qu’il y a de pays, de cultures ou encore de catégories de livres. La littérature étant déjà un spectre large et générique, dans laquelle la diversité des productions parvient à s’adapter aux goûts de chaque lecteur, résumer la bibliothérapie et sa pratique à deux grandes catégories semblerait réductrice. Il n’est pas absurde de penser qu’elle puisse s’étendre au-delà.
Evaluer les bienfaits de la lecture : une mesure fiable ?
Dans les pays anglo-saxons, de nombreuses études sont parues ces dernières années, fruits du travail de chercheurs d’université ou d’organisations promouvant la lecture, pour prouver que la lecture a des effets positifs et thérapeutiques sur le mental des lecteurs. Depuis 2012, la National Reading Campaign (dont le nom est traduit en français par « Campagne pour la lecture »), une fondation qui a pour mission de faire de la lecture une priorité nationale au Canada et au Québec, a mené de nombreuses études visant à démontrer que la lecture est bénéfique à la santé. Dans un récapitulatif de toutes ces études, elle établit que la lecture développe l’esprit critique, la compréhension d’autrui, l’ouverture d’esprit, qu’elle stimule l’imagination et est source de plaisir pour toute la vie. Elle accompagne ces données de chiffres pour quantifier le constat : les lecteurs de livres ont ainsi plus tendance à se déclarer en bonne ou meilleure santé par rapport aux non-lecteurs (54% contre 44%), en meilleure santé mentale également (63% contre 56%), ils s’impliquent davantage dans l’aide à autrui (42% contre 26%), sont moins pris dans une routine quotidienne (33% contre 39%) et sont plus satisfaits de leur vie (61% contre 57%).
Utiliser le livre pour évoquer les sujets graves
Caroline Tête, documentaliste en santé, Anne Grellier, cadre de santé, et Marina Rennesson, responsable du service Information et documentation au Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV), évoquent le rôle de la littérature jeunesse dans les questionnements délicats autour de la mort et du deuil. Dans un article intitulé « La littérature jeunesse pour parler de la mort» paru dans la revue Cahiers de la puéricultrice, ces trois professionnelles de santé expliquent l’importance d’accompagner les jeunes en plus des adultes dans le processus de deuil : en appréhendant la conception qu’ils ont de la mort, différente de celle des adultes, la relation qu’ils ont avec elle tout au long de leur vie, et l’intérêt d’une sensibilisation par des outils comme le livre. La littérature jeunesse en particulier regorge d’exemples s’appropriant des sujets difficiles comme la maladie, la mort, le handicap et d’autres situations qui trouveront un écho chez le jeune lecteur. L’enfant rencontrant très tôt ces thématiques dans sa vie, les comprendre est primordial pour exorciser, en quelque sorte, la peur qu’elles génèrent.
Contre toute attente, le livre peut être à la fois remède et outil pour aborder les sujets délicats, par le biais de métaphores ou plus directement, souvent en faisant appel à l’image et en sollicitant l’imaginaire du lecteur. Pour Caroline Tête, Anne Grellier et Marina Rennesson, « l’univers du livre doit être proche de celui des jeunes : les œuvres sont centrées sur des personnages jeunes, ancrés dans la même réalité qu’eux. [Elles] permettent d’aller plus loin dans leur développement notamment grâce à la médiation d’un adulte. Ces livres favorisent la construction de leur identité» Pour proposer une liste thématique de livres jeunesse sur la mort et le deuil, elles « ont mis en place une veille pour repérer les nouvelles parutions de livre jeunesse sur la mort et le deuil à partir de sites spécialisés et des catalogues des éditeurs jeunesse» .
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Table des matières
INTRODUCTION
ÉTAT DES LIEUX DE LA BIBLIOTHÉRAPIE ET RECONNAISSANCE SUR LE TERRITOIRE FRANÇAIS : UN PHÉNOMÈNE APPLICABLE ?
1. Utiliser la lecture à des fins thérapeutiques
1.1. Qu’est-ce que la bibliothérapie ?
1.2. Cheminement historique
1.3. Etat des lieux de la recherche
2. Le livre, un outil à différents usages
2.1. La bibliothérapie, une discipline encore en développement
2.2. Un important processus dans l’activité de lecture
2.3. La bibliothèque, accès à la culture, à l’émancipation, au bien-être
3. Quelles applications en bibliothèque : stratégies et diffusions
3.1. Un filon exploité par la filière commerciale
3.2. Politique documentaire et structures appropriées
3.3. Quels outils, obstacles ?
BIBLIOGRAPHIE
1. Une première approche de la bibliothérapie
1.1. Monographies
1.2. Dictionnaire
1.3. Articles
1.4. Emissions radiophoniques
1.5. Reportage
1.6. Sitographie
2. Sociologie du livre et de la lecture
2.1. Monographies
2.2. Articles
2.3. Travail de recherche
2.4. Rapport d’étude
2.5. Sitographie
3. La bibliothérapie en milieu médical
3.1. Monographies
3.2. Articles
3.3. Travaux de recherche
3.4. Rapports d’études
3.5. Emission radiophonique
3.6. Sitographie
3.7. Divers
4. La bibliothérapie en lecture publique et secteur documentaire
4.1. Monographie
4.2. Articles
4.3. Travaux de recherche
4.4. Colloque
5. La bibliothérapie jeunesse
5.1. Articles
5.2. Rapports d’études
5.3. Reportage / Interview
5.4. Sitographie
6. Méthodologie de l’étude de cas
6.1. Monographies
6.2. Sitographie
ÉTUDE DE CAS : EXPÉRIMENTATIONS ET PROJETS D’APPLICATION DE LA BIBLIOTHÉRAPIE EN MILIEU DOCUMENTAIRE, QUELQUES RETOURS D’EXPÉRIENCE
1. Méthodologie de l’étude de cas
1.1. A sujet marginal, démarche marginale : l’enquête qualitative
1.2. Un outil essentiel : l’entretien
2. Evaluation des données recueillies
2.1. Comparer les données verbales, en retirer une réflexion
2.2. L’activité de bibliothérapeute : une profession, de multiples conceptions
2.3. Les Docteurs Polar, d’étonnants médecins à l’affût des lecteurs malades
2.4. Bibliothérapie, biblio-thérapie : la bibliothèque publique de Berchem Sainte-Agathe en Belgique
2.5. La bibliothérapie en milieu éducatif : le CDI, un espace privilégié
2.6. … Et dans le monde paramédical : témoignage d’une documentaliste en santé
3. Bilan de l’étude et remise en perspective
3.1. Une amorce d’enquête destinée à prendre connaissance des expérimentations actuelles
3.2. Quelques pistes pour poursuivre la recherche
3.2. Former et sensibiliser les bibliothécaires : un long chemin en perspective
CONCLUSION
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