L’action civile collective (les exemples des syndicats de salariés, des associations familiales et de consommateurs)

« Le droit est trop humain pour prétendre à l’absolu de la ligne droite. Sinueux, capricieux, incertain, tel il nous est apparu – dormant et s’éclipsant, changeant mais au hasard, et souvent refusant le changement attendu, imprévisible par le bon sens comme l’absurdité. Flexible droit ! Il faut, pour bien l’aimer, commencer par le mettre à nu. Sa rigueur, il ne l’avait que par affectation ou imposture ».

Cette dynamique du droit démontre parfaitement qu’il est avant tout un phénomène social et que sa dogmatisation, sa rationalisation, sa systématisation si cela est possible, ne peuvent se faire qu’en fonction des paramètres de la réalité sociale  .

A ce titre, l’action civile, notion et réalité socio-juridique, ne peut échapper à cette dynamique. Aussi sa complexité ou son ambiguïté du fait de l’évolution socio-économique, scientifique et juridique de la société, ne doit pas surprendre a priori. Cette complexité est d’autant plus accentuée lorsqu’au lieu de parler seulement de la réparation d’un préjudice personnel direct né de l’infraction, on parle aussi de préjudice collectif ou en d’autres termes d’une action civile dirigée vers la défense d’un intérêt dépassant le seul intérêt individuel. Née d’une conception philosophique étroite du droit, l’action civile a son corollaire l’action publique. Deux notions dont la complémentarité théorique résulte même de l’article 1er du Code de procédure pénale qui fixe l’objet normal de la procédure pénale :

« l’action publique pour l’application des peines est mise en mouvement et exercée par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi. Cette action peut aussi être mise en mouvement par la partie lésée,( ) ». Cet article pose de jure et de facto le problème de cohabitation, de la conciliation entre l’intérêt individuel de la victime et l’intérêt social.

Mais voilà que, dans cette cohabitation parfois difficile entre l’intérêt privé et l’ordre public, intervient un intérêt collectif représenté par les groupements privés. Cet intérêt collectif par une démarche spécifique semble avoir pour vocation de relayer tantôt l’intérêt privé, tantôt l’intérêt public, tantôt les deux en même temps. De ce fait, l’introduction de cette tierce partie qu’est l’intérêt collectif dans le rapport diptyque intérêt privé/intérêt public, soulève des interrogations. L’intérêt collectif sème-t-il la brouille ou la discorde entre l’intérêt privé et l’intérêt public ou plutôt oeuvre-t-il pour une réconciliation de ces deux intérêts ? L’intérêt collectif s’oppose-t-il aux intérêts privé et public ? Peut-il y avoir risque de confusion ou d’éviction d’une part entre l’intérêt collectif et l’intérêt individuel et, d’autre part, entre l’intérêt collectif et l’intérêt général ? L’introduction de cet intérêt collectif pose aussi la question de sa protection juridique. En outre, dès lors qu’il existe une action civile d’intérêt collectif, on ne peut s’empêcher de rechercher qui peut exercer cette action ou représenter en justice un intérêt collectif donné. De plus le groupement qui représente cet intérêt collectif est-il représentatif de la collectivité concernée ? De même, on ne peut pas occulter le débat sur les conditions d’existence et d’exercice, sur le domaine d’application et la finalité de cette action.

L’action collective saisie par la sociologie

S’il est impossible de déterminer dans le temps l’émergence du phénomène collectif dans l’évolution de l’homme, on peut cependant dire que ce phénomène qui remonte à la nuit des temps, est déjà pris en compte dans les Saintes Ecritures. Dans la loi de Moïse (Thora ou Pentateuque), le livre « Lévetique » dans son chapitre quatre, qui traite des « sacrifices pour le péché », dispose dans ses versets 13 et s. : « Si c’est toute la communauté d’Israël qui a péché involontairement  sans que l’assemblée s’en aperçoive, en commettant contre l’un des commandements de l’Eternel des actes illicites et en se rendant ainsi coupable, et lorsqu’on s’apercevra du péché qu’elle a commis, l’assemblée offrira un jeune taureau en sacrifice pour le péché, et on l’amènera devant la tente de la rencontre (…) ». Ce texte biblique qui reconnaît le péché collectif est précédé par un autre qui parle du péché individuel. En effet, le verset trois du même chapitre quatre prévoit cette situation : « lorsque quelqu’un péchera involontairement contre l’un des commandement de l’Eternel, en commettant un acte illicite (…) ». Alors que le péché individuel ou collectif peut être considéré comme un acte négatif donc à éviter, les saintes Ecritures exaltent, en revanche, les actes positifs faits dans le respect de Dieu. Dès lors, l’acte positif peut prendre une forme individuelle ou collective. A propos de la forme collective, l’Evangile  enseigne en ces termes : « En vérité je vous le dis encore que si deux d’entre vous s’accordent sur la terre pour demander quoi que ce soit, cela leur sera donné par mon Père qui est dans les cieux.

Car là ou deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux ». Pour que cette parole reçoive effet, il faut au moins que les individus formant ce groupe demandeur aient nécessairement un intérêt commun. La sociologie  qui essaye d’appréhender le phénomène collectif et donc de l’action collective, distingue plusieurs types de groupes et groupements. Ce peut être un groupe nominal ou catégorie sociale constituée par un ensemble d’individus partageant un caractère commun  . Il peut s’agir d’un groupe latent formé par un ensemble d’individus ayant un intérêt commun  . Le groupe est dit organisé lorsqu’il est doté de mécanismes de décision collective  . En revanche, l’appellation de groupes semi-organisés est réservée aux groupes latents « représentés » par des organisations faisant profession de défendre leurs intérêts.

Quels sont les supports, philosophiques et juridiques, des actions soumises aux juridictions répressives ? 

La déclaration des droits de l’homme de 1789 constitue le support philosophique et juridique de l’organisation sociale et du système juridique de la société. Le champ pénal n’est qu’une suite logique et spécifique de cet ordonnancement fondamental.

Le nouvel ordre issu de la Déclaration des droits de l’homme de 1789

Parmi les grandes réalisations de la Révolution française, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 tient une place centrale, en ce sens qu’elle constitue le premier grand texte moderne ayant donné les bases d’une société juridique modèle qui ambitionne de devenir un Etat de droit voire un pays de droit . Cependant, la Déclaration s’en remet à la loi, c’est-à-dire au droit pour instituer un ordre social. Dorénavant, ce dernier ne sera plus établi selon « un système hiérarchique selon lequel l’ancien régime reposait, hiérarchie des corps, ordres, corporations que le roi garantissait et qui donnait au grand nombre le statut de sujets, mais d’une règle acceptée par tous car produite par tous ».

L’état et l’individu sont les seules entités reconnues

En revanche, en ce qui concerne le mode de fonctionnement de la nouvelle société, la Déclaration le définit de façon expresse et sous forme de principe intangible dans ses articles 1er et 4, à savoir l’égalité entre les hommes et la liberté de ceux-ci à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Les limites de cette liberté doivent être déterminées par la loi. La déclaration établit par là une société contractuelle fondée au moins en apparence sur l’individu. La règle de droit « devient alors le moyen rationnel de réaliser un ordre social en devenir puisqu’elle constitue le fondement même de la société. Aussi les auteurs de la Déclaration ont-ils confié au droit le soin de déterminer les modalités de jouissance en société des droits naturels ». L’individu se distingue nettement du tout auquel il appartient. Enfin, la Déclaration termine son idéal de société par l’article 12 qui dispose que « la garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique… ». C’est ainsi qu’est créé l’Etat garant de la liberté individuelle et des droits naturels, et seul défenseur de l’intérêt général.

Les groupements ou les corporations sont hors la loi

L’article 12 en disposant que seul l’Etat est garant de la liberté individuelle et des droits naturels et seul défenseur de l’intérêt général interdit expressément les groupements, les corporations qui servaient d’intermédiaires, de lieu de rencontres, de concertation, de défense des intérêts individuels. En effet, les révolutionnaires n’ont voulu tolérer aucun groupement intermédiaire entre l’Etat et l’individu. L’individu devenu émancipé et un Etat fort suffisent pour garantir l’ordre social. Ainsi « seul le peuple souverain peut, dans leur pensée, représenter la collectivité ». Cette volonté sera d’ailleurs concrétisée par le décret du 14-17 juin 1791  portant interdiction des coalitions .

Un système très rigoureux sera imposé notamment par l’article 291 du Codé pénal de 1810 qui avait prévu des sanctions pénales pour le défaut d’agrément du groupement rendant illicite toute association de plus de vingt personnes. Mais très vite, ce système individualiste exacerbé va perdre de sa rigueur en admettant des tempéraments dictés par la dynamique socio-économique et politique. Aussi la nécessité d’un rétablissement des coalitions devient-elle impérieuse.

La première brèche qui est d’ordre économique, résulte de la loi du 24 juillet 1867 qui est venue supprimer l’autorisation gouvernementale pour la création des sociétés anonymes. Sur le plan social notamment dans les rapports entre salariés et employeurs, la loi du 21 mars 1884  accorde la liberté syndicale et consacre la personnalité civile des syndicats. Cette nouvelle dynamique attaquait dans des domaines divers la sacrosainte loi Le Chapelier dont l’absolutisme devenait obsolète. Ainsi la consécration de la liberté d’association par la loi du 1er juillet 1901 constitue l’ultime aboutissement dans la reconnaissance formelle des groupements, corporations ou coalitions. Aujourd’hui, cette ouverture va jusqu’à prendre l’aspect de relais et de soutien de l’individu par le groupe, phénomène que le législateur lui-même tente de contenir .

S’il est souhaitable d’être légalement reconnu dans un système théoriquement hostile, encore faut-il que ces groupements une fois reconnus disposent de moyens notamment juridiques leur permettant de promouvoir efficacement les intérêts dont ils ont la charge. Par suite, sous quelle condition un groupement peut-il défendre un intérêt collectif devant une juridiction répressive en exerçant de ce fait une action civile ? Ce qui nous amène à intégrer l’action collective dans le cadre pénal.

L’ordre pénal issu de la Déclaration de 1789

L’ordre pénal issu de la Déclaration de 1789, du Code d’instruction criminelle puis du Code de procédure pénale, est en principe un champ pénal clos. Mais des tempéraments ont été apportés à ce principe.

Le champ pénal est en principe clos : la relation triangulaire Société/délinquant/victime

Si sur le plan civil, le Code Napoléon se caractérise par une « triple exaltation de l’égalité, de la liberté et de la volonté de l’homme » , en revanche, en matière pénale, c’est la toute puissance de la Société représentée par le ministère public qui prévaut. Le droit pénal qui se caractérise par une justice distributive et commutative, admet deux impératifs fondamentaux : la sauvegarde de la liberté individuelle et le maintien de l’ordre social qui passe par la protection de la Société. Ainsi, lorsqu’une infraction se consomme, elle met en présence trois acteurs :
– le délinquant ;
– le ministère public, défenseur de la Société donc de l’intérêt général ;
– la victime d’infraction, lésée dans ses intérêts par le dommage causé par cette infraction. De ce fait, il naît à la fois deux types de responsabilité :
– l’une pénale (responsabilité pénale du délinquant face à la Société) ;
– l’autre civile (responsabilité du délinquant opposé à la victime).

Mais une fois le principe de responsabilité établi, encore faut-il déterminer les modalités de mise en oeuvre. De ces responsabilités naissent deux actions : l’action publique et l’action civile. L’action publique a pour but la répression de l’atteinte portée à l’ordre social et pour objet l’application d’une peine ou d’une mesure de sûreté au délinquant. Cette action est exercée au nom de la Société par le ministère public ou parquet. En revanche, l’action civile a pour but la réparation du dommage  résultant de l’infraction et pour objet la condamnation du délinquant notamment à des dommages-intérêts. L’action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction . La victime peut porter son action soit devant la juridiction répressive soit devant la juridiction civile .

Mais ce qui importe, par ailleurs, dans la distinction entre ces deux actions, relève de leurs caractères. L’action publique est d’ordre public tandis que l’action civile est d’intérêt privé. En outre, les modalités d’exercice de chacune de ces actions n’obéissent pas un même régime. A travers ces différences, apparaît le caractère subsidiaire ou accessoire de l’action civile par rapport à l’action publique. En effet, le contentieux répressif est un contentieux objectif dont la finalité première est orientée vers la protection de l’intérêt général. Ainsi, la présence de la victime au procès pénal a non seulement un caractère accessoire mais aussi exceptionnel. Ce caractère exceptionnel est rappelé par la Chambre criminelle de la Cour de cassation : « Attendu que l’exercice de l’action civile devant les tribunaux de répression est un droit exceptionnel qui, en raison de sa nature, doit être strictement renfermé dans les limites fixées par le Code d’instruction criminelle ».

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : CONDITIONS D’EXISTENCE ET D’EXERCICE DE L’ACTION CIVILE D’INTERET COLLECTIF
TITRE 1 : Conditions tenant à la qualité du groupement
CHAPITRE 1 : Les groupements appelés expressément par la loi
Section 1 : Les syndicats de salariés
Section 2 : Les groupements relevant de la loi du 1er juillet 1901 : Les associations familiales et de consommateurs
CHAPITRE II : Les groupements ne remplissant pas les conditions légales
Section I : La perte d’habilitation
Section II : L’absence d’habilitation : l’action collective des groupements ordinaires
TITRE 2 : Conditions tenant à la preuve du préjudice collectif : l’atteinte à un intérêt collectif
CHAPITRE 1 : Les atteintes à l’intérêt collectif des salariés
Section 1 : Le domaine classique de l’action syndicale
Section 2 : Les nouveaux enjeux
CHAPITRE 2 : Les atteintes à l’intérêt collectif des consommateurs
Section 1 : L’intérêt collectif des consommateurs apprécié in concreto
Section 2 : L’intérêt collectif des consommateurs apprécié à partir de la notion de consommateur
CHAPITRE 3 : Les atteintes à l’intérêt collectif des Familles
Section 1 : L’intérêt des familles en matière d’avortement
Section 2 : L’intérêt des familles en matière d’infanticide
Section 3 : L’intérêt des familles en matière de protection des bonnes moeurs, de la décence, des valeurs
DEUXIEME PARTIE : L’ACTION D’INTERET COLLECTIF : SA SPECIFICITE, SA FINALITE ET SES LIMITES
TITRE 1 : Réflexion sur l’action d’intérêt collectif
CHAPITRE 1 : Les griefs contre l’action d’intérêt collectif
Section 1 : L’action publique menacée
Section 2 : La possible atteinte aux droits de la victime directe et du prévenu
CHAPITRE 2 : La possible autonomie de l’action d’intérêt collectif
Section 1 : L’intérêt collectif vu à travers les intérêts particulier et général
Section 2 : La spécificité de l’intérêt collectif
TITRE 2 : Finalités et limites de l’action d’intérêt collectif
CHAPITRE 1 : Finalité préventive de l’action d’intérêt collectif
Section 1 : L’action civile à but préventif des syndicats de salariés
Section 2 : L’action civile à but préventif des groupements de consommateurs
Section 3 : L’action civile à but préventif des associations familiales
CHAPITRE 2 : La finalité réparatrice de l’action civile d’intérêt collectif
Section 1 : La réparation au plan collectif
Section 2 : La réparation au plan individuel
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
LISTE CHRONOLOGIQUE DES DECISIONS
INDEX THEMATIQUE

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