L’accueil des élèves déficients auditifs en Lycée Professionnel

Présentation des établissements où est effectuée l’étude

                 Afin de permettre un nombre suffisant d’observations, cette étude a été effectuée en suivant des élèves déficients auditifs accueillis en inclusion dans deux établissements scolaires distincts :
• Le Lycée Professionnel Simone Veil, situé à Angers (Maine-et-Loire), propose des formations de niveau CAP et Baccalauréat Professionnel dans les domaines de l’hôtellerie, du service à la personne, du service aux collectivités et de la petite enfance. Il dispense également une formation dans le cadre de la préparation aux concours d’Aide-Soignant ainsi que d’Accompagnant Éducatif et Social. Une ULIS3 est intégrée à l’établissement.
• Le Lycée Professionnel Michelet, situé à Nantes (Loire-Atlantique), propose des formations de niveau CAP, Brevet Professionnel et Baccalauréat Professionnel dans divers corps du bâtiment et des travaux publics. Il offre la possibilité d’effectuer certaines formations en alternance par le biais de l’Unité de Formation par l’Apprentissage. Sont intégrées également une classe de Troisième Prépa Pro, et une ULIS.

L’élève et la classe au cœur de la création des savoirs

                 C’est dans les modèles constructivistes et socio-constructivistes, respectivement développés sur la base des travaux respectifs de Jean Piaget et Lev Vygotski10, que nous chercherons à placer l’élève au sein du processus de création des savoirs ; il s’agit de le faire participer à ce que Brousseau nomme l’institutionnalisation. En effet, à l’issue de la résolution d’un problème, de l’accomplissement du travail de recherche proposé par l’enseignant, l’élève n’a acquis qu’un savoir ponctuel. Il est alors nécessaire de passer par une nouvelle phase de la transposition didactique interne, que l’on peut retrouver également dans le contrat didactique (Brousseau, 1998) passé entre le professeur et l’apprenant, et qui consiste en un processus contraire à celui de la dévolution : le savoir doit être de nouveau décontextualisé, détemporalisé, et doit pouvoir être réinvesti. Ces phases, également dites de structuration, ont pour but de créer une synthèse à partir de situations de références afin de dégager une notion réutilisable, un outil qui deviendra alors le savoir assimilé et que l’élève conservera précieusement sous forme de trace écrite. Ainsi, nous avons vu que l’on peut définir l’institutionnalisation ou la structuration de la même manière : il s’agit d’une phase du phénomène de transposition didactique qui amène un élève ou un groupe d’élèves à s’approprier un savoir, de sorte à ce que celui-ci puisse devenir une connaissance, quelque chose de personnel, élaboré de sorte à être réutilisé et à rendre compte des apprentissages effectués. Cependant, ce travail de réappropriation ne saurait être effectué sans qu’il y ait d’interactions d’ordre langagier entre l’élève et le groupe classe (incluant l’enseignant) d’une part, et l’élève et le savoir d’autre part. Nous allons donc nous intéresser maintenant aux enjeux de la surdité, et entrevoir les obstacles que la déficience auditive représente dans le contexte de l’apprentissage.

La Langue des Signes Française et la Langue Française Parlée Complétée

                  L’article 75 de la loi du 11 février 2005 a permis la reconnaissance de la LSF comme une langue à part entière utilisable par tout élève atteint de troubles auditifs, au long de l’éducation (il était déjà possible de choisir une communication bilingue LSF – français depuis la parution de la loi n°91-73 du 18/01/1991), mais également aux épreuves d’examens et concours, y compris ceux de la voie professionnelle. C’est une langue qui repose sur :
• un lexique iconique dont le principe est d’imprimer un sens et un vocabulaire ;
• une syntaxe fondée sur l’utilisation de l’espace physique autour du locuteur afin de signifier la temporalité, le déplacement, etc.
La Langue Française Parlée Complétée est considérée comme une forme de communication orale, utilisant comme support principal la lecture labiale, et y ajoutant des « clés de décodage » afin de distinguer les sosies labiaux (« b », « p », et « m » par exemple). Ces deux formes de communications montrent cependant des limites lorsque l’on bascule dans le domaine des mathématiques (Bonnet et al., 2008). La LSF souffre notamment de deux écueils :
• la traduction d’un énoncé en opération(s) à effectuer, qui peut parfois être surmontée en proposant une version signée13 du problème, si l’enseignant est en mesure d’effectuer la traduction, et l’élève en mesure de la comprendre ;
• l’absence de certains éléments de vocabulaire spécifiques aux mathématiques, pourtant parés d’un riche lexique en langue française : certains concepts n’ont pas de signe permettant de les désigner directement (« isocèle », « équilatéral », etc.).
La principale difficulté liée à l’usage de la LFPC en mathématiques, quant à lui, est la transposition de l’algèbre : le message reçu étant une version « phonétisée » du discours, il est souvent perçu comme une succession de phonèmes dont le sens est inextricable. Les difficultés liées à la communication et à son apprentissage ne sont pas les seuls obstacles à l’enseignement aux élèves atteint de surdité ; le modèle inclusif, bien que présentant des avantages au niveau social, peut également montrer d’autres limites.

Entretiens semi-directifs

                Certains acteurs tiennent une place importante dans l’inclusion en classe des élèves en situation de handicap. Il semble alors naturel de les rencontrer et de réaliser des entrevues afin d’en savoir plus. La méthode retenue pour la conduite de ces entrevues est celle de l’entretien semi-directif, qui offre une liberté de parole importante à l’enquêté tout en assurant que le dialogue suive un fil conducteur et se rattache aux thèmes sur lesquels l’enquête a lieu. La tenue de ces entretiens repose premièrement sur la rédaction de guides, dont la structure est basée sur les thématiques à aborder, avec quelques questions plus précises préparées afin de relancer la discussion si nécessaire. Cela permet à l’enquêteur de s’assurer que l’entretien ne dévie pas des objectifs de recherche fixés. L’entretien commence avec une présentation du travail de recherche, qui permet d’amorcer le dialogue et peut permettre qu’une des thématiques du guide soit abordée de manière naturelle. Si ce n’est pas le cas, ce sera à l’enquêteur de proposer une thématique (et de poser éventuellement une ou plusieurs questions). L’entretien devient alors non-directif, et l’enquêté est relativement libre de parole. Un nouveau thème sera alors introduit de façon plus directive lorsque les informations deviendront redondantes, ou se tariront. Bien que la dynamique du discours de l’enquêté soit cassée par les potentielles interventions de l’enquêteur, cette méthode permet d’étudier toutes les questions que ce dernier estime nécessaires à son travail de recherche. Dans le cas de ce mémoire, le principal but des entretiens sera la collecte d’informations directe : l’analyse portera sur le fond du discours des enquêtés, notamment dans le but de mettre en évidence les obstacles qu’ils observent et éprouvent de façon régulière dans le cadre de l’inclusion d’élèves déficients auditifs en classe normale. Ces entretiens ont été conduits auprès de Virginie, Daphné (toutes deux interfaces de communication) et Franck (enseignant de Mathématiques-Sciences), en utilisant les guides d’entretien correspondant à la fonction de l’interlocuteur (annexes III et IV).

Difficultés au sein de la classe

                   Un point soulevé par Virginie et Daphné est la façon dont l’élève déficient auditif ne sera en mesure de mobiliser son attention que vers ce qu’il peut voir, et par là, elles mettent en exergue un travers régulier des enseignants habitués aux classes d’élèves entendants : l’exigence, même inconsciente, d’écrire et d’écouter en même temps. « …quand l’enseignant fait noter des choses aux élèves, souvent il aime beaucoup continuer de parler. Et pour l’élève, entre ça et le tableau, c’est impossible de noter. Moi, je traduis soit l’un, soit l’autre : soit il me regarde pour avoir l’information que l’enseignant a envie de donner, que les autres entendent en même temps que d’écrire, soit il faut qu’il écrive, mais il peut pas faire les deux, ça c’est vraiment un problème. […] Même dans des classes hyper ouvertes sur les élèves sourds, il y a quand même l’enseignant qui continue de parler pendant qu’on leur demande de noter. » – Virginie « Ça va être de pas faire sous la dictée, ou alors de donner la trace écrite à l’élève avant. […] On comprend aussi qu’en lycée, d’écrire sous la dictée c’est aussi un exercice pour les élèves et c’est important, donc on peut pas non plus dire au prof « tu fais jamais sous la dictée parce que tu as un élève sourd »… » -Daphné Franck, de son côté, ne semble pas rencontrer ce problème. « Quand je fais de la dictée, quelques phrases comme ça, elle le fait ouais. Après je projette au tableau pour qu’ils corrigent leurs fautes, mais ouais…elle arrive à noter. Elle entend… » – Franck Cette situation est également présente dans le cas de la projection de vidéos : « …quand il n’y a pas de sous-titrage, voilà c’est dur parce que t’as la vidéo, nous on est sur le côté, donc le jeune il regarde l’image, il regarde l’interprétation… ça c’est pas facile. » – Virginie La réaction de l’élève face à l’enseignant dictant, ou à l’acquisition d’éléments sonores en même temps qu’une autre tâche, sera donc dépendante de sa capacité à percevoir, avec ou sans l’implant. Dans les cas de Mathilde et d’Arthur, la perception acquise grâce à l’implant cochléaire, si elle permet de se rendre compte de l’environnement, ne semble pas offrir la possibilité de comprendre le langage oral et de le « traiter » avec suffisamment de rapidité afin d’en prendre note ou d’écrire ce qui doit l’être. Isaure, en revanche, se serait bien adaptée à l’amélioration de perception offerte par l’implant. Cependant, Daphné met en avant deux autres problèmes présents en classe : la compression18 du son par l’implant, et la déconcentration qui peut être provoquée notamment du fait du développement accru des autres sens. « Comme elle est appareillée, le moindre bruit environnant est amplifié, donc c’est hyper parasite. Ou l’agitation physique aussi. […] Quand on perd un sens, on développe les autres, eux c’est au niveau de l’acuité visuelle, tout ce qui est la vue…ils ont un champ visuel qui est plus large que le nôtre. Tout ce qui se passe derrière, eux ça va les gêner énormément dans leur concentration. » – Daphné

Synthèse de l’analyse des traces écrites

              Les indicateurs relevés dans le cahier d’Arthur semblent témoigner des difficultés rencontrées par les sourds signants à s’exprimer en français écrit. On retrouve en effet des éléments de syntaxe propres à l’expression en LSF, et qui ne sauraient être traduits à l’écrit sans reformulation en français. De plus, d’autres indicateurs, notamment une mauvaise utilisation des articles définis, contribuent à montrer qu’Arthur n’est pas parfaitement à l’aise avec l’expression écrite. Mathilde, quant à elle, semble montrer une meilleure maîtrise tant de la lecture que de l’écriture, même si nous retrouvons des erreurs de syntaxe du même ordre que chez Arthur. L’étude de ces traces écrites ne permet donc pas d’affirmer qu’il y ait un lien particulier entre surdité et difficultés en mathématiques, tout du moins à ce niveau (rappelons que les deux élèves sont en première année de CAP). Les deux élèves montrent cependant, comme vu lors des visites de séances et, dans le cas de Mathilde, comme indiqué par Daphné, une certaine appétence pour la discipline, et un niveau correct à très bon. Il sera cependant difficile de se montrer plus précis et plus catégorique : les chapitres que les élèves ont abordés sont très différents, et les énoncés et questions auxquelles ils ont dû répondre également. Il aurait été intéressant d’effectuer cette comparaison :
• avec plus d’élèves déficients auditifs, ayant suivi une progression similaire dans les chapitres de cours, afin d’obtenir un échantillon plus représentatif ;
• à la fin de leur cycle d’études, lorsque des notions nécessitant plus d’abstraction (telles que les équations du premier degré) auront été vues ou approfondies.

Conclusion

                 Conformément à ce que l’on pouvait penser, les élèves sourds ont plus de barrières à franchir que les entendants dans le cadre d’une inclusion en milieu scolaire ordinaire. Alors que certaines de ces barrières semblent évidentes au premier abord (nécessité d’une traduction lorsque la perception n’est pas facilitée par un appareillage, ou que l’apport ne permet tout de même pas la tenue d’un échange oral), d’autres sont plus implicites mais pas moins importantes :
• Les interactions souvent rares entre les élèves sourds et leurs camarades entendants, qui bien souvent n’ont pas les moyens linguistiques de communiquer, limitent la possibilité de participation des élèves sourds dans les phases d’échange et d’institutionnalisation auxquelles participe la classe entière. Certains exemples nous ont néanmoins permis de voir que les échanges en petit groupes restaient une possibilité largement exploitable.
• La langue française est reléguée au rang de « seconde langue » chez des élèves pratiquant principalement la langue des signes (moins dans le cas des élèves pratiquant la LFPC, celle-ci étant basée sur le français oral), non pas par choix mais par nécessité. L’acquisition de l’expression écrite et de l’aptitude à élaborer un raisonnement ou un compte-rendu, essentielle en mathématiques et en sciences physiques et chimiques notamment, s’en trouvent complexifiées.
• On peut déplorer un manque de formation pour les enseignants, certains se trouvant démunis lorsqu’ils accueillent un élève déficient auditif ou n’ayant pas les outils permettant de favoriser l’intégration de l’élève sourd à un groupe de travail. Malgré le temps passé depuis la promulgation de la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, d’autres enseignants semblent ne pas forcément avoir pris conscience de certains enjeux de l’inclusion, tels que la différenciation pédagogique.
• Le facteur familial et l’environnement extra-scolaire du jeune déficient auditif revêt une grande importance dans le déroulement de sa scolarité : certains choix liés au parcours du jeune, tels une interruption précoce de l’accompagnement par une structure spécialisée, est un exemple de situation qui a pour risque de retarder de façon importante son développement linguistique et cognitif, et à terme de le mettre en grande difficulté sur le plan scolaire. Cependant, si les moyens mis en œuvre et présentés dans les exemples de ce mémoire ne permettent pas de pallier toutes les complications rencontrées, ce travail de recherche aura également permis de mettre en avant divers accomplissements effectués dans le cadre de l’inclusion. Ainsi, l’implant cochléaire, bien que nécessitant une intervention chirurgicale et malgré ses imperfections, peut permettre à un élève de réacquérir la capacité à converser en français oral de façon à lui permettre de participer pleinement aux activités proposées en classe. Par ailleurs, même si l’acquisition de certaines aptitudes mathématiques est rendue plus difficile par les obstacles liés à la langue et au vocabulaire, un élève atteint de surdité pourra tout de même, par son appétence pour la discipline, les développer. Enfin, certaines initiatives d’enseignants sont susceptibles de grandement favoriser l’intégration de l’élève au sein d’une classe en créant une dynamique de groupe articulée autour d’éléments de la culture sourde, telle que la langue des signes. Cette dynamique, couplée à des outils facilitant les apprentissages, peut très probablement permettre à l’ensemble de la classe de progresser plus efficacement dans ceux-ci, dans le développement d’aptitudes scientifiques, et l’acquisition de compétences professionnelles qui, tout comme ces éléments de culture sourde pris au passage, pourront leur être utiles durant toute leur vie.

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Table des matières

Introduction
1 Éléments de contexte et questionnement initial
1.1 Présentation des établissements où est effectuée l’étude
1.2 Questionnement initial
2 Apports théoriques
2.1 La construction du savoir en classe
2.1.1 La transposition didactique, du savoir d’origine à la salle de classe
2.1.2 L’élève et la classe au cœur de la création des savoirs
2.2 La déficience auditive
2.2.1 Une surdité, des surdités
2.2.2 Influence de la surdité chez l’enfant en bas âge sur le développement des capacités langagières
2.2.3 Influence sur le langage écrit
2.2.4 Équipements et méthodes alternatives de communication
L’implant cochléaire
La Langue des Signes Française et la Langue Française Parlée Complétée
2.2.5 La scolarisation des élèves sourds
Éléments législatifs
Un bref état des lieux de la scolarisation des élèves en situation de handicap
3 Méthodologie de recherche
3.1 Retour sur la problématique
3.2 Des exemples de pratiques d’inclusion
3.3 Observation de séances
3.4 Entretiens semi-directifs
3.5 Analyse des traces écrites
4 Analyse des données recueillies
4.1 Observation de séances
4.1.1 Séances du 26 mars et du 5 avril : Mathilde
Séance du 26 mars
Séance du 5 avril
4.1.2 Séance du 2 avril : Arthur
4.1.3 Séance du 5 avril : Isaure
4.1.4 Synthèse des observations
4.2 Entretiens
4.2.1 Difficultés au sein de la classe
4.2.2 Difficultés liées au passage d’une langue à l’autre
4.2.3 Coordination et rapports avec l’enseignant
4.2.4 Autour des mathématiques et des sciences physiques et chimiques
4.2.5 Regards sur la surdité et sur l’inclusion des élèves sourds
4.2.6 Moyens mis en œuvre et propositions pour l’enseignant
4.2.7 Autour du cas d’Ellea
4.2.8 Synthèse des entretiens
4.3 Analyse des supports écrits
4.3.1 Extraits du cahier de mathématiques d’Arthur
4.3.2 Extraits du cahier de Mathilde
4.3.3 Synthèse de l’analyse des traces écrites
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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