En France, chaque année, environ 600 femmes accouchent sous le secret, ce qui représente moins d’une naissance pour mille. Pourtant marginal, l’accouchement anonyme focalise depuis des années de nombreux débats. Bien que la loi du 22 janvier 2002 ait permis de concilier recherche de ses origines et respect de la volonté de la femme, l’accouchement sous le secret continue de faire polémique.
Historique et rappel de la loi actuellement en vigueur en France
Historique
De l’époque gréco-Romaine au Moyen-Age
L’abandon d’enfant est une pratique qu’on retrouve dès l’Antiquité. En effet des textes d’époque rapportent l’exposition d’enfant devant un temple. De nombreux dieux ou héros sont des enfants trouvés, c’est le cas notamment de Moïse, Œdipe, Romus et Romulus (1). L’histoire de l’accouchement sous le secret est en France étroitement liée à la prohibition religieuse et sociale de la contraception et des moyens abortifs. En réponse à cette interdiction, des berceaux furent installés aux portes des églises afin de récupérer les enfants abandonnés. Un peu plus tard, au IXème siècle, ces berceaux sont peu à peu remplacés par des tours d’abandon. Ces tourniquets placés dans le mur d’un hospice, permettaient ainsi aux femmes de déposer anonymement leur enfant et qu’il soit pris en charge, le plus souvent par des religieuses (2). La notion de secret de l’abandon apparait au XIIème siècle. L’Hôtel Dieu à Paris propose un accueil en un « lieu destourné, clos et secret » pour les femmes enceintes ou accouchées (3). Cela permet de prévenir les infanticides et les avortements tous deux punis de la peine de mort au Moyen-Age. Cependant l’accouchement n’était pas anonyme. Un registre était tenu, sous clef, par une religieuse de la salle qui veillait ainsi à préserver le secret des femmes qui recouraient à « cet asile contre le déshonneur » .
La Renaissance : du XVème au XVIIème siècle
La règle de droit romain « Mater semper certa est » (La mère est toujours connue de manière sûre) n’a pas été transcrite dans le droit français. L’abandon d’enfant a toujours existé. La première loi à ce sujet remonte au XVIème siècle. Henri III rend obligatoire la déclaration de grossesse et d’accouchement. Il est donc interdit « d’accoucher occultement » (4). Si la femme avait caché sa grossesse et n’avait pas baptisé ni enterré de façon chrétienne son enfant elle était alors attachée avec l’enfant mort pendant quarante-huit heures avant d’être brulée ou enterrée vive (5). Parallèlement, le pape Sixte V interdit toute forme de contraception et d’avortement. La pratique de l’accouchement dans la clandestinité se développe donc. A la Renaissance, les sages-femmes jouent un rôle important dans les actes d’abandon alors devenus légaux. Elles attestent de l’accouchement et du baptême de l’enfant tout en gardant secret l’identité des femmes. L’accouchement secret voit le jour. Informé des conditions d’abandon des enfants et de son nombre croissant, Saint Vincent de Paul crée en 1638 l’œuvre des Enfants trouvés.
Du XVIIIème au début du XXème siècle
Le 28 juin 1793 un décret fixe un premier cadre législatif. La Convention nationale oblige chaque district à créer « une maison où la fille enceinte pourra se retirer pour y faire ses couches ; elle pourra y entrer à telle époque de sa grossesse qu’elle voudra ». Les frais de séjour de la femme sont alors pris en charge par la nation jusqu’à son parfait rétablissement et le « secret le plus inviolable sera gardé sur tout ce qui la concernera ». Lorsque la femme ne souhaite pas garder son enfant, celui-ci est alors « à la charge de la nation » et est placé chez une nourrice. (3) C’est dans les années 1830, que le nombre total d’enfants admis à la charge des hospices atteint un maximum d’environ 130 000 enfants.
La loi du 28 juin 1904 relative à l’éducation des pupilles de l’assistance publique supprime définitivement les tours d’abandon et les remplace par des « bureaux ouverts ». Ils proposent un accueil jour et nuit pour laisser à la femme la possibilité de déposer secrètement un enfant sans décliner son identité, tout en lui indiquant les conséquences de l’abandon et en lui proposant des secours. Cette structure sera renommée Aide Sociale à l’Enfance (ASE) par le décret du 24 janvier 1956. Le 2 septembre 1941 dans un contexte de protection des accouchements anonymes le gouvernement de Vichy adopte une loi sur la Protection de la Naissance. Le texte permet un accouchement gratuit et anonyme et une prise en charge dans le mois précédent l’accouchement et celui qui suit. Cette loi constitue le fondement moderne du droit à l’accouchement sous le secret.
De la fin du XXème siècle à aujourd’hui
La modernisation de la société française, avec notamment l’introduction de la pilule dans les années 1960, permit une décroissance des infanticides. Par ailleurs, la modernisation des techniques de procréation, l’essor de l’adoption internationale et la réglementation de l’interruption volontaire de grossesse modifièrent les mentalités et apportèrent un regard nouveau sur l’abandon néonatal (5). On assiste alors à la reconnaissance du droit au respect de la vie. La reconnaissance du droit de l’enfant à connaître ses origines voit le jour avec la loi du 17 juillet 1978 qui impose aux administrations de communiquer aux demandeurs les documents à caractère nominatif qui les concernent, sauf en cas de secret protégé par la loi. Les enfants se heurtent donc souvent à des dossiers vides. De nombreux débats ont alimenté les années 1990. Deux camps s’opposaient : les défenseurs des droits de la femme d’une part et d’autre part les défenseurs du droit des enfants à connaître leurs origines. C’est dans ce contexte qu’est votée la loi n°93-22 du 8 janvier 1993 affirmant que « lors de l’accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé. » (6). Cette loi est inscrite dans le Code Civil. Ce texte précise que le nom de la femme ne doit être mentionné ni dans l’acte de naissance ni dans les dossiers médicaux et administratifs. La femme est également protégée de toute recherche en maternité naturelle. (7) Quelques années plus tard, la loi n°96-604 du 5 juillet 1996, dite loi Mattei, est venue assouplir ce dispositif en permettant aux enfants d’accéder à certaines informations, tout en maintenant le secret de l’accouchement. Cette loi a permis une première avancée en matière de connaissance de ses origines en offrant aux demandeurs la possibilité d’accéder à des renseignements non identifiants. Par ailleurs, cette loi relative à l’adoption permet à la femme :
– de choisir les prénoms de l’enfant : « La femme qui a demandé le secret de son identité lors de l’accouchement peut faire connaître les prénoms qu’elle souhaite voir attribuer à l’enfant. A défaut ou lorsque les parents de celui-ci ne sont pas connus, l’officier de l’état civil choisit trois prénoms dont le dernier tient lieu de patronyme à l’enfant. »
– de laisser des renseignements non identifiants
– de lever ultérieurement le secret, l’enfant aura alors accès à l’identité de sa mère de naissance à sa majorité s’il en fait la demande.
De plus, cette loi établit le délai de deux mois dont dispose la mère pour récupérer l’enfant qu’elle a confié à l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance), ou à un OAA (Organisme Autorisé pour l’Adoption), en vue de son adoption.
Cadre législatif actuel
Le cadre législatif actuel français repose sur la loi 2002-93 du 22 janvier 2002, à l’initiative de Madame Ségolène Royal, alors ministre déléguée à la Famille, à l’Enfance et aux Personnes Handicapées. Cette loi porte sur l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’Etat. Elle s’efforce de concilier les intérêts de la femme et ceux de l’enfant en facilitant l’accès aux origines personnelles tout en confirmant le droit pour toute femme enceinte d’accoucher sous le secret (7). C’est dans cette optique que la loi crée le Conseil National d’Accès aux Origines Personnelles (CNAOP) dont le but et le fonctionnement seront développés dans la suite de ce mémoire. Cependant la question de l’accouchement sous le secret continue de faire débat. En effet, le rapport de la mission parlementaire de 2010 portant sur l’accouchement sous le secret propose de supprimer l’anonymat de l’accouchement tout en maintenant la possibilité d’accoucher dans le secret (8). L’Académie nationale de médecine rappelle, quant à elle, son opposition à cette suppression (9). Selon elle, l’anonymat permet aux femmes en grande précarité d’accoucher dans les maternités sans crainte que leur identité soit révélée. Une levée de l’anonymat pourrait faire craindre une augmentation du nombre « d’abandons sauvages » et d’infanticides. De plus, l’Académie rappelle que la loi actuelle protège l’enfant sans pour autant nier ses attentes, mais elle préserve la liberté de décision de la femme et le choix de son avenir.
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Table des matières
Partie 1 : Introduction
1. Historique et rappel de la loi actuellement en vigueur en France
1.1 Historique
1.1.1 De l’époque gréco-Romaine au Moyen-Age
1.1.2 La Renaissance : du XVème au XVIIème siècle
1.1.3 Du XVIIIème au début du XXème siècle
1.1.4 De la fin du XXème siècle à aujourd’hui
1.1.5 Cadre législatif actuel
2 L’accès aux origines
3 Epidémiologie et comparaison à d’autres pays
3.1 Epidémiologie en France
3.2 Comparaison à d’autres pays
4 Prise en charge des femmes qui accouchent sous le secret à la maternité du CHU de Caen
4.1 Une prise en charge multidisciplinaire
4.2 Modalités d’accouchement sous le secret
4.2.1 Le suivi de grossesse
4.2.2 Prise en charge en salle de naissance
4.2.3 Le séjour en maternité
5 La sage-femme au cœur de la prise en charge
5.1 « Les mères de l’ombre »
5.2 Rôle de la sage-femme
La problématique
Les objectifs et les hypothèses
Partie 2 : Matériel et méthode
1. Matériel
1.1 Lieu de la recherche
2. Méthode
2.1 Critères d’inclusion
2.2 Critères d’exclusion
2.3 Type d’analyse de données
2.4 Accords préalables à la mise en place de l’étude
Partie 3 : Résultats
1. Résultats
1.1 Identification de la population
1.1.1 Age
1.1.2 Année d’obtention du diplôme d’Etat de sage-femme
1.1.3 Secteurs d’activités
1.1.4 Formations
1.2 Que connaissez-vous de l’accouchement sous le secret ?
1.3 Vécu par les sages-femmes
1.3.1 Situation rencontrée
1.3.2 Difficultés éventuelles
1.3.3 Ressenti par les sages-femmes
1.3.4 Aides et ressources
Partie 4 : Discussion
1. Points forts de l’étude
2. Limites de notre étude
3. Rappel de l’objectif
Conclusion
Bibliographie