L’accompagnement éducatif individualisé

Discours des professionnels sur leurs habitudes et leurs postures dans des zones de non-droit

Choix de la thématique et questionnements

Mon inspiration pour ce travail découle de ma première formation pratique au sein de l’Association Départementale pour le Développement des Actions de Prévention 13 (ADDAP13) à Marseille. Lors de ce stage, en prévention spécialisée, le mandat est centré officiellement sur les 11-21 ans. Mais à l’heure actuelle, les éducateurs de rue continuent de suivre les jeunes jusqu’à 25 ans et plus tard. Ce sont bien souvent des jeunes marginalisés et exclus de toutes structures de droit commun. L’ADDAP intervient directement sur leur territoire, qui est la rue ou le quartier. L’intervention est basée sur la libre adhésion et le but est de répondre à leurs demandes qui sont bien souvent la réinsertion sociale et/ou professionnelle. J’ai réalisé mon stage dans les quartiers nord de Marseille, plus précisément à la Castellane. C’est là que j’ai fait mes premières expériences dans la prévention spécialisée.

C’est un domaine qui n’a malheureusement pas beaucoup été traité lors de ma formation académique. Le travail d’éducateur de rue m’a tout de suite passionné. Désireux d’en apprendre davantage, j’ai eu la chance d’être intégré à une équipe composée d’éducateurs ayant des pratiques variées et travaillant sur des territoires aux problématiques diverses. C’est lors de riches échanges pendant les colloques que j’ai constaté la différence de positionnements et de postures de chaque éducateur. Cette observation m’a particulièrement interpellé, étant donné que j’étais en train de construire mon propre positionnement et ma propre posture professionnelle. Je me suis dès lors interrogé : dans un contexte politique français particulier, avec les attentes des jeunes et de leur famille, celles des établissements scolaires, du monde du travail, sans compter les règles institutionnelles et celles du réseau d’économie parallèle propre à Marseille, quel pouvoir d’agir les éducateurs de rue ont-ils ? Quel comportement faut-il adopter avec les jeunes et les habitants du quartier ? Ces jeunes avec lesquels je travaille, font-ils partie du réseau d’économie parallèle parfaitement illégal ? Comment réagir face à une intervention des forces de l’ordre ? Dois-je interdire aux jeunes de fumer de l’herbe lors de séjours où nous les prenons en charge ? Quand un jeune est emprisonné, faut-il lui rendre visite pour garder le lien et réfléchir ensemble à sa sortie et sa réinsertion ? Ce sont ces types de questions qu’un travailleur hors-murs doit se poser afin de définir sa propre posture et son positionnement. Les trois fondamentaux qui définissent la prévention spécialisée sont

1. La libre adhésion

2. L’absence de mandat nominatif

3. Le respect de la confidentialité

L’éducateur est bien souvent la seule personne à faire le lien entre ces jeunes et la société. Il est donc mandaté par les institutions qui ne savent pas vers qui d’autre se tourner. Ce qui différencie la prévention spécialisée des autres pratiques est la posture « d’aller vers ». L’éducateur intervient sur un territoire qui est le lieu de vie des jeunes qu’il va côtoyer. De ce fait, il va devoir assimiler et respecter les différents codes et règles du quartier. Le positionnement et la posture d’un éducateur ne sont pas figés. Ils évoluent tout au long de la vie professionnelle de l’éducateur, souvent pour des raisons de maturité professionnelle ou plus personnelle. Tous les éducateurs de rue ont un regard, une posture et un positionnement professionnels propres à chacun.

Motivations personnelles

Vivant dans une petite ville en Suisse, je n’avais qu’une vision réduite de la multiculturalité. L’expérience à Marseille, grâce notamment à ces populations multiculturelles, m’a permis de vérifier ou infirmer sur le terrain des théories apprises lors de ma formation à la HES-SO Valais/Wallis. Je me suis par ailleurs enrichi sur le plan personnel en découvrant de nouvelles cultures, de nouveaux modes de pensées et de nouvelles manières de vivre ensemble. Ce stage en prévention spécialisée à l’étranger a été très formateur, à la fois sur un plan professionnel et personnel Huter Matthias Bachelor of Arts in Travail Social Pourquoi avoir choisi un stage hors-murs ? Ce fut personnellement une évidence pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce que le lieu de travail était aussi le lieu de vie de nos usagers. L’éducateur les rencontre dans leur quotidien, chez eux ; il doit s’adapter à leur mode de vie.

Cela contrairement à un milieu institutionnel où c’est le jeune qui doit s’adapter aux règles internes de la maison. De plus, je pense que l’approche et la relation que l’éducateur développe avec un jeune est beaucoup plus authentique dans son milieu naturel qu’en milieu institutionnel. Dans la rue, on ne peut pas imposer une manière de faire, au contraire, il faut s’adapter et attendre que les jeunes nous sollicitent. C’est ce qu’on nomme le « principe de libre adhésion ». En foyer, si un éducateur ne parvient pas à créer du lien, les jeunes n’auront pas d’autres choix que de travailler malgré tout avec lui. A l’opposé, lorsque l’éducateur travaille hors-murs et ne parvient pas à communiquer avec le jeune, il devra très rapidement se remettre en question, afin de trouver un moyen de faciliter la mise en relation.

La prévention spécialisée offre également une grande liberté aux éducateurs de rue. En effet, ils ont la liberté de planifier leur emploi du temps ou d’entreprendre des actions qui font sens pour eux. Cela requiert un sens de l’initiative, une qualité d’observation, d’écoute et de communication ainsi qu’un solide équilibre personnel, affectif et émotionnel. Or, cette liberté d’esprit est indispensable dans le travail de rue car elle permet de se mettre au rythme des jeunes et de les accompagner. Il faut bien admettre que certains d’entre eux ont un rythme de vie décalé (ils se couchent tard et se lèvent plus tard encore). L’éducateur de rue devra adapter l’accompagnement en se mettant à leur disponibilité pour débuter toute relation. Un autre point, que je trouve tout à fait stimulant dans la prévention spécialisée, c’est qu’aucune journée de travail ne ressemble à une autre. Chaque jour apporte son lot de surprises, rien n’est jamais acquis et c’est cela qui rend à mes yeux, la prévention spécialisée si intéressante et pleine de sens. Pour être un bon éducateur de rue, je pense qu’il faut tout d’abord, savoir rester humble et ne pas s’imaginer qu’on va changer le monde. Il s’agit d’accueillir le jeune de manière globale, en tenant compte de ses qualités et ses faiblesses tout en travaillant en lien avec ses proches. De plus, il faut garder en tête que le but n’est pas d’orienter le jeune, ni de faire les choses à sa place mais de l’accompagner dans ses envies et ses demandes tout en lui laissant mener ses propres expériences afin qu’il puisse identifier son propre projet de vie. Les motivations étant ainsi définies, la question de départ se pose tout naturellement.

L’accompagnement éducatif individualisé

La présence sociale et les actions collectives sont deux outils qui permettent de créer et maintenir le lien avec les jeunes. Une fois que lien est créé, le jeune peut commencer à faire part de ses demandes et/ou ses envies. C’est à ce moment que débute l’accompagnement éducatif individuel. Là que se trouve le coeur du travail d’un éducateur de rue. Le public pour lequel l’ADDAP13 est mandaté est constitué de jeunes entre 11 et 21ans, mais les suivis se poursuivent souvent jusqu’à 25 ans voire au-delà. Les accompagnements sont divers et variés en fonction de la demande des jeunes. Les principaux axes de travail sont : la scolarité, la formation, l’emploi mais aussi les problèmes en lien avec la famille, le logement et la justice. Parfois, les éducateurs sont confrontés à des problèmes spécifiques tels que : prise en charge du jeune afin de le mettre en condition lors d’un conseil de discipline où il risque l’exclusion de l’établissement scolaire ; accompagnement du jeune chez un assistant social pour lui trouver un lieu de vie, le mineur étant en rupture avec sa propre famille ; orientation du jeune en cas de problèmes de santé physique ou des troubles psychologiques suspectés. Lors de ces types d’accompagnement, il est important d’impliquer autant que possible sa famille ou son entourage. Un éducateur seul ne peut pas tout résoudre ni tout savoir, c’est pourquoi il est primordial pour gagner en efficacité de développer le travail en réseau, c’est-à-dire en y adjoignant des professionnels ! Lors de l’accompagnement éducatif individualisé. La difficulté de l’éducateur est de cibler les difficultés du jeune, de cerner sa personnalité et de l’orienter vers le partenaire le plus adéquat, à même de répondre à ses besoins. Plus l’éducateur se constitue un réseau de partenaires fiables dans plusieurs secteurs et plus il lui sera aisé de mettre le jeune en contact avec la bonne personne.

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Table des matières

1 Présentation de la recherche
1.1 Choix de la thématique et questionnements
1.2 Motivations personnelles
1.3 Question de départ
1.4 Objectifs
2 Concepts et éléments théoriques
2.1 Introduction du cadre théorique
2.2 Description du travail de rue
2.3 La prévention spécialisée
2.4 La zone de non-droit
2.5 Prise en charge du public cible
2.6 Le pouvoir d’agir
2.7 Les types de posture selon Le Bossé
2.8 Question et hypothèses de recherche finales
3 Méthodologie et analyse des données
3.1 Terrain d’enquête
3.2 Echantillonnage
3.3 Méthode de récolte des données
3.4 Enjeu éthique
4 Discours des professionnels sur leurs habitudes et leurs postures dans des zones de non-droit
4.1 Actualité des 3 principes fondamentaux de la prévention spécialisée
4.2 Zone de non-droit : une autre manière d’entrer en relation
4.3 D’un pouvoir d’agir restreint à une quasi-liberté
4.4 La capacité dite de « postures variables »
4.5 Résultats et intégration de l’observation directe
5 Synthèse de l’analyse et bilan de la recherche
5.1 La zone de non-droit lieu où le pouvoir d’agir de l’éducateur et celui des jeunes interfère
5.2 La posture dite de « sauveur » est majoritairement adoptée par l’éducateur
5.3 Le pouvoir d’agir et la posture dans un contexte « multiculturel » de non-droit
5.4 Quelques pistes d’action à l’usage des professionnels
5.5 Bilan méthodologique
5.6 Limites méthodologiques
5.7 Bilan professionnel et personnel
5.8 Résultats par rapport aux objectifs fixés
5.9 Elaboration d’une stratégie consciente dans la posture professionnelle – divers conseils
6 Bibliographie
7 Annexes
7.1 Grille d’entretien
7.2 Canevas d’observation directe
7.3 Convention de retranscription « Transcriber »

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