Infirmière diplômée d’Etat en 2002, j’ai exercé pendant douze ans en service de réanimation médicale. Avec l’expérience, j’ai acquis la certitude qu’une alternative au « sauver » à n’importe quel prix, quelles qu’en soient les conséquences, en négligeant le patient dans sa globalité, était possible. Combien de fois ai-je entendu un médecin réanimateur annoncer la mort imminente d’un patient à sa famille, en demandant simultanément à l’équipe soignante de lancer une hémodiafiltration ? De même, combien de fois ai-je vu la douleur exprimée par le patient minimisée, voire niée par l’équipe médicale ou paramédicale ? En plus de l’incompréhension et du malaise que je pouvais ressentir face à ces nombreuses situations, je pouvais observer l’incompréhension de la famille, son sentiment d’être considérée comme une intruse dans la prise en charge de leur proche, et mal-informée de la situation de l’état de santé de ce dernier. L’unité de soins palliatifs dans laquelle j’exerce actuellement me permet d’appliquer une idée du soin que je n’avais pas pu appliquer, selon moi, en réanimation : l’idée du « prendre soin », avec une qualité de vie du patient favorisée, une dignité retrouvée, une place essentielle accordée aux choix mêmes du patient, aux interactions dans leur globalité, et, plus précisément, avec les membres de la famille de ce dernier, que je considère pour ma part comme « des acteurs » et des partenaires de soin à part entière. De fait, la situation évoquée ci-après illustre bien, à mon sens, les enjeux et la primordialité des interactions entre l’équipe soignante, le patient et sa famille, mais également leur complexité, leurs conséquences et les difficultés qu’elles peuvent engendrer sur l’accompagnement et la prise en charge du patient atteint d’une maladie grave et évolutive.
SITUATION
Exerçant depuis trois ans environ dans une unité de soins palliatifs dans l’Essonne, je fais connaissance, le 31 Janvier au matin, en prenant mon poste, avec Mme M., 69 ans, venant de son domicile via le réseau NEPALE, et entrée la veille pour une prise en charge de ses douleurs non maîtrisées, dans le cadre d’un cancer du pancréas en échappement thérapeutique après trois lignes de chimiothérapie. Madame M. est autonome sur le plan physique. Elle bénéficie d’une aide au ménage plusieurs fois par semaine. Une infirmière vient deux fois par jour à son appartement, dans lequel elle vit avec son mari. Elle a deux enfants, une fille et un garçon, qui sont ses principaux aidants et très investis dans la maladie de leur mère. Elle apparait très proche d’eux, notamment de sa fille, qui dévoilera à l’équipe soignante, au fil des entretiens, que sa mère l’avait veillée en permanence quand elle était, enfant, gravement malade, et régulièrement hospitalisée. Leur père est présenté par ses enfants comme ayant des troubles cognitifs, sans d’autres détails. Il restera en retrait durant toute l’hospitalisation de Madame, s’exprimant peu et intervenant seulement lorsque l’équipe l’y encouragera. Madame M., avant son hospitalisation, a rédigé, via le modèle du site internet officiel de l’administration française* , des directives anticipées, dans lesquelles elle indique souhaiter « une sédation profonde et continue associée à un traitement contre la douleur en cas d’arrêt des traitements la maintenant artificiellement en vie ». La patiente a passé une très mauvaise première nuit. Elle a été très douloureuse et a appelé sa fille, sa personne de confiance, pour lui demander de venir à son chevet. Madame M. pleure et est dans les bras de cette dernière. Elle dit souffrir atrocement, et est très agitée. La fille de Madame M. souhaite me montrer la prescription médicale du traitement antalgique à domicile de sa mère, me donne des instructions quant à ses pratiques et horaires d’administration, et souhaite voir le médecin afin de faire le point, car, « le traitement actuel ne convient pas. Ma mère ne peut pas continuer à souffrir ainsi. On ne l’a pas amenée ici pour qu’elle ait encore plus mal ».
J’écoute la fille de Mme M, essayant d’établir une relation de confiance devant le tableau de grande détresse physique et psychologique de la patiente ; en effet, je sens sa fille tendue et méfiante. Un premier entretien médical avec les enfants a lieu dans la matinée, qui clarifie le traitement antalgique. Je me rends compte rapidement, ainsi que l’équipe soignante, au gré de nos interactions interdisciplinaires et réunions professionnelles, que Mme M. n’adopte pas le même comportement avec les soignants qu’avec ses enfants.
En effet, ses douleurs, localisées essentiellement au niveau abdominal, sont majorées, voire déclenchées par la venue ou la présence de ses enfants, ce qui motive, de la part du médecin, dans un premier temps, l’introduction de morphiniques par PCA (Patient Controlled Analgesia) sur port-à-cath (PAC) le 02 Février, ainsi que d’anxiolytiques au besoin, puis, dans un deuxième temps, l’augmentation des doses de morphiniques de la PCA. Parallèlement, des traitements complémentaires sont proposés à la patiente : hypnothérapie, aromathérapie, massages, bains thérapeutiques, etc., ainsi que la poursuite des séances avec la psychologue du service. Mme M. est très angoissée, appelle ses enfants la nuit pour leur signifier des douleurs physiques intenses malgré l’administration des thérapeutiques médicamenteuses et demande leur présence en permanence. Les jours et les nuits de ses enfants sont rythmés par les moments d’agitation, d’angoisse et de pleurs de leur mère. La lourde prise en charge de Madame M., qui a l’impression « qu’on ne s’occupe pas d’elle », et à qui l’équipe soignante consacre beaucoup de temps, me demande beaucoup d’énergie et de patience ; l’accompagnement que je réalise auprès de ses enfants aussi. En effet, il arrive parfois de me sentir « envahie » par leur besoin de présence ou leur angoisse, mal à l’aise devant leurs remises en question des traitements ou des positionnements adoptés par l’équipe soignante. De même, leur ambivalence, entre confiance et défiance envers l’équipe soignante, l’expression de certains mécanismes de défense de la part de la fille, notamment la maîtrise, sont, pour ma part, éprouvants.
La dynamique familiale
Définitions
La maladie grave et évolutive
Elle a une notion d’irrévocabilité, dans le sens où elle conduit inexorablement à la fin de vie et au décès de la personne malade. « (…) La maladie grave et évolutive (…) met en jeu (…) », à plus ou moins long terme, « le pronostic vital (…) » (1) . Ce terme est variable selon la pathologie, l’état de santé de la personne atteinte, ou encore ses antécédents. La maladie grave et évolutive concerne des pathologies telles que le « (…) cancer, la maladie neuro–dégénérative (…), ou tout autre état pathologique lié à une insuffisance fonctionnelle décompensée (…) » (1) . La phase terminale de la maladie signifie l’imminence du décès de la personne malade, qui survient dans les jours ou les heures qui suivent « l’entrée » dans cette phase terminale.
La démarche palliative
La démarche palliative peut être adressée à la personne atteinte d’une maladie grave et évolutive. Elle est centrée sur l’approche globale et individualisée de la personne, s’attache à aborder les situations de fin de vie de manière anticipée en visant la qualité de vie du patient et le respect de ses attentes et projets, en s’adaptant aux améliorations et aggravations de sa pathologie, tout en évitant de séparer les traitements curatifs des traitements palliatifs.
Le groupe familial
Le dictionnaire du Petit ROBERT propose plusieurs définitions de la famille :
– du latin « familia », signifiant « serviteur »(1);
– au sens éthymologique, c’est « l’ensemble des personnes vivant sous le même toit», notamment « le père, la mère et les enfants » (1).
– au sens didactique du terme, c’est « l’ensemble des personnes unies par le sang ou les alliances et composant un groupe » (1) .
En premier lieu, l’origine du mot est intéressante, car elle renvoie à la notion de service et de devoir : les membres d’une même famille, du même groupe ou cercle familial, auraient donc le devoir de se « servir », et, par extension, de se porter assistance. En second lieu, nous retrouvons la notion d’unité, et donc d’appartenance, dans la définition didactique. Gérard Salem, psychanalyste, propose, en 1996, dans « l’approche thérapeutique de la famille », la définition suivante : « selon l’approche systémique* , la famille se caractérise par le fait que le comportement de chacun de ses membres est, de façon subtile et plus ou moins visible, relié au comportement des autres membres et à celui de la famille en tant qu’unité (…). Elle est tissée par l’ensemble des influences réciproques qui s’exercent à partir (…) des sentiments, des désirs, des émotions, (…) du langage, de la communication. La réalité familiale émerge de tout ce qui constitue la trame interactionnelle (…), c’est-à-dire l’identité collective spécifique de chaque famille, jamais vraiment semblable à une autre (…). Le comportement de chaque membre influence directement ou indirectement celui des autres, tout en étant influencé en retour. Selon l’intensité de ses liens, tout changement survenant chez l’un de ses membres affecte plus ou moins l’équilibre du groupe familial et provoque des changements d’adaptation chez les autres membres »(2) . Cette définition introduit la notion de mouvement, d’échanges, d’influences réciproques évoluant entre chaque individu de cette unité, par le biais du langage, de la communication.
Elle est propre à elle- même (une famille n’est « jamais semblable à une autre) ». Chaque individu de ce groupe s’adapte, ou tente de s’adapter aux changements pouvant survenir au sein de ce dernier afin d’en maintenir l’équilibre et la balance. C’est la notion de dynamique familiale, dans laquelle différentes forces opèrent.
désorganisation de la dynamique familiale
Quand un évènement extérieur, ici, en l’occurrence, la maladie grave et évolutive, fait irruption dans la cellule familiale, l’équilibre s’en trouve modifié, et induit une fragilisation de l’unité de ce dernier. Léonard Nguimfack, docteur en psychopathologie et psychologie clinique, affirme, dans son article basé sur une étude intitulée « Expérience familiale subjective et dynamique psychique familiale », que, « (…) du fait de l’éprouvé (sentiments, affects) (…), le sens que la famille donne au diagnostic (…) du cancer d’un de ses membres entraîne des remaniements dans le fonctionnement de l’appareil psychique familial » (1) . Chaque membre du groupe familial perd ses marques. Les responsabilités se répartissent différemment ; chacun doit retrouver une place qui lui est propre.
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Table des matières
Introduction
Situation – Problématique
I- La dynamique familiale
1- Définitions
a. La maladie grave et évolutive
b. La démarche palliative
c. Le groupe familial
2- Désorganisation de la dynamique familiale
a. Physique et psychologique
b. Sociale
c. Spirituelle
3- Réorganisation de la dynamique familiale
a. Les fonctionnements familiaux
b. Les mécanismes de défense
II- Difficultés rencontrées par l’équipe soignante
1- La projection agressive
2- La culpabilité
3- L’angoisse
4- L’ambivalence
III- Solutions proposées
1- Cadre légal
a. La personne de confiance
b. L’accompagnement des familles
2- Intérêt des soins palliatifs
a. Définition
b. Les unités de soins palliatifs
c. L’équipe interdisciplinaire
d. Le groupe de parole
Conclusion
Glossaire – Bibliographie – Annexes