L’accès aux espaces naturels, agricoles et forestiers : où s’arrête la liberté de circuler ?
Vivre l’idée de Nature se traduit, selon les uns ou les autres, à pique-niquer dans les prairies, à courir dans les bois, à longer les berges des lacs et des étangs, à scruter les rivages… Ces sorties en plein air durent la journée, une heure ou bien des mois. Sur un même lieu se succèdent des amateurs d’espace naturel aux attentes les plus contrastées : à l’automne, les chasseurs, au printemps, les amateurs de chant d’oiseaux et l’espace de deux jours d’été, des aficionados de rave parties. Les maisons, les cités et les villes sont délaissées au profit d’un ailleurs vert hors du temps dont l’accès génère un sentiment d’évasion, de dépaysement ou d’« en-paysement ». Depuis quelques décennies, la campagne symbolise un espace de liberté (HERVIEU et VIARD 1996) longtemps réservée à la ville. Liberté de voir, de circuler, de cueillir, de construire des cabanes, de s’approprier un lieu, ni public, ni privé. La richesse de la campagne s’apparente à la découverte potentielle au fur et à mesure des pas d’un lieu qui en partie nous échappe, situé quelque part entre le sauvage et le domestique. La campagne se distingue ainsi des parcours normalisés des jardins publics, des squares ou des espaces verts paysagers.
En ville, les espaces d’errances s’arrêtent aux portes des immeubles et aux grilles des jardins, limites manifestes entre un domaine public et un domaine privé. Ils se terminent aux vitrines des magasins, frontières entre un espace marchand, fermé la nuit, et un espace de libre circulation. Ils se prolongent visuellement dans le paysage mural : les façades, les balcons, les fenêtres ouvertes, d’où s’échappent des détails de vie domestique. Les espaces d’errance s’organisent ainsi autour des axes de circulation support de flux hiérarchisés. Les voies des piétons, des autos, des bus et des vélos sont séparées pour répondre à des critères de sécurité et d’efficacité. A chaque lieu est allouée une fonction aux règles d’accès normalisées.
Si à la ville, autrui est si prégnant, à la campagne, on ne peut pas s’en abstraire longtemps. La vie des villages est ponctuée de querelles de voisinages, de litiges fonciers ou de plaintes notamment contre le passage répété de ces « citadins » randonneurs, assoiffés de paysages. La surveillance par la communauté locale revêt ainsi une qualité sécuritaire et un défaut pesant : le regard permanent. Pour celui qui visite et qui ne fait que passer, ce regard et la présence de l’autre sont, dans un premier temps, peu visibles. Les limites entre le pallier, le balcon et la rue sont moins évidentes dans les espaces ruraux. Les haies, les champs, les jardins potagers et les broussailles donnent des repères d’appropriations qu’il faut décoder. Parfois, les limites de territoires sont fermement affichées par des panneaux qui nous informent qu’un chien monte la garde, que l’entrée est interdite, que des pièges nous menacent. Tant qu’il reste des chemins, des bois, des landes ouverts au regard et au passage ces marques sont supportables. On y circule à pied, en vélo, en moto, en 4X4 ou en tracteur en évitant les clôtures.
L’accès aux espaces naturels : constats et enjeux
Le développement des loisirs verts
Les espaces naturels, agricoles ou forestiers sont des lieux où s’exercent toutes sortes d’activités de loisirs. Le VTT, la randonnée, l’équitation, l’escalade, la moto verte, etc., se pratiquent en forêt, en montagne, en bord de mer mais aussi dans la campagne banale sur les chemins, en bordure des champs et des bois. Les loisirs verts ont commencé à se développer de façon importante entre les deux guerres mondiales en devenant populaires au départ avec la randonnée et les excursions dans la nature (J. C. RICHEZ 1995, p 399). Mais ils se sont notablement diversifiés depuis une vingtaine d’années et ont pris une ampleur nouvelle en terme de nombre de pratiquants et de surface fréquentée. Ce sont des loisirs pour les vacances en bord de mer, en montagne ou à la campagne mais aussi des loisirs hebdomadaires pour les temps libres à proximité des lieux de vie quotidiens. D’un point de vue temporel, ces loisirs se pratiquent ainsi de plus en plus à toute période de l’année. D’un point de vue spatial, on peut distinguer plusieurs types de lieux. Les espaces les plus concernés en termes de fréquentation sont :
1) les zones touristiques – où s’est spécifiquement mise en place une économie des loisirs-, et,
2) des lieux au paysage remarquable -forêts ou zones naturelles spécifiques- à proximité des agglomérations : comme les montagnes du Forez pour les Stéphanois, la chaîne des Puys pour les Clermontois, les forêts d’Ile de France pour les Franciliens, les calanques pour les Marseillais, etc. Sur ces sites se pose alors, de façon parfois alarmante la question de l’accueil du public notamment pour préserver les milieux et les usages traditionnels.
En dehors de ces lieux emblématiques, les campagnes dites banales et les zones proches des agglomérations deviennent aussi des lieux de loisirs. Les problèmes liés à ces fréquentations se posent dans des termes légèrement différents mais ils sont tout aussi préoccupants pour les propriétaires et les collectivités locales. En effet, ces pratiques récréatives se développent de façon diffuse et spontanée sur des espaces où l’accès n’est pas explicitement réglementé. Ces espaces sont en majorité privés et l’adéquation entre un usage public pour les loisirs et une appropriation privative du sol pose naturellement question. Que ce soit donc dans des lieux hautement fréquentés ou dans des lieux de fréquentations modérées par le public, des questions restent ouvertes. En effet, face à un essor du loisir vert, des problèmes de protection et de gestion du milieu naturel et des formes de contestations de la part des gestionnaires de ces territoires en témoignent. Des chemins se ferment, des bois sont clôturés, des panneaux du type « propriété privée – Défense d’entrer » bordent les voies de circulation. Les propriétaires ne cachent pas leur agacement de voir des personnes profiter de leurs terrains gratuitement alors qu’ils ont en charge leur gestion et leur entretien : « Je paye 750 000 FF chaque année pour entretenir ma propriété et eux ils ne payent rien pour venir chez moi et en plus ils ont le bon goût de laisser des papiers gras en signe de remerciement » . En dehors de la chasse et la pêche qui participent directement au financement de la gestion de ces espaces par la location de baux, les loisirs de plein air apportent, en effet, peu de bénéfices directs aux propriétaires. Pourtant ces loisirs sont porteurs de nouvelles richesses pour le développement des territoires.
La fonction récréative des espaces naturels : des enjeux socio-économiques
Les activités récréatives de plein air ont d’une part une fonction sociale importante pour le bien être des usagers. Ils ont d’autre part une fonction économique, qui est clairement établie dans les zones de tourisme de masse, et qui se met en place de façon plus diffuse, avec le développement du tourisme vert, dans les zones rurales.
Les acteurs politiques ont conscience de ces enjeux socio-économiques. Rappelons les propos d’un ancien ministre de l’environnement : « Le territoire français dispose d’atouts touristiques de tout premier plan, notamment à l’échelle de la Communauté Européenne. Avec des territoires les plus étendus et les plus attractifs la France devra répondre à l’accroissement d’une demande d’espaces et d’aménagements pour les activités récréatives » (Brice Lalonde, ministre de l’environnement, 1991, séance plénière d’ouverture du colloque tourisme et environnement, La Rochelle). Le territoire français bénéficie d’un riche potentiel d’espaces ludiques et récréatifs pour les loisirs de plein air. Il constitue un territoire agricole et forestier qui brille par sa variété et son étendue avec une urbanisation relativement diffuse, ce qui le distingue par exemple de l’Espagne où des espaces désertiques séparent des groupements d’habitat, ou des pays nordiques où les zones urbanisées s’étalent au milieu de plaines agricoles au paysage peu varié. « Avec une densité de population modérée par rapport à la plupart de ces pays voisins européens, la France dispose de vastes espaces naturels. La grande diversité de ses territoires, issue de la géomorphologie, du climat et du travail des hommes, tend à être de plus en plus considéré comme un « capital naturel » de développement » (AFIT 2000, p. 13). Dans un contexte où les usages productifs traditionnels des espaces ruraux sont en mal de maintenir un tissu économique et social vivant dans les campagnes, le tourisme vert apparaît alors comme une forme de valorisation de ces espaces dont a si souvent annoncé la désertification (MENDRAS 1970). Même si la valorisation de ce « capital » naturel comme un levier touristique est clairement identifiée au niveau national, la mise en place d’une économie locale des loisirs verts n’est cependant pas aussi simple.
|
Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
PARTIE 1 : L’ACCÈS AUX ESPACES NATURELS, AGRICOLES ET FORESTIERS: OBJET DE RECHERCHES
CHAPITRE 1 : L’ACCÈS AUX ESPACES NATURELS : CONSTATS ET ENJEUX
CHAPITRE 2 : LE CADRE INSTITUTIONNEL DE GESTION DE L’ACCÈS AUX ESPACES NATURELS EN FRANCE AU REGARD DE DIFFÉRENTES SITUATIONS EUROPÉENNES
CHAPITRE 3 : DIFFÉRENTS REGARDS DISCIPLINAIRES SUR LA QUESTION DE L’ACCÈS
CHAPITRE 4 : UNE PROBLÉMATIQUE GLOBALE ET INTERDISCIPLINAIRE
CHAPITRE 5 : ORIENTATIONS DE RECHERCHE
CHAPITRE 6 : MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE
PARTIE 2 : LA GESTION DE L’ACCÈS À L’ÉCHELLE DES LIEUX
CHAPITRE 7 : IMPORTANCE DES INTERACTIONS, À L’ÉCHELLE DES LIEUX, ENTRE LES ACCÉDANTS ET LES TITULAIRES
CHAPITRE 8 : EXISTENCE DE PROCESSUS D’AJUSTEMENTS ENTRE LES ACTEURS À CE NIVEAU D’ÉCHELLE
CHAPITRE 9 : LES FACTEURS QUI STRUCTURENT LA NÉGOCIATION
CHAPITRE 10 : ELÉMENTS POUR UNE STRATÉGIE D’INTERVENTION À L’ÉCHELLE DES MICROCONFLITS
PARTIE 3 : LA GESTION DE L’ACCÈS À L’ÉCHELLE COMMUNALE
CHAPITRE 11 : GÉRER DES ESPACES VERTS PÉRIURBAINS : LE CAS DE JANVILLE SUR JUINE
CHAPITRE 12 : ALLIER TOURISME VERT ET ÉLEVAGE BOVIN : LE CAS D’EGLISENEUVED’ENTRAIGUES
CHAPITRE 13 : LA PERTINENCE DU TERRITOIRE COMMUNAL COMME ÉCHELLE DE GESTION DE L’ACCÈS
PARTIE 4 : LA GESTION DE L’ACCÈS À L’ÉCHELLE DÉPARTEMENTALE
CHAPITRE 14 : DES GESTIONS INSTITUTIONNELLES PARTIELLES
CHAPITRE 15 : LE RÔLE MOTEUR DES ACTEURS DES SPORTS ET DES LOISIRS DE PLEIN AIR
CHAPITRE 16 : DES TERRITOIRES DE GESTION
CONCLUSION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES MATIÈRES DÉTAILLÉE
ANNEXES
Télécharger le rapport complet