L’accès à l’écrit de l’enfant sourd

Depuis toujours, l’âge et le vieillissement sont des facteurs à l’origine de la surdité. Nous y sommes tous confrontés. C’est la presbyacousie. C’est un phénomène naturel où les cellules ciliées de l’oreille interne, responsable de la transmission des vibrations sonores, s’usent progressivement au cours du temps. Cette surdité s’accentue par les nuisances sonores liées à l’environnement, la nicotine, le diabète, le taux de cholestérol ou des infections dans les différentes parties de l’oreille. En 2015, le professeur A. Davis de l’Institut britannique de recherche sur l’audition estime que plus de 700 millions de personnes seraient touchées par la déficience auditive dans le monde. En France, sur 65 millions d’habitants, la surdité touche environ 6 millions de citoyens : 4 millions d’individus ont des surdités liées à l’âge et 2 millions de personnes ont moins de 50 ans.

Chez les jeunes, la surdité devient de plus en plus fréquente. Les causes sont variables. Elles peuvent être infectieuses, génétiques, héréditaires, accidentelles ou liées à l’utilisation de matériel favorisant la perte de l’acuité auditive comme les écouteurs. Il est important de noter que 35% de ces surdités ont encore une cause indéterminée. D’après l’étude démographique de l’INSEE (INSEE première, n°1630), en 2015, 767 000 enfants sont nés en France. Parmi eux, 12 800 enfants ont été diagnostiqués sourds dont 11 500 avaient des antécédents familiaux. Ce chiffre augmente tous les ans, puisqu’en 2017, nous atteignons les 15 000 enfants nés sourds en France sur un total de naissance avoisinant les 750 000 (INSEE première, n°1630).

Lorsque le diagnostic de la surdité est établi, un appareillage est proposé aux enfants ou aux adultes pour remédier aux difficultés auditives. Un contour d’oreille peut être posé derrière l’oreille et utilisé comme un amplificateur de sons. Un implant cochléaire demande, quant à lui, un acte chirurgical. Des électrodes remplacent les cellules ciliés de l’oreille interne facilitant la perception des sons environnant et notamment ceux de la parole en identifiant les fréquences et les intensités des sons perçus par l’individu.

Surdité et évolution historique : émergence d’une controverse 

La surdité, identifiée aujourd’hui comme un handicap , a été en réalité repérée au cours de l’Antiquité, aux alentours du Vème siècle avant J.C. Les premiers écrits du médecin Hippocrate associaient la cavité du conduit auditif de l’oreille à un orifice respiratoire, tout comme la bouche et les narines. A cette approche anatomique, va succéder une approche éducative. Pensant que la perte auditive entraine une absence de langage, Aristote analyse les retentissements de cette surdité sur l’apprentissage et sur l’intelligence : «l’ouïe contribue à la pensée pour la très grande part, car le langage est la cause de l’instruction. Il se compose en effet de mots et chacun des mots est un signe. C’est pourquoi, parmi les hommes privés congénitalement d’un sens, les aveugles nés sont plus intelligents que les sourds» (Aristote, 1870, p.1467). L’oreille devient un véritable sujet d’étude à la Renaissance, aux XVème et XVIème siècles. Différents types de surdité seront notamment définis. Ils sont utilisés encore aujourd’hui dans les diagnostics médicaux.

La pensée médicale : du néant à la prise en compte de la surdité

Au Vème siècle avant J.C, après avoir pensé que l’oreille faisait partie du conduit respiratoire, « l’air semblait vibrer jusqu’aux tuyaux auriculaires » (Guerrier, 1980, p.47), Hippocrate s’intéresse à l’oreille interne, et notamment à la membrane tympanique : « Il est le premier à découvrir un tympan » (Veillon, 2013, p.3). D’après Hippocrate, le son semble faire vibrer la membrane du tympan qui propage ensuite les ondes acoustiques vers l’encéphale : « il décrit la membrane tympanique […] comme des caisses de résonnance d’où le son serait renvoyé au cerveau » (Carrat, 2009, p.21).

Un siècle plus tard, le philosophe Aristote, issu de famille de médecins et de physiciens, poursuit les travaux d’Hippocrate. Admettant la propagation du son par la vibration du tympan, il contredit l’idée d’un conduit auditif reliant l’oreille à l’encéphale: « l’oreille ne communique pas avec le cerveau » (Berthelemy-Saint-Hilaire, 1856, p.30). Considérant l’oreille comme un lieu fermé, il explore la possibilité d’un conduit reliant l’oreille droite à l’oreille gauche. La présence de ce conduit auditif faciliterait la propagation du son entre les deux oreilles : « le conduit auditif est dirigé d’une manière absolument apposée dans l’oreille droite et dans l’oreille gauche, de manière qu’ils doivent entendre les sons aussi parfaitement, soit qu’ils viennent d’en haut ou d’en bas » (Camus, 1783, p.572). Pour Aristote, ce conduit reliant l’oreille droite à l’oreille gauche permet de percevoir tous les sons environnants.

De l’anatomie aux formes de surdité 

Après les premières découvertes anatomiques de l’oreille, au XIVème, le chirurgien, Guy de Chauliac découvre deux formes de surdité : la surdité de transmission et la surdité de perception (Chauliac, 1598, p.356). Afin de comprendre ce qui caractérise ces deux formes de surdité, il est indispensable de connaitre la structure interne de l’oreille et ses composantes. L’oreille est composée de trois parties : l’oreille externe, moyenne et interne. L’oreille externe est composée du pavillon (la partie visible de l’oreille), du conduit auditif et du tympan. Elle perçoit les sons environnants, les comprime et les dirige vers l’oreille moyenne.

Le silence des sourds interroge…

Entre 1680 et 1770, Jean Baptiste Morgagni, professeur à Padoue en Italie, associe l’absence d’oralisation du sourd à une conséquence médicale. Il observe un lien entre la perte auditive et l’écoulement d’un liquide infectieux du conduit de l’oreille. Pour Morgagni, soigner cette infection permettrait à l’enfant de mieux entendre et de faciliter les échanges. Professeur et chef de service de Radiologie à l’Hôpital de l’Hautepierre à Strasbourg, Veillon revient, dans son ouvrage Imagerie de l’oreille et de l’os tempora (Veillon, 2013), sur l’évolution de l’imagerie médicale après plus d’un siècle de recherche. Il évoque les travaux de Jean-Baptiste Morgagni et écrit qu’il « découvre le mucus dans l’oreille de l’enfant et affirme que l’otorrhée vient de l’oreille et non du cerveau ainsi qu’on le croyait depuis Hippocrate » (Ibid. p.368). Dans le contexte d’une époque du XVIIème siècle, considérée comme l’âge d’or de la science, cette découverte est une révolution. Elle prédit à la médecine de découvrir bientôt le remède pour soigner la surdité. A l’inverse, au siècle suivant, le Docteur Conrad Amman ne cherche pas à trouver une raison médicale à cette absence de voix. En se regardant dans le miroir, il découvre la possibilité de rendre visible la parole par l’image réfléchie de ses lèvres. Il tente ainsi de déployer un processus imagé d’oralisation pour aider l’individu sourd à prononcer les mots. Il développe la lecture sur les lèvres appelée labio-lecture : « Car la parole humaine […] est une combinaison de types de sons diversifiés dont la variété résulte […] des différents organes et mouvements qui, […] devraient suffire pour que l’individu sourd discerne les sons par la vue tout comme les autres les perçoivent par l’ouïe. Ainsi avec le temps les sourds devraient-ils apprendre à parler » (Amman, 1779, p.53). Pour Amman, ce qui n’est pas perçu oralement, peut être perçu visuellement. Ainsi, si l’individu peut reproduire oralement ce qu’il entend, Amman fait l’hypothèse que l’individu sourd peut reproduire oralement ce qu’il voit labialement. Au début du XIXème siècle, les progrès scientifiques se font spectaculaires dans tous les domaines. La découverte de l’électricité par Ampère en 1820 ou le vaccin contre la rage de Pierre et Marie Curie en 1895 prédisent des évolutions sociales. La science devient un domaine d’intérêt incontournable. Dans ce contexte d’innovation, les médecins s’interrogent sur les conséquences de la surdité. Ils s’y intéressent notamment après le congrès de Milan de 1880. Composé majoritairement de Français et d’Italiens, parmi les deux cents cinquante participants, seuls quatre instituteurs sourds sont présents, dont deux français. Aucun interprète en Langue des Signes n’est présent pour traduire le contenu de ce congrès. Malgré les réticences de quelques participants, notamment Américains, les congressistes décident de généraliser l’apprentissage de la langue par l’enseignement de la méthode orale. Déjà appliquée en France depuis la rentrée 1779, elle s’étend par la suite, sur tout le territoire. En interdisant la pratique de la langue gestuelle dans tous les apprentissages scolaires , le congrès de Milan exclut également la présence d’éducateurs sourds dans l’enseignement.

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Table des matières

AVANT-PROPOS
REMERCIEMENTS
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES FIGURES
LISTE DES ABREVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES
GLOSSAIRE
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : LA SURDITE AU CŒUR DES PENSEES MEDICALE, PHILOSOPHIQUE, ECCLESIALE ET EDUCATIVE
1. LA PENSEE MEDICALE : DU NEANT A LA PRISE EN COMPTE DE LA SURDITE
1.1 De l’anatomie aux formes de surdité
1.2 Le silence des sourds interroge
1.3 Les progrès médicaux et la technologie
1.4 Conclusion
2. LA PENSEE HUMANISTE
2.1 La pensée : une question de verbalisation
2.2 Une pensée sans langage : un accès à l’éternité
2.3 L’époque des lumières : la recherche du sens dans l’utilisation du geste
2.4 Conclusion
3. LA PENSEE ECCLESIALE
3.1 L’oralisation : une nécessité pour évangéliser
3.2 L’Espagne : Précurseur de l’éducation des sourds
3.3 Les ecclésiastiques français et l’éducation gestuelle
3.4 Conclusion
4. LA PENSEE EDUCATIVE
4.1 L’éducation : la combinaison de la phonétique et de la sémantique
4.2 Le succès de l’oralisation controversé
4.3 Accéder à l’écrit : la priorité
4.4 Conclusion
5. CE QU’IL FAUT RETENIR DU CHAPITRE
CHAPITRE 2 : L’INSTITUTION JURIDIQUE ET LA SCOLARISATION DES ENFANTS SOURDS DANS LA SOCIETE
1. LA MONTEE PROGRESSIVE DE L’ORALISME
1.1 L’influence de la pensée oraliste
1.1.1 L’ancrage du mouvement oraliste : 1878
1.1.2 Milan 1880 : la Langue des Signes interdite ?
1.2 La remise en cause de l’oralisme
1.3 Les conséquences de l’oralisme : Alfred Binet et Théodore Simon
1.4 Conclusion
2. LA PRISE EN COMPTE DU HANDICAP : UN ENJEU DU XXEME SIECLE
2.1 La loi du 15 avril 1909 : une loi pour l’instruction publique
2.2 Loi du 30 juin 1975 : mobilisation des institutions autour de la scolarisation des enfants handicapés
2.3 Réhabilitation de la Langue des Signes par le bilinguisme
2.4 Conclusion
3. LA DIFFICILE PROGRESSION VERS LE XXIE SIECLE
3.1 Une reconnaissance tant attendue
3.2 Le XXIème siècle : une école en difficulté
3.3 Conclusion
4. CE QU’IL FAUT RETENIR DE CE CHAPITRE
CHAPITRE 3 : L’ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE AUX SOURDS : LES DIFFICULTES DU TERRAIN
1. CHOIX DE L’INCLUSION : DES DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS CONTRADICTOIRES
2. LES DIFFICULTES LINGUISTIQUES DU SOURD A L’ECRIT
2.1 Les difficultés spécifiques de l’écrit d’un enfant sourd signant
2.1.1 Les difficultés syntaxiques
2.1.1.1 La syntaxe de la phrase
2.1.1.2 L’utilisation des articles
2.1.1.3 L’absence des prépositions
2.1.2 Les difficultés sémantiques
2.1.2.1 Le sens au travers la fonction iconique du geste
2.1.2.2 L’accès au sens au travers l’utilisation de prépositions
2.1.2.3 le paralangage de l’écrit
2.1.2.4 La répétition : un accès au sens difficile
2.1.3 Les difficultés orthographiques
2.1.3.1 Les formes verbales : une représentation difficile en Langue des Signes Française ?
2.1.3.2 La graphie du mot peut-il empêcher l’accès au sens du message ?
2.2 Difficultés spécifiques d’un sourd utilisant le Langage Parlé Complété (Langage Parlé Complété)
2.2.1 Les difficultés syntaxiques
2.2.1.1 la structure de la phrase
2.2.1.2 L’utilisation des articles et adjectifs possessifs
2.2.1.3 L’utilisation des prépositions
2.2.2 La retranscription
2.2.3 Les difficultés orthographiques
3. CONCLUSION DU CHAPITRE
CONCLUSION

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