L’abuseur intrafamilial
La violence conjugale est un phénomène qUI, en raison de son ampleur considérable, préoccupe les chercheurs. Statistique Canada (2011) a estimé, en 2011, que le nombre de crimes violents contre les femmes de 15 ans et plus est d’un peu plus de 173 600. Cela représente un taux de 1207 femmes victimes pour 100 000 femmes dans la population.
Dans la littérature, il est possible d’observer une grande diversité de conceptualisation de la violence conjugale. Des modèles explicatifs ont été élaborés pour apporter une plus grande compréhension des hommes ayant des comportements violents envers leur conjointe. À titre d’exemples, le modèle féministe, le modèle de l’apprentissage social ainsi que l’explication par les traits de personnalité et les troubles mentaux ont été élaborés. Beaucoup d’auteurs se sont intéressés à identifier les hommes violents et leurs dynamiques. Les études démontrent notamment que les hommes à comportements violents affichent plus de symptômes de détresse psychologique, de troubles de la personnalité, de conduites d’attachement dysfonctionnelles, d’ hostilité, de colère, de problèmes de consommation d’ alcool et de moins bonnes habiletés sociales que les hommes non-violents (Holtzworth-Monroe, Bates, Smutzler, & Sandin, 1997). Les études ont également montré qu’il n’existe pas un portrait unique de l’homme ayant des comportements violents, ce qui a eu pour effet de provoquer un mouvement vers des représentations typologiques de ceux-ci. Des études ont été réalisées afin de mettre en lumière les différences existantes entre les hommes violents, créant ainsi différents sousgroupes. Les recherches basent leurs typologies sur des caractéristiques contextuelles (type de violence, fréquence de celle-ci, etc.) et d’autres incluent des composantes psychologiques, c’est -à-dire des caractéristiques de personnalité.
Violence conjugale
Les conflits sont omniprésents dans les relations de couple. Deux personnes ne peuvent pas toujours s’entendre sur toutes les activités quotidiennes vécues. Chaque partenaire est unique, provient d’un milieu différent, a vécu des expériences et chérit des valeurs différentes. Les choix et les désirs de chacun ne peuvent donc concorder en tout temps, ce qui engendre des réactions et des comportements distincts. L’affirmation de chacun se réalise, pour la plupart des couples, avec souplesse et compromis afin que chacun soit satisfait. Les désaccords seront ainsi résolus avec des stratégies efficaces. Cependant, lors de certaines situations, le couple ne sera pas en mesure de réaliser une bonne négociation et une forme d’agressivité peut être utilisée afin de tenter de gagner le conflit. Les menaces, l’humiliation, l’isolement, les insultes, le harcèlement, la contrainte, la privation de ressources, l’ intimidation et la force afin de dominer et d’insécuriser le partenaire représentent les comportements de violence au sein du couple (Lafontaine, Brassard, & Lussier, 2006; Wright, Lussier, & Sabourin, 2008; Wright & Sabourin, 1985).
Définitions de la violence conjugale
Il existe plusieurs défmitions de la violence conjugale. Il est cependant encore difficile de trouver une définition complètement opérationnelle, particulièrement lorsque l’on observe une société aussi diversifiée que le Québec. Le gouvernement et les différentes institutions luttant contre la violence tentent d’ apporter un éclaircissement afin de favoriser le développement d’un consensus (Lafontaine, Brassard, & Lussier, 2006; Wright & Sabourin, 1985). Précisons que, dans le cadre de cet essai, il sera question de la violence des hommes faite aux femmes. TI est important de mentionner que la violence exercée par les femmes existe. Toutefois, la littérature sur les femmes ayant des comportements violents est plus récente, moins développée et ce phénomène a ses propres particularités.
Les mouvements féministes définissent la violence conjugale en mettant l’accent sur les formes de violence. En 1987, McLeod définit la violence conjugale de la façon suivante: une femme battue est celle qui subit directement et régulièrement de la violence physique, psychologique, économique, verbale ou sexuelle. Elle craint pour sa sécurité, a perdu sa dignité, son autonomie et se sent sans défense et prisonnière de la situation. Elle vit constamment les menaces et est témoin d’actes violents envers ses enfants, ses proches, ses amis, ses animaux de compagnie ou ses biens personnels, de la part de son conjoint, ex-mari ou ex-amoureux (homme ou femme). L’expression «femme battue» comprend donc toutes les répercussions de la violence infligée directement à cette femme, ses enfants, ses proches et à la société dans son ensemble.
Ces mouvements décrivent la violence contre les femmes de manière plus large que les définitions juridiques et politiques (McLeod, 1987).
L’ONU, dans sa déclaration sur l’élimination de la violence contre les femmes (novembre 1993), donne la défmition suivante: la violence faite aux femmes désigne tout acte de violence basé sur l’ appartenance au sexe féminin causant ou pouvant causer aux femmes des dommages et des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques. Cette violence peut comprendre la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de la liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée.
Le gouvernement du Québec a adopté, en novembre 1995 et redéfini en 2012, sa politique d’ intervention en matière de violence conjugale. La violence conjugale se définit par une série d’actes répétitifs qui surviennent habituellement selon un ordre ascendant nommé « l’escalade de la violence ». Elle se caractérise par un cycle avec des phases bien définies : montée de la tension, l’agression, la déresponsabilisation, la rémission et la réconciliation. Les phases ne sont cependant pas toutes présentes et dans cet ordre mais créent chez la victime un sentiment de peur, de colère et une croyance qu’elle est responsable de cette violence. Cette définition est déterminante, car elle a été rédigée de concert entre les milieux paragouvernementaux, communautaires associatifs et universitaires préoccupés par le problème de la violence conjugale.
Plus précisément, selon le gouvernement du Québec (2012), la violence conjugale comprend les agressions psychologiques, verbales, physiques, sexuelles et les actes de domination économique. La violence résulte d’un désir de dominer l’autre et non d’une perte de contrôle. Elle peut survenir à tous les âges de la vie, et ce, dans une relation maritale, extra-maritale ou amoureuse. La violence psychologique est caractérisée par la dévalorisation de l’autre. Elle prend la forme de négligence, d’humiliation, de chantage ou encore d’isolement forcé. Elle porte atteinte à l’estime de soi de la personne. La violence verbale découle généralement de la violence psychologique et consiste en des propos méchants et dégradants. La violence physique affirme plus clairement la domination de l’agresseur. Elle consiste en des coups et des blessures de toutes sortes allant jusqu’à J’homicide. La violence sexuelle vise l’intégrité sexuelle de la victime, à dominer l’autre dans ce qu’elle a de plus intime. La violence économique est caractérisée par la domination de la victime par le contrôle des ressources financières, lui enlevant ainsi le pouvoir de décider en cette matière, créant ainsi une dépendance financière (Gouvernement du Québec, 2012).
Prévalence de la violence conjugale
Il est difficile d’établir l’incidence réelle du problème de la violence conjugale, car la violence n’est pas toujours déclarée au sein d’un couple. Ce phénomène demeure tout de même, encore aujourd’ hui, tabou malgré les efforts déployés afin de le dévoiler. Malgré cette difficulté, plusieurs tentatives ont été réalisées afin d’estimer l’ ampleur du problème (Chamberland, 2003; Riou, Chamberland, & Rinfret-Raynor, 1996) .
D’après Statistique Canada (2013), la violence conjugale a atteint un seuil épidémique. En 20 Il, le nombre de crimes violents contre les femmes de 15 ans et plus est estimé à un peu plus de 173 600, ce qui représente un taux de 1207 femmes victimes pour 100 000 femmes dans la population. Selon les données déclarées par la police, la moitié des crimes violents commis contre les femmes sont des voies de fait simple, ensuite viennent les menaces (13 %), les voies de fait graves (10 %), l’agression sexuelle dans laquelle la victime subit des blessures mineures ou ne subit aucune blessure physique (7 %) et le harcèlement criminel (7 %) .
Selon les données du Programme de déclaration unifonne de la criminalité au Québec (Gouvernement du Québec, 2012), en 2011, les corps policiers ont enregistré 19373 infractions contre la personne commises dans un contexte conjugal. Le taux d’infractions est considéré stable entre 2010 et 20 Il. Les statistiques démontrent que le taux a augmenté de 8 % entre 2008 et 2010 et varie d’environ 0,6 % depuis. Il est tout de même important de spécifier que les infractions commises contre la personne dans un contexte conjugal représentent près du quart de toutes les infractions commises contre la personne au Québec en 2011 .
Modèles explicatifs de la violence conjugale
Les écrits portant sur les causes de la violence conjugale révèlent une grande diversité dans les explications qui lui sont données (Rinfret-Raynor, Ouellet, Cantin, & Clément, 1996). Plusieurs théories ont été élaborées par des chercheurs selon différents points de vue : psychologique, social et légal. Le fait de considérer un large éventail de facteurs explicatifs du phénomène a démontré plusieurs avantages. Rinfret-Raynor et al. (1996) et Chamberland (2003) notent la pertinence de considérer l’influence combinée d’un ensemble de facteurs, environnementaux et personnels, afin de mieux comprendre la violence conjugale. Nous présentons brièvement dans cette section trois principaux courants théoriques qui ont marqué l’étude de la violence conjugale au cours des dernières années: le modèle féministe, le modèle de l’apprentissage social et l’explication par les traits de personnalité et les troubles mentaux.
Le modèle féministe. Les féministes ont été les premières à dénoncer la violence exercée envers les femmes et à souligner les conditions sociales qui contribuent à son émergence (Comité canadien sur la violence faite aux femmes, 1993). Au Canada, les démarches menées par les groupes féministes en faveur des femmes et des enfants qui ont été victimes de la violence des hommes ont participé à sensibiliser davantage le public au problème (Stewart, Hill, & Cripps, 2014). L’analyse féministe porte sur la société plutôt que sur des cas particuliers (Dutton, 1996).
Le modèle de l’apprentissage social. Une autre orientation théorique qui a éclairé la compréhension des hommes ayant des comportements violents est celle de l’apprentissage social. Dans cette perspective, la violence familiale est considérée comme un comportement appris par l’imitation de modèles observés durant l’enfance et dans la société en général. Selon cette théorie, les contacts avec des modèles de violence, au foyer et dans la culture populaire, augmentent le risque qu’un enfant devienne violent dans ses relations à l’âge adulte. Des preuves de la transmission des comportements de violence d’une génération à l’autre semblent soutenir, sur le plan empirique, ce modèle théorique. Celui-ci n’explique toutefois pas le fait que la plupart des garçons exposés à des modèles de violence ne deviennent pas eux-mêmes violents à l’âge adulte (Stewart et al., 2014). Becker (2008) et Kaufman et Zigler (1993) rapportent une probabilité plus faible de violence chez les adultes qui, tout en ayant été témoins de violence durant l’enfance, ont joui de l’amour et de l’appui d’au moins un des deux parents. Ces derniers vivaient dans une relation d’adultes aimants, reconnaissaient avoir été témoins de violence et étaient déterminés à ne pas être violents dans leurs propres relations.
L’explication par les traits de personnalité et les troubles mentaux. La psychologie et la psychiatrie dominent l’analyse des causes pour tenter d’expliquer le phénomène de la violence conjugale et demeurent les plus populaires, tant dans la littérature qu’auprès du public en général (Gelles, 1997). Sous l’angle de cette explication, l’accent est mis sur les caractéristiques individuelles des personnes en cause. La violence est expliquée par une anormalité chez la victime, l’agresseur ou encore chez les deux. Les principaux déterminants de la violence constituent les désordres mentaux, les traits de personnalité, les problèmes psychologiques de l’agresseur, la provocation et le masochisme des femmes ainsi que l’usage abusif d’alcool et d’autres substances psychotropes (Audet, 2002).
Typologies d’hommes ayant des comportements violents envers leur conjointe
Plusieurs chercheurs se sont intéressés à identifier les hommes violents et leurs dynamiques afin de mieux les connaitre et pour trouver un traitement adéquat pour les aider. Les études ont clairement montré que les hommes ayant des comportements violents affichent plus de symptômes de détresse psychologique, de troubles de la personnalité, de conduites d’attachement dysfonctionnelles, d’hostilité, de colère, de problèmes de consommation d’alcool et de moins bonnes habiletés sociales que les hommes non-violents (Holtzworth-Monroe et al., 1997). Cependant, les études n’ont pas été en mesure de démontrer l’ existence d’un seul profil spécifique homogène pour l’ homme violent. À la fin des années 1970, un mouvement a donc été amorcé vers des représentations typologiques plus complexes des hommes violents (Holtzworth-Monroe, Meehan, Herron, Rehman, & Stuart, 2000). Jusqu’à aujourd’ hui, des typologies ont été élaborées afin de rendre compte de différents profils parmi ces hommes sur le plan comportemental et psychologique. Les chercheurs ont basé leurs typologies sur des caractéristiques contextuelles et les comportements observés chez les hommes violents (p. ex. le type de violence exercée, la fréquence de celle-ci, la présence ou l’ absence de problèmes de consommation d’alcool qui pourrait être liée à la violence, les expériences familiales et avec les pairs, etc.). D’autres auteurs mettent l’accent sur les caractéristiques de personnalité de l’ homme telles que l’impulsivité, la jalousie, la dépendance affective et l’estime de soi (Holtzworth-Monroe et al., 1997). La section suivante décrit ces diverses typologies et les caractéristiques observées. Il a ainsi été possible de les classer en trois catégories. Dans un premier temps, les typologies décrites sont celles basées sur des caractéristiques contextuelles. Suivront les typologies étant construites selon les caractéristiques de personnalité des hommes violents. Les typologies utilisant autant les caractéristiques contextuelles et de personnalité seront par la suite présentées. Finalement, une typologie non classable est présentée. Il est à noter que dans chaque catégorie, les typologies sont présentées en fonction de leur année de publication (de la plus ancienne à la plus récente). De plus, les typologies présentées sont celles qui font référence plus particulièrement aux hommes violents. La majorité d’entre elles ont pu être repérées et présentées dans cet essai.
Typologies fondées sur des caractéristiques contextuelles. Les typologies suivantes fondent leur compréhension de l’homme ayant des comportements violents principalement sur l’analyse de caractéristiques contextuelles. Les caractéristiques descriptives de la violence telles que les victimes de la violence, les types de violence exercée, la sévérité et la fréquence des gestes ont été analysées. Les problèmes de consommation d’alcool ou de drogues, les problèmes avec la justice et la présence de violence durant l’enfance sont aussi des variables observées. Au total, sept typologies ont été classées dans cette catégorie.
Conclusion
Dans la littérature, plusieurs typologies ont été créées dans l’objectif de mettre en lumière ce qui caractérise les hommes violents envers leur conjointe. Il est possible de constater, lors de l’analyse de ces typologies, que plusieurs d’entre elles se ressemblent de façon importante. L’objectif de cette étude était donc d’analyser les diverses typologies existantes et de créer une typologie synthèse. Lors de ces comparaisons, il a été possible de faire ressortir trois types d’hommes ayant des comportements violents qui ont été nommés: abuseur intrafamilial, abuseur global et abuseur instable. La typologie synthèse a été construite à partir des caractéristiques contextuelles et de personnalité utilisées par les auteurs dans leur propre typologie.
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Table des matières
Introduction
Contexte théorique
Violence conjugale
Définitions de la violence conjugale
Prévalence de la violence conjugale
Modèles explicatifs de la violence conjugale
Le modèle féministe
Le modèle de l’apprentissage social
L’explication par les traits de personnalité et les troubles mentaux
Typologies d’hommes ayant des comportements violents envers leur
conjointe
Typologies fondées sur des caractéristiques contextuelles
Snyder et Fruchtman
Brisson
Shields, McCall et Hanneke
Cadsky et Crawford
Gondolf
Johnson et Ferraro
Simpson, Doss, Wheeler et Christensen
Typologies fondées sur des caractéristiques de personnalité
Hamberger et Hastings
Ceasar
Gottman, Jacobson, Rushe, Shortt, Babcock, Taillade et Waltz
Langhinrichsen-Rohling, Huss et Ramsey
Gondolf et White
Chase, O’Leary et Heyman
Typologies fondées sur des caractéristiques contextuelles et de
personnalité
Hershom et Rosenbaum
Saunders
Holtzworth-Monroe et Stuart
Hamberger, Lohr, Bonge et Tolin
Dutton
Waltz, Babcock, Jacobson et Gottman
Chiffriller et Hennessy
Typologie non classable
Elbow
Pertinence et objectif de l’essai
Discussion
Typologie synthèse
L’abuseur intrafamilial
L’abuseur global
L’abuseur instable
Typologies non considérées
Forces et limites de l’essai et futures études
Conclusion
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