La zone d’activité logistique comme levier de développement économique des territoires

Les différentes approches de l’activité logistique

     Schématiquement, il est possible de définir la logistique comme l’activité permettant la « conjonction des dimensions produits-temps-espace » [Morcello, 1998]. Plus précisément, le rapport préparatoire de la CNL a identifié trois définitions normalisées de la logistique, dont la norme NF X 50-601 produite par l’association française de normalisation (AFNOR) : « Logistique : planification, exécution et maitrise des mouvements et des mises en place des personnes ou des biens et des activités de soutien liées à ces mouvements et à ces mises en place, au sein d’un système organisé pour atteindre des objectifs spécifiques. » Bien que cette définition semble univoque, il demeure que la notion d’activité logistique renvoie, en fonction du contexte dans lequel elle est utilisée, à différentes réalités. Beyer [1999] identifie au moins trois différentes réalités associées à la notion de logistique :
– Une fonction d’organisation du système de flux physiques, informationnels et financiers entrant dans le processus de production ;
– Un ensemble d’opérations matérielles, ayant trait à la modification des caractéristiques spatio-temporelles des produits, de manière périphérique (préalable ou postérieure) à leur transformation physico-chimique [Savy, 2006a] ;
– Une branche économique regroupant l’ensemble des acteurs dont la fonction est de réaliser des opérations logistiques. Du fait de la diversité d’acteurs impliqués, il semble plus juste de parler de branche que de simple secteur d’activité (le secteur d’activité ne regroupant que des acteurs dont l’activité principale correspond à une activité logistique) [Savy, 2006a].
Dans ce travail, nous conserverons la deuxième approche de la notion d’activité logistique, préférant, d’une part la notion de supply chain management (SCM) – qui correspond à la démarche d’optimisation de l’organisation de la supply chain – pour caractériser la première approche, et d’autre part la notion de branche logistique pour caractériser la troisième approche. La conception matérielle que nous souhaitons ici privilégier est celle à laquelle renvoie historiquement la notion de logistique [Savy, 2006a], notamment dans sa vocation militaire initiale ; elle correspond à la notion anglo-saxonne de physical distribution pouvant se définir comme « l’éventail des opérations impliquées dans la circulation des marchandises du point de production initial au point de vente final » [Hesse, 2004a ; traduction de l’auteur]. Il est possible de distinguer deux types d’opérations matérielles impliquées dans la circulation des marchandises : les opérations logistiques statiques qui ont lieu dans des bâtiments (entrepôts, plateformes, dépôts, magasins, etc.), et les opérations logistiques dynamiques qui ont lieu dans des véhicules (camions, trains, barges, etc.) empruntant des infrastructures de transport. Une enquête menée en 1997 par l’European Logistics Association – fédération internationale regroupant plus de 30 fédérations nationales de la logistique – auprès de différents opérateurs de la branche économique de la logistique a mis en évidence un certain nombre d’opérations considérées par ces derniers comme relevant de l’activité logistique. Comme le révèle la Figure 1, les principales opérations considérées comme logistiques sont : l’entreposage, le transport, la gestion des stocks ou encore l’expédition. Depuis quelques années, des opérations relevant historiquement de la sphère productive (telles que l’emballage, l’étiquetage, etc.) qualifiées de pré- ou post-manufacturing intègrent progressivement les bâtiments accueillant les activités logistiques. Ces différentes opérations matérielles peuvent être prises en charge directement par les acteurs qui les mobilisent dans leur processus – les chargeurs – ou peuvent être « externalisées » à des professionnels qui les mettent en œuvre – les prestataires logistiques. Toutes ces opérations, qu’elles soient réalisées par les chargeurs ou prises en charge par des prestataires, se combinent au service de deux principales fonctions : une fonction de gestion de l’espace (le transport) et une fonction de gestion du temps (le stockage) [Savy, 2006a]. Suivant la fonction qu’elles occupent, les opérations statiques de la logistique peuvent avoir lieu dans deux types de bâtiments : des entrepôts, qui sont des bâtiments équipés de sorte à permettre le stockage de marchandises pour une durée supérieure à 24h ; et des plateformes de crossdocking, ou plateformes de transport, qui sont des bâtiments où les « marchandises sont réceptionnées, mais ne sont pas stockées […], et préparées pour une réexpédition immédiate à destination des magasins dans le cadre d’une opération de groupage/dégroupage » [Masson et Petiot, 2012].

Les faits stylisés des implantations logistiques françaises

   Comme nous venons de le préciser, l’observation de l’implantation des activités logistiques révèle, dans le cas français, une distribution particulière, non aléatoire. Moins visible que la géographie résidentielle – car essentiellement rejetée aux abords des villes, du fait en partie du phénomène NIMBY (Not In My Back Yard), désignant le rejet par les riverains de projets générateurs d’externalités négatives, et d’une forte sensibilité au prix du foncier – et que la géographie industrielle – car caractérisée par des implantations de taille beaucoup plus modeste que celle des usines symbolisant l’industrie du 20ème siècle – les implantations logistiques se matérialisent ainsi par des organisations particulières. Dans cette partie, nous chercherons à mettre en évidence quelques grandes régularités empiriques permettant de caractériser ces organisations spatiales, sans néanmoins en analyser en détail les dynamiques. Quelques études récentes, dont nous ne développerons pas les riches apports, ont cherché à proposer des métaanalyses des différents travaux s’intéressant à ces dynamiques [Dablanc et al., 2013 ; Masson, 2013 ; Strale, 2013 ; Raimbault, 2014]. Dans cette partie, nous nous intéresserons au cas français, que nous aborderons à travers une approche scalaire, suivant le cheminement introduit par Frémont [2012] et Masson [2013]. Ainsi, nous proposons de caractériser les implantations logistiques françaises suivant trois échelles différentes : l’échelle nationale, l’échelle régionale et l’échelle locale. A l’échelle nationale, le principal constat empirique qu’il nous semble pertinent de relever est la forte attractivité de la « dorsale » française [Joignaux, 2008 ; Savy, 2015] – qui correspond à l’axe Lille-Paris-Lyon-Marseille – ainsi que les ports et les aéroports, particulièrement les Grands Ports Maritimes (GPM) du Havre et de Fos-Marseille et l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle [Samarcande, 2009]. La dorsale française, regroupant entre 60 et 70% des surfaces annuelles commercialisées10, est un secteur particulièrement attractif pour les acteurs de l’immobilier logistique, qui voient dans les principaux marchés de consommation qui la composent une sécurisation de la rentabilité de leurs actifs [Raimbault, 2014]. De plus, les ports, en tant que grandes portes d’entrée sur les territoires, sont généralement considérés comme des lieux privilégiés de l’implantation logistique du fait de leur fonction de générateur de flux [Slack, 1999 ; Hesse et Rodrigue, 2004 ; Frémont, 2005 ; Mérenne-Schoumaker, 2007 ; Ducruet et Notteboom, 2010 ; Verhetsel et al., 2015]. La Carte 1 met en évidence les principales concentrations de bâtiments logistiques dont la surface est supérieure à 5000 m2 sur le territoire français. Elle illustre la part prépondérante de l’Ile-de-France (près de la moitié des implantations), de la région Nord, ainsi que du couloir rhodanien dans l’implantation des entrepôts et plateformes logistiques. De plus, elle montre la forte sensibilité des activités économiques aux principaux axes routiers. A l’échelle régionale, il ressort de l’analyse des données empiriques qu’il existe un fort mouvement de polarisation des bâtiments logistiques autour des principales agglomérations, dans le but de diminuer le coût de la livraison finale [Rakotonarivo-Andriankaja, 2014], phénomène que l’on pourrait qualifier de « métropolisation » [Strale, 2013 ; Masson et Petiot, 2013 ; Raimbault, 2014]. De plus, comme l’ont mis en évidence certains travaux, les acteurs de la distribution attachent également beaucoup d’importance à la proximité de leurs magasins, situés principalement dans les lieux de forte densité économique que sont les agglomérations ; ceci oriente ainsi la localisation des bâtiments logistiques en direction de ces marchés [Morcello, 1998]. De nombreux travaux internationaux mettent en évidence un même processus de métropolisation, que ce soit dans le cas de pays européens tels que l’Allemagne [Hesse, 2004a ; Wagner, 2010], le Royaume-Uni [Baker, 2008 ; McKinnon, 2009], les Pays-Bas [van den Heuvel et al., 2012], la Belgique [Strale, 2013], ou encore les Etats-Unis d’Amérique [Bowen, 2008 ; Cidell, 2010]. A partir d’une analyse des données de Sit@del211 permettant la production de la Carte 2, Guerrero et Proulhac [2014] mettent en évidence l’accélération de la polarisation des bâtiments Au niveau local, le dernier fait stylisé qu’il semble pertinent de mettre en évidence est l’existence d’un processus d’éloignement des localisations des centres villes vers la périphérie. Ce glissement est encore plus marqué pour les activités de messagerie, sur lesquelles nous reviendrons dans un second point, qui cherchent une proximité aux marchés de consommation denses afin de limiter le coût de la livraison finale [Rakotonarivo-Andriankaja, 2014] ; ces activités sont néanmoins sensibles à la forte pression sur les ressources (et notamment les ressources foncières et humaines) caractérisant les centres, ainsi qu’aux nuisances associées à la densité, telles que la congestion [Dablanc et al., 2013 ; Masson et Petiot, 2013]. Cette tendance au desserrement logistique peut également s’expliquer par l’augmentation tendancielle de la taille des bâtiments logistiques, de moins en moins adaptée à un cadre dense [Masson, 2013]. Mérenne-Schoumaker [2007] observe une localisation des activités logistiques à proximité immédiate des grandes villes, principalement « en deuxième ou troisième couronne urbaine de l’agglomération ». Ce processus est souvent qualifié d’étalement logistique, et certains travaux mettent en évidence que la vitesse de l’étalement des activités logistiques est plus rapide que celle des populations [Heitz et Dablanc, 2015]. Les différentes cartes ci-dessous construites à partir d’un recensement minutieux des agences des principaux messagers12 opérant en région francilienne et en région bordelaise permettent d’illustrer ce phénomène d’étalement logistique. En effet, en Ile-de-France, les agences de messagerie se sont éloignées d’environ 12 km du centre entre 1974 et 2010, passant d’une moyenne de 6,3 km en 1974 (Carte 3-1) à une moyenne de 18,1 km en 2010 (Carte 3-2). En région bordelaise, les agences de messagerie se sont éloignées d’environ 5,6 km du centre entre 1970 et 2012, passant d’une moyenne de 1,3 km du centre en 1970 (Carte 3-3) à une moyenne de 6,9 en 2012 (Carte 3-4). Au vu de ces grandes régularités, il semble que les processus de localisation des activités logistiques répondent à une réflexion d’ordre stratégique [Houé, 2005], dont nous nous proposons d’explorer les déterminants. Pour ce faire, nous mobiliserons notamment les enseignements de l’ « économie spatiale » dont les principales théories seront introduites dans la partie suivante.

La hiérarchie des systèmes et l’organisation des réseaux logistiques

     Le troisième et dernier modèle que nous nous proposons d’aborder est celui de Christaller. Pour rappel, ce modèle montre comment les paysages économiques s’organisent autour de pôles de rangs différents exerçant leur influence sur des aires particulières. Dans le cas de la logistique de stockage, certains travaux mettent en évidence la structure hiérarchisée des différentes chaînes, du fait de l’existence de nœuds associés à différentes fonctions [Fabbe-Costes et Colin, 1992 ; Rodrigue et al., 2006 ; Raimbault et al., 2010], ces fonctions couvrant des aires d’influence différenciées. Il est possible d’identifier, en fonction de l’étendue de la supply chain, des chaînes logistiques organisées autour de d’entrepôts de rang différent :
– Des entrepôts continentaux, souvent associés à de grandes infrastructures (ports, aéroports) servant de portes d’entrée et dont le but est d’irriguer les différents pays d’un même continent ;
– Des entrepôts nationaux, dont le but est d’irriguer les différentes régions d’un même pays ;
– Des entrepôts régionaux, qui sont les derniers relais avant la livraison finale.
Plus les nœuds sont de rang important, plus ils tendent à être polarisés, notamment autour des grandes infrastructures de transport de marchandises [Fabbe-Costes et Colin, 1992]. Une étude menée par le cabinet d’études Jonction pour la région Provence-Alpes-Côte d’Azur a cherché à schématiser les différentes organisations logistiques des principales filières de la région. La Figure 10-1 présente le schéma organisationnel de la logistique de la grande distribution généraliste avec des magasins homogènes. Dans ce cas, il est estimé que 100 m2 de surface de vente sont associés à 80 m2 de surface logistique, avec entre 75 et 90% des produits qui passent par des entrepôts et 33% qui passent par des plateformes de transport. Ainsi, il existe certains cas dans lesquels les produits proposés dans des points de vente ne passent que dans un seul bâtiment logistique. La Figure 10-2 met en évidence le schéma organisationnel de la logistique de la grande distribution spécialisée (bricolage, sport, etc.). Dans ce cas, il est estimé que 100 m2 de surface de vente impliquent 50 à 70 m2 de bâtiments logistiques, avec le développement tendanciel de grands entrepôts centraux où sont regroupées les marchandises afin d’être livrées directement en points de vente ou dans des plateformes de transport. La Figure 10-3 présente l’organisation logistique de la filière agroalimentaire de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. L’étude réalisée par Jonction met en évidence un passage quasi systématique des produits par un entrepôt industriel puis par un entrepôt distributeur. Enfin, la Figure 10-4 met en évidence l’organisation logistique de la filière industrielle lourde de Provence-Alpes-Côte d’Azur. En général ces organisations logistiques sont relativement simples avec des entrepôts internes servant à stocker les produits semi-finis et des entrepôts industriels en charge du stockage des produits finis avec livraison aux clients. La diversité des schémas logistiques est en cohérence avec des travaux plus anciens [Kapros, 1994 ; Morcello, 1998] qui montrent que certaines filières, dont l’industrie chimique ou la vente par correspondance, se sont recentrées sur quelques sites de stockage et de même rang du fait d’une tendance à la réduction des stocks et afin de limiter les coûts associés à la rupture de charge. Ces éléments relativisent ainsi la capacité de la théorie des lieux centraux à expliquer la structuration des organisations de la logistique du stockage.

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Table des matières

Introduction générale
Partie 1. Objet d’analyse et hypothèses
Chapitre 1. Les déterminants de l’implantation logistique
1.1. Les faits stylisés des implantations logistiques françaises
1.2. L’analyse économique de la localisation des activités humaines
1.3. L’économie spatiale et la localisation des activités logistiques
1.4. Le choix du site précis d’implantation
Chapitre 2. Les zones logistiques comme outil de régulation publique
2.1. L’évolution des systèmes de production et de distribution
2.2. La double régulation marchande de l’activité logistique
2.3. La zone logistique au cœur de la régulation publique locale
2.4. Les caractéristiques des zones logistiques en France
Chapitre 3. Les zones logistiques au service du développement régional 
3.1. La nécessité d’évaluation des politiques publiques
3.2. La spatialisation du développement économique
3.3. La théorie de la base comme cadre d’analyse du développement régional
3.4. Les zones logistiques et la théorie de la base économique
Partie 2. Validation empirique des hypothèses
Chapitre 4. Les matériaux empiriques
4.1. Les données quantitatives
4.2. Les données qualitatives
4.3. Quelle(s) méthode(s) pour quelle hypothèse ?
Chapitre 5. Les zones logistiques comme support d’activités basiques
5.1. Les principales caractéristiques de l’emploi logistique
5.2. Les emplois basiques sur zones logistiques
5.3. Les études de cas : la plate-forme multimodale Delta 3 et le parc Parisud
Chapitre 6. Les zones logistiques comme bases indirectes
6.1. Les zones d’activité logistique et la performance des tissus économiques
6.2. Le fonctionnement économique des activités logistiques
6.3. L’étude de cas : la plate-forme multimodale Delta 3
Chapitre 7. Les zones logistiques comme support de performance de la coordination située
7.1. La concentration des activités et l’efficacité productive
7.2. Les dispositifs de coordination
Conclusion générale
Bibliographie générale

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