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Description de l’échantillon
Cinquante cinq dosages de vitamine C ont été recensés en six mois.
Trois dosages n’ont pas été réalisés pour des raisons techniques ou de conformité du transport. Les 52 patients dont nous disposions du dosage ont été inclus dans l’étude.
L’âge moyen était de 70,8 ans. Il y avait 33 femmes et 22 hommes.
Les patients étaient hospitalisés en Médecine Interne (N= 41), en gériatrie (N=7), en dialyse (N=1), en USLD (N= 1), en SSR (N=1), en chirurgie (N=2) et en consultation (N=2).
Motifs d’hospitalisation
Les motifs d’hospitalisation étaient plutôt variés. (cf figure 1)
La principale cause d’hospitalisation retrouvée est la chute (16,3%).
Les patients étaient adressés pour altération de l’état général (AEG) dans 11% des cas.
Des plaies chroniques motivaient l’hospitalisation dans 9% des cas, les accidents vasculaires cérébraux (AVC) et les dyspnées dans 7% des cas chacun.
Les déséquilibres de diabète représentaient 5,5% des admissions.
Les troubles du comportement, les fièvres et les purpuras étaient responsables de chacun 3,5% des hospitalisations. 33% des hospitalisations étaient dues à des motifs divers et variés (lombalgie, céphalée, malaise, douleur thoracique, douleur articulaire, anémie, pemphigoïde bulleuse…..)
Comorbidités
Les pathologies neuropsychiatriques, dominées par les démences, concernent 55,3 % de notre population, elles sont sévères chez 30,9 % des patients.
40,4 % souffrent de pathologies cardiaques (rythmiques, ischémiques, hypertension artérielle). Les pathologies ostéo-articulaires concernent 25,5 % des patients, dont 16,4 % du total sont invalidantes.
Les problèmes d’alcool concernent 23,4 % des patients et 16 % sont non sevrés, 19,1 % des patients sont atteints de cirrhose (un patient de cause non alcoolique).
29,8 % des patients sont diabétiques.
14,9 % souffrent d’insuffisance rénale (4,3 % dialysés)
14,9 % présentent des pathologies respiratoires dont la moitié sont majeures.
10,6 % des patients souffrent de désordres endocriniens hors diabète dont la moitié sont sévères.
Les pathologies d’ordre dermatologique concernent 8,5 % des patients et les pathologies urologiques 8,5 % des patients. Ces pathologies sont toutes sévères.
6,4 % ont des soucis d’ordre gastro-enterologique mais non sévères.
4,2 % des patients présentent une pathologie tumorale active et 6,3 % sont en rémission ou guéris. Seuls 8,5 % des patients ne présentent pas de comorbidité renseignée.
En étudiant de manière transversale, on retrouve que 36,2 % des patients présentent une pathologie d’ordre vasculaire (surtout cardiologique ou neurologique)
Conditions de vie
36,2 % des patients ont rencontré une assistante sociale durant leur séjour.
Les motifs de l’intervention étaient dans 32 % des cas pour de l’aide à domicile ; dans 21,3 % des cas d’ordre financier et dans 6,4 % des cas un problème de logement.
On note que 12,8 % des patients sont en situation d’isolement. Les patients viennent autant du milieu urbain que rural.
Parmi ceux connus du service social, 98 % bénéficient d’aides à domicile, dont 26,3 % avec au moins 2 passages journaliers.
Résultats de l’ascorbémie.
Le taux était normal dans 5 cas (9,6%).
Il existait une hypovitaminose dans 17 cas (32,7%), dont 13 (25%) sévères (taux inférieur à 13). Enfin, 30 malades (57,7%) avaient un taux inférieur à 6, dont 25 avec un taux indétectable par l’automate.
Anomalies biologiques associées
68% des patients présentent une anémie (hémoglobine 10,8 et VGM moyen à 93).
La majorité des patients a une fonction rénale normale, 7 ont une insuffisance rénale. Seuls deux patients ont bénéficié de dialyse.
L’albuminémie est inférieure ou égale à 35 pour 85,1 % des patients avec une valeur moyenne de 26,3. Elle est non renseignée dans 7 dossiers et normale une seule fois.
Analyse et conclusions de l’étude
Cette étude comporte de nombreux biais.
Nous avons inclus les patients à partir des demandes de dosage du laboratoire et non à partir de données cliniques.
Il existe une répartition inégale des patients, la plupart provenant de médecine interne et polyvalente.
Aucun dosage n’a été demandé par les services de spécialités autres que la gériatrie. Il existe donc un biais concernant les diagnostics et motifs d’hospitalisation.
Le caractère rétrospectif a également généré une perte de données qui porte notamment sur certains signes dont la sensibilité paraît importante pour le diagnostic de scorbut. Par exemple, concernant l’état bucco-dentaire, il n’est pas renseigné dans 32 % des cas et une ascorbémie a été demandée.
Souvent, lors de notre recueil de données concernant l’état buccal, les notes des personnels paramédicaux ont permis de pallier l’absence de renseignement au niveau du dossier médical. De même, le statut tabagique n’a quasiment jamais été relevé.
La proportion de patients souffrant d’une maladie néoplasique est de 4 % dans notre étude, alors que la prévalence carencielle au sein de cette population est en général élevée. Cette différence peut s’expliquer par le fait que la plupart des patients inclus proviennent de médecine polyvalente et de gériatrie, non des services spécialisés qui prennent en charge au niveau local l’oncologie. Notre étude ne retrouve pas de relation entre insuffisance rénale et hypovitaminose, bien que le lien soit connu, notamment chez les patients dialysés (14,15).
En construisant notre étude, nous avons essayé de savoir quels signes alertaient le clinicien et motivaient le dosage de l’ascorbémie, mais le caractère rétrospectif sur dossier ne permet pas d’obtenir cette information.
On note également que si le dosage de l’ascorbémie a été demandé et a permis de poser un diagnostic de scorbut, il n’est mentionné dans les conclusions de sortie que chez 5 % des patients. Il n’a pas été possible de vérifier la prescription d’une supplémentation à la sortie du patient en relai du traitement hospitalier, car les ordonnances de sorties étaient rédigées à la main.
Néanmoins, ce n’est sûrement pas dû au hasard si la plupart des dosages ont été demandés majoritairement par deux services, la médecine interne et la gériatrie.
Les patients hospitalisés dans ces services sont souvent âgés et poly-pathologiques. Les médecins exerçant dans ces services sont souvent plus avertis des signes d’hypovitaminose C, qui sont souvent aspécifiques.
Ces facteurs favorisent donc la mise en évidence de cette carence.
Ainsi, le repérage et l’observation des signes généraux, souvent négligés, sont essentiels pour permettre de poser le diagnostic de scorbut.
De la biochimie à la pratique médicale
La vitamine C
Biochimie
La vitamine C est un acide organique que l’on trouve naturellement sous forme L-ascorbique. Il agit comme un anti oxydant en captant les électrons lors des réactions d’oxydoréduction et peut libérer un groupement hydroxyle lors des réactions d’hydroxylation.
Il s’agit d’une molécule hydrosoluble composée de 6 atomes de Carbone, 8 atomes d’hydrogènes et 6 atomes d’Oxygènes (C6H8O6), sa nomenclature IUPAC est 2-oxo-L-theo-hexono-1,4-lactone-2,3-enediol.
Sources, métabolisme, et besoins
L’organisme humain n’est pas capable de synthétiser de la vitamine C. Il est donc totalement dépendant des apports, contrairement à la plupart des animaux, qui la synthétisent à partir du glucose.
L’acide ascorbique est absorbé au niveau de l’intestin grêle via un transporteur actif lié au sodium. Le mécanisme est saturé au-delà d’un apport de 200 mg de vitamine C, nécessitant donc un étalement des apports lors des différents repas.
La vitamine C est principalement retrouvée dans les fruits et légumes frais. Elle se dégrade rapidement à l’air libre, à la lumière et lors de la cuisson des aliments.
Rôle
La vitamine C est un cofacteur enzymatique qui intervient dans les réactions d’hydroxylation et d’oxydo réduction.
La vitamine C intervient au niveau de la synthèse du collagène.
Le collagène est un polypeptide composé en grande partie de proline et lysine. Il en existe 3 types dans l’organisme, répartis selon les tissus :
Le type 1 est présent dans les os, les dents, la cornée, les tendons et les ligaments. Le type 2 constitue les disques intervertébraux, le cartilage et le corps vitre de l’œil et le type 3 la peau et les vaisseaux sanguins.
L’hydroxylation de la proline et de la lysine est dépendante de la vitamine C, qui intervient comme cofacteur de la réaction en réduisant le fer.
L’acide ascorbique est nécessaire pour obtenir un collagène de bonne qualité.
Elle participe donc à tous les processus de cicatrisation, de par son rôle dans la synthèse du collagène, notamment lors de la présence de plaies chroniques (collagène de type 1) (18,19). L’altération du collagène est responsable des gingivopathies rencontrées dans les scorbuts.
Lors des carences en vitamine C, une des explications des signes hémorragiques serait l’altération de la paroi des vaisseaux sanguins, du fait d’une altération des fibres collagènes (collagène de type 3).
L’altération du collagène est en grande partie responsable des atteintes articulaires observées dans les scorbuts (collagène de type 2) (20).
Synthèse des acides aminés
La vitamine C participe à la synthèse de certains acides aminés (glutamate, glutamine, proline, serine, glycocolle, tyrosine).
L’acide ascorbique intervient au niveau du recyclage de la vitamine E (captation d’un radical libre) et à la synthèse des catécholamines comme cofacteur enzymatique.
Rôle antioxydant
Le rôle antioxydant de la vitamine C permet de lutter contre le stress oxydatif, aussi bien dans certaines situations aiguës qu’à l’état basal.
Ainsi, les réanimateurs ont maintenant intégré une supplémentation de vitamine C à forte dose de manière systématique pour lutter contre les radicaux libres produits en situation de stress, qui contribuent à l’altération des différents organes(5).
Du point de vue psychique, De Olivera a montré un effet positif sur l’anxiété des étudiants lors d’un essai en double aveugle contre placebo (21). Il l’explique par la diminution du stress oxydatif.
Participation au mécanisme lipidique.
La vitamine C joue également un rôle au niveau du mécanisme d’oxydoréduction des LDL et de leur excrétion biliaire.
Cette explication a été avancée pour expliquer le lien, encore discuté, entre les pathologies cardiovasculaires et la carence en vitamine C (22–25). En effet, la mortalité semble augmenter lors de l’hypovitaminose (24). Néanmoins, ce lien a été affaibli par l’absence de modification de la mortalité lors de différentes études sur l’impact de la supplémentation en vitamine C (26).
Synthèse de la L-carnitine
La vitamine C participe à la synthèse de la L carnitine en tant que cofacteur réducteur.
La L carnitine participe au métabolisme des acides gras dans le cycle de Krebs mitochondrial et donc à la production d’énergie pour l’organisme.
Participation à l’immunité
Le rôle de la vitamine C intervient au niveau du stress oxydatif généré par une infection, mais aussi en majorant la bactéricidie des polynucléaires.
Chez la souris (qui ne synthétise pas non plus de vitamine C), l’administration de fortes doses de vitamine C augmente le nombre de toutes les cellules de l’immunité, tant au niveau du thymus qu’au niveau périphérique (27).
Son rôle est souvent mis en avant dans le traitement des viroses ORL, sans réel fondement scientifique (28,29).
Participation au métabolisme du fer
L’acide ascorbique est également impliqué au niveau intestinal en favorisant l’absorption du fer. La vitamine C agit en réduisant le fer non héménique (Fe 3+) en fer héménique (Fe 2+), permettant ainsi son absorption par l’entérocyte. Ce phénomène intervient également lors du recyclage de l’hème lors de l’hémolyse (30).
Vitamine C et vaisseaux
La vitamine C agit également au niveau de la paroi des vaisseaux sanguins (31).
La pression artérielle est en partie régulée par le monoxyde d’azote, dont la synthèse est dépendante d’une réaction d’oxydoréduction cible de la vitamine C (23).
Elle agit également au niveau de la perméabilité de l’endothélium via une régulation du VEGF (vascular endothelial growth factor) et semble avoir un intérêt, notamment dans les rétinopathies diabétiques, en diminuant la perméabilité membranaire de l’endothélium responsable des lésions(32).
La carence en vitamine C au XXIème siècle et la pratique médicale
Une pathologie actuellement mal connue
Le scorbut est une maladie qui appartient au passé, aux dires de la plupart des médecins. En effet, Guittard rapporte que seuls 3,5 % des généralistes français ont rencontré une hypovitaminose C dans leur exercice. De ce fait 80% d’entre eux pensent que le scorbut n’est plus d’actualité en France.
Les signes majoritairement connus évocateurs de carence sont la perte des dents et les signes hémorragiques, avec un terrain de précarité sociale associés à une consommation alcoolo-tabagique (6).
La découverte d’un cas de scorbut est donc surprenante pour la plupart des médecins, comme ce fut le cas pour moi en 2011.
Une pathologie redécouverte
De ce fait, de nombreux « cases reports » sont publiés, soulignant certains symptômes selon la spécialité. En voici quelques exemples :
Bernardino rapporte le cas d’un patient portugais présentant une asthénie accompagnant un purpura des membres inférieurs. Ce patient avait également une histoire d’isolement social avec une hépatite C, un antécédent de toxicomanie intraveineuse et une pathologie respiratoire chronique post-tabagique. Devant le tableau caractéristique, la disparition des signes sous supplémentation confirma le diagnostic, de même que l’ascorbémie (33).
Dolberg rapporte un cas en Israël avec une prédominance de signes hémorragiques (34).
En France, Safa souligne l’aspect des manifestations cutanées hémorragiques, ainsi que l’isolement social et la consommation d’alcool (35).
Busseuil rapporte l’aspect des lésions cutanées hémorragiques, ainsi que de l’anémie (36).
Mak publie le cas d’une patiente de 37 ans à Singapour, présentant un scorbut du fait de troubles du comportement alimentaire (37).
Boulinguez publie 3 cas de scorbut chez des patients souffrant de plaies chroniques (19) et Beaune celui de 4 personnes sans domicile fixe (38).
Le cas de Zipursky présente un tableau associant des signes hémorragiques et stomatologiques, associés à une hypotension orthostatique rebelle à toute thérapeutique, mais disparaissant avec les autres symptômes sous supplémentation. La carence étant probablement responsable d’un déficit de synthèse des catécholamines, pour lesquelles la vitamine C est indispensable à leur synthèse (39).
En pédiatrie, Talarico nous présente le cas de deux enfants atteints d’un scorbut et présentant des douleurs des membres inférieurs et des troubles de la marche (40).
A Boston en 2015, Ma rapporte le cas de 7 enfants pour lesquels un scorbut a été diagnostiqué après de nombreux examens. Ils présentaient tous des troubles du développement de type Autistique, avec de ce fait une alimentation sélective responsable de cette carence (41).
Pailhous (42) et Algahtani (43) mentionnent chacun également les cas similaires de deux enfants à Marseille en 2015 et en Arabie Saoudite en 2010. Kitcharoensakkul soigne 3 enfants aux USA (44).
Ratanachu-Ek publie, en 2003, 28 cas de scorbut infantile. La symptomatologie est dominée par les boiteries ou impossibilité de marcher, ainsi que les douleurs des membres inférieurs (96% des patients atteints), bien plus que par les autres signes plus « classiques » de scorbuts (45). Najera-Martinez arrive à des conclusions similaires concernant 13 cas (46).
Aqarwal s’est penché en 2015 sur l’ensemble des cas publiés entre 2009 et 2014 dans la population pédiatrique. Il recense 29 cas avec, à la différence des adultes, une prédominance des signes rhumatologiques, notamment au niveau des membres inférieurs et souvent des troubles mentaux (47).
Canadananovic montre chez les patients atteints de cataracte, une concentration inversement proportionnelle à l’âge en acide ascorbique au sein de l’humeur aqueuse, posant la question d’un lien entre l’ascorbémie et la pathogénie de la cataracte (48).
En Afghanistan, les associations humanitaires ont mis en évidence que l’hiver apporte une « épidémie » de scorbut, y compris dans des populations non déplacées. Du fait des difficultés de transport des marchandises, les populations isolées ne consomment aucun produit frais pendant plusieurs mois. Une supplémentation durant la période hivernale a permis de faire régresser la survenue du nombre de scorbuts et de décès (49).
Plusieurs équipes de chercheurs s’intéressent toujours à ses propriétés d’un point de vue thérapeutique, notamment en oncologie (50–54). Je vous exposerai leurs travaux par la suite..
Une pathologie toujours présente
Différentes études se sont intéressées à la carence en vitamine C de nos jours. Ces travaux ont été réalisés dans différents milieux, hospitaliers (7–9,12,55–61) ou ambulatoires (10,11,62–69) ; en population générale ou sur des populations sélectionnées. Ils ont en commun de souligner la prévalence importante de cette carence (cf. tableau ci-dessous). La variation importante des chiffres (2 à 93 %) s’explique par les variations méthodologiques des différentes études.
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Table des matières
Liste des tableaux
Liste des figures
Introduction
Carence en vitamine C : étude d’un échantillon de la population dieppoise
1- Méthode
2- Description de l’échantillon
3- Motifs d’hospitalisation
4- Comorbidités
5- Signes cliniques
6- Conditions de vie
7- Pathologies responsables de l’hospitalisation
8- Résultats de l’ascorbémie
9- Résultats biologiques associés
10- Conclusion de l’étude
De la biochimie à la pratique médicale
1. La Vitamine C
1.1. Biochimie
1.2. Sources métabolisme et besoins
1.3. Rôles
1.3.1. La vitamine C intervient au niveau de la synthèse du collagène
1.3.2. Synthèse des acides aminés
1.3.3. Rôle antioxydant
1.3.4. Participation au métabolisme des lipides
1.3.5. Synthèse de la carnitine
1.3.6. Participation à l’immunit
1.3.7. Participation au métabolisme du fer
1.3.8. Vitamine C et vaisseaux sanguins
2. La carence en vitamine C au XXIème siècle (revue de la littérature)
2.1. Une pathologie mal connue
2.2. Une pathologie redécouverte
2.3. Une pathologie toujours présente
2.4. Une influence de la génétique
2.5. Des conditions particulières de diagnostic
2.6. Une présentation clinique peu spécifique
2.7. Des anomalies biologiques souvent associées
2.8. Une place de la vitaminothérapie discutée
Conclusion
Bibliographie
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