LA VITALITÉ DU VIVANT

LA VITALITÉ DU VIVANT

LA SOURCE

L’histoire de la source

J’ai toujours eu un intérêt pour la mémoire et toutes les petites histoires qui la constituent. Dans ce contexte artistique et théorique, il serait plus pertinent de parler de souvenir, car le mot est plus précis. Il apparaît dans l’instant présent sous forme d’image. Il révèle un événement déterminé, une personne en particulier, une odeur, une sensation. Comme l’explique le philosophe français Henri Bergson dans Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à Vesprit, « aussitôt que le souvenir se transforme en image, il quitte le monde du passé et se confond avec celui du présent ».

Cela s’explique par le fait que l’image devient sensation et fait partie de notre corps, donc de notre présent. Dans cette même lancée, je peux dire qu’au cœur de ma démarche artistique c’est le souvenir qui influence la plasticité de mes tableaux, tout comme le passé influence le présent. Je m’intéresse aux images de notre passé. Celles qui s’effacent tranquillement en passant à travers le temps, celles qui racontent des histoires qui ont pris une tournure presque légendaire tellement elles sont amplifiées à chaque fois qu’elles sont racontées de nouveau. Ces récits sont relatés par des images, et les images créent à leur tour d’autres histoires. Qu’elles soient inventées, modifiées ou réelles, c’est à partir de ces mots et de ces images que j’ai appris à connaître mon passé, ma famille, mes racines et surtout mon identité. A chaque fois qu’elles sont relatées, les histoires réveillent les souvenirs. Même si elles se camouflent discrètement à travers notre présent, elles recouvrent d’une aura les objets, elles rectifient les traces et l’usure apparente. Je n’avais jamais fait de lien entre ce désir de comprendre mon passé et mon travail en arts  visuels avant aujourd’hui. La relation était tellement évidente que je n’avais pas saisi tout  de suite les analogies possibles entre ces deux réalités.

Cet intérêt se concrétise au sein de ma création de diverses manières. Mon langage pictural s’exprime par la plasticité, il n’y a de figuration que dans les photos que j’utilise. Je retrouve dans l’abstraction une sorte de vide, l’oubli, une réalité invisible, mais sensible. Les variations de la couleur touchent surtout les nuances subtiles et les contrastes. Ma palette est souvent monochrome, les tonalités changent selon le salissage et la désaturation.

La transparence dans le choix des matériaux et l’application de la couleur permettent de percevoir une sensibilité du geste. Il y a dans cette limpidité une franchise de la matière et de la forme que je tiens à dévoiler.

La composition, l’alliance

Lorsque je m’arrête aux empreintes laissées par les histoires, j’ai un sentiment d’amour profond envers la matière brute et les matériaux usés qui dégagent une richesse incroyable. Je vois dans le vieillissement d’un objet une multitude de traces appartenant au passé et qui révèlent des rencontres. Ces rencontres des éléments naturels et chimiques entrainent quelquefois une union réconfortante, d’autres fois un duel inquiétant. C’est la preuve de ces rencontres qui me fascine; que ce soit une cohésion entre deux matières, telle la rouille qui enveloppe une pièce et lui donne sa couleur, ou un combat entre deux autres substances, comme la colle contact qui détruit le styromousse jusqu’à sa disparition.

Au cours de mes travaux antérieurs, j’ai souvent laissé le hasard participer tel un assistant générateur d’idées. En milieu de création, je plaçais mes toiles à l’extérieur, permettant au soleil, à la neige, à la pluie de créer avec moi sur le canevas. C’est ainsi que j’explique la présence de rouille et de matières brisées ou salies au cœur de mon travail pictural. Quelquefois, j’assemble des objets récupérés provenant de mon passé ou je réutilise d’anciens projets artistiques personnels. Le résultat est souvent fragile. Il se dégage de cette composition une dureté, mais aussi une délicatesse. Je crois que le fait que les toiles reçoivent des interventions parfois brutales, comme le froid, la brûlure, le perçage, etc., laisse plus qu’une cicatrice : une blessure ouverte. Le fil ou la dentelle qui enrobent ces blessures sont comme une douce attention dans l’espoir peut-être de guérison. La blessure n’est pas cachée; elle est protégée, mais toujours perceptible.

Le processus de création

La cueillette est une façon de traiter le sujet du souvenir. La naissance d’une œuvre est généralement due à mes trouvailles. Je collectionne depuis longtemps de vieux objets, d’anciennes photos de famille, des photos de textures et de matières. Ces objets ont une grande importance sentimentale; ils sont le point de départ de ma création. C’est ce qui lui donne son essence. Cette façon intime de créer une image me permet d’osciller entre le dedans et le dehors, de la même façon dont je circule entre le passé et le présent, c’est-àdire que c’est du dehors que je cherche à montrer quelque chose, mais c’est du « dedans que j’en rends visible quelque chose ». (Manon Regimbald)

Mon esprit est ouvert. Les restrictions sont minimes. Mon intuition dirige tout. Les choses arrivent à moi comme un cadeau du destin. Je trouve un boulon près de la fondation de la maison de mon arrière-grand-père, peut-être lui appartenait-il, je ne sais pas. C’est à ce moment que l’objet ouvre les portes sur des mémoires possibles. Je n’ai pas toutes les informations sur ce boulon carré et rouillé, mais comment peut-il amener le spectateur à créer son histoire, lui attribuer une histoire, une mémoire? Par la suite, mes gestes et mes choix se font de manière intuitive. L’objet est laissé entre les mains du temps, d’une durée indéterminée et de circonstances inconnues. Mes choix s’exercent sur la manière dont j’accepte les impacts que je me laisse imposer par les autres, le hasard ou le temps. J’exerce un certain contrôle sur la forme, cependant je laisse la nature agir d’elle-même. L’expérience est au cœur du processus, c’est le ressenti inexplicable qui se situe entre l’extase et le vide qui me guide dans mes actions.

LES FONDEMENTS

La vitalité du vivant 

C’est en me référant à la démarche du sculpteur Giuseppe Penone que j’ai pu nommer cette affection que j’ai pour la beauté de la trace comme étant la beauté de la vie en mouvement. L’impalpable, l’insaisissable, l’éphémère semblent aussi fasciner l’artiste. Le passé disparu revit en imitation ou en représentation. Penone implique régulièrement l’empreinte. Pour moi c’est le vide, le négatif d’une présence envolée. Sans traiter directement de la mort, je suis pourtant consciente que mon travail est teinté de ce concept intrigant. Je considère la perte de manière positive et l’empreinte comme un don de ce qui n’est plus ou de ce qui est ailleurs. Techniquement, si j’utilise le langage de la technique du moulage, je peux dire que l’empreinte ne me sert pas à recréer une pièce (un positif), mais qu’elle est œuvre en elle-même; elle est le positif, comme si la réalité devenait le moule (lenégatif).

La présence physique et mon intérêt pour la plasticité me rappellent le travail du peintre, sculpteur et théoricien de l’art Antoni Tapies. La matière tangible et naturelle est le sujet principal de ses tableaux de grande dimension. Il y a dans son propos un respect des épreuves de la nature. Dans mon travail, je fais subir le temps à la matière, comme si le souvenir prenait forme physiquement. Elle s’effrite et se fragilise par un vieillissement brutal, plus rapide que l’usure normale du temps. J’accélère le rythme par des interventions comme le sablage, le découpage, le perçage et l’érosion. Ces marques manifestent la présence d’une histoire, au même titre que « l’ensemble des empreintes d’une vie ou d’un grand nombre de personnes a un intérêt comme mémoire, témoignage d’un vécu individuel ou collectif. Telle est la valeur des marches d’un escalier usées par les pas du fleuve des personnes qui l’ont emprunté ».

La relation

La création d’une relation entre les participants et moi est une autre façon de traiter le souvenir. En fait, c’est le partage de souvenir, soit par l’écrit, l’oral ou par le photographique, qui me permet d’établir une relation. Giorgia Volpe, artiste multidisciplinaire vivant au Québec et d’origine brésilienne, utilise également ces moyens afin de traiter la mémoire collective au sein de communautés versus la mémoire intime. C’est en expérimentant avec des participants des techniques d’accumulation, de variation et de répétition qu’elle étudie le rapport entre le corps et son environnement. C’est en utilisant des techniques traditionnelles comme la courtepointe, le tressage, la broderie qu’elle réussit à récolter des gestes uniques remplis de mémoires provenant de ces personnes. Je crois que ce type de travail est fascinant en raison de son caractère mouvant et surprenant. Quelquesunes de mes œuvres se sont créées avec l’autre. Ma seule intervention fut la mise en place de quelques paramètres afin de diriger globalement le participant, en prenant soin de ne pas trop me donner de contraintes.

Je suppose que d’inclure le spectateur dans un processus de création offre la possibilité de multiplier les interprétations. Il y a un échange et un partage qui permettent de lui faire vivre de plus près l’effet de l’art. Puisque mon travail prend souvent la forme d’une série, je me donne également la liberté de faire des choix en cours de processus afin de garder une unité. C’est dans l’installation finale que je considère ces choix plus importants, car ils donnent l’architecture à l’œuvre. La présentation prend une forme presque muséale. Les pièces sont juxtaposées à égale distance les unes des autres, la disposition est minutieuse. Mon objectif est d’obtenir un contraste entre les pièces qui proposent des images aléatoires et Tordre dans lequel je les présente.

LA MANIER

La méthodologie de création

L’expérimentation de techniques d’assemblage et de présentation de l’œuvre est une étape que je tenais à perfectionner dans ce travail de maitrise. Par la suite, il y a eu tout au long du processus une mise à jour des références par la lecture et l’écriture, car mes expérimentations nourrissent mes lectures et vice-versa. La production a occupé la majeure partie de mon temps. Mon corpus de création me permet de comprendre l’espace physique et imaginaire entre le spectateur, l’œuvre et moi ainsi que les circonstances et le contexte dans lesquels mon travail s’inscrit le mieux. C’est cette actualisation de mon travail qui m’a permis d’être en contant questionnement.

La problématique

Des interrogations comme celles qui suivent m’ont accompagnée tout au long de mon cheminement: comment montrer le mouvement entre le vivant et ce qui a déjà été vivant? Comment cette altération, qui est le mouvement du vivant, maintient-elle le mouvement du processus entre l’artiste et le spectateur ? Est-il possible de transmettre l’état d’écoute, que j’ai envers le mouvement de la vie et de sa mémoire, au spectateur qui se trouve devant mon œuvre? Ces questionnements m’ont lancée sur des pistes que j’ai tenté de comprendre afin d’être en mesure de situer davantage ma création.

L’échange

L’altération dans mon travail est en fait la matérialisation de souvenirs. Le souvenir d’une relation, d’une personne, d’un lieu, d’un événement… Le souvenir influence la plasticité de mes œuvres. Je vois ma pratique comme un lieu de passage où j’essaie de rendre tangible la mémoire. Il y a une sorte d’échange entre le dedans et le dehors, le passé et le présent, mon intimité et l’autre (participant et/ou spectateur). Je retrouve aussi dans l’échange le concept d’abandon. Il y a un moment que je choisis dans le processus de création où je n’ai aucun contrôle, car je laisse cette étape à l’inconnu. Je recherche le geste naturel et quotidien de l’autre, non pas le créatif. Ce que je nomme « l’autre » peut être autant le participant que la nature.

L’ÉVÈNEMENT

Dans ce segment, je fais référence à mon projet d’exposition dans le cadre de ma recherche à la maîtrise présentée au Centre international d’exposition de Larouche.

Le lieu

II était important pour moi que mon exposition, La matérialité d’une souvenance : La source, soit présentée dans un contexte qui appuie ma démarche et l’esthétique de mes œuvres. Mon projet final est présenté au Centre international d’exposition de Larouche (CIEL) et ce choix concorde avec le caractère familial et historique de mon travail. Ce lieu d’exposition est en fait l’ancien presbytère du village, une structure qui fut déménagée par chevaux dans les années 40 et qui a contribué à donner le nom de village à ce lieu qui unissait le Saguenay et le Lac-Saint-Jean. À partir de ce moment, nous avons eu droit à une petite école, un curé permanent et un maire. Ce bâtiment est symbolique pour la communauté et son allure reflète l’histoire. Mon projet final d’exposition s’y intègre parfaitement.

Forêt généalogique

Tout au long de ma recherche à la maîtrise, j’ai envoyé, par la poste, de petits bouts de papier vierges, anciennement utilisés pour imprimer des factures, à 70 femmes de ma famille. Le papier d’environ 15 cm de long présentait une vieille photo d’une de mes grands-mères ou de mes arrière-grands-mères. Dans la lettre que j’avais jointe au papier, il était demandé aux femmes de préciser le lien qui les unissait à la personne sur la photo et d’écrire un souvenir, un mot, une pensée…

Elles devaient suivre quelques indications, par exemple écrire au-dessus de la photo, utiliser un crayon à l’encre noir, etc. Elles devaient par la suite me la renvoyer par la poste. J’ai accumulé ces papiers tout au long de ma recherche; une fois le moment du montage de l’exposition finale, j’ai choisi de les fixer au mur côte à côte, dans l’ordre de leur réception.

Dentellerie

Lors de ma formation au Baccalauréat interdisciplinaire en art, mon projet final formait une grande mosaïque de 1 000 carrés de bois de 10 cm x 10 cm issus d’arbres de mon territoire familial. Chaque planche a été planée et coupée par moi. Je n’ai réutilisé qu’une partie de ces pièces, soit 384, et j’ai transformé la surface en ajoutant des éléments. Les pièces proposent des images de machine à coudre, de chaise berçante, de lettre de Scrabble, de dentelle ou de petit échantillon de fleur. Tous ces éléments se réfèrent à ma mère. Étant couturière de métier, elle influence mes choix esthétiques. La présence de dentelle, de fil et de textile dans plusieurs de mes œuvres est sans doute due aux nombreuses heures passées à ses côtés à son travail. La provenance et l’histoire du support doivent être significatives pour moi. Dans ce cas-ci, cela reflète bien le passage d’une étape à une autre, autant au niveau de ma formation universitaire que de ma relation avec ma mère.

CONCLUSION

Cette recherche m’a permis de situer ma démarche dans un contexte artistique autant que personnel. Sans pouvoir répondre directement aux questionnements qui sont apparus au cours du processus de création, je peux davantage comprendre la source de ces interrogations et celles-ci me relanceront sur d’autres pistes.

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Table des matières

CHAPITRE 1 
1.1. LA SOURCE
1.1.1. L’histoire de la source
1.1.2. La composition, l’alliance
1.1.3. Le processus de création
1.2. LES FONDEMENTS
1.2.1. La vitalité du vivant
1.2.2. La relation
1.3. LA MANIÈRE
1.3.1. La méthodologie de création
1.3.2. La problématique
1.3.3. L’échange
1.4. L’ÉVÉNEMENT
1.4.1. Le lieu
1.4.2. Forêt généalogique
1.4.3. Dentellerie
1.4.4. Racine
1.4.5. Lap’tite maison
1.4.6. Croissance
1.4.7.La Corneille
1.4.8. Départ
1.4.9. Hommage
1.4.11. Brin de vie
1.4.12. Études
1.4.13. L’exposition
2.1. LA VITALITÉ DU VIVANT
2.1.1. Matière vivante
2.1.2. Le multiple
2.1.3. Textile et dentelle
2.1.4. Discipline
2.2. LE TERRITOIRE
2.2.1. Terrain de création
2.2.2. Le souvenir
2.3. La relation
2.3.1. Tisser des liens
2.3.2. L’œuvre; point de contact
2.3.3. Plasticité matérialité
CHAPITRE III 
3.1. LA MÉTHODE
3.2. L’ABANDON A L’AUTRE
3.2.1. Processus de création
3.2.2. La survivance d’une mémoire par la matière

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