La violence engendre la violence

La violence engendre la violence

Une demande bien précise

A partir de ce tournant dans l’inscription institutionnelle de Madame D, je la rencontre différemment, au sens où la rencontre avec cette patiente prend une nouvelle tournure. Auparavant, nous nous croisions parfois dans le couloir, nous saluant réciproquement, et les informations que je saisissais à son sujet m’étaient surtout transmises par les soignants. Désormais, Madame D m’interpelle du côté de ce qui est à penser, du côté de ce qui fait ma position de psychologue stagiaire. Afin de m’inscrire dans le service, j’ai décidé de me présenter aux patients lors de la réunion de présentation des activités, ou au gré des opportunités pour ceux qui n’y assistent pas.

C’est ainsi que j’avais procédé avec Madame D, profitant d’un moment où elle marchait dans le couloir pour me présenter à elle et lui préciser que si elle le souhaitait, j’étais disponible pour l’accueillir. La première fois que Madame D me sollicite, c’est pour faire un tour dans le parc avec elle. Concernant cette patiente que j’ai tant vu déambuler, il me semble cohérent de répondre à sa demande, dont la particularité réside dans la mobilité qu’elle exige. Je ne sais rien à ce moment là de ce que la marche fait tenir chez Madame D, ni si cela vient faire tenir quelque chose, mais je me questionne quant à la fonction que cela prend. Je me questionne également quant à un éventuel soutien de la parole; ce tour dans le parc avec moi invite-t-il Madame D à me parler ou pas?

Lors de cette première demande, Madame D me sollicite au moment où nous nous apprêtons, l’infirmière référente des ateliers et moi-même, à mener la réunion de présentation des activités de la semaine auprès des patients. Je diffère donc sa demande mais en revanche, je l’invite à se joindre au groupe. Elle qui paraît si agitée au départ semble s’apaiser légèrement pendant la réunion, d’une durée de trois-quarts d’heure environ. Malgré tout, elle ne semble pas véritablement présente dans le groupe, restant à l’écart des autres, et elle s’adresse à moi à deux reprises, réitérant sa demande de faire un tour dans le parc.

Elle a parfois des sursauts de jambes qui me rappellent des décharges électriques, dont elle ne fait aucun commentaire. Je lui propose donc par deux fois d’attendre la fin de l’échange. Le lien me semble fragile, j’imagine aisément que Madame D puisse sortir seule, lassée peut-être de m’entendre lui rappeler que j’attendrais la fin de la réunion pour l’accompagner. Mais elle reste jusqu’à la fin; peut-être attend-elle un autre pour l’accompagner, cet autre représenté par ma présence à ce moment là, la solitude étant difficilement supportable pour elle dans l’ici et maintenant? Je prends conscience de l’étonnement que je ressens à son égard. Je suis étonnée par l’aspect soudain de sa demande, plusieurs semaines après mon arrivée dans le service. D’une part, je m’interroge sur l’intérêt qu’elle suscite en moi, et je me surprends à craindre qu’elle m’échappe si elle quitte la réunion. D’autre part, je suis étonnée par le fait qu’elle semble m’attendre. Je me surprends également par l’embarras que j’éprouve à l’idée qu’elle souffre et que je ne suis pas à l’écoute de sa souffrance en différant sa demande.

En tous cas, je constate ma tentative d’instaurer du cadre, lorsque je lui précise que j’attendrais la fin de la réunion que je co-anime pour l’accompagner. Concernant celui de la réunion, il consiste dans le fait qu’il n’y a pas de contrainte, si ce n’est que chacun doit se respecter. Par conséquent, les patients sont assez libres d’agir à leur guise, d’arriver en cours de présentation, de partir quand bon leur semble, de ne venir que pour le partage du café qui clôt l’échange. Or, Madame D m’étonne car elle vient éprouver le peu de cadre qu’il y a. Qu’est-ce que cela dit de son fonctionnement? Est-ce significatif des coordonnées subjectives de Madame D?

Premier tour de parc

Nous finissons par sortir dans le parc et immédiatement Madame D évoque ce qui fait noeud de souffrance chez elle. Elle dit être « épuisée par les sensations que je ressens », précisant ne pouvoir « lutter que jusqu’à un certain point car cela est trop épuisant ». Elle me raconte que sa psychiatre ne sait pas quoi faire avec elle, elle se décrit comme un « cas unique », un « cas atypique ». La psychiatre vient de changer son traitement et Madame D dit être « déçue du résultat ». En effet, elle précise ne pas voir de différence, ressentir toujours ces sensations douloureuses. Elle souhaiterait que « le résultat soit immédiat ». Son médecin lui a proposé un rendez-vous avec l’un des psychologues du secteur, Madame D me dit: « j’espère que cela va m’aider ». Elle se plaint d’avoir « une mauvaise qualité de vie », « une qualité de vie pas confortable », précisant qu’elle ne souhaite cela à personne. Elle m’explique les choses de façon précise. Selon elle, elle est « attaquée par une force humaine, humaine car intelligente »; des personnes qui la « connaissent depuis longtemps », qui la « surveillent depuis longtemps ». Elle dit ne pas les connaître. « Ces personnes m’ont prise pour cible », « m’envoient des ondes par satellites ».

Elle pense être « la seule dans cet état désespérant ». Pourquoi? Elle n’a « pas d’hypothèse », ne comprend pas car se décrit comme « quelqu’un de doux et gentil ». Elle fait référence au hasard. Elle dit que cela « monopolise complètement mon cerveau » et qu’en fin de journée, elle ressent « un état de confusion extrême ». Elle précise: « marcher m’apaise car je bouge ». Elle dit que parfois elle ne ressent plus les sensations et que celles-ci surgissent à nouveau, ce qui la surprend. « Ça ne m’intéresse pas de vivre comme ça », ajoute-t-elle. Elle me raconte avoir été hospitalisée auparavant dans un autre secteur et elle a cette phrase étonnamment contradictoire: « j’y suis allée de mon gré mais par force car je ne voulais pas me laisser envahir par ces choses là ». Elle dit avoir « pris ses forces à deux mains et son énergie pour sortir de cette hospitalisation » à l’époque mais ajoute ne pas se sentir « capable de ça aujourd’hui ». Lorsque je l’interroge, elle me répond que parler lui fait du bien, « je ne veux pas garder ça pour moi ».

Elle me parle de sa mère, qui lui donne des conseils qu’elle n’arrive pas à suivre. Je lui demande de quels conseils il s’agit et elle me répond ainsi: « ma mère, elle prend une douche ou elle fait des choses et moi je n’arrive pas à faire pareil ». Après ces mots, elle me signifie d’ailleurs qu’elle veut rappeler sa mère qui a cherché à la joindre par téléphone. Nous nous arrêtons là, et je lui précise que je peux me rendre disponible si elle souhaite à nouveau marcher. Suite à ce premier échange, plusieurs éléments m’interpellent. Les influences délirantes que Madame D subit sont très envahissantes et elle dit bien l’insupportabilité de son vécu. Qu’est-ce qui la détermine alors à établir une construction aussi coûteuse psychiquement? Quelle fonction prend cette construction délirante? Les sensations qu’elle ressent peuvent-elles être qualifiées d’hallucinatoires? Il me semble repérer des éléments mégalomaniaques dans le discours de Madame D: « cas unique », « cas atypique ». Qu’est-ce que cela dit de la singularité de sa construction délirante? Comment comprendre cette « force intelligente » qui la persécute? Pourquoi Madame D est-elle dans le besoin d’évoquer sa mère et quel sens prennent pour elle les conseils de celle-ci? L’exemple de la douche qu’elle me donne me paraît surprenant et peu à propos; est-ce que cela indiquerait qu’elle a des difficultés à organiser sa pensée?

Deuxième tour de parc

Effectivement, plus tard dans l’après-midi, Madame D me sollicite à nouveau, avec la même demande. Madame D parle tout d’abord de son corps, me disant qu’elle s’y « sent bien », qu’elle est « bien portante », « grosse » même. Assez rapidement cependant, elle dit le contraire de ce qu’elle vient de dire: « malheureusement, il y a les sensations que je ressens ». Celles-ci, d’après les propos de Madame D, sont majoritairement ressenties au niveau des jambes et du coeur. Elle parle « d’ondes négatives ». Elle me dit être « déçue d’être dans cet état » car elle « chouine comme une môme ». Elle dit vouloir « arrêter » et « être une femme, comme dit ma mère ». « Arrêter » semble pourtant impossible car Madame D se dit « manipulée par des forces supérieures, extérieures ». Convaincue, elle me raconte: « ils m’ont prise pour cible, ils ne veulent pas que je m’en sorte ». Selon elle, cette « force très intelligente » essaie de lui « trouver un point négatif ».

Elle m’explique que son hospitalisation en janvier est survenue suite à l’accident de Schumacher, le pilote automobile, car « peut-être qu’on pense que je trouve du plaisir à ce qu’une personnalité disparaisse ». Elle insiste sur le fait qu’il n’y a rien à faire: « les médicaments n’y font rien. C’est très embêtant pour moi et pour les médecins qui me suivent ». Elle réprime des pleurs lorsqu’elle ajoute « je ne suis plus ce que j’étais avant ». Toutefois, elle peut me dire qu’elle connaît des moments de répit lorsqu’elle est auprès de ses parents, de son père en particulier, qui est « malade, il a une cirrhose du foie ». Elle considère qu’il a besoin d’elle. Après cet échange, Madame D me remercie pour « m’avoir écoutée ». Ce jour là, elle me donne à entendre quelque chose du délire de persécution qui l’anime, animer à saisir de plusieurs façons.

En effet, le délire dont elle fait part est construit et cohérent dans son esprit, il l’anime au sens où il donne un sens à son existence. Il l’anime également au sens où elle en subit des effets de corps, conséquences d’une certaine possession sur elle par l’autre. Enfin, il l’anime au sens où pour en parler, elle semble avoir besoin d’en passer par le mouvement. Ces différents aspects sont probablement à interroger dans la problématique de Madame D.

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Table des matières

INTRODUCTION
INSCRIPTION INSTITUTIONNELLE ET PREMIERE RENCONTRE
1- Présentation
2- Premières observations
3- Une demande bien précise
CLINIQUE DE MADAME D ET PREMIERS QUESTIONNEMENTS
1- Premier tour de parc
2- Deuxième tour de parc
3- Troisième tour de parc
4- Présentation clinique
5- Face à face
SYNTHESE
PROBLEMATIQUE
ARTICULATION CLINICO-THEORIQUE
1- Un fonctionnement psychique marqué par le clivage du moi
1-1 Surgissement d’un brasier
1-2 Mode de structuration
1-3 Fixation à une position schizo-paranoïde
2- La carence des processus de symbolisation
2-1 La violence engendre la violence
2-2 Carence des processus de symbolisation
3- La construction délirante viendrait comme colmatage
3-1 Logique du délire
3-2 Analyse du délire
3-3 Relation transféro-contre-transférentielle
3-4 L’autre qui contient
SYNTHESE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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