La violence en réponse à un environnement familial défaillant

Mécanismes de défenses

De l’agressivité à une recherche de l’autre

L’agressivité et la régression

Une évolution s’est produite au fil des séances, car David voulait changer d’activité, et ne voulait plus faire de tags. Il avait en effet émis le souhait auprès de l’artiste qu’il lui dessine sur de grands cartons plusieurs animaux : un lapin (il en avait eu un récemment décédé et c’était son meilleur ami), un chat (il aimait beaucoup cet animal), un perroquet gris du Gabon (il le trouvait particulièrement beau), ou encore des bergers allemands ainsi qu’un lion. L’artiste a alors réalisé les animaux, mais avant de pouvoir les peindre, il fallait les découper au cutter. J’ai proposé à David d’essayer, mais une fois qu’il avait l’objet dans la main, je l’ai vu entrer dans une sorte de violence sadique envers le carton. En effet, il s’était comme installé dans un jeu de rôle avec le cutter à la main. David semblait envahi par ce jeu, et s’amusait à planter la lame dans le carton en faisant un bruitage d’impacts. Il paraissait être une forme d’excitation violente, tout en m’expliquant que ses personnages de jeux vidéo faisaient des mouvements de ce genre lorsqu’ils avaient un couteau, et lorsqu’ils se battaient contre quelqu’un.Dans ma position bienveillante, je lui ai alors dit qu’il risquait de se blesser, et qu’il fallait plutôt qu’il découpe le carton sur lequel était dessiné le chat. Je me suis néanmoins mise à penser qu’il fallait que je mesure mes propos, car David a été diagnostiqué psychotique. Mes paroles auraient pu lui paraitre violentes, choses et représentations de choses étant confondues dans cette pathologie. Mais à ma grande surprise, il a accepté ma suggestion sans se mettre dans la destruction. Cependant, l’angoisse a refait surface comme lors de ses productions graphiques, car il me disait une fois de plus qu’il allait « se craquer ». Nous pouvons remarquer que David a effectué ici une modification syntaxique puisque l’utilisation exacte de ce verbe n’est pas « je vais me craquer », mais « je vais craquer ». En effet, j’ai pu observer dans cette situation que David était assez débordé par l’angoisse, à tel point qu’il a effectivement « craqué » puisqu’il n’a pas voulu poursuivre le découpage. Je l’ai donc aidé à terminer, puis nous sommes passés à la peinture.David voulait peindre son chat en noir, et j’ai pu remarquer qu’à ce moment son angoisse avait complètement disparu. Il prenait beaucoup de plaisir à mettre une grosse couche de peinture sur l’animal. Lorsqu’il devait peindre le lion, j’ai même perçu que cela suscitait en lui une forme d’excitation. En effet, lorsqu’il mélangeait plusieurs couleurs en appuyant sur les pots pour en faire sortir la peinture, certains émettaient un son qui signifiait qu’ils étaient presque vides, et cela amusait beaucoup David qui explosait de rire. De plus, après avoir déversé une grosse quantité de peinture sur le lion, il prenait son pinceau pour étaler le mélange sur l’ensemble de l’animal en disant « allez, j’étale la chiasse ! » tout en pouffant de rire. Une fois la tâche terminée, David avait du mal à se calmer, et dès qu’il entendait un pot de peinture presque vide, il explosait de rire en disant des grossièretés à caractère anal comme « il a chié », « il a la chiasse », ou encore « il a pété ». Cette forme d’excitation s’est produite à chaque fois que David ou ses camarades ont utilisé de la peinture.

Les passages à l’acte hétéro agressifs

Lors de certains retours cliniques après l’atelier, le personnel soignant me parlait souvent des comportements violents que David avait au collège, envers ses camarades, et que ces comportements avaient eu pour conséquence qu’il change d’établissement à deux reprises. Ce discours suscitait en moi de vives interrogations, et me surprenait beaucoup, car je n’avais jamais été témoin jusqu’à présent de ce comportement violent dont il pouvait faire preuve. De plus, David ne m’avait jamais raconté d’évènements de ce genre, et se montrait très aimable avec moi. C’est pourquoi, lorsqu’on me parlait de lui de cette manière, j’avais l’impression de ne pas le reconnaitre, et que l’on me décrivait quelqu’un d’autre.Cependant, l’agressivité de David envers les autres a bel et bien commencé à apparaitre lors de l’atelier au bout de quelques mois, mais pas directement dans le passage à l’acte. En effet, lors d’une séance, juste avant d’entrer dans la salle de l’atelier, il a eu une altercation avec un de ses camarades, qui l’avait traité de « batard » en rigolant. David a alors répliqué en l’insultant et en voulant le frapper. Mais l’artiste qui se trouvait juste à côté de lui a réussi à le calmer rapidement. C’est donc à ce moment que j’ai pu observer le surgissement de la violence chez David.Quelques séances plus tard, David a eu une autre altercation (décrite précédemment), avec son camarade qui avait besoin d’objets électroniques pour son œuvre artistique. Il avait en effet répliqué de manière agressive en l’insultant, mais avait également une fois de plus fait le geste de vouloir le frapper. L’artiste était néanmoins une nouvelle fois intervenu, ce qui l’avait calmé tout de suite.Cependant, quelques temps plus tard, David est effectivement passé à l’acte. Il s’est montré agressif auprès d’un autre camarade de l’atelier qui voulait lui faire une blague en lui mettant un casque anti bruit sur les oreilles. Mais David n’a pas apprécié et l’a jeté violement par terre en disant « mais j’en ai rien à foutre de ton truc moi ! », et tout en insultant son camarade. Comme je me trouvais à côté de lui, je lui ai gentiment dit de se calmer, et que son collègue voulait juste rigoler. L’artiste lui a également fait une remarque, ce qui l’a une fois encore calmé tout de suite. J’ai eu l’impression que dans cette situation le contact avec le casque lui a été insupportable, si bien qu’il l’a de suite jeté violemment à terre comme pour le détruire afin d’éloigner l’angoisse.
Lors d’une autre séance encore, j’ai remarqué la présence de sang dans le coin de sa narine droite. Je lui ai alors demandé s’il avait saigné du nez et il m’a répondu que « oui ». Je suis donc allée plus loin en lui demandant si cela lui arrivait souvent, puis il m’a révélé qu’il s’était bagarré au collège, car quelqu’un l’avait « cherché ». Il l’a alors « chopé » pour le frapper. Son camarade a répliqué en retour en lui donnant un coup de poing dans le nez. David m’a ensuite expliqué qu’il a alors eu l’envie débordante de lui faire « le coup du lapin », submergé par un désir violent, radical, mais qu’il s’était finalement résigné car sa mère « aurait été en tôle ». Quelqu’un du foyer a dû venir le chercher et il s’est fait exclure du collège. De ce fait, il s’est fait convoquer à la gendarmerie, car « c’était un mauvais choix, c’était un fils de flic ! » me disait-il en riant. Lorsqu’il me faisait le récit de ces évènements, David parlait vite, de manière tendue, et j’avais même l’impression qu’il serrait les dents, comme si ce désir violent refaisait surface. En évoquant cette référence à la loi, il me donnait l’impression de la mépriser, et qu’en aucun cas il ne pourrait s’y plier. Je lui ai alors demandé s’il procédait de la même manière avec les filles, ce à quoi il m’a répondu en riant ironiquement « ah non, les filles elles ont peur de moi ! ». David semblait donc tout faire pour être détesté de tout le monde.
Un autre jour encore, il m’a confié avoir frappé sa professeure en classe, car elle lui avait ordonné de faire son travail, mais il avait refusé de le faire. Elle a alors porté plainte contre lui, et il a dû payer 100€ d’amende avec son propre argent. Tous ces éléments de violence semblaient montrer que David était très intolérant à la frustration et à l’autorité, car il me disait souvent ne pas respecter ce que ses professeurs lui disaient, ou lui demandaient de faire à l’école. Dès qu’un adulte voulait le sanctionner, David se montrait tout de suite violent envers son interlocuteur. Lorsqu’il me parlait de ses actes, j’avais vraiment la sensation qu’il se mettait dans une position de toute puissance, revendiquant suivre seulement ses propres règles.

Les passages à l’acte auto agressifs

J’ai également remarqué qu’il pouvait se montrer violent envers lui-même car il semblait parfois attaquer son corps. En effet, lors d’une séance il m’avait fièrement montré les scarifications qu’il avait au niveau de son poignet. J’ai alors réagi en disant que cela devait lui faire mal, mais il m’a tout de suite affirmé le contraire. Il m’a ensuite expliqué qu’il les avait réalisées à l’aide de la pointe d’un compas lorsqu’il était en classe, en me répétant plusieurs fois que « ça ne faisait pas mal ». Pendant que David me racontait cet évènement, il ne semblait pas affecté par cet acte, comme si ce geste était anodin. Il paraissait au contraire très satisfait de me montrer comment il avait procédé pour porter atteinte à son corps. Cependant, je n’ai pas pu en savoir plus à ce sujet, car la discussion s’est arrêtée rapidement.
Lors d’une autre séance encore, alors qu’il devait réaliser un découpage à l’aide d’un cutter, David essayait de voir l’effet de la lame sur son poignet et sur son bras, en essayant de se couper. Il a répété ce geste plusieurs fois en me disant encore que « cela ne lui faisait pas mal ». Cette situation me rendait perplexe, et même mal à l’aise de voir la façon dont David malmenait son corps. Il me donnait l’impression de le traiter comme un instrument, comme si sa peau était vide de sens pour lui. Je lui ai alors gentiment suggéré de continuer son découpage afin de le terminer avant la fin de la séance. J’ai réalisé dans l’après coup que cette remarque avait été pour moi un moyen défensif afin de l’arrêter dans son « expérience corporelle », et de ne plus avoir cette sensation désagréable à la vue de ce que je qualifierais de « torture auto-infligée ».
Enfin, quelques mois plus tard, David m’avait raconté comment il avait mis son corps en péril lorsqu’il avait fait une balade à vélo. Il avait alors roulé dans une descente à toute vitesse et sans freiner, puis était violemment tombé au sol ce qui a eu pour conséquence de « fracasser » son casque de moto qu’il portait. David me disait ensuite fièrement qu’« heureusement », il portait ce casque, sinon il se serait sérieusement blessé la tête. Il me racontait une fois de plus cet évènement comme s’il était sans importance, et sans mesurer les risques qu’il avait pris. Une sensation désagréable m’a alors de nouveau envahie, comme si je m’étais un instant imaginée à sa place, dévalant cette descente, et m’étalant violemment au sol, couverte de blessures. Cette façon que David avait de malmener son corps en venait même parfois à me donner des visions d’horreur, comme finalement dans les images des films effrayants qu’il aime regarder.

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Table des matières

Introduction
Partie 1 : Présentation du dispositif de recherche
I/ Le lieu de stage
II/ Contexte de la rencontre
A. Le choix de David
B. Eléments d’anamnèse
C. Histoire des troubles
III/ Cadre de la rencontre
A. Méthodologie
B. Critiques du dispositif de recherche
IV/ Analyse de la relation transférentielle
V/ Problématique et hypothèses
Synthèse
Partie 2 : Présentation du matériel clinique
I/ De la quête identitaire aux mécanismes de défenses
A. La question de l’identification
B. L’inhibition de l’imaginaire
C. La dévalorisation de soi
D. La rigidité de la pensée
E. Le clivage : entre idéalisation et haine de l’objet
II/ Un environnement familial défaillant
A. La question du père
B. Les absences de la mère
III/ De l’agressivité à une recherche de l’autre
A. L’agressivité et la régression
B. Les passages à l’acte hétéro agressifs
C. Les passages à l’acte auto agressif
D. La tentative de séduction
Synthèse
Partie 3 : Articulation théorico-clinique
I/ Les carences parentales
A. Un père absent physiquement mais présent dans le discours
B. L’insécurité maternelle
C. David, un enfant abandonnique
II/ La violence en réponse à un environnement familial défaillant
A. La violence en images
B. La violence contre soi
C. La défiance de la loi
III/ David, entre désinvestissement et investissement de l’autre
A. Des mécanismes de défenses archaïques
B. Les angoisses de persécution
C. Ne rien dévoiler de soi
D. Une possibilité relationnelle
Synthèse
Conclusion

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