« La violence c’est pas toujours frappant mais ça fait toujours mal » , proclamait le slogan d’une campagne d’information sur la violence faite aux femmes. Cette formule incarne parfaitement la violence scolaire dont les faits les plus spectaculaires sont propulsés au devant de la scène par les médias, contrairement aux autres qui sont passés sous silence, comme invisibles et qui pourtant semblent tout aussi douloureux.
Depuis plusieurs décennies, des spécialistes (chercheurs en sciences de l’éducation, en sociologie, criminologues) effectuent des enquêtes et mènent des recherches pour mieux comprendre le phénomène de violence à l’école.
La violence à l’école : un phénomène absent ou réel ?
Cette partie va chercher à définir la violence à l’école de manière théorique, pour se centrer sur une définition plus subjective par le personnel éducatif et les élèves. Puis, à partir d’enquêtes, elle présentera les faits/les causes qui font que la violence relève soit d’une absence totale, soit d’une réalité dramatique.
La violence : un terme difficile à définir
La plupart des chercheurs s’accordent sur le fait que la violence dans le contexte scolaire est un terme très difficile à définir. Ceci pour des raisons très simples à cerner : faut-il avoir une définition restreinte du mot (judiciaire) ou bien un sens large qui prendrait en compte les réalités scolaires ? Il convient alors de définir la violence en dressant en creux des distinctions avec des termes qui lui sont couramment associés ou confondus pour mieux distinguer ce que l’on peut qualifier d’actes violents. Ainsi, la définition du mot violence s’accompagnera de celles des termes suivants : agressivité et incivilité. En effet, l’agressivité est-ce déjà de la violence ? Les incivilités sont-elles des actes violents ou seulement des faits mineurs, loin de cette réalité ? Telles sont les questions auxquelles réfléchissent Pain (2006, p. 15) et Debarbieux (2005, p. 120). De toute évidence, d’autres termes sont associés à la violence à l’école comme les mots conflit, brutalité, intimidation ou encore insécurité. Néanmoins, ceux-ci ne sont pas ou peu confondus avec la violence.
Dans un premier temps, attachons-nous à une définition claire du terme d’agressivité pour mieux le comparer au sens du mot violence défini ensuite. J’exploiterai tout d’abord l’étymologie du mot pour montrer le caractère positif de celui-ci au départ (les définitions contemporaines reprenant surtout le sens apparu au XIXème d’un acte visant l’intégrité d’autrui, cf. Annexe 1). Agressivité vient donc du latin ad gradior : « aller vers, marcher vers… » (Bovay, 2008, p. 29). Cette acception témoigne donc de cette tension de la rencontre, qui semble positive. D’autre part, ce mot tire son étymologie de adgresse : « aller de l’avant avec l’esprit belliqueux » (Floro, 1996, p. 27). , sens connoté négativement. Pour montrer la complémentarité des deux sens, Pain a apporté une définition du terme englobant les deux aspects : il qualifie l’agressivité comme « une relation réactionnelle d’atteinte et, simultanément de dégagement, dans la proximité humaine. » (Pain, 2002, p. 2). L’agressivité serait donc une « affirmation vitale de soi » (Pain, 2002, p.2), englobant assertivité et brutalité. A cela, Bovay ajoute que l’agressivité correspond à « une disposition mentale, un état d’esprit, une tendance pulsionnelle qui peut être vécue à la suite d’une frustration qualifiée de constructive ou de destructive et qui vise à l’affirmation de soi. » (Bovay, 2008, p. 31). Dans la continuité de Pain, elle ajoute néanmoins cette notion de pulsion. L’agressivité ne serait donc pas nécessairement consciente. Elle poursuit en expliquant que l’agressivité servirait à définir le territoire de chacun, à faire valoir son droit, en tant que force de construction et de définition de l’individu. On peut alors se demander si l’agressivité est l’expression de la violence, une prémisse à celle-ci ou un état totalement indépendant.
En vue d’une comparaison, il convient de définir dès à présent le mot de violence. Dans un premier temps, considérons l’étymologie du terme pour montrer le point commun entre toutes les définitions que l’on trouve. Ce mot vient du latin violentia: « abus de la force » (Bovay, 2008, p. 29) dont l’expression pourrait être positive si elle n’était pas excessive ou employée mal à propos. Encore une fois, ce mot aussi semble désigner une force essentielle à la vie mais qui est trop excessive pour paraître positive. Cette étymologie semble faire converger toutes les définitions de la violence, en évoquant la force, et l’abus qui sous entend alors la contrainte et l’intentionnalité. La distinction à effectuer avec l’agressivité vient donc du fait que la violence « est une atteinte consciente de l’autre […] elle tend toujours socialement vers la destruction. » (Pain, 2002, p. 2). Comme le pense Prud’homme, la violence ne relève pas de la personnalité de l’individu comme l’agressivité, mais elle est intentionnelle et correspond donc bien à une stratégie pour obtenir quelque chose . L’agressivité relèverait donc d’un maintien de son identité par un comportement assertif répétitif inconscient, tandis que la violence serait une attitude consciente de destruction. L’agressivité ne serait pas une expression de la violence, ni même une prémisse à celle-ci car elle s’incarne dans la personne même et est essentielle, contrairement à la violence qui résulte d’une volonté consciente.
Hors de toute comparaison, la violence donne naissance à des définitions soit restreintes, soit larges. Si l’on s’en tient à Pain, la violence par essence « c’est ce que sanctionne socialement un code pénal » (Pain, 2006, p. 32). D’autres chercheurs (anglo-saxons notamment) élargissent cette acception, en s’inspirant de faits scolaires, ils déclarent alors que la violence, c’est « l’abus sous toutes ses formes et en tout lieu » (Pain, 2006, p. 32).
Depuis quelques années, en considérant une définition large de la violence, on tend à y inclure les incivilités, seulement dans le cadre scolaire, si l’on s’intéresse aux propos des enseignants ou des élèves dans les enquêtes (terme désormais très utilisé au pluriel d’où l’emploi auquel j’aurai recours). Mais que désignent-t elles ? Elles renvoient à un « ensemble de faits cumulés, pénalisables ou non, de petits délits ou infractions non pris en compte, qui répétés, induisent dans le milieu scolaire, une impression de désordre, un sentiment de non respect. » . Selon Roché, ces atteintes à l’ordre public sont réparties en quatre catégories : «dégradation et vandalisme, manque de courtoisie et insultes, conflits autour du bruit, comportements perturbateurs et occupation de l’espace » (Bovay, 2008, p. 32). En comparant la définition restreinte de violence à celle d’incivilités, on se rend compte que certaines incivilités seraient des violences mais pas l’ensemble car elles ne sont pas toutes pénalisables. Mais, si on adopte la définition large de violence pour la confronter à celle d’incivilités, on remarque alors que chacune d’entre elles sont des violences. Ainsi, comme le souligne Debarbieux, il est préférable d’adopter une définition plus large de la violence, il propose alors un terme englobant incivilités, harcèlement scolaire, et actes violents : les « micro violences », elles rassemblent « les délits sans victimes et avec, les violences qui n’apparaissent pas comme des délits » (Debarbieux, 2005, p. 120).
Il semble acceptable de s’attacher à une définition plus large, concernant l’école car les enquêtes depuis 1985, ont montré que les expériences de victimation concernent surtout des actes mineurs (comme les incivilités). Il ne faut donc pas réduire la violence scolaire à la délinquance. En ce sens, la définition que je conserverai pour la suite est la suivante, elle a été proposé par Hurrelmann (et citée à de nombreuses reprises par Nicole Vettenburg) : « La violence à l’école recouvre la totalité du spectre des activités et des actions qui entraînent la souffrance ou des dommages physiques ou psychiques chez des personnes qui sont actives dans ou autour de l’école, ou qui visent à endommager des objets à l’école » .
Ainsi, l’agressivité est à dissocier totalement de la violence si l’on s’en tient aux définitions, même si les enseignants et les élèves ont tendance à prendre l’agressivité pour un synonyme de violence. J’adopterai donc une définition large de la violence, en considérant les incivilités comme des actes violents, même non pénalisables. A cet égard, le terme de micro-violence est le plus adéquat car il présente parfaitement la violence comme un phénomène multiforme, sans en rester à la spécificité judiciaire, proprement française. C’est en ce sens là que la violence est présente à l’école.
Le rapport à la violence : points de vue du personnel éducatif et des élèves
Cette section va montrer à quel point la violence (au sens de micro-violence) sous ses aspects universels reste un phénomène culturel. En effet, ce terme change systématiquement de sens en fonction de la personne interrogée et de l’époque, d’où ses difficultés à être identifiée comme tel. A titre d’exemple, des faits ne sont pas considérés comme violents dans certaines sociétés, ou ne l’étaient pas dans le passé. Le bonnet d’âne porté par le cancre est aujourd’hui considéré comme une violence car il soulignait son échec scolaire et le soumettait à des moqueries de ses camarades ou de l’enseignant. De prime abord, la violence a donc une définition évolutive en raison du changement des représentations de l’enfant et de l’éducation. Elle a surtout un sens différent en fonction du groupe social ou de l’état psychologique de la personne interrogée. La violence est alors dépendante des valeurs, des codes sociaux, et des fragilités personnelles des victimes (Debarbieux, 1996, p. 42).
Si on considère la dernière enquête nationale réalisée sur un échantillon d’élèves du cycle 3 (Debarbieux et al., 2011), on remarque que la définition de violence a été établie au préalable, et l’on s’est basé sur celle-ci pour poser les questions par la suite. Cette enquête tente donc d’objectiver les faits de violence. Néanmoins, quelques années auparavant, Carra avait réalisé une enquête similaire (Carra, 2009) dans des écoles élémentaires (6-11 ans), en ne donnant aucune définition au terme violence, ceci dans le but d’observer s’il y avait une différence de conception en fonction des élèves et des enseignants. Je vais à présent me baser sur cette enquête pour montrer la dimension a priori subjective de ce terme car comme l’avait déjà écrit Pain « la violence c’est ce qui nous fait violence » (Pain, 2006, p. 23) , elle relève donc bien de la subjectivité des acteurs sociaux.
Dans un premier temps, on peut se demander si la définition de la violence est la même concernant l’élève ou l’enseignant. En effet, au regard de l’enquête de Carra, on remarque qu’en interrogeant les enseignants et les élèves d’une même classe, on obtient des réponses différentes. Ainsi, aux questions : « Depuis le début de l’année, y a-t-il de la violence dans ton (votre) école ? », « Si oui, lesquels ? », on observe une forte divergence des réponses selon le statut de l’interlocuteur. Les violences verbales concernent 14 % des violences pour les élèves, contre 1/3 des réponses des enseignants (Carra, 2009, p. 26). Dès lors, contrairement aux élèves, les enseignants distinguent deux types de violence : les « actes violents » (bagarres, disputes, coups, agressions physiques, conflits) et les « discours violents » (insultes, grossièretés, moqueries). Les bagarres n’étant pas dirigées contre les biens ou les personnes de l’institution, ne semblent alors pas ou peu prises en compte par les enseignants. En revanche, ces derniers sont plus vigilants aux insultes ou aux menaces.
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Table des matières
Introduction
Partie 1 : La phase théorique
1. La violence à l’école : un phénomène absent ou réel ?
1.1. La violence : un terme difficile à définir
1.2. Le rapport à la violence : points de vue du personnel éducatif et des élèves
1.3. Une présence relative de la violence à l’école
2. Les formes de la violence : du visible à l’invisible
2.1. Des violences verbales à l’école
2.2. Des violences physiques à l’école
2.3. Le harcèlement à l’école : une violence invisible, à la fois verbale et physique
3. Une reconnaissance de la violence à l’école par la mise en place de conseils d’élèves
3.1. La gestion de la violence à l’école par le conseil d’élèves : illusion ou réalité
3.2. Un enjeu du conseil d’élèves : construire un rapport à la loi pour combattre la violence
Partie 2 : L’enquête
1. La méthode de relevé des données
1.1 Le choix d’une méthode qualitative
1.2 La présentation de l’échantillon
2. L’image de la violence : une perception singulière ou plurielle ?
2.1 La difficile question de la définition
2.2 Les formes de violence : une ou des typologie(s) ?
2.3 Les profils d’auteur et de victime : du stéréotype à la particularité
2.4 De la perception synchronique à la perception diachronique : croissance, stagnation ou diminution du phénomène de violences scolaires ?
3. L’origine du phénomène : des causes théoriques aux causes identifiées
3.1 Une origine interne : contestée ou reconnue ?
3.2 Une origine externe : entre facilité et vérité
4. Des solutions pratiquées aux solutions idéales : une gestion critiquée des violences scolaires
4.1 Les réponses immédiates à la violence scolaire : une ou des possibilités ?
4.2 Les solutions idéales et leurs limites
Conclusion
Bibliographie
Annexes