La transition urbaine renouvelle la dimension sociale de la mobilité
Lors de la transition urbaine, les réseaux de déplacements motorisés prennent une importance croissante . C’est en effet, à travers l’usage de ces réseaux de déplacements motorisés que l’on parcourt aujourd’hui nos “niches écologiques ”, que l’on accède aux ressources dispersées de la “ville émergente ”. Cependant, l’accès à la ville et à ses ressources éclatées, n’est pas égal pour tous. Il existe des inégalités d’accès aux réseaux et des inégalités dans la capacité à se déplacer via les réseaux qui génèrent des inégalités d’accès à la ville. Certes, les inégalités d’accès à la ville ne naissent pas avec la transition urbaine. Elles ont toujours existé puisque la mobilité et les réseaux qui la supportent représentent un invariant de l’organisation des territorialités humaines . Cependant, les inégalités de mobilités sont néanmoins renouvelées par la charge de mobilité plus importante qui s’impose à tous dans la ville des métriques automobiles, particulièrement dans les espaces périurbains.
Depuis le début de la décennie 2000, la dimension sociale de la mobilité a fait l’objet d’un regain d’attention de la part des chercheurs en sciences sociales. Ces travaux mettent en avant un double renouvellement de la dimension sociale de la mobilité dans la ville motorisée. Tout d’abord, selon ces travaux, la généralisation de la mobilité facilitée est une source d’intensification des inégalités sociales. Ensuite, la transition urbaine a produit de nouveaux espaces urbains, des périphéries lointaines où s’installent des classes moyennes et populaires. Dans ces territoires, la dépendance à l’égard de l’automobile est plus forte qu’ailleurs. Dans un contexte d’augmentation des coûts de déplacements urbains, ces ménages populaires vivent une urbanité bridée et, finalement, leur droit à l’appropriation, leur droit à la ville s’en trouve diminué. Bref, à l’orée de la décennie 2000, la dimension sociale de la mobilité apparaît renouvelée : elle constitue une nouvelle question sociale .
Une accentuation des inégalités d’accès aux ressources urbaines
Le potentiel de mobilité des individus, qu’il soit nommé “motilité ” ou “capital en réseaux ”, est aujourd’hui perçu comme un élément de la différenciation des trajectoires sociales et du développement des inégalités sociales. Avoir accès aux différents réseaux de déplacements (train, automobile, transports publics…) et avoir les capacités (cognitives, physiques et monétaires) de les utiliser représentent les éléments primordiaux d’un capital de mobilité, lui-même devenu un élément de différenciation des trajectoires sociales.
Dans la ville motorisée, les inégalités de mobilité s’intensifient. Dans la ville des métriques automobiles, une charge de mobilité plus importante s’impose à tous. La norme de mobilité nécessaire à la conduite de nos vies augmente. Le capital de mobilité devient alors une source nouvelle de différenciation des trajectoires individuelles et de reproduction des inégalités sociales. Jean-Pierre Orfeuil tient un propos similaire : “parce que la capacité de mobilité, et le plus souvent de mobilité autonome via l’automobile, est devenue une norme sociale, un pré-requis, au même titre que lire, écrire ou compter, elle tend […] à marginaliser ceux que la vie a le moins bien dotés en capacités de mobilité .
Bref, à la vision idyllique d’une mobilité émancipatrice se substitue la vision “grise” d’une mobilité facilitée qui marginalise certains . Rendre accessible au plus grand nombre une “mobilité facilitée”, génère des effets négatifs qui tendent à exclure certains individus du jeu social, soit parce qu’ils ne peuvent entrer dans le “club automobile” soit parce qu’ils sont forcés d’en sortir . Dans un environnement urbain redessiné par l’automobile, “la grande ville donne beaucoup, mais à ceux qui savent et peuvent venir le chercher ”. Dès lors, les individus les moins bien dotés en “motilité” courent le risque d’être marginalisés ou exclus du jeu social du fait d’un éventail restreint de ressources accessibles.
Des franges urbaines vulnérables
D’un point de vue spatial, la transition urbaine a produit de nouvelles franges urbaines. Ces nouvelles périphéries urbaines où les ressources sont distendues, sont des espaces de mouvements incessants . La mobilité, principalement la mobilité automobile, est le trait commun de ces espaces. Dès lors, dans ces territoires urbains, plus qu’ailleurs dans la ville, les inégalités de mobilité accentuent les différenciations et les inégalités sociales. Les métriques automobiles ont produit les espaces périurbains, il n’est donc pas surprenant qu’il s’agisse là des territoires de prédilection de la dépendance automobile. Cependant, la dépendance automobile et ses potentiels effets sociaux, n’affectent pas l’ensemble des espaces périphériques avec la même intensité.
Les premières et secondes couronnes périurbaines sont les lieux de résidence des classes moyennes sans pour autant être un “espace socialement homogène .” Dans ces territoires, il semble que la dépendance automobile soit vécue de façon “joyeuse”, c’est-à-dire qu’elle ne limite pas la mobilité automobile des ménages, ni leurs accès aux ressources urbaines. Par contre, dans les troisièmes et quatrièmes couronnes, dans ces nouvelles marges urbaines, dans ces espaces lointains et excentrés, la situation vis-à-vis de la dépendance automobile est bien différente. Il s’agit là des franges urbaines où “les classes moyennes précarisées et oubliées ” trouvent à se loger. Ce sont les territoires où s’installent les ““captifs” du périurbain ”, ces employés et ouvriers confinés à l’écart des ressources urbaines par les marchés fonciers et immobiliers. Or, ces “captifs du périurbain” connaissent d’importants freins dans leurs usages des déplacements motorisés et dans leurs accès à la ville. Sous l’effet d’une forte contrainte budgétaire, ils vivent une “urbanité bridée” où “les activités hors travail restent peu nombreuses et exceptionnelles”, ce qui “affecte l’éducation et les loisirs des enfants”, diminue les liens amicaux et sociaux et “ « assigne à résidence » les femmes et les adolescents ”.
La forte dépendance automobile des classes populaires périurbaines excentrées et l’urbanité bridée qui en découle, ne semble pas sur le point de connaître une inflexion. L’augmentation continue du prix du carburant depuis quelques années participe à augmenter la part du budget qu’allouent ces ménages aux déplacements urbains . Cette situation fait courir le risque aux catégories modestes et moyennes “de ne plus pouvoir bénéficier du niveau d’accessibilité et de mobilité jugés indispensables au regard des opinions et de la population prise dans son ensemble ”. Bref, les ménages populaires installés dans le périurbain lointain courent le risque de se retrouver dans des situations d’exclusions sociales. La ville motorisée libère donc le jeu des opportunités, à condition toutefois d’être en mesure de jouir sans entraves des différents réseaux de déplacements motorisés. Ce qui n’est pas le cas de tous, particulièrement dans les espaces reculés qui représentent aujourd’hui des territoires vulnérables, des territoires où la dimension sociale de la mobilité est plus saillante qu’ailleurs.
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Table des matières
Introduction générale
Objet et actualités de la recherche : Politiques urbaines et dimension sociale de la mobilité dans
la ville des flux
Question de recherche
Cadre analytique et hypothèses de recherche
Méthodologie de recherche et structure de l’argumentation : observer la différenciation, construire par opposition
Première partie. Polarisation économique, division sociale de l’espace et construction intercommunale dans la région urbaine marseillaise
Introduction.Lire les territoires à travers leurs “inconscients territoriaux”
Chapitre 1. Quatre intercommunalités périphériques dans une région urbaine fragmentée
Chapitre 2. Des territoires “dorés”
Chapitre 3. Des territoires “rouillés”
Conclusion de la première partie. Deux “inconscients territoriaux”
Deuxième partie. Transports publics intercommunaux et registres différenciés de la solidarité urbaine
Introduction. la solidarité communautaire face aux identités territoriales
Chapitre 4. Politiques intercommunales et solidarités communautaires : concurrence, cohabitation et hiérarchisation des registres de la solidarité urbaine
Chapitre 5. Tenir son rang dans la Région Urbaine Marseillaise. Des politiques intercommunales de transports publics façonnées par l’impératif de concurrence interurbaine
Chapitre 6. Desservir le “bout du monde” pour transporter un public contraint, quand la solidarité envers les périphéries domine la scène communautaire
Conclusion de la seconde partie. Attractivité et compétitivité urbaine contre réactualisation de la dimension sociale de la mobilité
Troisième partie. Réguler les circulations automobiles en ville : valorisation urbaine et mécanismes marchands de la sélectivité des usagers
Introduction. Le stationnement une compétence communale articulée aux politiques intercommunales de transports publics urbains ?
Chapitre 7. Intercommunalité, voirie et stationnement :(dés)articulation des politiques urbaines de Transport et de Déplacements
Chapitre 8. Usagers choyés des politiques de stationnement et outils marchands de la sélectivité
Conclusion de la troisième partie. Approfondissement contre allégement des contraintes marchandes de sélection des usagers
Conclusion générale
Différenciation des politiques urbaines de transport et de déplacement, différenciation des trajectoires de développement
Bibliographie
Annexes