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La création de la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes a. Histoire du terme de ZAD
A l’origine ZAD signifie Zone d’Aménagement Différée. C’est un terme d’urbanisme. Ces ZAD, au sens originel du terme, ont été créées en 1962. Cet acronyme désignait, selon le décret instituant les ZAD, « des secteurs urbains à rénover ou des secteurs urbains à créer ». Une ZAD vise à délimiter le périmètre de futures opérations d’aménagement et à lutter contre la spéculation foncière, par la
mise en œuvre du droit de préemption. Ainsi les ZAD sont souvent situées dans des communes où le marché immobilier est sous tension. La Zone d’Aménagement Différé de Notre-Dame-des-Landes est créée en 197419.
Ce n’est que plus tard, lors de l’avancée rapide du projet d’aéroport à Notre-Dame-Des-Landes en 200820, que les habitant.e.s de la ZAD se réapproprient ce terme. Le terme ZAD deviendra alors l’acronyme Zone À Défendre. Notre-Dame-Des-Landes est la première Zone à Défendre de France. Une Zone à défendre est une zone sur laquelle s’installe une contestation face à un projet de construction. Ces zones sont généralement situées là où il y a des ressources naturelles que des acteurs, individuels comme collectifs, pensent avoir le devoir de protéger. Il y a en effet, souvent une visée de protection de l’environnement derrière la formation d’une ZAD. A Notre-Dame-des-Landes, la présence d’animaux classifiés en voie de disparition, comme le triton crêté, dans des zones marécageuses, a aussi eu son importance dans le conflit. Une ZAD peut faire l’objet d’occupation et d’appropriation par ces acteur.rice.s. Cette appropriation peut passer par des constructions d’habitats et d’infrastructures et/ou par l’organisation de divers événements/manifestations. Enfin, la ZAD peut devenir, pour certains individus, un lieu de vie qui n’est pas envisagé comme provisoire. L’expression ZAD s’est ensuite répandue en France, mais aussi en Europe. A titre d’exemple, on peut citer la ZAD de Bure, où les occupant.e.s s’opposent à la construction d’une centrale nucléaire, la ZAD de Dijon dites des « Lentillères » où les habitant.e.s désapprouvent la construction d’un éco-quartier, ou encore, au niveau européen, la forêt de Hambach, en Allemagne, où des militant.e.s s’opposent à l’exploitation du charbon situé sous la forêt.
Un retour historique des processus de construction et de déconstruction sur la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes
C’est en 197221 que l’on trouve les premières traces du projet d’aéroport dans les journaux locaux. Et c’est également en 1972 que va se monter la première association anti-aéroport : l’Association de Défense des Exploitants Concernés par l’Aéroport (ADECA). Toutefois la conjecture économique, avec le choc pétrolier de 1973 et la crise économique qui va en découler, va être un premier gros frein au projet d’aéroport qui restera en pause jusqu’au début des années 2000, lorsque le projet d’aéroport du grand ouest, nommé ainsi par les collectivités territoriales et l’État, fait son retour. En 2000 une nouvelle association est donc créée : l’Association Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le projet d’Aéroport, l’ACIPA, qui deviendra une des associations les plus importantes sur la ZAD. Dans l’ACIPA sont majoritairement regroupés des riverains pour qui la lutte contre l’aéroport constitue la première expérience militante. De 2000 à 2004, les terres de certain.e.s agriculteur.ice.s commencent à être rachetées par l’État. En 2008 le projet d’aéroport est déclaré d’utilité publique sous conditions : l’aéroport devra répondre à des critères environnementaux22. Ce rapport d’utilité publique est valable 10 ans. C’est à cause de cette déclaration que sera créé le premier squat sur la zone de projet d’aéroport : Les Rosiers, une ferme de la ZAD23. En effet, la déclaration d’utilité publique est en fait la seule autorisation dans le droit français qui permet l’expropriation d’habitant.e.s ou d’exploitant.e.s. En 2009 est lancé le premier appel à se rendre sur la ZAD pour l’organisation du Camp Action Climat, suivi d’un appel à occuper la ZAD. Deux autres fermes seront squattées suite à ce camp. De 2008 à 2011, d’autres fermes sont squattées, des cabanes sont construites puis habitées et des initiatives collectives se développent comme des jardins, des potagers, mais aussi l’ouverture de divers lieux collectifs sur la ZAD. En 2010, c’est Vinci qui répond à l’appel d’offre de l’État et qui devient donc le constructeur officiel de l’aéroport. En juin 2011 les prestataires de Vinci pour la réalisation des travaux sont autorisés à entrer légalement sur la ZAD : s’en suivent des vagues de sabotages des engins et du matériel de chantier. Certains prestataires se retirent alors du chantier. 2011 est aussi l’année de création de COPAIN, le Collectif des Organisations Professionnelles Agricoles Indignés par le projet d’aéroport. Ce collectif est proche de la Confédération Paysanne.
En 2012, est lancée l’opération César, vaste opération policière ayant pour but d’expulser les habitant.e.s illégaux et de détruire les cabanes. De nombreux.ses habitant.e.s sont blessé.e.s ou interpellé.e.s. Certains jardins sont brûlés par les forces de l’ordre. Suite à cette opération policière a lieu une manifestation de ré-occupation de la ZAD en novembre 2012, qui donne lieu au réaménagement des lieux de vie et à la construction de nouvelles cabanes. En 2013, face aux résistances au projet d’aéroport, Jean-Marc Ayrault, ancien maire de Nantes et à l’époque premier ministre de François Hollande, lance une commission de dialogue qui conclura à l’utilité du projet. Dans le même temps se développent une douzaine de projets agricoles sur les terre occupées, avec notamment du maraîchage et de l’élevage. Tout au long des années 2013 et 2014 les prestataires choisis par Vinci tentent de faire des travaux sur la ZAD : ils sont dans la majorité des cas dans l’incapacité de les faire à cause de l’occupation et des actions décidées par les habitant.e.s. En 2015 est créé « Sème ta ZAD », un collectif d’exploitant.e.s et d’occupant.e.s désireux.ses de mettre en pratique une agriculture humaniste et l’autonomie alimentaire de la lutte. En 2015 des procédures judiciaires sont aussi relancées afin de pouvoir expulser les agriculteurs et les locataires ayant refusé de vendre leurs maisons et leurs terrains à l’État. Ils sont rendus expulsables en janvier 2016 mais ne seront jamais expulsés. 2016 est aussi l’année de la consultation concernant le projet d’aéroport24. Cette consultation se déroule sur l’ensemble du département de Loire Atlantique. Le « pour » la construction de l’aéroport l’emporte à 55,17%. Durant les années 2016 et 2017, sur la ZAD se construisent des cabanes et/ou des projets de lieux de vie, comme la bibliothèque du Taslue, et les projets agricoles avancent.
Le 14 janvier 2018 le projet d’aéroport est abandonné. Est alors organisée une grande fête de la victoire sur la ZAD. Certains habitant.e.s décident de rester habiter sur place. L’État n’est pas d’accord et lance alors une première vague d’expulsions en avril 2018. Alors que seuls les lieux perçus comme radicaux, c’est-à-dire ceux occupés par des habitant.e.s qui ne souhaitent pas communiquer avec la préfecture ou avec les collectivités locales, devaient être expulsés, l’État expulse également la Ferme des 100 noms, habitée par des éleveurs de moutons aux positions modérés, ce qui provoque l’indignation de nombreux.ses militant.e.s qui soutiennent la ZAD. De grandes manifestations de soutien seront organisées sur la ZAD mais aussi à Nantes25. Une deuxième vague d’expulsions aura lieu en mai 2018. De nombreux lieux de vie sont détruits et se pose alors la question du devenir de la ZAD. Il est aussi important de dire que tout au long du mouvement de nombreuses instances d’organisation existaient. En dehors des multiples réunions qui avaient lieu toutes les semaines sur la ZAD, il y avait également la réunion des habitant.es (réu des zhabs) qui avait lieu une fois par mois, et l’Assemblée Générale du mouvement qui avait lieu toutes les deux semaines.
Enfin il y a également des collectifs féministes informels sur la ZAD. Ces collectifs ont pu être de deux natures tout du long de la lutte contre l’aéroport : des collectifs affinitaires qui ne regroupaient parfois que les individus d’un même lieu de vie, ou bien des amies, ou des collectifs plus larges qui regroupaient un nombre plus important de femmes. Il serait faux de penser que ces collectifs sont nés dès la création de la ZAD en 2008. En réalité ils sont apparus très progressivement et ne faisaient que de se faire et de se défaire. En outre certaines de mes enquêtées parlent de collectifs relativement fermés et qui étaient très affinitaires. Ces collectifs ont, tout au long de la lutte contre l’aéroport, proposé des ateliers en non-mixité (par exemple un atelier de mécanique qui s’appelait
« clé par clé »26), mais aussi des réunions sur divers sujets. En outre, un lieu en non-mixité « meufs, gouines, trans, PD » a aussi été construit : la cabane du Coin. Ce lieu était donc interdit aux hommes cis-genres. Enfin ces collectifs féministes plus ou moins formels ont aussi été amenés à gérer des cas de violences sexistes, verbales et physiques. Ils pouvaient alors défendre physiquement la victime de ces violences, déterminer les sanctions à l’encontre de l’agresseur (toujours en adéquation avec les demandes de la victime), mais aussi aider la victime de diverses manières. Selon mes enquêtées, ces collectifs ont mis un certain temps à être acceptés par la majeure partie des hommes cis genre27, et par certaines femmes, qui n’en voyaient pas l’intérêt, et/ou qui n’avaient jamais été confrontées à des idéaux féministes lors des débuts de la ZAD. Aujourd’hui cependant, elles pensent qu’il y a eu une réelle évolution et une légitimation de ces collectifs par beaucoup d’habitant.e.s et de militant.e.s. Toutefois, il y toujours des lieux de vie qui rejettent ou minimisent l’importance de ces collectifs et des idéaux féministes qu’ils défendent. Par exemple un lieu de vie refuse d’écrire ses tracts et ses banderoles en écriture inclusive.
En somme, au sein de la ZAD il y a toujours eu différents collectifs qui n’avaient pas les mêmes objectifs, en dehors de celui commun : que l’aéroport ne se fasse pas. Certains se cantonnaient à cet unique objectif tandis que d’autres se servaient de la ZAD comme d’un tremplin pour une lutte plus globale contre le capitalisme par exemple ou contre le sexisme. Je n’ai pas ici de documentation qui me permettrait de pouvoir développer les objectifs de chaque collectif, et de montrer les différences entre eux. Néanmoins pendant mes entretiens, plusieurs de mes enquêtées ont critiqué l’ACIPA parce qu’elle était pour le départ des habitant.e.s en cas d’abandon du projet d’aéroport. Mes enquêtées ne semblaient donc pas particulièrement apprécier l’ACIPA. Mais ce n’est un qu’un exemple des relations complexes qu’on trouvait au sein de la ZAD avant l’abandon du projet.
État des lieux de le ZAD post-abandon
Le renouveau des organisations
En juin 2018, l’ACIPA, la principale association qui luttait contre l’aéroport, est dissoute28. Comme l’ACIPA et les autres associations (beaucoup plus petites) contre l’aéroport n’existent plus, d’autres associations ont pris le relais pour représenter la ZAD ou du moins pour en représenter certain.e.s habitant.e.s. La défense des terres de la ZAD est toujours le principal objectif de ces collectifs et associations même si désormais c’est au travers de projets agricoles que la lutte continue29. Ainsi est né en 2019 le collectif NDDL-Poursuivre ensemble. Il a pour vocation de continuer « à prendre soin des terres » que constituent la ZAD. Il procède régulièrement à des collectes de nourriture à destination d’associations qui aident les exilé.e.s sur Nantes. Dans le même temps s’est aussi créée la Coordination des organismes soutenant les projets de la ZAD. Elle est notamment composée de Ami-e-s de la Confédération Paysanne 56, ATTAC 44, Confédération Paysanne, EELV Pdl (Europe Écologie Les Verts, Pays de la Loire), Ensemble 44, LPO 44 (Ligue de Protection des Oiseaux), NDDL-Poursuivre Ensemble, PARDEM (PARti de la DEMondialisation), Solidarité Ecologie La-Chapelle-sur-Erdre, Solidaires44, Sortir du Nucléaire Pays Nantais30.
Ce collectif s’est créé à l’initiative de Zadistes qui voulaient se légaliser et donc déposer des demandes de projets individuels. Il est encore en activité aujourd’hui, ou du moins continue de publier des communiqués. On peut ici notifier que NDDL-Poursuivre-Ensemble fait partie de la Coordination des Organismes Soutenant les Projets sur la ZAD. Ainsi certaines personnes doivent faire partie des deux organismes.
En outre, s’est également créée la coopération bocagère. La coopération bocagère est un réseau dont font partie certains lieux de vie de la ZAD. Elle a pour but de redistribuer l’argent au sein des différents lieux de vie volontaires qui ont déposé des projets individuels et obtenu des baux. En effet, les lieux qui ont obtenu des baux doivent être rentables d’ici deux ans et la coopération bocagère permet aux installations déficitaires de profiter du bénéfice des autres en situation de bénéfice supérieure aux attentes de rentabilité.
En outre, sur la ZAD il existe le Réseau de ravitaillement des luttes en pays nantais, qui propose, comme son nom l’indique, de ravitailler les piquets de grève, les luttes étudiantes, ou encore de préparer des repas collectifs pré ou post manifestations nantaises. Le Réseau de ravitaillement des luttes est aussi connu sous le nom de la Cagette Déter’. Il semble que ce soit l’évolution de la cantine O’popotte, qui faisait la même chose avant 2018.
De plus, même si la réunion des zhabs (la réunion des habitant.e.s) de la ZAD n’existe plus, elle a plus ou moins été remplacée par l’Assemblée Générale des Usages. Cette assemblée s’occupe d’organiser les événements « publics »sur la ZAD, de régler certains conflits et surtout, s’occupe de tout l’aspect administratif qu’implique le processus de légalisation de la ZAD sur lequel je reviendrai ci-dessous. Je n’ai pas pu rencontrer les habitant.e.s de la ZAD qui se disent contre sa légalisation. En revanche je sais que l’un des collectifs se nomme « Les invendus de la ZAD ». Je n’ai pas plus d’informations.
Il faut préciser que COPAINS semble être une des seules organisations à tenir encore debout et à ne pas avoir pâti de l’abandon du projet.
Il existe également un collectif féministe informel en ce moment à la ZAD. Ce collectif organise des soirées en non mixité et ces soirées sont de deux natures : d’une part des soirées pour échanger sur des écrits féministes ou pour débattre, et d’autre part des soirées « détente » qui peuvent être des soirées films mais aussi des soirées alcoolisées. Ce collectif n’a pas de nom et n’est pas vraiment formel.
La situation actuelle sur la ZAD
Avec l’abandon du projet d’aéroport en 2018, les autorités publiques réclament le départ des habitant.e.s reconnu.e.s comme illégaux31. Les habitant.e.s refusent. Des négociations sont entamées entre eux.elles et la préfecture mais elles n’aboutissent pas. En avril et mai 2018 deux opérations policières32 ont lieu sur la ZAD dans le but d’expulser les habitant.e.s et de détruire les cabanes. Beaucoup ont été détruites, des individus sont partis suite à leur expulsion. Toutefois, certaines cabanes ont été reconstruites et des individus vivent toujours sur la ZAD. En effet, face à la dureté du conflit sur le terrain, et pour éviter d’autres blessés graves33, voire des morts, en 2018, la préfecture fait un pas de côté en proposant des baux précaires aux habitant.e.s porteurs de projets. En échange d’un bail, les habitant.e.s doivent élaborer des fiches de projet individuel. Les habitant.e.s de la ZAD se divisent alors entre ceux.celles qui déposent des projets et les autres, qui, majoritairement, quittent la ZAD. Les projets individuels des habitant.e.s sont ensuite examinés un à un par une commission et en fonction de la validation de ces projets, des baux provisoires sont établis34.
En outre, certain.e.s des agriculteur.trice.s qui avaient laissé leurs terres à Vinci tentent de venir les récupérer, mais les habitant.e.s de la ZAD ne sont pas d’accord et ne veulent pas les leur restituer. Aujourd’hui environ 150 à 200 personnes vivent sur la ZAD à l’année. Ce peuvent être des habitant.e.s de longue durée ou de nouveaux.elles arrivant.e.s. Il reste donc de nombreuses cabanes sur la ZAD, ainsi que des corps de fermes en dur, mais aussi des yourtes et des camions, et d’autres formes d’habitats provisoires sur lesquelles nous reviendrons par la suite. On trouve également des lieux de création artistique, des lieux culturels (bibliothèque du Taslue), de nombreux jardins et potagers mais aussi des animaux. Il y a aussi une auberge, dans laquelle on ne peut manger que si on est adhérent (officiellement), une fromagerie, et un fours à pain. Toutefois la ZAD n’est pas uniquement un lieu de vie en commun, c’est aussi encore aujourd’hui un lieu militant. On peut donc y trouver quasiment toutes les semaines35 des projections de films, des lectures de textes, des conférences, des débats et des concerts, du moins en été. Plus ponctuellement on peut également trouver des événements qui célèbrent la ZAD (comme l’anniversaire de la troisième année d’un squat), et bien entendu des mobilisations de soutien aux projets sur la ZAD.
En outre sur la ZAD on peut constater des systèmes d’oppositions entre les différent.e.s habitant.e.s. Ainsi se distinguent les historiques, les paysans historiques et les habitant.e.s qui vivent sur la ZAD depuis plusieurs années, des arrivant.e.s, les politiques, les militant.e.s, des arraché.e.s, les plus marginaux (les routard.e.s, les SDF…). Enfin la dernière distinction entre les habitant.e.s de Notre-Dame-Des-Landes oppose ceux.celles qui ont des projets agricoles et ceux.celles qui n’en ont pas ou pas encore.
Il paraît également important de donner à voir que les habitant.e.s de la ZAD ont des rapports à l’argent et donc des usages du temps différents des Français.e.s en général. En effet, il n’y a pas ou vraiment très peu de prix fixes sur la ZAD. C’est à dire que lors du « non marché » par exemple, le marché de la ZAD qui a lieu une fois par semaine et sur lequel sont présentes uniquement des denrées alimentaires produites sur zone, tout est vendu à prix libre36. Tout d’abord le prix libre est un concept selon lequel chaque chose vaut le prix qu’en donne l’acheteur en fonction de l’estimation qu’il en fait et de ses moyens financiers. Ainsi, les personnes qui n’ont que peu ou pas d’argent peuvent accéder aux mêmes biens que ceux.celles qui en ont plus. En outre le règlement ne prend pas forcément la forme d’une compensation monétaire. En effet, l’apport de force, un coup de main pour un chantier par exemple, sont également les bienvenus en échange de denrées. Si une personne veut acquérir une denrée alimentaire en échange de rien c’est également possible. Nulle réflexion ne lui sera faite. De plus, beaucoup de repas dans les lieux de vie communs sont gratuits. Ils sont cuisinés soit à l’aide de denrées produites sur zone, soit grâce à de la récupération. La récupération ou récup’ est un moyen de se nourrir qui consiste à aller fouiller les poubelles de supermarchés et à prendre les produits encore consommables, mais qui ne sont plus commercialisables. Et c’est la même chose pour les vêtements. Ainsi, dans la ferme centrale de la ZAD, Bellevue, il existe un free-shop, non pas dans le sens commercial sous lequel on le connaît aujourd’hui, mais un free-shop totalement gratuit. Enfin il existe également une bibliothèque sur la ZAD (le Taslue). Les livres sont en libre accès, l’emprunt n’étant pas conditionné à une inscription payante. Il y a donc un rapport à l’argent qui pourrait se traduire par un non rapport si les habitant.e.s de la ZAD ne touchaient aucun revenu. Toutefois beaucoup d’entre eux.elles perçoivent le RSA37. Les habitant.e.s ne se nourrissent pas seulement sur zone mais pour certain.e.s consomment également quelques produits provenant des supermarchés : ces produits sont achetés ou volés. Le rapport à l’argent sur la ZAD ne se caractérise pas alors par un manque ou un vide, mais bien par une manière différente de consommer, et d’acheter ou de vendre. Ce mode d’organisation permet de se passer de l’argent pour vivre. Il est possible de manger, de s’habiller, ou encore de vivre sur la ZAD sans argent. Ce rapport différent à l’argent crée également une utilisation du temps différente de celui du reste de la société. En effet, chez la majorité des Français.e.s, la répartition des tâches en fonction du temps est guidée par l’argent. Une des activités à laquelle ils vont consacrer le plus de temps sera celle qui leur permettra de gagner de l’argent, donc pour beaucoup d’individus, l’activité professionnelle. En effet, en moyenne les Français.e.s consacrent 22h30 hebdomadaires à l’activité professionnelle ou aux études, 24h35 aux activités domestiques, 85h35 aux activités de récupération et 35h20 aux loisirs38. Or sur la ZAD, non seulement l’argent n’est pas nécessaire pour vivre (bien qu’il puisse l’être pour gagner en qualité de vie), mais le travail n’est pas perçu comme un travail. En effet, beaucoup de mes enquêtées se sentent favorisées parce qu’elles ont la chance de faire quelque chose qui leur plaît et qu’elles n’assimilent pas au travail : beaucoup d’entre elles perçoivent le travail comme une contrainte.
Si on continue ce raisonnement, les postes de dépenses de temps sur la ZAD sont multiples et ne dépendraient que de l’envie des habitant.e.s. Toutefois ce n’est pas le cas. D’une part parce que ce n’est jamais seulement l’envie qui guide les actes d’un individu, et d’autre part parce chaque acte à des conséquences autres que la rentrée d’argent, qui influent sur les relations qu’un individu entretient avec les autres habitant.e.s de la ZAD. Or les habitant.e.s sont pris.es dans le réseau des relations humaines, de connaissances et d’inter-connaissances, et pour beaucoup d’entre eux ce qu’ils défendent où sont censés défendre sur la ZAD détermine leur utilisation du temps. En effet, si un.e habitant.e défend par exemple la solidarité, aider les gens qui en ont besoin va monopoliser une grande partie de son temps. En outre, beaucoup des habitant.e.s de la ZAD sont impliqué.e.s dans des travaux agricoles, qui font fluctuer leur utilisation du temps : les cultures et certains autres travaux agricoles dépendent de la météo, de la terre, bref de la nature. Ainsi, la nature devient un facteur de fluctuation de dépense du temps. En somme les habitant.e.s de la ZAD ont très peu de temps libre et il est donc probable que ce soit toujours la/les même.s personne.s qui s’occupent des mêmes choses. Bien sûr ne sont pas prises en compte ici les rétributions militantes39, les gains symboliques, sociaux, et parfois économiques que procure le militantisme, dont je parlerai plus tard. En outre la division des sphères temporelles, celle du travail, des loisirs, de la vie familiale ou privée/domestique, et celle du militantisme, n’existe pas à la ZAD. Ainsi ces sphères sont imbriquées les unes dans les autres et les habitant.e.s ne sont pas forcément à même de définir ce qui relève du « travail », du loisir, du privé, ou encore du militantisme. Ce décloisonnement du temps provient du fait que toutes ces tâches sont réalisées dans le même espace, un espace relativement réduit : le lieu de vie. En effet, pour beaucoup d’habitant.e.s le lieu de vie est un lieu privé mais aussi un lieu de travail, un lieu de loisir, et enfin un lieu militant. Une de mes enquêtées, Anaïs, me dit que d’habiter sur la ZAD c’est un peu « comme d’avoir un piquet de grève au milieu de son salon ». En outre ce décloisonnement des sphères semble encore plus présent pour les femmes militantes qui semblent percevoir les relations hommes/femmes comme quasi exclusivement politiques. C’est également le cas pour les activités des hommes et des femmes, qui pour beaucoup vont être perçues comme des activités à dé-genrer. C’est-à-dire que certains habitants vont essayer de faire plus souvent la vaisselle que leurs homologues féminins, et que les femmes vont essayer de plus s’approprier des savoirs et des savoirs faire masculins.
Ainsi, les lieux de vie semblent donc au centre de l’organisation de la vie sur la ZAD et il convient donc que je m’y intéresse.
Les différents lieu de vie
La ZAD s’est différenciée de beaucoup d’autres mouvements sociaux au travers de plusieurs aspects. D’une part elle est un mouvement d’occupation d’un territoire. D’autre part cette occupation prend un forme inédite (ou quasi) en France. En effet, chaque lieu de vie a son organisation. Loin de voir la ZAD comme une entité globale il faut en fait la considérer comme composée de multiples entités, réparties sous la forme de différents lieux de vie. Certes il y a des usages ou des activités qui sont à l’échelle de toute la ZAD, ou en tous cas d’une grande partie de cette dernière, mais la majeure partie des organisations sont en fait à l’échelle des lieux de vie40.
Ainsi si des individu.e.s habitent ensemble dans le même lieu de vie c’est souvent en raison de liens affinitaires, et pas forcément politiques. Bien sur le politique peut jouer sur l’affinitaire mais certaines de mes enquêtées font tout de même la différence comme Lysa qui distingue l’amitié du politique : « C’est pas parce qu’on est sur la même longueur d’ondes politiquement qu’il faut que je t’apprécie en tant que personne. Une personne avec qui une amitié se forge c’est bien plus que politique. » Or, c’est vrai que lors des repas du vendredi midi au Cul de Plomb, Lysa ne s’éternisait pas à l’auberge comme la plupart des habitant.e.s et ne semblait pas avoir des liens amicaux avec ceux et celles qui étaient présent.e.s. Il faut tout de même relativiser cette opposition entre politique et affinitaire : certaines de mes enquêtées avaient de l’animosité à l’encontre d’autres habitant.e.s exclusivement à cause de leurs opinions politiques. L’affinitaire et le politique semblent donc relativement liés sur zone.
Au sein de ces lieux de vie on trouve donc des conceptions différentes de ce que doivent ou devraient être la ZAD, mais aussi les relations humaines. Ainsi beaucoup de mes enquêtées, lors de leur arrivée sur la ZAD ont vécu dans plusieurs lieux de vie avant de s’installer dans celui qu’elles estiment être le leur, celui qui leur convenait le mieux.
Ces lieux de vie ne sont toutefois pas coupés les uns des autres. En effet,la ZAD fonctionne en fait comme une gigantesque toile d’araignée. Ainsi beaucoup de lieux sont en réseaux les uns avec les autres41. C’est le cas pour les différents lieux de vie de mes enquêtés par exemple. Toutefois certains lieux semblent être plus isolés que d’autres sur la ZAD, souvent du fait d’une opposition à ce qui se passe sur le reste de la ZAD. C’est notamment le cas de la Grée, un des seuls lieux d’habitation qui refuse la légalisation de la ZAD.
Il est également important de décrire ces lieux de vie, autant de l’extérieur que de l’intérieur. Mes descriptions seront complétées par des photos issus du livre de Philippe Graton, Carnets de la ZAD42.
Les lieux de vie sur la ZAD sont tous différents. Ils le sont tout d’abord par leur architecture extérieure. Ainsi cabanes de bois, de terre, caravanes, yourtes, et camions aménagées se côtoient. Pour ma part j’ai pu rentrer dans cinq lieux de vie. Deux étaient des caravanes, deux des cabanes, dont une construite par mon enquêtée et son conjoint, et le dernier était constitué d’un corps de ferme couplé avec une caravane, laquelle faisait office de chambre pour la fille du conjoint de mon enquêtée.
Profils d’habitantes de la ZAD
Des origines sociales différentes
Durant mon enquête j’ai pu rencontrer six femmes. Ces six femmes sont toutes des femmes cis. Autrement dit leur genre correspond à leur sexe. Cinq d’entre elles vivent sur la ZAD, Mégane, Lysa, Anaïs, et Auriane de façon permanente et Noémie de façon temporaire. La dernière de mes enquêtées, Aïssa, vit à peu près à 10km de la ZAD et a été/est très impliquée dans sa construction et son fonctionnement. Auriane et Anaïs ont entre 25 et 30 ans. Mégane et Lysa ont entre 30 et 40 ans. Noémie est plus âgée, elle a 49 ans. Enfin Aïssa est la doyenne de mes enquêtées et a 62 ans. Elles sont présentes à la ZAD depuis au moins cinq ans pour cinq d’entre elles. Seule Noémie est présente depuis moins longtemps. Elle est arrivée sur la ZAD et y a posé sa caravane en 2018 au moment des expulsions.
Quatre de mes enquêtées sont blanches : Mégane, Anaïs, Noémie et Auriane. Lysa et Aïssa sont toutes deux racisées. Lysa a des origines marocaines tandis qu’Aïssa a des origines algériennes. Mes enquêtées viennent de milieux sociaux différents. Tout d’abord l’origine sociale de Mégane est difficile à appréhender. En effet, même si elle parle très bien français elle ne sait pas très bien comment m’expliquer ce que faisait ses parents (elle est d’origine allemande et les mots lui manquent encore quelque fois). Selon elle, ils travaillaient « dans des bureaux », mais quand je lui demande si ça se rapprochait des fonctionnaires en France, elle me dit que non et que ses parents faisaient « un boulot de merde ». Sa mère arrête ensuite de travailler pour s’occuper de ses enfants puis reprend un emploi de puéricultrice dans une crèche. Elle n’a plus de contacts avec son père depuis qu’elle est jeune. Ainsi Mégane semble venir de la frange haute des classes populaires ou de la frange basse des classes moyennes. Noémie semble également avoir une origine sociale similaire : sa mère et son père étaient agriculteur.ice.s. Anaïs aussi semble avoir à peu près la même origine sociale. Son père était ouvrier de maintenance chez Bouygues Télécom. De sa mère, elle dit qu’elle a souvent été au chômage et qu’elle a occupé beaucoup d’emplois précaires : caissière, restauratrice en cantine scolaire…Quant à Aïssa, sa mère était aide-soignante avant de se marier avec son père, et ce dernier était chauffeur mécanicien dans le civil. Elle semble donc venir des classes populaires. Deux de mes enquêtées semblent toutefois se distinguer. En effet, Auriane semble venir des classes moyennes et Lysa des classes supérieures. La mère d’Auriane est infirmière et son père était instituteur (il est décédé quand Auriane était petite). La mère de Lysa, elle, a un cabinet d’audit et son père est expert comptable et commissaire aux comptes.
Des études et des parcours professionnels différents
Comme on pouvait s’y attendre du fait de leurs origines sociales hétérogènes, les niveaux d’études de mes enquêtées varient. Tout d’abord mes enquêtées sont toutes nées après les années 60. La première massification scolaire était déjà lancée: on pouvait constater un allongement de la durée des études et une population scolaire plus importante. En outre quatre d’entre elles ont effectué leur scolarité à l’aube ou pendant la seconde massification scolaire (années 1980), où on assiste à une massification de l’entrée dans l’enseignement supérieur. Mes enquêtées avaient donc une plus forte probabilité de faire des études supérieures. Toutefois en fonction de l’origine sociale de mes enquêtées, elles n’ont pas fait les mêmes études supérieures. Lysa et Auriane semblent avoir les plus hauts niveaux d’étude au sein de mes enquêtées. Lysa a une licence d’économie ce qui lui permet par la suite de travailler en tant que courtière en assurance, puis dans un cabinet d’expert comptable et un cabinet d’audit, et enfin avec un commissaire aux comptes. On peut faire l’hypothèse qu’elle a en réalité travaillé avec ses parents, une licence d’économie n’étant généralement pas suffisante pour travailler à ces postes, et parce que les emplois qu’elle a occupés correspondent en tous points avec ceux de ces parents. Auriane après l’échec de sa première année de classe préparatoire littéraire fait un BTS (Brevet de Technicien Supérieur) en gestion forestière avant de faire une troisième année de licence d’écologie à l’université de Metz. Elle n’a jamais travaillé. Lysa et Auriane ont donc toutes les deux le niveau licence. Mégane a aussi un haut niveau d’étude : elle a l’équivalent allemand d’un double master, un master en anthropologie en sciences africaines et islamiques et une équivalence pour pouvoir être professeure d’allemand. Elle a occupé un poste de professeur d’allemand mais seulement pendant un an. Elle a également été serveuse et a travaillé dans une salle de concert. Elle a toujours travaillé en Allemagne et non en France. Mes trois autres enquêtées ont des niveaux d’étude plus bas. Noémie a le BAFD (Brevet d’Aptitude aux Fonctions de Directeur.ice). Elle a été directrice de centre de loisirs avant d’élever ses enfants. Elle enchaîne ensuite les petits boulots et travaille en usine, est conductrice d’ambulance, de bus puis enfin de bus spécialisé pour le transport d’enfants handicapés. Elle est licenciée de ce dernier emploi au printemps 2018. Anaïs, elle, s’est arrêtée après une première année de formation d’assistante sociale. Elle s’est installée à la ZAD et n’a pas fini sa formation. Elle n’a jamais eu d’emploi. Enfin Aïssa a eu un parcours de vie compliqué. Elle a arrêté ses études en 4ème car elle a dû fuir sa famille : son père voulait la marier de force. Elle se retrouve donc à la rue. Elle en sort et a rapidement son premier enfant. Après sa grossesse, elle travaille de nuit en usine. Mais par la suite une association lui propose de passer le DEFA (Diplôme d’Etat relatif aux Fonctions d’Animations). Elle le passe et l’obtient. Elle travaille ensuite dans un centre de loisirs sur la côte Atlantique, mais ne voulant pas être dans des centres de loisirs qu’elle qualifie de « bourgeois », elle démissionne et va travailler au Planning familial de Nantes. Là bas elle crée une branche spécifique : « viol, violence, inceste ». Elle arrête ensuite de travailler parce qu’elle sent que son activité professionnelle l’envahit. Elle fait alors des petits boulots d’usine ou des travaux agricoles. Ça fait deux ans qu’elle est à la retraite et donc qu’elle touche une pension. Toutefois elle semble continuer de faire parfois des petits boulots au noir pour avoir un complément de revenu.
Mes enquêtées ayant une origine sociale plus haute que les autres ont donc fait plus d’années d’études que mes autres enquêtées, exception faite de Mégane. En effet, c’est Mégane qui a le plus haut niveau d’étude avec l’obtention d’un double master équivalent à un bac+5. Viennent ensuite Auriane et Lysa qui ont toutes les deux et trois ans d’études. En outre Mégane, Auriane et Lysa sont allées à la fac, et Auriane à même tenté une classe préparatoire littéraire. Noémie, Anaïs et Aïssa ont des niveaux d’étude moins élevés. Tout d’abord Anaïs à un bac général. Elle avait commencé une formation pour devenir assistante sociale mais l’arrête au bout d’un an pour vivre sur la ZAD. Noémie, elle, a un BEPA c’est à dire un Brevet d’Études Professionnelles Agricole. Enfin Aïssa a arrêté ses études lorsqu’elle était en 4ème. Elle fait toutefois une reprise d’étude après la naissance de son fils et passe le DEFA, le Diplôme d’État Relatif aux fonctions d’animations. Ainsi mes enquêtées qui viennent de milieux sociaux bas ou moyens ont fait des études plus courtes et dans des filières professionnelles.
Loisirs et fonctions des enquêtées
Deux de mes enquêtées ont des enfants. Noémie a trois adolescents qui ne vivent plus avec elle. Ils ont leur propre logement, et son fils le plus jeune est en internat. Auriane a un bébé de quatre mois qui vit dans la cabane qu’elle a construite avec son conjoint. Enfin Anaïs, si elle n’a pas d’enfants vit avec son conjoint dont la plus jeune des filles vit avec eux un week-end sur deux. Noémie, elle, vit seule. Son premier conjoint est décédé il y a douze ans. Elle est séparée de son second conjoint. Ses trois enfants sont partis de chez elle. Lysa aussi vit seule. Anaïs et Auriane vivent avec leur conjoint. Mégane a une conjointe mais elles ne vivent pas ensemble. Enfin Aïssa, a un « co-habitant », comme elle le nomme. C’était son conjoint pendant un moment. Même s’ils ne s’aiment plus amoureusement parlant, ils ont choisi de continuer de vivre ensemble.
En ce qui concerne les loisirs de mes enquêtées ils sont aussi très différents. Dans un premier temps il convient de définir le loisir. En effet, le sens du mot loisir dans le sens commun apparaît comme un temps différent de celui du travail, et est souvent un temps consacré à soi, à son envie. En effet, le loisir c’est avant tout « un temps libre »46. Or, certaines de mes enquêtées m’ont dit avoir du mal à faire la différence entre les loisirs et le travail car elles font un travail qui leur plaît. De même pour les loisirs qui ont lieu dans leur lieu d’habitation sur la ZAD. Ainsi Anaïs me dit : « une des choses que je considère être mon loisir c’est que je fais de la couture, je cous des chaussons en feutre mais c’est pas vraiment un loisir parce que c’est pour contribuer à un projet de potes et ces chaussons là ils vont être vendus et c’est parce que j’ai été employée chez eux pendant quelques temps. Tu vois c’est du taff, mais c’est du taff qui me dérange pas. J’ai ni quantité de production, ni timing eh ben j’en fais quand ça me fait du bien. J’essaye de le faire régulièrement même si des fois j’ai un petit peu la flemme mais ça va tu vois.» On peut considérer la confection de chaussons comme loisir certes, mais un loisir qui est aussi du travail. Pour Auriane aussi la définition des loisirs est compliquée. Elle vit dans la cabane qu’elle a construite avec son conjoint. Or, si le premier étage est bien leur habitation et leur lieu de vie, le rez-de-chaussée sert d’atelier. Leur espace privé est donc également leur espace de travail. Auriane me dit ne pas avoir de loisirs, toutefois ce peut être dû aussi au fait qu’elle est mère d’un bébé de quatre mois, et donc qu’elle n’a pas forcément beaucoup de temps en dehors de son activité.
Au final, les loisirs les plus facilement définissables en tant que tels sont les loisirs qui se passent à l’extérieur des lieux de vie quand ces derniers ne sont pas également des lieux de travail. Ainsi Anaïs prend des cours de danse et fait même partie d’une compagnie de danse. Auriane fait partie d’une association qui aide les élèves de BTS à faire leur alternance à l’étranger (la même qui lui a permise de partir faire la sienne en Afrique du Sud). Mégane, elle, va à la piscine pour faire de la natation. Elle fait également partie d’une association qui ne concerne pas directement la ZAD : elle aide à mettre en place un système de traduction lors de certaines conférences militantes internationales. Lysa fait de la musique, écrit, fait du snowboard et aime se promener. Certains de ses loisirs peuvent certes être réalisés chez elle, mais chez elle ce n’est pas son lieu de travail. En effet, Lysa fait partie de l’équipe boulangerie or la boulangerie est à Bellevue et ce n’est pas l’endroit où elle vit. Aïssa ne vit pas non plus sur son lieu de travail, ni sur un lieu totalement militant, elle n’a donc pas de mal non plus à définir ses loisirs : la lecture, le jardinage…C’est également le cas de Noémie qui n’a pas de loisirs consommables47 (et qui ne vit pas de manière permanente sur la ZAD). Son seul loisir c’est l’auto hypnose.
Enfin il convient également de regarder quelles fonctions occupent mes enquêtées au sein de la ZAD. Tout d’abord il faut distinguer la fonction qu’elles occupent au sein des collectifs dont elles font partie, de la fonction qu’elles ont au travers de leurs projets sur la ZAD. Ainsi Mégane est considérée comme une habitante historique de la ZAD. Elle est arrivée au tout début du conflit. Elle fait de la culture et s’est également occupée d’un atelier d’herboristerie. Elle est intégrée dans le processus de légalisation de la ZAD et s’occupe du fonds de dotation 48. Lysa fait aussi partie de celles qui sont sur la ZAD depuis longtemps. Elle est aussi intégrée dans le processus de légalisation. Elle est aussi une de celles et ceux qui ont monté le fonds de dotation. En outre elle travaille le bois et fait de l’abattage et du sciage. Enfin elle fait partie de l’équipe Boulangerie. Deux fois par semaine elle va faire du pain vendu ensuite à prix libre. Aïssa fait partie de la Légal Team. La Légal Team est une équipe de bénévoles qui est née sur la ZAD. Elle a pour objectif d’aider les personnes interpellées lors d’actions ou de manifestations. Elle aide également si des individus sont poursuivis. Elle offre par exemple des tarifs préférentiels avec certains avocats. Enfin le collectif de la Légal Team offre aussi un soutien, financier ou moral, aux militant.e.s inculpé.e.s. Aïssa est donc connue de beaucoup d’habitant.e.s de la ZAD en tant que référente du collectif. Anaïs aussi est arrivée il y a relativement longtemps sur la ZAD. Elle fait partie de la coopération bocagère. Elle a fait partie de la cuisine O’popotte. Elle a pour projet de faire des cultures et de l’élevage sur son lieu de vie. Noémie, est arrivée en 2018, pendant les expulsions. Comme elle est habitante temporaire, elle n’est pas connue de tous les autres habitant.e.s. Néanmoins elle aide plusieurs lieux de vie lorsqu’il y a des chantiers. En outre elle a pour projet de monter un atelier couture et répare d’anciennes machines à coudre. Enfin Auriane est arrivée quelques années après Mégane, Aïssa, Lysa, et Anaïs mais bien avant Noémie. Elle a fait partie de plusieurs groupes : le « groupe vaches », l’accueil du public à Bellevue, le cycle des 12, l’organisation d’événements publics sur la ZAD. Son projet est de faire de l’élevage de moutons, mais aussi de l’apiculture.
En outre, il est aussi intéressant de constater qu’avant et pendant leur engagement sur la ZAD, beaucoup de mes enquêtées ont eu une ouverture sur le monde au travers de diverses voyages qu’elles effectuent et/ou ont effectués. Ainsi Auriane est partie en Afrique du Sud pendant un an, Aissa est allée en Palestine et au Maroc, Mégane voyage beaucoup, elle dit essayer de partir toutes les six semaines.
On peut donc dire que mes enquêtées n’ont pas des parcours et des modes de vie similaires même si elles vivent sur la ZAD. On peut donc se demander quelle place occupe le collectif sur zone.
La dimension collective du vivre ensemble
Comme on l’a vu ci-dessus les habitant.e.s de la ZAD ont des profils très hétérogènes. On peut donc se demander comment ils.elles arrivent à vivre ensemble, et comment s’organise ce vivre ensemble. Dans cette deuxième partie je reviendrai donc sur les sociabilités, les solidarités et les hiérarchies internes sur zone mais surtout sur les conflits entre les habitant.e.s. Les prochains chapitres ont pour objectifs d’une part de donner à voir une partie de l’organisation de la vie sur la ZAD et d’autre part de montrer comment les femmes s’intègrent dans cette organisation.
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Table des matières
Introduction
Partie 1: La ZAD, un territoire évolutif aux multiples acteurs
Chapitre 1 : Chronologie évolutive de la ZAD de Notre-Dame-DesLandes
1. Un territoire naturel face au projet d’aéroport
2. La création de la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes
3. La ZAD au fil des cartes
Chapitre 2 : État des lieux de le ZAD post-abandon
1. Le renouveau des organisations
2. L’organisation sur la ZAD
3. Les lieux de vie
Chapitre 3 : Profils d’habitantes de la ZAD
1. Des origines sociales différentes
2. Des études et des parcours professionnels différents
3. Loisirs et fonctions des enquêtées
Partie 2 : La dimension collective du vivre ensemble
Chapitre 1 : Sociabilités, solidarités et hiérarchies internes
1. Sociabilités et solidarités intra-zad
2. Rétributions militantes, savoirs autochtones et hiérarchies informelles
3. Perceptions des habitant.e.s par elles.eux-mêmes
Chapitre 2 : Conflits d’usages autour de la notion de territoire ou conflits de territoire autour de la notion d’usage ?
1. La ZAD un territoire rural et sans souveraineté apparente
2. Conflits d’usages autour de la notion de territoire
3. Conflits de territoire autour de la notion d’usages
Chapitre 3 : L’impossible mise en place de « limites » ?
1. Le Zadnews, témoin du vivre ensemble sur zone
2. La gestion collective des conflits
3. L’essai de la mise en place des « limites »
Partie 3 : La vie quotidienne des femmes sur la ZAD
Chapitre 1 : La forme de la domination masculine sur la ZAD
1. Qu’est ce que la domination masculine ?
2. Une volonté masculine de moins dominer sur la ZAD ?
3. Une domination masculine en paroles
4. Une domination masculine en actes
Chapitre 2 : La forme des féminismes sur la ZAD
1. Retour historique sur le féminisme en France
2. Un féminisme sororitaire et ponctuel sur zone
3. Les espaces entre femmes comme lieux privilégiés
4. Féminismes théoriques et pratiques féministes
Chapitre 3 : Des représentations publiques genrées
1. La notion de genre
2. Des représentations qui donnent à voir les femmes
3. Des représentations entre transgression de genre et continuité du rôle genré
4. Du genre à la race et à l’homogénéisation de la femme dans les standards de beauté occidentaux
Partie 4 : Causes, conséquences et formes de l’engagement militant
Chapitre 1 : La ZAD, un pavé dans leur histoire ?
1. La carrière militante
2. Des pré-dispositions au militantisme
3. La féministisation
Chapitre 2 : Configurations et reconfigurations familiales
1. Des ruptures familiales ?
2. Configurations familiales spécifiques et impacts sur les identités genrées…
3. Des reconfigurations familiales
Conclusion
Bibliographie
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