La vidéo, un outil doublement au service du feedback

Le touch-rugby, un sport idéal

Le touch-rugby est le jeu que nous avons choisi, car il présente des caractéristiques pertinentes dans le cadre de notre recherche. Tout d’abord, les règles qui régissent sa pratique son aisément adaptables selon les types de comportements que nous souhaitons voir émerger.
Ensuite, sa pratique est relativement simple et par conséquent, elle ne sollicite pas chez les pratiquants une mobilisation cognitive dans le simple but de réaliser des gestes techniquement compliqués. L’attention des joueurs peut alors être portée sur le projet de jeu et la volonté de marquer. Afin de pouvoir observer une possible évolution dans le nombre de gestes fair-play et non fair-play, nous souhaitons mettre l’accent sur une pratique dans laquelle il y a de nombreuses confrontations entre les adversaires, et le touch-rugby offre notamment cette opportunité. Nous entendons par confrontation toute interaction opposant deux joueurs ou un groupe de joueurs ayant des intentions “conflictuelles”. Par exemple, le porteur de balle souhaitant poursuivre sa course et se trouvant empêcher de réaliser son intention à cause de la présence d’un adversaire. Les règles régissant le contact, le “touch”, peuvent être adaptées comme cela a été mentionné plus haut, de manière à induire des contacts plus ou moins rudes.
En définissant le geste de “toucher” l’adversaire, on peut varier du léger contact, où le simple fait de toucher suffit à stopper le joueur porteur de balle, à des gestes tel qu’un double contact entre les deux mains du défenseur et les épaules du porteur de balle. Ainsi les risques de conflits et d’interprétations différentes de ce qui se passe en seraient augmentés.
Dans leur recherche, Gros et Clerc (2013) ont choisi le touch-rugby pour leur dispositif. Ce travail de mémoire effectué par des étudiants de l’académie de Grenoble s’attache à étudier les effets d’un dispositif vidéo sur le développement de la métacognition à travers la construction de la règle. Le choix du “touch rugby” nous est dès lors apparu comme étant tout aussi idéal pour notre travail. L’intérêt de cette recherche, pour nous, réside dans sa conclusion: le feedback vidéo est bénéfique au développement de comportements tactiques.
Ainsi le feedback vidéo, en plus d’être un catalyseur au développement d’habiletés motrices, comme l’avait démontré la synthèse de Baumberger (2013), s’avère être un outil au service de l’intention. Considérant cet élément comme capital dans le développement du fair-play, cette conclusion soutient notre hypothèse selon laquelle le feedback vidéo serait un outil efficace pour faire progresser les élèves en terme de fair-play.
Nous nous distinguons cependant de cette recherche en nous attachant à l’étude des comportements fair-play, alors que le travail de Gros et Clerc (2013) s’intéresse principalement à la construction de la règle tactique.

Dispositif de recherche

Le choix de la méthode expérimentale

Pour répondre à notre question de recherche et obtenir les résultats attendus, nous décidons d’utiliser un dispositif expérimental permettant d’isoler l’effet de la variable “utilisation du feedback vidéo” (VI) sur la variable “fair-play” (VD).
Notre dispositif sera mis en place dans deux classes de 6ème et 7ème primaire du canton de Vaud, dont les élèves ont tous entre 10 et 11 ans. Ces classes comptent respectivement 20 et 16 élèves et les garçons et les filles y sont repartis de manière égale. Nous avons donc un échantillon de 36 écoliers du canton de Vaud, que nous considérons comme représentatif de la population des élèves de ce canton. Ces élèves ont tous l’habitude de pratiquer des jeux de balle lors des leçons d’éducation physique et sportive, ce qui facilite la mise en place de notre dispositif et l’apprentissage des règles techniques. Nous pourrons donc plus facilement nous concentrer sur les éléments de fair-play, qui nous intéressent en premier lieu.
Le choix de la méthode expérimentale s’impose, car il nous permet de ne faire varier que notre variable indépendante grâce à la prise en compte et à la neutralisation de l’influence potentielle des variables parasites. Dans notre cas, nous contrôlons la variable parasite « sexe », qui ne nous intéresse pas en premier lieu, en répartissant équitablement les filles et les garçons au sein de chaque équipe. De même, nous nous appuyons sur l’extrait d’une recherche consacrée au développement du fair-play chez des écoliers anglais de 10 à 11 ans (Goudas, 2007) pour affirmer que la faible variation d’âge au sein de notre échantillon n’aura aucune influence sur nos résultats. Ainsi, nous pourrons conclure si l’usage d’un feedback verbal s’appuyant sur la confrontation à des images vidéo influe ou non sur le fair-play dans les jeux d’équipe.
Pour ce faire, nous avons imaginé un plan expérimental où le feedback vidéo appuyant le feedback verbal est implémenté dans une classe, alors que l’autre ne bénéficie que d’un feedback verbal. Nous reviendrons sur les modalités de ces feedbacks plus loin dans ce travail.
Pour des raisons pratiques, notamment la fluidité du jeu et une analyse vidéo simplifiée, nous avons décidé de partager les classes en deux groupes égaux pour chaque phase de jeu de notre dispositif. Ces groupes changeront de manière aléatoire entre les phases de jeu, de manière à garantir que les résultats récoltés soient bel et bien la conséquence des feedbacks donnés durant la deuxième phase, plutôt qu’ils soient dus à une quelconque configuration particulière des individus au sein des équipes. En répétant notre dispositif sur deux groupes distincts et aléatoires, nous évitons donc tout particularisme pouvant expliquer la variation de notre variable dépendante.
Dans un premier temps, et une fois que les élèves maîtrisent les règles techniques du touchrugby, ceux-ci, par équipes de 4 ou 5 joueurs, disputent un match de touch-rugby de 15 minutes. L’enseignant-chercheur y joue le rôle d’arbitre. Nous verrons d’ailleurs plus tard, que cet élément d’arbitrage est central dans notre conceptualisation du niveau de fair-play dans le jeu. Durant cette séquence de jeu, chaque groupe est filmé, donnant à l’enseignant l’occasion d’observer et d’évaluer le niveau de fair-play présent durant le jeu sur la base d’indicateurs de fair-play définis préalablement. Il repère et sélectionne plusieurs situations typiques, dont il va ensuite discuter avec ses élèves. L’analyse vidéo de ces situations lui permet notamment de diriger ses interventions verbales auprès des élèves et de proposer à l’une des deux classes des extraits vidéo qu’il aura choisis.
En effet, la deuxième phase du dispositif consiste en un feedback collectif de la part de l’enseignant. Ce feedback est effectué quelques jours après la première phase de jeu et porte sur les éléments de fair-play recensés par notre grille d’analyse. Chaque classe reçoit un feedback verbal, dont les lignes directrices sont discutées préalablement par les chercheurs et recensées dans la grille présentée en page 23. Cependant, alors que dans la classe 2, le feedback est uniquement verbal, les élèves de la classe 1 sont quant à eux confrontés à leurs gestes grâce à un pointage vidéo de la part de l’enseignant. Ainsi, une classe ne bénéficie que d’un feedback verbal sans support particulier, alors que l’autre classe bénéficie d’un feedback verbal s’appuyant sur la confrontation aux images vidéo.
La troisième phase consiste à remettre en place une séquence de jeu de 15 minutes consécutivement aux feedbacks, c’est-à-dire dans les 2 jours suivants. Cette séquence est une nouvelle fois filmée et fait à nouveau l’objet d’un répertoriage de la part de l’enseignant chercheur afin de déterminer dans quelle mesure les éléments de fair-play retenus ont évolué ou non.

Apprécier le niveau de fair-play à travers 2 dimensions

Comme nous l’avons mentionné précédemment, le fair-play est un concept extrêmement vaste. Difficile dès lors d’en proposer une mesure exhaustive. Pour notre part et suite à des observations faites préalablement lors de leçons d’EPS, nous décidons de privilégier deux dimensions découlant directement de notre cadre théorique:
1) le rapport à la règle et à l’arbitrage
2) l’aspect social et moral du fair-play
La première dimension retenue a trait au rapport entre les joueurs et l’arbitrage. En effet, nous avons défini plus tôt que le fair-play se construisait avant tout par l’intériorisation du principe de mutualisation des restrictions. Si un joueur accepte ce principe de mutualisation des bénéfices et des pertes inhérentes au jeu, alors il sera en mesure d’accepter les règles, les respecter et surtout respecter les décisions arbitrales. Il se montrera donc potentiellement fairplay au regard de cet indicateur. En ce sens, le rôle de l’arbitre, en tant que juge du respect des règles, et ses interventions deviennent des révélateurs du niveau de fair-play en jeu. Plus exactement, ce ne sont pas les interventions de l’arbitre qui sont déterminantes dans la mesure du fair-play, mais plutôt la réaction des joueurs face à ces interventions. Lorsqu’un joueur commet une faute, il nous est difficile de définir ce geste comme anti-fair-play, car l’intention cachée derrière une faute n’est pas observable. Faire une inférence quant à l’intention du joueur incriminé par la faute est injustifiable au niveau de notre recherche. A ce titre, le nombre de fautes sifflées par l’arbitre ne sera pas une preuve du niveau de fair-play en jeu.
Cependant, nous postulons que la réaction du joueur au moment de la transgression de la règle et le respect des décisions qui en découlent sont, eux, observables et révélateurs de l’état d’esprit du joueur. Ainsi, à travers l’étude des réactions suscitées par les interventions arbitrales, nous pensons pouvoir mesurer l’évolution du fair-play. L’analyse de nos données devrait par ailleurs nous permettre d’apprécier à quel point les joueurs, c’est-à-dire nos élèves, ont assimilé la notion de mutualisation des restrictions.
Nous décomposons cette dimension de rapport à la règle et à l’arbitrage en trois indicateurs recensés dans notre grille d’observation.
Pourtant, nous pensons que notre appréciation du fair-play ne serait pas concluante si l’on s’arrêtait uniquement à ces indicateurs relatifs aux règles. Nous ajoutons donc une seconde dimension à notre modèle. Une dimensions plus normative et laissant plus de place à l’interprétation du chercheur, mais essentielle pour conceptualiser le fair-play chez de jeunes écoliers. En effet, notre expérience du terrain nous pousse notamment à considérer que des gestes négatifs en rapport avec les règles ne seront pas légion durant nos séquences de jeu.
Notamment parce que le contexte scolaire dans lequel est mené la recherche implique une relation entre le joueur et l’arbitre qui dépasse le seul cadre du jeu. Le joueur est aussi élève et l’arbitre, enseignant. Ainsi, les conséquences que peuvent avoir un comportement inadéquat envers l’arbitrage sont plus lourdes, car elles peuvent faire l’objet de sanctions scolaires et pas seulement sportives. L’influence de cet élément sera d’ailleurs pris en compte au moment de l’analyse de nos résultats.
Nous étoffons donc notre modèle en y ajoutant également ce que nous appelons la dimension sociale du fair-play. Dans ce cas, nous extrapolons légèrement la notion de fair-play en passant de son sens originel de justice et d’opposition équitable à un sens plus qualitatif du jouer ensemble. Etre fair-play, ce n’est pas seulement se montrer juste par rapport aux règles, c’est aussi privilégier des attitudes positives vis-à-vis des autres. Cette dimension permet par ailleurs d’aborder la notion de plaisir de participer que nous lions à celle de fair-play, notamment dans le cadre des valeurs promues pas le mouvement olympique (“HOPE”, 2011 ; Gasser & Perlini, 2010).
Afin de mesurer cette dimension, nous observerons toutes les attitudes positives et négatives des joueurs vis-à-vis de leurs équipiers et de leurs adversaires. Les 13 indicateurs liés à ces sous-dimensions sont présentés dans notre grille d’observation. Ainsi, nous déterminons par exemple qu’encourager son équipier ou son adversaire est un indicateur du niveau de fairplay, entendu comme une dynamique de groupe et de jeu collectif.
Notons que la présence de tels indicateurs est essentielle à notre modèle, car le fair-play est avant tout un état d’esprit positif. Nous avons ainsi une conceptualisation plus positive du fairplay, où nous ne nous restreignons pas à relever uniquement les comportements allant à son encontre. Car n’oublions pas que cette recherche a pour but de valider l’efficacité d’un dispositif qui se révélerait être un outil au service de l’enseignement des valeurs du fair-play.
En ce sens, il est important d’être en mesure de relever des comportements positifs qui feront aussi l’objet de feedbacks. Grilles d’observation et d’analyse
Pour rendre la compréhension de notre opérationnalisation plus explicite, nous présentons ci dessous nos deux grilles d’observation, contenant tous les indicateurs mentionnés, et qui constituent nos outils d’évaluation du fair-play.
Notre travail consistera, à l’issue de chaque phase de jeu, à remplir ces deux tableaux. Chaque classe bénéficiera évidemment de son tableau afin de permettre la comparaison. Pour ce faire, l’enseignant-chercheur recense de manière exhaustive chacun des indicateurs observés dans le jeu en veillant à mentionner à chaque fois le nom du/des élèves concernés, le moment où lefait de jeu est intervenu, ainsi qu’une brève description du fait de jeu. Les deux grilles nous informeront ainsi non seulement sur l’évolution collective du fair-play, mais également sur son évolution au niveau individuel.
A noter que dans chaque tableau, nous recensons les événements distinctement entre les deux matchs (le rang blanc pour le premier match, le rang gris pour le second).
Et les feedbacks dans tout ça? Pour réaliser la deuxième phase de notre dispositif, nous devons définir, sur la base de nos grilles d’observation, les comportements qui feront l’objet de feedbacks de notre part. Cela est d’autant plus important dans le cas du feedback vidéo, puisque les extraits retenus sont présentés aux élèves. Ces feedbacks sont collectifs, afin que les extraits sélectionnés puissent avoir un impact sur tout le groupe. Dans les deux types de feedbacks (verbaux et vidéo), nous sélectionnons un échantillon de situations que nous estimons représentatives des dimensions du fair-play retenues par notre grille d’observation. Surtout, il est très important de définir une série de relances suscitant un questionnement autour de ces situations et qui constituent un fil rouge commun aux deux types de feedbacks. Pour y arriver, les deux chercheurs se servent d’une grille qu’ils remplissent une fois l’analyse des premières séquences de jeu terminées.
Cette grille contient les situations/extraits vidéo retenus en fonction des comportements à travailler, les relances de l’enseignant sous forme de questions préparées en avance et les conclusions auxquelles le feedback devrait mener. Voici cette grille:

Résultats

Où en sont nos élèves avant les feedbacks?

Afin de présenter nos résultats de manière compréhensible, il convient de se pencher, dans un premier temps, sur ce qu’il s’est passé dans la première phase. En effet, c’est ce qu’il se passe dans les matchs initiaux qui détermine le niveau de fair-play des élèves, et ainsi leur potentiel d’amélioration.
Prenons d’abord la dimension sociale du fair-play. L’analyse des quatre matchs de la phase 1 a révélé que les élèves commettaient 17 gestes non fair-play par match en moyenne. Toutefois, la portée de ce résultat doit être modérée, considérant qu’un des quatre matchs a présenté un niveau de fair-play qui se distinguait par sa quasi-absence de gestes négatifs (1 seul geste).
Ainsi, on peut considérer que trois des quatre matchs présentent un potentiel d’amélioration dans les gestes négatifs et particulièrement dans l’agressivité verbale au sein d’une même équipe. En effet, ce dernier indicateur représente à lui seul un peu plus de la moitié des gestes négatifs relevés (35/68). Par potentiel d’amélioration, nous entendons dans ce cas, une marge de diminution de l’occurrence des gestes négatifs.
En se penchant sur les gestes positifs, on constate une répartition plus régulière entre les quatre matchs, avec une moyenne entre 9 et 10 gestes par match. On constate également que le match dans lequel un seul geste négatif a été relevé, présente aussi moins de gestes positifs que les autres matchs. De fait, ce match particulier se caractérise par un nombre de gestes ayant trait au fair-play relativement faible.
Nous constatons que la majorité des gestes positifs se font au sein d’une même équipe. Ainsi, seul un peu plus d’un quart des gestes positifs (10/38) sont dirigés vers des membres d’une équipe adverse. Nous pouvons, par conséquent, relever un potentiel d’amélioration dans la partie de la dimension sociale liée aux gestes positifs, et particulièrement dans l’occurrence de ceux-ci entre les équipes. L’amélioration se traduirait alors par une augmentation du nombre de gestes positifs de manière générale.
Dans l’optique de dresser un portrait du niveau de fair-play initial qui soit fidèle à la définition que nous proposons au début de cette recherche, il convient de s’intéresser à ce qui a été relevé concernant les gestes dirigés vers l’arbitrage. Ici, nous avons relevé 21 gestes négatifs, soit une moyenne légèrement en-dessus de 5 par match, ce qui peut paraître faible, mais qui reste non-négligeable compte tenu du contexte scolaire et de la configuration en vigueur désignant l’enseignant comme arbitre. Le potentiel d’amélioration est faible, considérant la marge de diminution de l’occurrence de ces gestes. Cependant, lorsqu’un élève conteste la décision de l’arbitre, le jeu est interrompu et une discussion s’engage. Cela a donc une influence importante sur la fluidité du jeu.
Quant au nombre de fois qu’un élève intervient contre une décision en sa faveur, geste que nous considérons comme positif, nous en avons relevé 3, venant d’un seul élève. Ces gestes ne pouvant avoir lieu que si l’arbitre se trompe ou si un joueur a mal assimilé une règle de jeu (par exemple un joueur qui enverrait la balle derrière son propre camp et signifierait à l’arbitre que la balle doit revenir à ses adversaires, car c’est lui qui a fait sortir le ballon, alors que la règle stipule que la balle revient toujours au défenseur lorsqu’elle sort derrière l’en-but), leur occurrence dépend beaucoup de l’arbitrage. Toutefois, la présence de tels gestes témoigne d’un niveau de fair-play élevé chez l’élève qui les initie. Nous pensons alors pertinent de les mentionner. Dès lors, le potentiel d’amélioration est important, 36 parmi les 37 élèves présents n’ayant pas accompli ce type de geste.
De manière générale, nous constatons initialement peu de différence entre les deux classes.
Elles présentent le même nombre de gestes positifs (19) et une légère différence en ce qui concerne le nombre de gestes négatifs (29//39). En ce qui concerne l’arbitrage, nous relevons une différence au niveau des interventions positives (première colonne du tableau). Toutefois, comme mentionné précédemment, les 3 interventions en question ont été accomplies par le même élève, ce qui atténue cette différence entre les classes.
Cette similarité entre les classes confirme ce que nous avancions en début de recherche en ce qui concerne la différence d’âge entre les élèves des deux classes. Celle-ci influe très peu sur le niveau de fair-play.

L’influence des feedbacks

Le feedback vidéo, une panacée ?

Intéressons-nous à ce qu’il s’est passé dans la classe 1, ayant bénéficié du feedback vidéo en phase 2.
Nous avons relevé une nette diminution des gestes négatifs, l’occurrence de ceux-ci dans la troisième phase s’élevant au tiers de ceux relevés en phase une (39 =>13). Signalons que les gestes négatifs entre les équipes ont presque totalement disparu. Nous n’en avons relevé qu’un seul. Nous constatons également une absence totale de gestes relatifs à l’agressivité physique en phase 3.
Nous avons mentionné plus haut le fort potentiel d’amélioration au niveau de l’agressivité verbale. Nos résultats montrent effectivement une diminution très significative de ces gestes, ceux-ci passant de 20 dans la première phase à 7 après le feedback. Cette diminution reste toutefois proportionnelle à l’évolution générale des gestes négatifs (-66%).
Si cette évolution des gestes négatifs suffit à elle seule à démontrer l’efficacité du dispositif « feedback vidéo », elle n’en demeure pas l’unique résultat. L’occurrence des gestes positifs a également suivi une évolution tout à fait significative et positive.
En effet, nous relevons 81 gestes positifs en phase 3, contre 19 en phase 1, soit une augmentation de 425%. L’évolution des gestes positifs envers les coéquipiers est légèrement plus importante (442%) que celle des gestes envers l’équipe adverse (380%). On remarque également que les élèves s’encouragent et se félicitent beaucoup plus au sein de leur propre équipe, l’occurrence de ces gestes passant respectivement de 4 à 28 et de 7 à 29. À noter qu’aucun encouragement n’a été relevé entre les équipes que ce soit en phase 1 ou en phase 3, ce qui remet en question la pertinence de cette indicateur.
Dans la dimension du fair-play relative à la règle, mesurée par les réactions des élèves lors des interventions de l’arbitre, nous avons aussi relevé une évolution positive. Tout d’abord, les réactions négatives (agacement/ contestation verbale) ont diminué. Nous en avions relevées 8 dans la phase 1; ce nombre a chuté à 2 dans la troisième phase. A noté que cette diminution se traduit par la disparition de geste d’agacement, tandis que le nombre de contestations verbales n’a pas évolué.
Nous avons également relevé l’apparition d’interventions contre des décisions arbitrales en défaveur du joueur intervenant. Ainsi, dans la troisième phase, à 4 reprises, des élèves sont intervenus au bénéfice de leurs adversaires. Prenons pour exemple la situation de Léo qui explique à l’arbitre qu’il a touché la balle en dernier avant qu’elle ne sorte et que, par conséquent, la remise en jeu doit être attribuée à l’équipe adverse. Ce type d’intervention était absent de la phase 1. Dès lors, nous pouvons constater une évolution positive de cet aspect-ci également.
L’étude des résultats de la classe 1 démontre une progression significative du niveau de fairplay dans un sens positif. Cette évolution se traduisant par une diminution des gestes négatifs et une augmentation des gestes positifs relatifs aux deux dimensions opérationnalisées que sont la dimension sociale et le rapport à la règle.

Qu’en est-il du feedback verbal?

Dans la deuxième classe, celle qui a bénéficié d’un feedback verbal non appuyé par le support vidéo, le niveau de fair-play a également évolué dans un sens positif et significatif.
Ici encore, cette évolution positive se traduit par une nette diminution du nombre de gestes négatifs qui s’élevait à 32 en phase 1, pour seulement 11 en phase 3. L’agressivité verbale au sein d’une même équipe a diminué d’un tiers (15 => 5), ce qui confirme encore une fois le potentiel d’amélioration relevé suite à l’étude de la phase 1.
Nous avons également constaté une augmentation de l’occurrence des gestes positifs, ceux-ci ayant un peu plus que doublé, passant de 19 en phase 1 à 41 en phase 3. Cette amélioration s’illustre tant par l’évolution positive des gestes au sein d’une même équipe, que celle des gestes entre les équipes. En ce qui concerne la dimension du rapport à la règle, l’évolution est moins flagrante. Nous avons relevé 13 gestes négatifs en phase 1 et 9 en phase 3. Le nombre de gestes positifs reste stable (3 => 3). Sur la base de ces résultats, il est difficile de dire qu’il y a une progression significative de cette dimension du fair-play pour la classe 2.

Feedback vidéo VS feedback verbal

Si nous avons constaté une évolution significative et positive commune aux deux classes suite aux deux différents dispositifs de feedback mis en place, nous pouvons toutefois comparer l’évolution d’une classe à l’autre. En effet, l’évolution de chacune des deux classes n’est pas strictement identique, ni quantitativement, ni en regard des dimensions du fair-play dans lesquelles elle se situe. Cette différence apparaît particulièrement au niveau des gestes positifs. Leur nombre a plus que quadruplé dans la classe 1 (f. vidéo), alors qu’ils n’ont « que » doublé pour la classe 2 (f. verbal). L’évolution dans la classe 1 est donc bien plus forte, d’autant plus que les deux classes présentaient un potentiel d’amélioration très similaire avec 19 gestes positifs chacune en phase 1, dont la répartition entre « au sein de sa propre équipe » et « entre les équipes » était identique (respectivement 14 et 5).

Un collectif définit par la somme de ses individualités?

Après cette analyse collective de nos indicateurs, penchons-nous maintenant plus en détail sur le contenu de nos grilles d’observation, afin de prendre connaissance des tendances individuelles qui y sont observables. Nul besoin d’être spécialiste pour rapidement constater que seuls quelques individus ont tendance à monopoliser la plupart de nos indicateurs de fairplay.
Ainsi, sur les 36 élèves concernés par notre recherche et les quelques 294 gestes recensés, plus des trois quarts sont le fait d’une dizaine d’élèves seulement. C’est donc un quart des élèves concernés par la recherche qui influence le trois quart de nos mesures. Cela prouve le poids qu’ont eu certains individus dans notre dispositif et nos résultats, et nous montre qu’il est important de considérer nos résultats collectifs comme tributaires de ces individualités. Il semblerait donc que la progression collective observée dans nos tableaux de résultats soit surtout le témoin de l’évolution positive d’un petit groupe d’individus. Quel estil et qu’en est-il?

JE et NA, des cas d’école

Parmi la dizaine d’élèves ultra-représentés dans nos indicateurs, deux semblent être les parfaits exemples de cette omniprésence. Surtout, nous considérons ces deux cas comme des cas d’école, car ils sont, comme nous allons le montrer, en parfaite analogie avec la progression collective. En effet, ces deux individus se sont tout d’abord illustrés par leurs gestes négatifs lors de la première phase de notre dispositif. JE et NA ont commis, à eux deux, pas moins de 33 gestes négatifs lors des premiers matchs. Ils correspondent, en ce sens, au constat que nous avons posé après la première phase, à savoir qu’il y avait des domaines relatifs au fair-play dans lesquels nos élèves étaient susceptibles de progresser. Évidemment, d’autres élèves ont également pesé dans la balance. Citons notamment TR, auteur de 13 gestes négatifs, ou encore RO, à l’origine de 12 actions anti-fair-play. Cependant, aucun de ceux-ci ne se trouve être des cas aussi caractéristiques de l’évolution du groupe que NA et JE, ces derniers ayant drastiquement changé d’attitude lors de la troisième phase. Ainsi, NA ne se rend coupable « que » de 5 actions négatives (contre 21 lors de la première phase), alors qu’il est l’auteur de 10 gestes positifs en contrepartie (contre 3 en première phase). Une évolution impressionnante donc, au même titre que celle de JE, passé de 12 gestes négatifs à un seul geste d’humeur durant la troisième phase. Une phase où il deviendra une sorte de portedrapeau du fair-play, puisqu’il se fera l’auteur de 30 gestes positifs, allant de l’encouragement au sein de sa propre équipe à la félicitation de l’adversaire.
A eux seuls, ces deux élèves expliquent donc en grande partie l’évolution collective observée lors de la phase 3. A l’aune de cette analyse, une chose est sûre, c’est que notre niveau de fairplay collectif, bien que reflétant l’état d’esprit de chacun (puisque même ceux qui n’interviennent pas influencent nos mesures), est avant tout tributaire de l’influence de quelques individus, qui agissent vraisemblablement comme des leaders en s’exprimant beaucoup et en prenant beaucoup de place. Cet élément aura d’ailleurs son importance dans la discussion des résultats.

Qui sont les grands absents?

En se penchant plus en détail sur la composition de ce groupe d’élèves sur-représentés dans nos tableaux, nous constatons que seules deux sont des filles. Et encore faut-il attendre la troisième phase pour que cette présence féminine soit clairement observable.
En effet, la première phase qui se caractérise par un niveau de fair-play moins élevé que la troisième semble être un bastion masculin, les interventions féminines ne s’élevant qu’à 7% du total. Doit-on en conclure que les filles sont plus fair-play que les garçons? Elles sont en tout cas moins enclines à intervenir, en particulier lorsqu’il est question de gestes négatifs. En revanche, certaines d’entre elles interviennent plus (23% du total des interventions) et s’illustrent notamment par leurs encouragements et leurs félicitations lors de la troisième phase.
Il est intéressant de constater une telle différence alors que nous avions pris soin de contrôler et neutraliser l’effet de la variable sexe en répartissant équitablement les filles et les garçons au sein des équipes. L’omniprésence des garçons dès la première phase du dispositif, alors qu’il faut attendre les feedbacks et la troisième phase pour voir ressortir certaines individualités féminines, nous montre peut-être qu’il existe une différence entre les genres lorsqu’il est question de fair-play. Sans chercher à confirmer ou non cette hypothèse, nous pouvons néanmoins affirmer que les filles ont été très discrètes lors de la première phase de notre dispositif et se sont révélées à mesure que nous avancions dans le processus. L’analyse des moments de feedback que nous ferons plus loin dans cette recherche montrera par ailleurs que certaines d’entre elles ont vraisemblablement une meilleure compréhension des enjeux inhérents au fair-play, qui explique leur discrétion lors de la première phase et leur prise de parole plus importante lors des deux phases suivantes. Un peu comme si les feedbacks et les discussions menées à leur suite par les chercheurs leur avaient donné une certaine légitimité à s’exprimer en jeu, que ce soit positivement ou négativement.

Discussion des résultats

La vidéo, un outil doublement au service du feedback

L’analyse de nos résultats démontre que les deux classes ont progressé. Ainsi, les deux dispositifs de feedback ont eu un effet positif sur le développement du fair-play chez nos élèves. Il convient alors de comprendre comment ces dispositifs ont initié les progressions relevées.
Afin de mesurer l’évolution du fair-play entre la phase 1 et la phase 3, nous avons filmé nos élèves lors de ces deux phases. L’analyse vidéo de la phase 1 poursuivait alors deux objectifs; mesurer le fair-play relativement à nos indicateurs et outiller l’enseignant-chercheur pour la phase 2 (lui fournir les éléments sur lesquels revenir avec la classe). Ce deuxième objectif est commun aux deux variantes de feedback. En effet, que ce soit le feedback vidéo ou le feedback verbal, l’enseignant-chercheur sélectionne parmi les éléments relevés lors de l’analyse des données vidéos, ceux qui feront l’objet d’une discussion en phase 2. Par contre, une fois les extraits sélectionnés, ceux-ci ne sont pas utilisés de la même manière. Ils sont seulement évoqués verbalement avec la classe dans laquelle s’effectue le feedback verbal, tandis que dans la classe bénéficiant du feedback vidéo, ces extraits sont montrés aux élèves.
Ainsi, le feedback vidéo bénéficie doublement de l’outil audiovisuel, comme support d’analyse au préalable, puis comme support visuel en classe. Dans le cas du feedback verbal, et c’est ce qui contribue notamment à expliquer une progression significative aussi dans ce dispositif, la vidéo permet à l’enseignant de préparer son feedback. Ainsi, celui-ci bénéficie d’une légitimité accrue, les élèves ayant conscience qu’ils ont été filmés et, par conséquent, que l’enseignant parle de faits et non d’interprétations.
Somme toute, nous faisons l’hypothèse que l’évolution de la classe 1 est plus significative que l’évolution de la classe 2, car la classe 1 bénéficie doublement de la vidéo, alors que la classe 2 n’en bénéficie que préalablement au feedback.

Des moments de feedback à l’image du jeu

En tant que chercheurs, nous avons vécu les moments de feedback de l’intérieur et avons donc pu en tirer certains éléments clés pour notre analyse. Comment nos élèves se sont-ils comportés? Qui a participé et quelles ont été les réactions aux feedbacks verbaux ou vidéo? Répondre à ces questions nous permet d’aborder certaines pistes pour mieux comprendre les constats faits aux phases 1 et 3 et l’évolution observée entre ces deux phases.
Chacun de nous a pu observer le même phénomène lors des feedbacks, à savoir que les élèves s’illustrant le plus par des gestes négatifs lors des premiers matchs, et qui sont par conséquent les plus concernés par nos feedbacks, se sont avérés être les moins enclins à la discussion et à la réflexion. Certains d’entre eux se sont même montrés incapables de respecter l’avis des autres et le temps de parole qui leur était alloué, à l’image de NA, RO, LO et NAT qui ont régulièrement coupé la parole à leurs camarades et ont tenté de justifier leurs actes. Il est intéressant de constater qu’en contrepartie, les élèves les plus discrets ou les plus positifs durant le jeu ont pris part activement à la discussion et se sont montrés très concernés par la problématique soulevée. Nous avons par ailleurs pu observer une relation inversement proportionnelle entre la présence féminine dans nos grilles d’analyse et leur participation aux discussions et réflexions lors des feedbacks, puisqu’elles se sont sensiblement plus exprimées que les garçons concernés par les actions évoquées ou montrées par le chercheur. L’espace de parole qu’ont constitué nos feedbacks a donc semblé convenir aux élèves absents de nos indicateurs et leurs réflexions témoignent à notre sens d’une bonne compréhension des enjeux de la problématique du fair-play.
Ce phénomène, observable à la fois lors des feedbacks verbaux et vidéo, est, selon nous, la conséquence de plusieurs facteurs. D’une part, il peut s’expliquer par un sentiment de honte de la part des protagonistes lors du visionnage ou de l’évocation des actions choisies par les chercheurs, et ce malgré nos efforts pour ne pas pointer du doigt des individus, mais des comportements. Ce sentiment se traduit par des silences ou des rires qui laissent à d’autres élèves la responsabilité de mener la réflexion. D’autre part, ce phénomène est probablement dû à l’incapacité de certains à cerner les tenants et les aboutissants de leurs actes non fairplay.
Il apparaît assez clairement, à la suite de nos feedbacks, que ces élèves sont aussi ceux dont on recense le plus d’actes non fair-play lors de la première phase. Cet état de fait renforce, à notre avis, l’intérêt de notre travail pour notre champ professionnel en confirmant la corrélation entre fair-play dans le sport et l’attitude en classe vis-à-vis des autres.
Nous voyons cependant que les feedbacks ont tout de même eu l’effet escompté. Il semblerait, en effet, que les réflexions menées par quelques élèves, et la confrontation aux situations et aux questions qu’elles soulèvent, aient tout de même eu un impact sur les principaux protagonistes de la phase 1. Cela se concrétise lors de la troisième phase et démontre que l’influence d’une réflexion collective peut se ressentir sur chaque individu indépendamment de son degré d’implication dans celle-ci.

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Table des matières

Introduction
Cadre théorique
Le fair-play, une philosophie du vivre ensemble
Fair-play, un concept transversal
Gagner à tout prix?
Fair-play et éducation physique et sportive
Le feedback vidéo en EPS
Le touch-rugby, un sport idéal
Dispositif de recherche
Le choix de la méthode expérimentale
Un dispositif en 3 phases
Apprécier le niveau de fair-play à travers 2 dimensions
Grilles d’observation et d’analyse
Et les feedbacks dans tout ça?
Résultats
Où en sont nos élèves avant les feedbacks?
L’influence des feedbacks
Le feedback vidéo, une panacée?
Qu’en est-il du feedback verbal?
Feedback vidéo VS feedback verbalUn collectif définit par la somme de ses individualités?
JE et NA, des cas d’école
Qui sont les grands absents?
Discussion des résultats
La vidéo, un outil doublement au service du feedback
Des moments de feedback à l’image du jeu
Un modèle d’action-réaction à l’origine de nos résultats
Les feedbacks initiateurs de différents types d’évolution
Le choix des indicateurs et sa conséquence sur nos résultats
Le statut d’enseignant, et l’envie de bien faire des élèves
Conclusion
Bibliographie

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