En période hivernale, la présence de neige sur les chaussées peut avoir de graves conséquences sur le trafic routier. L’intervention des services d’exploitation routiers est nécessaire pour limiter les risques d’accidents et maintenir autant que possible la viabilité du réseau routier. Les conditions de circulation sont influencées par de nombreux paramètres : les conditions météorologiques, les interventions des services d’exploitation et également l’usager (comportement et aptitude, équipement du véhicule). Dans le cas d’épisodes neigeux importants, la densité du trafic rend difficile le déneigement par les services d’exploitation. La prévision des épisodes neigeux sur les routes peut s’avérer très utile, elle permet une meilleure coordination et une plus grande rapidité d’intervention des services d’exploitation. En plus d’une amélioration de la viabilité du réseau routier, intérêt principal pour l’usager, le caractère économique d’une prévision correcte est un facteur important pour l’exploitant. En effet, le coût important des opérations de maintenance, comme le déneigement et l’épandage de fondants routiers, pourrait être réduit grâce à un outil d’aide à la décision performant. De plus, une meilleure gestion de l’utilisation des stocks de fondants routiers engendrerait une limitation de l’impact de ces fondants sur l’environnement. Un très grand nombre de pays situés en Europe, en Amérique du Nord, en Asie ou en Océanie sont soumis à des problèmes de viabilité hivernale, c’est à dire l’état des conditions de circulation en situations hivernales. Chaque pays possède sa propre stratégie, la viabilité hivernale étant dépendante à la fois des conditions climatiques, géographiques et démographiques. Cependant, la majorité des pays utilise des outils d’aide à la décision basés sur des modèles de prévision de la température de surface des routes. La complexité de ces outils d’aide à la décision est croissante, afin de servir au mieux l’usager et l’exploitant. Ainsi, de nombreuses données sont utilisées afin d’améliorer la prévision de l’état des routes. Par exemple, les grands itinéraires routiers sont équipés de stations météoroutières, qui permettent une prévision à l’échelle de l’itinéraire routier. Le principe est une prévision de la température de surface associée aux stations météoroutières, complétées par une extrapolation entre les stations météoroutières à partir de signatures thermiques du réseau obtenues avec des véhicules équipés de radiomètres infrarouges. D’autres outils comme une expertise humaine, des observations satellites, peuvent être utilisés afin d’améliorer la prévision. La multiplication des données rend la prévision de plus en plus précise, cependant le coût de production des prévisions devient de plus en plus élevé. Dans les modèles associés aux stations météoroutières, l’occurrence de neige est traitée de manière très simple, à partir de la température de surface et des précipitations. Aucun modèle ne permet de simuler explicitement l’occurrence d’une couche de neige sur une route, et ainsi de prendre en compte l’importance et la variabilité du flux thermique par conduction entre la chaussée et la neige. Ce flux énergétique est prépondérant concernant le devenir d’une couche de neige déposée sur une chaussée.
La viabilité hivernale – vue d’ensemble
De nombreux facteurs ont une influence sur l’état des routes. En effet, les interventions des services d’exploitation, c’est à dire les déneigements ou l’épandage de fondants routiers, ou encore le trafic ont une influence plus ou moins importante sur l’état de surface des routes (quantité d’eau liquide, de verglas ou de neige en surface, température de surface). L’impact peut être sensible sous plusieurs formes : mécanique, thermique ou hydrique. Ainsi, les différents effets sont présentés dans ce paragraphe. Afin de prévoir l’état de surface des routes, les pays soumis à la viabilité hivernale disposent d’outils basés sur des modèles numériques de prévision de la température de surface. Les principaux outils de prévision de l’état des routes sont présentés. La connaissance des transferts thermiques et hydriques mis en jeu à l’interface entre la chaussée et la neige reste relativement méconnue. Afin de pallier ce manque de connaissance, un projet nommé Gelcro est mené en France depuis 1995, associant les compétences respectives du Centre d’Etudes de la Neige de Météo-France, du Laboratoire Central des Ponts et Chaussées, des Centres d’Etude Technique de l’Equipement de l’Est et de Lyon, de la Direction Départementale de l’Equipement de l’Isère et du Service d’Etude Technique des Routes et Autoroutes. Les résultats expérimentaux de ce projet ont permis d’accroître considérablement les connaissances sur l’interface, et ils ont été largement utilisés dans ce travail.
La viabilité hivernale
Quelques définitions
Afin de faciliter la compréhension des travaux de ce manuscrit, une définition des expressions utilisées fréquemment est donnée dans ce paragraphe.
Viabilité hivernale
La viabilité hivernale est l’état des conditions de circulation en situations hivernales résultant des diverses actions et dispositions prises par tous les acteurs, pour s’adapter ou combattre les conséquences directes ou indirectes des phénomènes hivernaux sur le réseau routier.
Chaussée
On désigne par l’expression « chaussée » l’intégralité de la structure verticale multicouche de la chaussée routière.
Etat de la route
On s’intéresse dans ce travail à la prévision de l’état des routes. On désigne par cette expression les conditions thermiques et hydriques en surface du revêtement de la chaussée. Plus particulièrement, on s’intéresse ici à la présence de neige en surface de la chaussée, ainsi qu’à la température de surface du revêtement (utilisée pour la prévision d’un éventuel risque de gel). Concernant la présence de neige en surface, on emploiera fréquemment l’expression « occurrence de neige au sol », expression signifiant une présence de neige en surface de la chaussée.
Forçage
Les conditions de surface d’une chaussée résultent de plusieurs facteurs, dont les conditions météorologiques. D’un point de vue de la modélisation, les données météorologiques d’entrée d’un modèle de simulation du comportement d’une route sont désignées par le terme « forçage ». Cette expression sous-entend que la chaussée ne rétro-agit pas sur l’atmosphère.
La viabilité hivernale dans le monde
La neige et le verglas sur les routes causent des problèmes aux usagers pendant les saisons froides, nécessitant des interventions curatives. Ainsi, l’état des routes dépend de plusieurs acteurs : les usagers et le personnel d’entretien des routes (pouvoirs publics ou exploitants autoroutiers). Un très grand nombre de pays situés en Europe, en Amérique du Nord, en Asie ou en Océanie sont soumis à des problèmes de viabilité hivernale. Ainsi, de nombreux types de climats (figure 2.1) sont responsables de dégradations des conditions de circulation en périodes froides.
De plus, chaque pays possède sa propre démographie, son organisation politique, son propre réseau routier et sa propre intensité de trafic .
C’est pourquoi les stratégies de gestion opérationnelle des réseaux routiers sont propres à chaque pays, voire à chaque région pour les pays vastes soumis à des conditions climatiques très différentes. De même, l’usager a un rôle important dans la stratégie de gestion hivernale du réseau routier. Par exemple, les régions soumises à des conditions climatiques plus clémentes ont besoin d’un entretien hivernal très important, en raison d’une plus grande demande de la part des citoyens car les personnes vivant dans des régions au climat plus rude sont plus habituées à des conditions de circulation difficiles (Snow & Ice Databook 2006). Cette classification a été établie en fonction des conditions climatiques, de l’utilisation de la route (intensité du trafic, modes de transport,…) ainsi qu’à divers paramètres relatifs au conducteur (comportement et aptitude, équipement des véhicules,…).
La décision d’entreprendre ou non une opération d’entretien hivernale est relativement importante. En effet, les sorties inutiles ont un coût économique (gaspillage de ressources) et environnemental (impact des fondants routiers sur l’environnement). D’un autre côté, l’intervention trop tardive peut mener à des accidents ou des embouteillages qui présentent également un coût pour la société. C’est pourquoi chaque gestionnaire routier doit essayer de prendre la décision la plus juste pour garantir un service hivernal efficace et des routes sûres, tout en utilisant un minimum de ressources. Les ressources utilisées par le gestionnaire, afin de rendre la route praticable sont matérielles (camions de déneigement, d’épandage de produits de déverglaçage) mais également humaines. En effet, les opérations de maintenance nécessitent une forte mobilisation de personnel. Afin d’optimiser les interventions, les gestionnaires font couramment appel aux systèmes d’information météoroutiers comme outil d’aide à la décision, afin de prévoir au mieux l’occurrence et le type des phénomènes dégradant la circulation.
La viabilité hivernale en France
Afin de montrer l’importance de la viabilité hivernale en France, quelques chiffres d’accidents sont révélateurs. Ces chiffres, provenant de la Direction Générale des Routes (Dossier de presse : Circuler en hiver : Campagne d’information sur la viabilité hivernale 2005/2006), sont ceux de l’année 2004, pour la période hivernale (janvier-février puis novembre-décembre). Au cours de ces quatre mois, 485 accidents corporels ont été recensés sur des routes verglacées, faisant 684 blessés et 58 tués. 305 accidents corporels ont été recensés sur des routes enneigées, faisant 453 blessés et 11 tués. Cependant, même en hiver, la principale cause d’accident reste la pluie. On dénombre 4394 accidents corporels faisant 5721 blessés et 241 tués. Les chiffres d’accidents sont difficilement comparables d’année en année dans la mesure où les conditions météorologiques peuvent varier considérablement. Cependant ils permettent d’apprécier l’importance des dangers de la route en hiver. Au niveau humain, environ 30000 agents des Directions Interdépartementales des Routes et des Services Techniques Départementaux, et 4000 employés des sociétés d’autoroutes sont mobilisables pour assurer la viabilité hivernale des routes principales. La France possède un réseau routier dense, constitué d’environ 11000 km de routes nationales, de 9000 km d’autoroutes concédée, de 378000 km de routes départementales et de 55000 km de voiries urbaines et communales. Les moyens économiques mis en œuvre pour l’hiver 2005/2006 s’élèvaient à 40 millions d’euros, uniquement pour le réseau routier national non concédé.
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Table des matières
1 Introduction générale
2 La viabilité hivernale – vue d’ensemble
2.1 Introduction
2.2 La viabilité hivernale
2.2.1 Quelques définitions
2.2.2 La viabilité hivernale dans le monde
2.2.3 La viabilité hivernale en France
2.3 Les facteurs intervenant en viabilité hivernale
2.3.1 Les opérations de maintenance
2.3.1.1 Les déneigements effectués par les services d’exploitation
2.3.1.2 L’utilisation de fondants routiers
2.3.2 Le trafic routier
2.3.2.1 Les conséquences du trafic sur le bilan thermique de surface
2.3.2.2 Les conséquences du trafic sur le bilan hydrique de surface
2.3.2.3 Modification structurelle de la neige par le trafic
2.3.2.4 L’impact du trafic sur les fondants routiers
2.3.3 Le contexte opérationnel – cas pratique
2.4 Les modèles de prévision d’état des routes
2.4.1 Les modèles statistiques
2.4.2 Les principaux modèles physiques
2.4.3 La gestion des paramètres extérieurs (effets locaux et trafic)
2.4.4 La prévision de l’état de surface en hiver (neige et verglas)
2.4.5 Les systèmes opérationnels routiers
2.4.6 Le traitement de la neige dans les modèles
2.4.7 Conclusion sur les modèles de prévision d’état des routes
2.5 Le projet Gelcro
2.5.1 Les objectifs
2.5.2 Le site expérimental
2.5.3 le protocole de mesure en conditions naturelles – classification de l’interface
2.5.4 Les résultats expérimentaux en conditions naturelles
2.5.5 La prise en compte des fondants routiers et du trafic
2.5.5.1 Modification de la couche de neige par action du trafic
2.5.5.2 Prise en compte des fondants routiers
2.5.6 Le modèle initial Gelcro
2.6 Conclusion du chapitre
3 La modélisation
3.1 Introduction
3.2 Les éléments du modèle couplé
3.2.1 Le modèle de sol ISBA
3.2.1.1 Equations
3.2.1.2 Propriétés thermiques du sol
3.2.1.3 Transfert de chaleur dans le sol
3.2.1.4 Transferts hydriques dans le sol
3.2.1.5 Résolution numérique
3.2.1.6 Présence de neige en surface
3.2.1.7 Conclusion
3.2.2 Le modèle CROCUS
3.2.2.1 Transferts thermiques dans le manteau neigeux
3.2.2.2 Transferts hydriques dans le manteau neigeux
3.2.2.3 Métamorphose des grains de neige et tassement mécanique
3.2.2.4 Conclusion
3.3 L’adaptation des modèles ISBA-DF et CROCUS à la problématique des routes
3.3.1 Adaptation du modèle ISBA-DF : ISBA-Route
3.3.2 Les modifications apportées au modèle CROCUS
3.3.2.1 Problèmes numériques
3.3.2.2 Modification des phénomènes physiques
3.4 Le modèle couplé ISBA-Route/CROCUS
3.4.1 Principe
3.4.2 Transferts thermiques entre la route et le manteau neigeux
3.4.2.1 Flux d’écoulement
3.4.2.2 Flux solaire
3.4.2.3 Flux de conduction
3.4.2.4 Résistance thermique à l’interface
3.4.3 Transferts hydriques entre la route et le manteau neigeux
3.4.3.1 Conditions pour les remontées capillaires
3.4.3.2 Couche saturée en eau liquide selon le type de revêtement
3.4.4 Résolution numérique
3.4.4.1 Principe de couplage
3.4.4.2 Calcul du flux de conduction
3.4.4.3 Gestion des transferts hydriques entre la chaussée et la neige
3.4.5 Conclusion
3.5 Conclusion du chapitre
4 Validation du modèle couplé ISBA-Route/CROCUS
4.1 Introduction
4.2 Validation sur le site du Col de Porte
4.2.1 Les conditions de simulation
4.2.1.1 La chaussée modélisée
4.2.1.2 Les données météorologiques
4.2.1.3 Initialisation de la simulation
4.2.2 Tests de sensibilité du modèle
4.2.3 Résultats de simulations pour trois épisodes typiques
4.2.3.1 Episode 1 : du 16 au 26 février 1998
4.2.3.2 Episode 2 : du 12 au 23 décembre 1998
4.2.3.3 Episode 3 : du 7 au 20 avril 2000
4.2.3.4 Conclusion sur les simulations d’épisodes
4.2.4 Résultats de simulations pour les hivers entiers
4.2.4.1 Résultats de simulation pour l’hiver 1998/99
4.2.4.2 Analyse des résultats
4.2.4.3 Résultats statistiques pour les 3 hivers de la campagne
4.2.4.4 Température à 60cm de profondeur
4.2.4.5 Sensibilité à la rétention en surface du revêtement
4.2.4.6 Conclusion sur les simulations à long terme
4.3 Utilisation du modèle de neige ISBA-ES
4.4 Sensibilité au revêtement (site du LRPC Nancy)
4.4.1 Les données expérimentales
4.4.1.1 Les revêtements utilisés
4.4.1.2 Les données de forçage météorologique
4.4.2 Paramétrisation des revêtements
4.4.2.1 Conductivité hydraulique à saturation
4.4.2.2 Coefficient de rétention
4.4.2.3 Potentiel hydrique à saturation
4.4.2.4 Rétention de la couche de surface pour les remontées capillaires
4.4.3 Les simulations
4.4.3.1 Simulation des températures des différents revêtements
4.4.3.2 Simulation des hauteurs de neige sur les différents revêtements
4.4.4 Sensibilité à la porosité du revêtement
4.4.5 Conclusion sur la validation effectuée à partir des revêtements du LRPC
4.5 Conclusion du chapitre
5 Conclusion générale