La centralisation monarchique, qui s’affirme dès 1630, sous l’autorité de Richelieu d’abord, puis de Mazarin , dépasse le cadre politique pour toucher le domaine culturel. Doctes et littérateurs regroupés autour de l’Académie française inventèrent alors une esthétique fondée sur des principes assez asservissants qui amèneront la critique moderne à assimiler classicisme et respect des règles. Le classicisme, qui se développe en France et plus largement en Europe, peut être considéré comme un ensemble de valeurs et de critères qui dessinent un idéal s’incarnant dans « l’honnête homme » et qui étalent une esthétique fondée sur la recherche de la perfection .
Le classicisme concerne la littérature du XVIIe siècle, en particulier le théâtre, avec toutes les règles et conventions. Préalablement, dès le IVème siècle avant Jésus Christ, le théâtre fut codifié par Aristote dans sa Poétique . Perdue et écartée jusqu’à la seconde moitié du XVIe siècle, La Poétique fut redécouverte différemment par les humanistes de la Renaissance qui fondent l’orthodoxie aristotélicienne en matière de littérature. Cette Poétique deviendra ainsi la référence et relatera les règles et préceptes correspondant à la constitution du genre théâtral. En se fiant toujours aux normes établies par Aristote , le théâtre classique a souvent répondu à l’ensemble de ces principes. D’abord tacites, ces règles furent formulées explicitement par l’Abbé d’Aubignac et Jean Chapelain qui diffusent ce goût auprès du public mondain, des salons qu’ils fréquentent. Les canons littéraires sont définis aussi dans des ouvrages non théoriques, des œuvres littéraires ou des préfaces les justifiant. Il en va ainsi chez les plus grands dramaturges : Molière, Racine et surtout Corneille.
De la sorte, les sujets de la tragédie classique, suivant la recommandation aristotélicienne, sont souvent tirés de l’histoire ou de la mythologie grecque et latine. Mais il faudra aussi préciser que dans la tragédie du XVIIe siècle, l’homme est généralement exposé à un dilemme lié aux différents problèmes de la société. Ce dernier, étant conscient de ses contraintes et limites dans le monde, va sentir une sorte de malaise existentiel.
C’est dans ce cadre que Pierre Corneille, poète dramaturge du XVIIe siècle, se présente sans doute comme étant un digne représentant des dramaturges qui ont habité la pensée de cette époque et contribué vivement à la grande célébration des valeurs de la société. Corneille fera tout son possible pour innover son art dramatique dans sa tragédie. Il est donc aux prises avec les forces contraignantes de la condition humaine. Jacques Morel, abondant dans le même sens et, conscient des nombreux bouleversements qui existent dans la tragédie, donne cette définition à cette dernière : « La tragédie est la célébration du combat que la raison humaine livre aux forces qui pèsent sur l’homme et qui sont le fait des dieux et de la propre nature de l’homme. » En effet, dans son univers dramatique, Corneille met en scène des pièces théâtrales où les forces de la vie s’opposent aux principes qui régissent l’existence de ses personnages. En cela, la vengeance est ainsi présentée comme une arme de combat face à l’ennemi et aux nombreux obstacles qui peuvent gangrener la nature humaine. Cette vengeance, du latin vindicare (réclamer justice), désigne le mal que l’on fait à une personne afin de la châtier d’une injure, d’un dommage qu’elle a causé. La volonté de vouloir se libérer des mystères étouffants de la vie sociale est le conflit qui agite la conscience de l’homme. Ainsi, il emprunte la voie de la révolte afin de parvenir à ses fins. En évoquant cette même thématique de la vengeance dans Rodogune et La Mort de Pompée , Corneille expose toutes les contradictions, les inégalités et les ambiguïtés de la condition humaine. Ceci est la source déterminante qui permet à l’individu de peser le poids des phénomènes historiques, psychologiques, et physiques, qui sous-tendent son existence, et l’obligent à s’opposer face à toute forme de domination.
Cependant, Pierre Corneille, dans son univers dramatique, a su donner une puissance réflexive et émotionnelle toute nouvelle à la tragédie moderne, apparue en France au milieu du XVIIe siècle . Abordant la vengeance dans ses deux œuvres, Rodogune et La Mort de Pompée, il a marqué de son empreinte le genre par les hautes figures créées : des âmes fortes confrontées à de grands périls. La typologie de la vengeance telle présentée dans sa tragédie fait ressortir toutes les formes de haine et de violence dans tous leurs aspects. Ainsi son héros est en face d’un grand dilemme. Il a l’obligation d’honorer les considérations sociales fondamentales pour pouvoir garder sa réputation, sa gloire, et satisfaire son désir de vengeance. Or, dans les principes, ces choses sont si difficiles à acquérir qu’il sera obligé d’utiliser la confrontation qui peut entraîner un choc terrible, une dualité si dramatique que le héros peut même en souffrir.
Dès lors, il est important de savoir que la vengeance qui est présentée dans le théâtre de Corneille permet aussi d’élucider tous les conflits qui bouleversent et agitent la conscience de l’homme dans la tragédie. En ce sens, cette thématique permet aussi de poser la question sur la conscience humaine face à certaines réalités sociopolitiques. Ce qui offre un miroir à la condition de l’homme, créature très sensible et accablée par les troubles du destin. Par ailleurs, tourmenté, déchiré par le problème, le héros cornélien conjugue toutes ses énergies pour résoudre la crise morale qui le traumatise. Il tente de trouver des mécanismes pour sa propre libération. Il s’engage donc dans la voie des solutions pour assurer sa vengeance et préserver sa force contre toute bassesse sociale. Mieux, il préfère dans le choc terrible de la vengeance se détacher de tous sentiments de pitié afin de parvenir à ses fins.
Après cette brève élucidation sur la constitution des rapports qu’entretiennent le théâtre et la vengeance, il serait donc important de préciser l’authenticité du choix de notre sujet : La vengeance dans la tragédie cornélienne. Exemples : Rodogune et La Mort de Pompée. Etant donné que ces deux œuvres permettent de faire l’état des lieux et de mieux comprendre les différentes questions liées à la vengeance et qui ont été évoquées par le dramaturge. Il est donc pertinent d’étudier la vengeance telle présentée dans la tragédie de Corneille. Cela nous permet aussi de justifier le mérite de ce dernier qui est donc de mettre à nu l’existence tragique de l’individu qui, confronté à des situations difficiles, utilise sa force. Ainsi, le héros de Corneille éprouve dans cette lutte la haine et le mépris dans les actions les plus illustres. La puissance de la vengeance heurte les devoirs de la vie. En conséquence, l’auteur pose à travers ses deux pièces toute la problématique du choix de la vengeance auquel ses personnages sont durement confrontés. Ainsi, nous nous intéressons aux rapports conflictuels dans la tragédie de Corneille.
LA VENGEANCE DANS LA TRAGÉDIE
Considéré comme un art de recomposer, d’innover et de réformer, le théâtre en particulier la tragédie a toujours été attirée par la vengeance dont il évoque et transpose toutes ses facettes. En évoquant cette thématique de vengeance, le théâtre expose les scènes les plus marquantes et les plus renommées d’une époque donnée. De cette manière, le théâtre trempe jusqu’au fond pour chercher à trouver des supports, des éléments et dès fois même des notions lui servant d’outils de création littéraire voire artistique en général. Ainsi, le théâtre symbolise un lieu de représailles et va jusqu’à y trouver ses différentes facultés.
Cependant, il est primordial d’éclairer cette mise en relation de la vengeance dans le théâtre en se focalisant d’abord à la thématique de la vengeance. Considérée comme un acte d’attaque d’un individu contre un second, motivée par une action antérieure du second, perçue comme négative (concurrence ou préjudice) par le premier, la vengeance s’énonce authentiquement comme la représentation théâtrale d’un conflit qui peut provenir d’une frustration justifiée ou non au quelle on ne peut se soustraire . C’est dans ce cadre que le théâtre en tant qu’art vivifiant, va s’intéresser à la répression et l’élèvera jusqu’au sommet.
De la sorte, le théâtre survient par la mise en place de la vengeance, qui est considérée comme un lieu d’épanouissement contre tout affront ou injustice. De cette liaison entre théâtre et vengeance, cette dernière devient juste la base d’une écriture théâtrale. C’est la raison pour laquelle nous allons nous intéresser d’abord à la vengeance comme fondement d’une écriture dramatique dans les pièces de Corneille en se fiant fondamentalement sur Rodogune et La Mort de Pompée. Dans ces deux pièces, le dramaturge procède mieux qu’autre part de faire briller cette thématique de la vengeance.
LA VENGEANCE COMME FONDEMENT D’UNE ÉCRITURE DANS RODOGUNE ET LA MORT DE POMPÉE
Le théâtre du XVIIe répond toujours à un ensemble de règles codifiées par Aristote dans sa Poétique , texte de référence par excellence de la doctrine classique. Dans sa fusion des recommandations, règles et conventions, il a donné une importance capitale au choix du sujet à consulter dans la tragédie. De la sorte, le sujet d’une tragédie se doit d’être sérieux, l’action élevée et les personnages doivent être confrontés à de grands périls.
Il faut aussi évoquer que c’est grâce au travail des humanistes qu’on a pu découvrir entre autre de La Poétique d’Aristote l’origine de la célébration par les théoriciens français du culte de philosophe grec. En conséquence, en se focalisant toujours sur les principes des grands écrivains, Pierre Corneille, dans ses deux œuvres, notamment Rodogune et La Mort dePompée fera une entrée impressionnante dans l’écriture d’une tragédie de vengeance avec un véritable talent artistique jamais égalé. Il a commencé par la comédie avec cinq belles pièces , son théâtre est beaucoup plus varié qu’on ne le croit. Lorsqu’il publia le Menteur , il écrivit dans sa préface : « Je vous présente une pièce de théâtre d’un style si éloigné de ma dernière, qu’on aura de la peine à croire qu’elles soient parties de la même main, dans le même hiver. » Il venait en effet, de faire jouer une tragédie, La Mort de Pompée. Corneille n’aimait pas les règles et les qualifications trop strictes. Il qualifia Le Cid de «tragi-comédie» avant de le rebaptiser «tragédie». La majorité de ses pièces relève d’un genre sérieux. On raconte que Corneille suivit le conseil d’un ami lui disant que la gloire était liée au traitement des sujets graves. Il fait de la tragédie et se base ainsi sur la vengeance et finit par en faire une véritable source. Cette vengeance peut être considérée comme une action par laquelle une personne offensée, outragée ou lésée, inflige en retour et par ressentiment un mal à l’offenseur afin de le punir, résultat de cette action.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : LA VENGEANCE DANS LA TRAGÉDIE
CHAPITRE I : LA VENGEANCE COMME FONDEMENT D’UNE ÉCRITURE DANS RODOGUNE ET LA MORT DE POMPÉE
1-Le traitement de la vengeance au théâtre
2- La conception de la vengeance dans la tragédie cornélienne
CHAPITRE II : L’EXPRESSION CORNÉLIENNE
1-L’élaboration des règles
2-Le style de Corneille
DEUXIÈME PARTIE : L’UNIVERS DRAMATIQUE DE CORNEILLE
CHAPITRE III : L’HÉROÏSME CORNÉLIEN
1-Le sens de la gloire
2-L’égocentrisme du héros cornélien
CHAPITRE IV : LE PLAISIR TRAGIQUE DE LA HAINE DANS RODOGUNE ET LA MORT DEPOMPÉE
1-L’impossible rôle de haine
2-La haine comme principe politique
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE