La veille : un processus informationnel doublé d’un processus de surveillance

La pratique de veille est un objet d’étude dont la conceptualisation est encore instable en sciences de l’information . Témoin de l’absence de consensus scientifique, l’article de Thomas (2008) dans lequel elle qualifie la veille de « concept aux contours encore flous » qui réclame « un immense besoin de clarification ». En sciences de gestion, les mêmes difficultés sont présentes. Lesca et Caron (2006) ont analysés centquatre-vingt-treize publications scientifiques francophones et anglophones relatives à la veille : ils dénombrent trente-sept termes qui renvoient à la notion de veille à travers -saxonnes (voir annexe 1). Et au cours des dix ans qui nous séparent de cette publication de nouveaux termes ou expressions ont été employés : « curation » (Deschamps, 2012 ; Stanoevska-Slabeva, Sacco et Giardina, 2012) « personnal knwoledge management  » (Razmerita, Kirchner et Sudzina, 2009), « e-réputation » (Alloing, 2013 ; Alloing, 2016). Une telle inventivité sémantique traduit la multiplicité des regards sur un objet scientifique transversal au gré de la mise en œuvre de pratiques de veille dans de nouveaux secteurs professionnels. Ce décuplement de termes se retrouve également dans le cadre professionnel. Goria (2014) à la lecture d’offres d’emploi rédigées en langue française depuis 2008, a répertorié trente-huit termes renvoyant à ce qu’il nomme «veille créative » (par exemple « veille imaginative », « veille stratégique et inventive», « veille des activités créatives », « veille innovante » etc.). Ce « cahot conceptuel » (Lesca et Caron, ibid. : 155), contribue ainsi à donner une vision atomisée et segmentée des pratiques de veille au détriment de leurs visibilités, tant dans les travaux scientifiques que professionnels.

La veille est pourtant un objet d’étude dans plusieurs disciplines scientifiques. Ce sont principalement les travaux en science de la gestion, qui en présentent une description et une analyse à travers les pratiques de veilleurs professionnels au sein des entreprises et des organisations. Il s’agit notamment de comprendre ce processus info-communicationnel de surveillance de manière à l’améliorer. Ces travaux, qui ont une valeur souvent prescriptive (Andrieu, Mesguich et Thomas, 2013; Balimisse et Meingnan, 2004 ; Hermel, 2010 ; Delengaigne, 2014), exposent principalement des études de cas dans un type particulier d’organisations (les pratiques de veille dans les PME PMI par exemple (Buton, 2006 ; Silue, 2015 ; Chaudiron, Cheval, Domino et Dufour, 2011).

A contrario, la pratique de veille est plus rarement traitée en sciences de l’information et de la communication (SIC à partir de ce point) ou en Library and Information Science (LIS à partir de ce point) . Les recherches sont également ciblées en majorité sur les cellules de veille dans des entreprises ou des organisations, elles explicitent les caractéristiques de leur fonctionnement, afin d’en comprendre le service et d’améliorer les pratiques informationnelles. Très rares, par ailleurs, sont les études qui mobilisent un cadre méthodologique empirique pour ce qui concerne les pratiques de veille ordinaire (McKenzie, 2003 ; Lambert et Landaverde, 2013 ; Martin, 2013), et qui envisagent donc la veille dans une démarche personnelle plutôt que professionnelle et sur des thématiques propres aux intérêts de chacun. Enfin, quelques travaux récents donnent une approche plus sociale qu’informationnelle de la pratique de veille (Denouël, Granjon, et Aubert, 2014).

Revue de la littérature

Afin de mieux cerner les contours flous de la pratique de veille, nous mobilisons dans notre revue de littérature des travaux issus de trois domaines scientifiques (LIS, SIC et sciences de gestion) et des travaux professionnels. Même si notre étude se focalise sur les pratiques de veille sur internet, notre état de la question prend en considération les travaux relatifs à tous types de pratiques de veille (en ligne et hors ligne, veille sur supports numériques, supports physiques, formels ou informels) afin de pallier à certains manques de la littérature spécifiques à la veille sur internet. De même, si notre travail concerne les pratiques amateurs, notre revue de littérature puise dans les nombreuses publications relatives aux pratiques des veilleurs professionnels qui sont beaucoup plus nombreuses. Enfin, pour ne pas compartimenter cette pratique dans un cadre spécifique, nous retenons dans notre mémoire le terme générique de veille, associé à une définition relativement large qui décrit la veille comme une « activité continue et itérative visant à la surveillance d’un environnement pour en anticiper les évolutions » (Association Française de normalisation, 1998). Cette définition, bien que n’étant pas issue de travaux scientifiques, est pourtant celle qui est le plus souvent reprise par les prescripteurs et les chercheurs francophones. Elle présente l’intérêt de ne pas cloisonner la veille dans un contexte singulier en considérant l’environnement à surveiller de façon générique. En outre, elle valorise deux axes forts de cette pratique informationnelle, que sont la surveillance et la prospection. La pratique de veille dépasse donc le simple processus informationnel, et ses multiples facettes la rendent complexe à appréhender : ainsi caractériser la veille est bien un enjeu de cette thèse.

Les travaux scientifiques sur les pratiques de veille relèvent majoritairement du champ des sciences de gestion. Ils décrivent les pratiques professionnelles de veilleurs dans l’objectif de les améliorer. Ils sont complétés par de nombreux travaux professionnels descriptifs ou prescriptifs. La pratique professionnelle de veille est alors considérée dans un ensemble : un processus info-communicationnel dans une visée décisionnelle et stratégique .

La veille : un processus informationnel doublé d’un processus de surveillance

Les travaux en sciences de l’information considèrent la pratique informationnelle de veille comme proche de celle de recherche d’information. Pourtant, elle ne s’y réduit pas du fait notamment, d’un processus infocommunicationnel continu et itératif, d’un besoin d’information émanant d’un tiers qui en fait la « demande », et d’une activité centrale de surveillance associée à une finalité stratégique. Il importe, en conséquence, d’isoler les caractéristiques singulières du processus informationnel de veille. En un premier temps, nous faisons donc le choix d’observer l’objet veille à travers des travaux scientifiques et professionnels pour nous assurer une approche globale qui précise les caractéristiques de ce processus atypique. Puis, dans un deuxième temps, nous nous positionnerons au cœur du processus informationnel en caractérisant la notion de besoin d’information dans les pratiques informationnelles pour mieux cerner une éventuelle spécificité dans la pratique de veille et notamment en distinguant besoin et demande. En complément, les travaux nombreux de Choo sur les pratiques de surveillance (1998, 2000) éclaireront le lien entre pratiques de veille et usages de l’information. Dans un troisième temps, la question des sources dans les pratiques de veille sera posée, en insistant particulièrement sur l’incidence du web social sur les critères de sélection et sur l’attention des usagers. Enfin, nous ferons un rapprochement entre les notions de surveillance et de navigation, en questionnant la surveillance en ligne via la navigation continue et itérative, la navigation sociale et la navigation par sérendipité.

Un processus informationnel atypique

La pratique de veille est un processus de surveillance ancien avec une finalité d’anticipation inscrite dans un contexte professionnel qui se distingue des autres pratiques informationnelles. Pour décrire ce processus info-communicationnel « atypique », notre revue de littérature se nourrit de travaux professionnels et scientifiques (en sciences de gestion et en LIS) sur le processus de veille, mais aussi sur le processus de recherche d’information, l’ensemble permettant de pallier les descriptions lacunaires de chaque discipline.

Ainsi, nous préciserons dans un premier temps les racines historiques de la pratique de veille, en insistant sur sa finalité stratégique qui permet de mieux comprendre pourquoi les travaux sont finalement plus nombreux en sciences de gestion qu’en sciences de l’information. Puis, nous nous focaliserons sur la singularité de ce processus informationnel continu et itératif, avant de préciser son caractère plus ou moins actif. Enfin, nous soulignerons les incidences du web et les facteurs pouvant influencer cette pratique.

Une pratique de surveillance de l’environnement ancienne

La veille est une notion ancienne qui correspond à la surveillance d’un environnement jugé menaçant. Au fil des années, l’environnement à surveiller a évolué, et s’est diversifié. Comberousse (2005) ou Hermel (2010) situent ses origines dans le contexte militaire dans un traité chinois du VIème siècle av. J.-C intitulé L’art de la guerre (1996) : le Général Tzu insiste notamment sur la nécessité de connaître les intentions de ses opposants afin de pouvoir les déjouer. Cette nécessité de bien connaître son environnement pour se tenir prêt à agir et à anticiper les éventuelles offensives, réapparaît ensuite avec vigueur au XXème siècle dans le contexte de la mondialisation et de l’essor de l’industrialisation. En effet, à partir des années 1990, le secteur économique est frappé par une forte crise concurrentielle et l’AFNOR établit le constat d’un « environnement de plus en plus complexe, caractérisé par une pression concurrentielle de plus en plus dure, une globalisation et une mondialisation des échanges, une forte évolution technologique, réglementaire ou économique, une accélération des flux d’information, et une obligation d’innovation, de réactivité » (Association Française de normalisation, 1998). En réaction à un environnement informationnel dense et complexe, les entreprises et organisations se dotent de cellules de veille qui ont pour mission de surveiller, d’observer le comportement des concurrents, de devancer leurs innovations technologiques, de détecter les nouvelles tendances de la consommation, etc. D’un point de vue informationnel, l’ADBS décrit alors la veille comme « un dispositif organisé, intégré et finalisé de collecte, traitement, diffusion et exploitation de l’information qui vise à rendre une entreprise ou une organisation capable de réagir, à moyen et long termes, face à des évolutions ou des menaces de son environnement, que celles-ci soient technologiques, concurrentielles, sociales, etc. ». De manière parallèle, la veille est définie dans une approche scientifique, comme le « processus par lequel l’entreprise s’informe de manière volontariste et organisée sur l’évolution de son environnement en vue de mieux s’adapter aux changements de celui-ci » (Koening, 1997). L’essor de la société de l’information d’une part et la globalisation des marchés d’autre part offrent de nouveaux territoires de surveillance qui ont pour conséquence l’émergence de pratiques de veille variées qui sont caractérisées lexicalement par des termes qui valorisent leurs finalités dans un environnement spécifique. Ainsi, les termes « veille stratégique » (Desbiey, 2011 ; Jacobiak, 1990 ; Rouach, 2010), « veille prospective », « strategic information scanning system », ou « competitive analysis » (Mc Gonagle et Vella, 2002 ; Quoniam et Boutet, 2014 ; Sammon, Kurland et Spitalnic, 1984 par exemple) traduisent une perception de la veille en tant que moyen pour les entreprises d’accompagner une prise de décision, soulignant ainsi sa dimension utilitaire.

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Table des matières

Introduction générale
Chapitre 1 Revue de la littérature
La veille : un processus informationnel doublé d’un processus de surveillance
1.1. Un processus informationnel atypique
1.2. Le besoin d’information dans les pratiques de veille
1.3. Les sources dans les pratiques de veille en ligne
1.4. Surveillance du territoire et navigation
1.5. Conclusion
La veille amateur : une pratique en émergence
2.1. Des veilleurs professionnels aux veilleurs amateurs
2.2. Les motivations des veilleurs amateurs
2.3. Conclusion
Conclusion générale de la revue de littérature
Chapitre 2. Méthodologie
Une approche qualitative
1.1. Veilleurs professionnels versus amateurs
1.2. Trois modalités de recrutement distinctes
1.3. Trois modalités de déroulement des entretiens
1.4. Le traitement de nos corpus de données
1.5. Conclusion chapitre 2
Chapitre 3 Résultats et discussion
Une diversification des pratiques de veille en ligne
1.1. Les pratiques « amateur »
1.2. Les pratiques « ordinaire »
1.3. Les pratiques de « veille pour soi »
1.4. Discussion
Les caractéristiques spécifiques du besoin d’information
2.1. Une expression imprécise du besoin d’information dans les pratiques professionnelles
2.2. Un besoin informationnel sui generis dans les pratiques « ordinaire »
2.3. Discussion
La confiance pour critère de sélection des sources humaines
3.1. Discussion
La veille en ligne, une pratique propice aux découvertes sérendipiennes
4.1. Discussion
Trois motifs informationnels de veille ordinaire en ligne
5.1. Un moyen personnalisé de collecter régulièrement et facilement des informations
5.2. Un moyen pour capitaliser des informations
5.3. Un moyen d’acquérir ou mettre à jour ses connaissances
5.4. Discussion
La dimension expressive de la pratique ordinaire de veille en ligne
6.1. La mise en visibilité de ses centres d’intérêts
6.2. Le partage de sa veille en ligne
6.3. Discussion
Discussion générale
Conclusion générale
Table des matières
Table des figures
Table des tableaux
Table des annexes
Bibliographie
Annexes

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