La variabilité climatique du Pacifique tropical

La variabilité climatique du Pacifique tropical

« La Nature se sert aussi bien du fortuit que du nécessaire pour fabriquer le Réel » Trinh Xuan Than, Le chaos et l’harmonie  .

El Niño, c’est quoi ?

Le phénomène tient son nom des pêcheurs péruviens qui l’avaient surnommé ainsi à cause du courant chaud venant du nord du Pérou (de l’équateur) au mois de décembre (El Niño faisant référence à l’enfant Jésus en espagnol) et qui disparaît normalement quelques semaines plus tard. Ce phénomène saisonnier est accentué tous les 3 à 7 ans. Le courant froid du Pérou ne se rétablit pas, les eaux restent alors anormalement chaudes provoquant la raréfaction du plancton et par conséquent des bancs de poissons habituellement présents dans cette région.

En situation normale (Figure I.2 – haut), les alizés pilotent un upwelling équatorial et le long des côtes péruviennes, induisant une remontée d’eaux profondes froides et riches en nutriments vers la surface. La langue d’eau froide (« Cold Tongue ») s’étend alors vers l’ouest le long de l’équateur et la piscine d’eau chaude (« Warm Pool »), associée à une intense activité convective, se retrouve alors confinée dans l’ouest du bassin. La circulation zonale de Walker est alors en place (boucle atmosphérique en pointillés sur la Figure I.2). En revanche, en période El Niño (Figure I.2. bas), le relâchement des alizés est associé à une extension vers l’est de la Warm Pool. L’upwelling équatorial et côtier s’affaiblit (voire disparaît dans le cas de forts épisodes El Niño), induisant un approfondissement de la thermocline et un déplacement des eaux chaudes vers l’est. Ce dernier est associé à un déplacement de la cellule convective atmosphérique amenant des sécheresses à l’ouest et de fortes précipitations à l’est du bassin. Les Niños peuvent être suivis d’épisodes froids appelés la Niña, correspondant à des conditions froides dans le Pacifique central. Cette phase de l’oscillation est en fait considérée comme un renforcement des conditions normales, avec une intensification et une extension des alizés jusque dans le centre du bassin ainsi qu’une Cold Tongue pénétrant plus à l’ouest.

Cette oscillation a été découverte pour la première fois dans les années 1920 par le scientifique britannique Sir Gilbert Walker. Alors qu’il étudiait l’intensité de la mousson indienne, il mit en évidence une corrélation remarquable entre les relevés barométriques du centre et de l’ouest du Pacifique. Il remarqua en fait que la pression au niveau de la mer oscillait dans le pacifique Sud : lorsqu’elle augmentait à l’ouest, elle diminuait à l’est et inversement, induisant un mouvement de bascule atmosphérique zonale. Il désigna ce phénomène du nom d’« oscillation australe ». Pour mesurer son intensité, Walker définit l’Indice de l’Oscillation Australe (SOI – Southern Oscillation Index), mesurant la différence de pression entre Tahiti et Darwin.

Ce n’est pourtant que dans les années 1960, que les scientifiques, notamment Jacob Bjerknes, relièrent cette oscillation « atmosphérique » au phénomène océanique « El Niño ». Bjerknes remarqua en effet que les phases négatives du SOI étaient associées à l’affaiblissement des alizés, aux conditions anormalement chaudes et aux fortes précipitations dans l’est du bassin. Il découvrit ainsi qu’El Niño n’était pas seulement un phénomène local confiné le long des côtes péruviennes, mais aussi la manifestation d’une oscillation affectant l’océan et l’atmosphère sur l’ensemble du Pacifique tropical. Ces résultats ont contribué à considérer ce phénomène comme un phénomène couplé entre l’océan et l’atmosphère. El Niño est maintenant couramment désigné par l’acronyme ENSO (Rasmusson et Carpenter, 1982) qui signifie El Niño Southern Oscillartion (Oscillation australe en français). La relation entre l’oscillation atmosphérique et El Niño est telle que ces deux phénomènes sont anti-corrélés (Figure I.3). Les indices océaniques couramment utilisés pour rendre compte de l’amplitude d’ENSO et de sa nature oscillante sont les anomalies de SST par rapport aux normales saisonnières et moyennées dans la région du Pacifique central Niño3.4 (170°W-120°W ; 5°N-5°S) ou du Pacifique Est Niño3 (150°W-90°W ; 5°N-5°S).

El Niño, comment ça marche ?

Bjerknes (1966,1969) fut le premier à proposer un mécanisme permettant d’expliquer le réchauffement du Pacifique Est. Il a émis l’hypothèse qu’une rétroaction positive océanatmosphère, impliquant la circulation de Walker, était responsable du réchauffement de SST observé dans le centre et l’est du bassin du Pacifique équatorial lors des événements El Niño. Si on considère une anomalie positive de SST dans l’est du bassin, le mécanisme proposé agit ainsi :
• Réduction du gradient zonal de SST
• Affaiblissement de la circulation de Walker associé à un affaiblissement des alizés
• Affaiblissement de l’upwelling
• Renforcement des anomalies positives de SST.

Ce « feedback » positif autrement appelé instabilité couplée océan-atmosphère conduit à un état (de plus en plus) chaud permanent. Elle fonctionne aussi dans le cas d’anomalies négatives conduisant dans ce cas à un état froid permanent. Elle n’explique cependant pas le passage d’un état à l’autre, en bref la nature oscillante d’El Niño. Il a fallu attendre les années 1980 et surtout l’événement intense de 1982-83 pour que la communauté recommence à s’intéresser au phénomène. Depuis, de nombreuses études ont proposé des mécanismes de rétroaction négative pour compléter la théorie de Bjerknes. Dès la fin des années 1970, on pressentit le rôle déterminant que pouvaient jouer les ondes. Le formalisme mathématique des ondes océaniques équatoriales fut développé en détail et ses multiples implications permirent de compléter la théorie de Bjerknes en fournissant un processus de rétroaction négative. Avant de rentrer plus en détail dans les diverses théories d’ENSO, il peut être utile de rappeler brièvement le contexte de la théorie des ondes équatoriales. L’océan équatorial est fortement stratifié, avec des eaux chaudes en surface et froides en profondeur, séparées par une thermocline serrée vers 100m. De plus, il s’agit d’une région dynamiquement spécifique dans la mesure où la vitesse d’entraînement y est maximale et où le paramètre de Coriolis, caractérisant les propriétés locales liées à la rotation terrestre, y change de signe. Ces propriétés confèrent à la région océanique équatoriale un rôle de guide d’ondes : toute perturbation se produisant au voisinage de l’équateur déclenche des ondes dont les trajectoires énergétiques convergent vers l’équateur. Le signal reste confiné à 300 km de part et d’autre de l’équateur et se propage soit vers l’est soit vers l’ouest.

Les théories d’ENSO 

Les théories d’ENSO peuvent être classées en 2 groupes :
I/ Celles qui se basent essentiellement sur la propagation libre des ondes océaniques équatoriales pour expliquer la nature oscillante d’ENSO.
II/ Celles dites des instabilités couplées ou des modes couplés lents (« slow coupled mode theories ») qui introduisent une approche permettant de rendre compte des irrégularités des oscillations.

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Table des matières

Introduction
Chapitre I. La variabilité climatique du Pacifique tropical
I.1. El Niño, c’est quoi ?
I.2. El Niño, comment ça marche ?
I.3. Les théories d’ENSO
I.3.1. Théories du groupe I
I.3.2. Théories du groupe II
I.4. La modulation basse fréquence d’ENSO
I.4.1. Observations du système climatique
I.4.2. Modèles climatiques
I.4.3. Signature de la variabilité décennale à interdécennale naturelle
I.4.4. Mécanismes de la variabilité décennale
I.5. Interaction d’échelles temporelles et nonlinéarités
I.5.1. Interaction ENSO/cycle saisonnier
I.5.2. Changements de régimes climatiques, état (d’équilibre) moyen et effet de seuil
I.5.3. Etat moyen et nonlinéarités
I.5.4. Interaction ENSO / variabilité intra-saisonnière
Chapitre II. Mise en place du formalisme statistique et évaluation de sa pertinence pour étudier la variabilité des séries temporelles du Pacifique tropical
II.1. Préambule
II.2. Description des données utilisées dans cette thèse
II.3. Statistique des séries temporelles
II.3.1. Le cas d’ENSO
II.3.2. Le cas du Pacifique équatorial est
II.4. Détection de rupture dans une série temporelle
II.4.1. Cas général
II.4.2. Cas particulier Gaussien
II.4.3. Retour sur le cas général
II.5. La loi à queue lourde α-stable
II.5.1. Description de la loi α-stable
II.5.2. Estimation des paramètres stables
II.6. Validation et application des méthodes sur différents jeux de données
II.6.1. Validation de la détection de ruptures
II.6.2. Application de la méthode aux données
II.6.3. Validation de l’estimation des paramètres α-stables
II.6.4. Application de l’estimation des paramètres α-stables
Chapitre III. Modulation de l’état moyen du Pacifique tropical et lien avec le déclenchement d’épisodes extrêmes El Niño. De l’interdécennal à l’interannuel
III.1. Relation entre l’état moyen du Pacifique tropical et les statistiques d’ENSO
III.1.1. Préambule
III.1.2. Article publié dans Nonlinear Processes in Geophysics
III.1.3. Compléments : le shift de 2000
III.2. Rétroaction entre variabilité basse fréquence et ENSO ?
Chap. I : Variabilité climatique du Pacifique tropical
Chapitre IV. Evolution de l’irrégularité et des nonlinéarités d’ENSO sous des hypothèses de réchauffement climatique
IV.1. Préambule : que savons-nous de la réponse moyenne du Pacifique tropical au réchauffement de ces dernières années et de son implication dans l’évolution des caractéristiques d’ENSO ?
IV.2. Evolution de la connexion entre état moyen et variabilité ENSO sous des hypothèses de réchauffement climatique
IV.2.1. Préambule
IV.2.2. Article publié dans Climate Dynamics
IV.3. Cycle saisonnier, nonlinéarité et changement climatique
Chapitre V. Rectification de l’état moyen du Pacifique équatorial est et du système d’upwelling de Humboldt par l’activité intra-saisonnière
V.1. Préambule
V.1.1. Eastern tropical Pacific climatic specificities
V.2. Methodology
V.2.1. Regional modelling with ROMS
V.2.2. Modelling strategy
V.2.3. OBC
V.3. Model validation
V.4. Sensitivity of the Eastern tropical Pacific mean state to open boundary conditions and topography
V.4.1. Annual cycle
V.4.2. Mean circulation
V.4.3. Mean Peruvian upwelling
V.4.4. Mean stratification
V.4.5. Intra-seasonal Equatorial Kelvin Waves and baroclinic mode contributions
V.5. Heat budget, mechanisms
V.5.1. Mean equatorial heat budget
V.5.2. Mean coastal heat budget
Chapitre VI. Conclusions

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