La valorisation fondamentale dans les médias

La crise financière que nous connaissons aujourd’hui est, comme celles qui l’ont précédé, un temps privilégié de remise en question de la capacité des marchés financiers à valoriser correctement les titres qui s’y échangent. On parle en effet de crise financière ou boursière lorsque survient une chute brutale du prix d’un certain nombre d’actifs financiers et que cette baisse est comprise comme le révélateur a posteriori d’une surévaluation anormale (généralement décrite sous le terme de « bulle ») de ces titres ou d’une catégorie plus large d’actifs financiers, voire, plus rarement, de leur totalité, d’où un mouvement baissier bien plus étendu, pouvant affecter toute une classe d’actifs et/ou plusieurs places boursières simultanément (Galbraith, 2008, Kindleberger, 2005). Pour prendre les exemples les plus marquants des quinze dernières années, les titres représentatifs des économies émergentes d’Asie du Sud-Est, les actions des start up ou plus largement des entreprises de haute technologie, les produits dérivés issus de la titrisation de différentes formes de crédit et par ricochet les valeurs financières et immobilières ont été plus ou moins soudainement considérés comme grossièrement surévalués.

La valorisation fondamentale dans les médias 

Une approche des médias financiers

Le développement des agences de presse, qui jouent un rôle crucial dans la qualification de l’information, est historiquement lié à leur capacité à transmettre les cours de Bourse et plus largement l’information financière (Boyd-Barrett & Palmer, 1981, p. 343-381). On sait que la localisation du siège de l’AFP face au Palais Brongniart n’est nullement le fait du hasard : la diffusion la plus rapide possible des cours de Bourse a été le premier marché de l’agence Havas qui fut, au XIXème siècle, la première agence de presse moderne, et cette agence s’installa logiquement face à l’endroit où ils étaient produits ; nationalisée, elle devint l’Agence France Presse, et l’immeuble fut reconstruit, mais au même endroit. L’agence Reuter, lors de sa création à Londres en 1851, s’installa tout aussi délibérément le plus près possible du Stock Exchange. Bien plus tard, le développement rapide de Reuters dans les années 70 et 80 du XXème siècle ainsi que la création et le succès de Bloomberg à la même époque s’expliquent par leur capacité à diffuser les cours à la fois plus rapidement et à une plus grande échelle, instrumentant ainsi la mondialisation de la finance, mais aussi par leur capacité à diffuser les commentaires porteurs de cadres interprétatifs, en particulier ceux des analystes.

La presse économique et financière, avec ses titres à diffusion internationale (Financial Times, Wall Street Journal, The Economist…) ou nationale (Les Echos, La Tribune, L’Agefi…) a ceci de particulier qu’elle constitue la seule référence normative commune accessible à tous les types d’investisseurs, des petits porteurs aux gérants de fonds internationaux, comme à tous les types de décideurs économiques non investisseurs. Quelques recherches ont documenté son impact sur le comportement des investisseurs : Robert Shiller y consacre le Chapitre V d’ « Irrational exuberance » (Shiller, 2005) et on peut aussi se référer à un intéressant papier de recherche de Nguyen Dang (2007). Ce dernier, utilisant la base LexisNexis, a construit un indice mesurant la couverture médiatique des PDG de sociétés cotées ; cet indice lui permet de montrer que les sociétés dont les PDG sont fortement médiatisés sont survalorisées en Bourse (en termes de Q de Tobin, et en termes de performance relative des portefeuilles composés de titres de sociétés de ce type). Citons aussi Tetlock (2007) qui a documenté la relation existant entre la tonalité (plus ou moins pessimiste ou optimiste) des articles éditoriaux du Wall Street Journal et l’évolution d’ensemble des cours et des volumes échangés.

L’impact des médias financiers sur les décideurs économiques non investisseurs n’a pas été aussi directement étudié ; on peut néanmoins supposer qu’ils jouent un rôle central auprès de ces acteurs en tant qu’instances de qualification de l’information publique. Il nous a donc paru pertinent de considérer qu’ils peuvent jouer ce rôle dans le cas particulier de l’expression publique de la valeur fondamentale.

Par ailleurs, une observation un peu plus détaillée des médias économiques conduit à en distinguer deux catégories :
-les médias d’information économique au sens strict du terme, comprenant avant tout les grands titres déjà cités. Ces journaux, dont le Financial Times ou Les Echos constituent des cas paradigmatiques, appliquent à l’information économique et financière une politique rédactionnelle fondée sur un idéal de neutralité et d’expertise censée séparer information et commentaire.
-les médias de conseil financier et patrimonial : il s’agit de titres dont la vocation principale est de conseiller leurs lecteurs, qui sont supposés disposer d’une épargne significative ou d’un patrimoine important, dans leurs décisions de placement et d’arbitrage.

La distinction se voit bien, par exemple, dans le cas des actions : alors que les journalistes des Echos sont tenus de ne donner aucune recommandation explicite, ceux de l’hebdomadaire Investir, par exemple, sont tenus d’en donner. De façon typique, un article des Echos consacré à une société cotée se présentera comme un article d’analyse économique pouvant déboucher par exemple sur une qualification de la stratégie de la société ou sur des hypothèses sur ses perspectives en termes de résultats ; il ne sera pas structurellement très différent d’un article consacré à la conjoncture économique d’un pays donné, où l’on pourra trouver une qualification de sa politique économique ou des hypothèses sur ses perspectives en termes de croissance. Un article d’Investir consacré à la même société (et souvent basé sur les mêmes informations) sera organisé de façon clairement différente : les informations y sont agencées pour structurer un argumentaire débouchant sur une recommandation d’acheter, vendre ou conserver le titre.

Cette distinction n’est pas parfaitement stricte, mais on peut la considérer comme opératoire : on trouve dans Les Echos des conseils de placement et d’investissement, mais dans des pages bien distinguées des articles d’information économique, et sous la forme d’articles citant des gérants, analystes ou conseillers en gestion de patrimoine, de sorte que les conseils et recommandations ne soient pas présentés comme émanant du journaliste luimême ; Investir comprend aussi des articles d’analyse de politique économique, par exemple, mais en se situant tout de même dans la perspective de leurs conséquences prévisibles sur l’évolution des prix des actifs financiers ou d’autres objets de placement, comme les matières premières.

En France, les médias de conseil financier et patrimonial sont peu nombreux ; il s’agit essentiellement des 4 hebdomadaires Investir, Le Journal des Finances, Le Revenu et La Vie Financière . Ces magazines sont concurrencés sur ce terrain par quelques mensuels comme Mieux Vivre Votre Argent, Investissement Conseils ou Gestion de Fortune. Dans le cas qui nous occupe, celui des actions, ces médias ont pour particularité de formuler des recommandations en leur nom propre. Les journalistes qui s’en chargent écrivent des articles qui, comme les notes des analystes financiers, incluent généralement une appréciation de la valeur fondamentale de la société ainsi qu’une recommandation sur le titre. En ce sens, on peut les comparer directement aux analystes : comme eux, ils font un travail de qualification de l’information, i.e. de sélection de l’information pertinente et de traitement de cette information à travers un cadre interprétatif qui lui donne sens, pour aboutir à une valorisation et à une recommandation . Il importe, en même temps, de garder à l’esprit d’importantes différences :

-une moindre spécialisation : ces journalistes écrivent souvent sur plusieurs secteurs, sont moins focalisés sur un secteur d’activité précis que les analystes.
-un public différent : le travail des analystes financiers sell-side est destiné très prioritairement aux clients de la structure de courtage qui les emploie, donc aux investisseurs professionnels que sont les gérants de fonds, alors que les journalistes de conseil boursier s’adressent en priorité aux particuliers effectuant des placements boursiers en direct, qui n’ont généralement pas accès, ou pas de façon détaillée, à la recherche produite par les analystes.
-un mode d’évaluation différent : la performance des recommandations de ces journalistes n’est pas, et de loin, régulièrement mesurée, scrutée et contrôlée comme l’est celle des analystes. Elle ne semble pas d’ailleurs jouer un grand rôle dans la façon dont ils sont appréciés par leur rédaction, d’après ce qu’en disent J2 et J3 :

J2 : « Pour être clair, hein, on dit achetez Vivendi en 2000 à… je ne sais même pas combien ça vaut, je suis toujours en place dans la société, hein, et on n’est pas notés sur les conseils. »
J3 : « Si on fait des recommandations, on recommande un peu comme des analystes, il faut savoir qu’on n’est pas vraiment jugés sur le track record des recommandations, on est plus jugés sur les moyens qu’on met en place pour les faire. ».

Délimitation du corpus d’articles 

Travaillant dans une division de TNS Media Intelligence (devenu Kantar Media en 2009) réalisant des revues de presse, nous avons d’abord cherché à utiliser celles réalisées pour nos cas, mais nous nous sommes heurtés à l’impossibilité technique de récupérer celles antérieures au 19 mars 2004, en raison d’un changement de système informatique survenu à cette date. Nous avons donc travaillé sur la base de données Factiva, en utilisant seulement dans le cas Mega (qui posait problème en termes de formulation des requêtes sur cette base) les revues de presse réalisées par TNS en complément sur la période allant du 19/03/2004 au 30/06/2005.

Le recours à cette base a eu notamment pour conséquence l’importance des dépêches d’agence (assez peu prises en compte dans les revues de presse réalisées par TNS sur nos cas) dans l’échantillon que nous avons étudié, ces dépêches constituant par ailleurs la « matière première » de la plupart des médias. Il faut en même temps préciser que, gérée sur la période en joint-venture par Dow Jones et Reuters, Factiva n’inclut pas les dépêches de leur concurrent Bloomberg alors que ce média a une forte légitimité dans la communauté financière . Factiva ne reprend pas non plus les articles du quotidien L’Agefi et de l’hebdomadaire Option Finance, titres significatifs pour la communauté financière française.

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Table des matières

Introduction
Première partie L’expression publique légitime de la valeur fondamentale
Introduction : un objet à délimiter
Chapitre 1 : La valorisation fondamentale dans les médias
1. Une approche des médias financiers
2. Délimitation du corpus d’articles
3. Codage des articles
4. Résultats
Chapitre 2 : Relations médias-analystes et rôle des analystes
1. Les analystes vus par les journalistes
2. Les journalistes vus par les analystes
3. La relation médias-analystes contextualisée
Conclusion de la Première Partie
Deuxième partie Evolution des cours et fondamentaux des analystes
Introduction
Chapitre 1 : La relation fondamentaux des analystes – évolution des cours dans la littérature
1. Les études d’événement appliquées aux analystes : un point de vue d’investisseur
1.1. L’approche directe de la relation production des analystes – évolution des cours
1.2. L’approche indirecte de la relation production des analystes – évolution des cours
2. L’approche de Zuckerman : les analystes comme prescripteurs
3. Ryan & Taffler : la production des analystes traitée comme un flux d’information parmi d’autres
Chapitre 2 : Evolution des cours et fondamentaux des analystes : méthodes de test
1. Comparaison directe
2. Recherche d’événements
2.1. Dix plus fortes variations
2.2. Changements de tendance
2.3. Evènements concomitants
Chapitre 3 : Evolution des cours et fondamentaux des analystes dans le cas Lithos
1. Comparaison directe
2. Recherche d’événements
2.1. Dix plus fortes variations
2.2. Changements de tendance
3. Eléments de qualification boursière
Chapitre 4 : Evolution des cours et fondamentaux des analystes dans le cas Mega
1. Comparaison directe
2. Recherche d’événements
3. Eléments de qualification boursière
Chapitre 5 : Evolution des cours et fondamentaux des analystes dans le cas Pulex
1. Comparaison directe
2. Recherche d’événements
3. Eléments de qualification boursière
Chapitre 6 : Evolution des cours et fondamentaux des analystes dans le cas Tegumen
1. Comparaison directe
2. Recherche d’événements
3. Eléments de qualification boursière
Conclusion de la Deuxième Partie
Troisième Partie : Le rôle de la production d’estimations publiques de la valeur fondamentale par les analystes
Introduction
Chapitre 1 : La production d’information publique par les analystes, support d’une relation client
1. Une information qui n’est pas publique pour tout le monde
2. Types de broker
2. Localisation de l’analyste
3. Types de rapport
4. Pratiques de recommandation
Chapitre 2 : La littérature sur les analystes ou le primat du conflit d’intérêts
1. La thématique du conflit d’intérêts
2. Les autres approches
Chapitre 3 : La dimension relationnelle du travail des analystes : ce que laissent voir les entretiens
1. Présentation générale des entretiens
2. Relation client, relation émetteurs
3. La prévalence de la notation des clients dans les modes d’évaluation et de contrôle
Chapitre 4 : Situer la relation client des analystes : essai de représentation d’une configuration
1. Cadrage théorique
2. Relation analystes – sociétés cotées
3. Relation sociétés cotées – investisseurs
4. La relation analystes – investisseurs
5. Présentation de la configuration
Conclusion

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