Du Programme Agricole de 1960 au démantèlement des structures d’encadrement étatique avec la crise économique des années 80
En 1960, le Programme Agricole (PA) impulsé par l’Etat se caractérise par la création de sociétés d’encadrement publiques pour vulgariser les méthodes culturales, promouvoir la diversification, mais aussi pour s’occuper de l’écoulement de la production sur les marchés. L’Office de Commercialisation Agricole du Sénégal (OCAS) se charge ainsi de l’achat des récoltes, de la distribution et de la livraison des semences. Elle s’occupe également de l’importation du riz. Les Centres Régionaux d’Assistance au Développement (CRAD) mis en place en 1964 s’occupent de la coordination des producteurs en créant des coopératives et en gérant les relations entre celles-ci et l’OCAS. Ces centres assurent également la formation des agriculteurs au sein de ces coopératives. Après sa création en 1966, l’Office Nationale de Coopération et d’Assistance pour le Développement (ONCAD) s’est chargée de consolider les fonctions de l’OCAS. Cependant, elle a hérité de la commercialisation des produits agricoles après la nationalisation de cette activité. Parmi ces produits, l’arachide a pu bénéficier d’un statut particulier quand sa commercialisation a été réservée exclusivement à la Société Nationale de Commercialisation des Oléagineux du Sénégal (SONACOS). Cette dernière joue alors le rôle d’intermédiaire entre l’ONCAD et les sociétés privées s’activant dans le secteur arachidier. Les prix sont fixés soit par l’Etat – donc par l’administration – selon les produits, soit par le privé mais après l’obtention de l’accord de l’Etat – donc par l’homologation. Quant aux Centres d’Expansion Rurale Polyvalents (CERP), ils fournissent les conseils techniques aux ruraux dans le domaine agricole en coordination avec l’OCAS et le CRAD (en particulier sur la sylviculture, l’élevage, le fonctionnement des coopératives, etc.). L’Institut Sénégalais de Recherches Agricoles (ISRA) accompagne ce Programme Agricole par la recherche agronomique pendant que l’encadrement des agriculteurs se fait sur le terrain au niveau des zones agro-écologiques par les Sociétés Régionales de Développement Rural (SRDR). L’accompagnement technique, assuré par la Société d’Aide Technique et de Coopération (SATEC), s’est alors transformé en une stratégie pour faire adopter de nouvelles semences et des techniques culturales plus modernes quand la Société de Développement et de Vulgarisation Agricole (SODEVA) a remplacé la SATEC. Sur le plan financier, la Banque Nationale de Développement du Sénégal (BNDS) a été créée pour faciliter l’accès au crédit des agriculteurs. Comme on peut le constater, ce Programme Agricole est marqué par l’intervention de l’Etat à travers la création de sociétés publiques et/ou parapubliques pour planifier et diriger le secteur agricole. Cette intervention est perceptible à travers la protection des prix aux producteurs, l’assurance de crédits et d’intrants aux agriculteurs, et le contrôle du marché des produits. Mais cette présence étatique va être mise à mal par la crise de la dette des années 80. La dette africaine a augmenté de 20% par an entre 1972 et le début des années 1980 (Brunel, 2004). A cela, s’ajoutent le changement de contexte idéologique, c’est-à-dire la percée du libéralisme économique (Ben Hammouda, Oulmane, 2005b), et les cycles de sécheresses des années 70 qui ont occasionné des chutes de rendements, et la détérioration des termes de l’échange international. Ces paramètres nouveaux ont contribué à étrangler financièrement l’Etat. Les « politiques agricoles d’accompagnement » s’en sont trouvées sévèrement affectées. En ce qui concerne le Sénégal, par exemple, le FMI a exigé en juillet 2001 l’arrêt des subventions de l’achat de l’arachide en provoquant ainsi la chute des prix de 145 à 120 francs CFA le kilogramme (Millet, 2005, p. 91). En échange des aides financières des Institutions de Bretton Woods pour faire face à cette situation, les pays en crise ont dû accepter de mettre en œuvre les mesures des Programmes d’Ajustement Structurel (PAS). Les PAS se sont généralisés à la suite de la crise mexicaine d’août 198215 pour assainir les finances publiques des pays en difficultés et mettre en place des politiques de « développement » basées sur l’ouverture des marchés de ces pays au commerce international. La dégradation de l’état des finances des pays « secourus » s’explique par la non-maîtrise des dépenses publiques généralement improductives et la complicité des pays du Nord soucieux de recycler les pétrodollars. En dépit des bonnes intentions affichées par les PAS, « il est clair que les politiques d’ajustement provoquent, dans les pays qui doivent s’y soumettre, des conséquences souvent dramatiques, puisque la rigueur budgétaire ajoutée à la libéralisation du marché entraîne des coupes sombres dans le personnel de la fonction publique, les subventions de toutes sortes [surtout agricoles] ainsi que les prestations sociales dans les domaines de l’éducation et de la santé.» (Rist, 2007, pp. 302-303). Les politiques agricoles du Sénégal ont ainsi glissé d’une politique interventionniste à une politique libérale, à l’image de toute l’économie qui est passée d’une économie dirigée, planifiée et administrée, à une économie de marché c’est-à-dire libéralisée (Griffon, Henry, Lemelle, 1991). L’Etat a laissé progressivement sa place au marché pour apporter les solutions attendues. Dans le cas du Sénégal, un Programme de stabilisation, un Programme de Redressement Economique et Financier (PREF) et un Programme d’Ajustement économique et financier à Moyen et Long Terme (PAMLT) ont été respectivement mis en place en 1979, de 1981 à 1984 et de 1985 à 1992. Pour assainir la situation financière et budgétaire et amoindrir le rôle de l’Etat considéré comme un facteur perturbant sur un marché supposé « libre », les principaux leviers ont été : la politique monétaire pour contrôler l’inflation, la réduction des dépenses budgétaires, l’augmentation des impôts, la libéralisation du commerce extérieur et intérieur, et celle du marché du travail. Un dernier facteur a été la politique de change qui a eu des effets sur les prix, la demande globale et la productivité. En 1982, le Programme Agricole (PA) est supprimé. En 1984, un système de retenue à la source sur les ventes d’arachides est instauré pour permettre le remboursement des crédits d’engrais. Cependant les options concernant les finances publiques et la libéralisation du commerce ont frappé de plein fouet le secteur agricole. Par voie de conséquence, les politiques agricoles ont été grandement réorientées vers le libéralisme économique.
Comment les politiques agricoles du Sénégal intègrent-elles les directives (sous)-régionales ?
Dans son élan d’intégration régionale manifeste, à travers l’instauration d’un Tarif Extérieur Commun (TEC) et d’une Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) harmonisée, l’UEMOA a mis en place une politique agricole commune à tous les pays membres. Celle-ci est construite sur quelques piliers fondamentaux (Dieng et Guèye, 2005)27 comme :
ü la politique des filières qui consiste à réorganiser ces dernières pour les adapter aux exigences internationales ;
ü l’instauration d’un cadre, d’un environnement permettant de stimuler la production agricole ;
ü la mise en place d’un marché agricole unique pour une gestion efficiente et efficace des ressources communes de la région ;
ü l’insertion dans le marché mondial à travers une agriculture compétitive capable de rivaliser avec les puissances agricoles.
La Politique Agricole de l’Union (PAU) permet de mettre en place un cadre sous-régional propice au développement de l’agriculture des pays membres. Cela relève beaucoup moins d’une traduction dans les politiques agricoles nationales des pays membres. En revanche, les politiques agricoles du NEPAD et de la CEDEAO demandent une traduction nationale au niveau des pays concernés. C’est le cas du Programme National d’Investissement Agricole (PNIA) du Sénégal qui est le versant national combiné du PDDAA et de l’ECOWAP. Lancé en février 2008, le PNIA a pour but de réaliser les grands objectifs du PDDAA et de l’ECOWAP. Ceux-ci tournent autour de la modernisation de l’agriculture pour qu’elle ait une capacité productive élevée et qu’elle soit compétitive sur les marchés grâce, en partie, à l’implication du secteur privé. Avec un financement estimé à 2 015 milliards de francs CFA (Mbodj, 2011) 28 dont 81% sont investis dans l’agriculture, le PNIA a plusieurs objectifs stratégiques :
ü réduire les risques climatiques par la maîtrise de l’eau ;
ü gérer durablement les ressources naturelles ;
ü augmenter la production, la productivité des facteurs ;
ü valoriser les produits agricoles par la transformation ;
ü améliorer l’accès aux marchés ;
ü renforcer la recherche et le transfert de technologies ;
ü renforcer la capacité des acteurs ;
ü mettre en place un pilotage et une coordination efficace du plan d’investissement.
Ces mesures devraient se traduire par une progression continue de la part de l’agriculture dans le Produit Intérieur Brut (PIB) national. De 13,28% en 2005 à 16,38% en 2010, elle devrait se situer à 20,29% en 2015 et à 21,53% en 2020 (République du Sénégal, 2011)29. De l’avis de la même source, la pauvreté à Dakar devrait passer de 18,71% en 2010 à 8,79% en 2015. Cet élément est intéressant quand on sait que la pauvreté est à la base de l’exode rural qui contribue à la croissance de la population urbaine et à l’exacerbation des problèmes qui accompagnent celle-ci. Mais, face à la persistance de la pauvreté, aussi bien en milieu rural qu’en zone urbaine, la stratégie qui s’impose parfois aux jeunes est l’émigration – légale ou clandestine – comme le Sénégal l’a connue en 2006. C’est dans ce contexte que le Gouvernement WADE a mis en place le Plan Retour Vers l’Agriculture (Plan REVA). Deux ans plus tard, le monde connaît une crise alimentaire suite à la combinaison des effets de plusieurs facteurs qui a provoqué la flambée des prix des denrées alimentaires. Ces facteurs sont le recul des surfaces agricoles, le rôle joué par les spéculateurs, la croissance démographique et ses conséquences. En effet, la hausse des besoins en énergie a contribué au développement des cultures d’agro-carburants. Les interactions entre le changement de régimes alimentaires de certaines catégories de population grâce à l’amélioration de leur niveau de vie et les effets des aléas climatiques n’ont fait qu’accentuer la crise alimentaire. En réaction à cette situation qui menace la stabilité sociale et politique du pays, le Gouvernement WADE a lancé en avril 2008 la Grande Offensive Agricole pour la Nourriture et l’Abondance (GOANA).
Des politiques commerciales protectrices pour adoucir la libéralisation des échanges agricoles
Le passage d’une économie dirigée et planifiée par l’Etat dans les années 60 à une économie libéralisée à partir des années 80 dans les pays d’Afrique a eu des conséquences néfastes sur le secteur agricole. N’étant pas assez développées comme les agricultures de l’Union Européenne et des Etats-Unis d’Amérique, les agricultures africaines sont confrontées à des difficultés pour rivaliser avec ces dernières sur les marchés internationaux. Cette concurrence est encore plus faussée et déloyale à cause des différentes formes de subventions et de protection des agricultures des pays développés (Dufumier, 2007). D’une part, les politiques interventionnistes (à travers les subventions à l’exportation et le soutien interne à la production) constituent des enjeux importants dans les négociations internationales concernant le commerce agricole. Elles rendent encore plus compétitive l’agriculture des pays développés face à celle des pays en développement sur le marché mondial (Félix, 2006). D’autre part, les barrières tarifaires et non tarifaires sont un obstacle majeur pour l’accès aux marchés des pays développés des produits agricoles issus des pays en développement (Ben Hammouda et Oulmane, 2005b). Le marché cristallise les négociations au sein de l’OMC. Faut-il promouvoir le tout marché ou le tout Etat ou les deux combinés de façon adaptée à la situation de chaque pays ou organisation (sous)-régionale ? Telle est la question (Annexe 12). Au nom du développement économique et social, les pays en développement réclament l’accès aux marchés des pays développés, la suppression des subventions à l’exportation et des soutiens internes à la production, ainsi que le droit de protéger leurs agricultures face à l’offensive libérale (Duteurtre, Wade et Fall, 2008). Ce sont les trois piliers mêmes des engagements de l’Accord Sur l’Agriculture (ASA) du Cycle de l’Uruguay que les pays membres de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC)41, dont le Sénégal, doivent mettre en place pour aboutir à un « bon » fonctionnement d’un commerce agricole basé sur le marché sans distorsion. Mais, compte tenu de l’importance de l’agriculture dans leurs économies, les pays de l’UEMOA préconisent de trouver des accords issus des négociations sur les politiques agricoles et non sur les droits de douane. En conséquence, le Sénégal s’inscrit dans cette logique. C’est pourquoi il a mis en place une politique de restriction d’accès à son marché en édifiant des barrières tarifaires (+180%) et non tarifaires (autorisations préalables et quotas d’importation) pour l’importation de produits agricoles sensibles comme le riz, le sucre, etc. D’après les chercheurs du Consortium pour la Recherche Economique et Sociale (CRES), ces mesures concrètes lui ont rapporté 46 milliards de francs CFA en 1996 et 64 milliards de francs CFA en 1997 grâce aux prélèvements sur les produits agricoles (Diagne et al, 2007). Sans surprise, il a été rappelé à l’ordre par l’OMC, d’où l’assouplissement des contraintes qui bloquent l’accès à son marché. Concernant le soutien interne, la position du Sénégal a été conforme aux textes de l’OMC. Quant aux subventions à l’exportation, elles ont été supprimées en 1994, année de la dévaluation du franc CFA. Ceci dit, des mesures de renforcement des capacités d’exportation telles que des études de marché, la recherche de débouchés, etc. ont été prises par le Gouvernement socialiste pour accroître la compétitivité du Sénégal sur les marchés internationaux. C’est dans cet esprit que le Sénégal a mis en place l’Agence de Régulation des Marchés (ARM) dont l’ancêtre est la Cellule de Gestion et de Surveillance des Marchés du Riz (CGSMR) créée dans la foulée de la libéralisation de la filière riz dans les années 1995 pour réguler les marchés par un système d’information (Wade, David-Benz et Egg, 2004) aujourd’hui amélioré par la concertation entre les différents acteurs des filières agricoles surtout maraîchères en milieu urbain comme celle de l’oignon. La mise sur le marché simultanée de la production nationale d’oignon et de l’oignon importée – de 60 à 80000 tonnes par an, soit 50% des besoins nationaux – provoque la baisse des prix aux producteurs (Wade et Ndiaye, 2009). De mars à mai, la production d’oignon de la Vallée et des Niayes arrive sur le marché. De juillet à septembre, s’y ajoute la deuxième récolte des Niayes. Pendant ces périodes, l’importation fait chuter les prix (Seck, 1992). L’Etat réagit, à travers l’ARM, en créant un Comité de concertation et de suivi de l’oignon en 2003 pour fixer les périodes de suspension des importations d’oignon, mettre en place la charte des prix. Ainsi, en 2004, les importations sont passées de 14 000 tonnes à 500 tonnes par mois d’avril à août avant de reprendre en septembre pour atteindre 11 000 tonnes. Toutefois, en 2005, sous l’effet de l’anticipation des importateurs, les importations ont atteint 195 000 tonnes de janvier à avril au point d’annihiler les effets des mesures de protection (Wade et Ndiaye, 2009). Face à ce comportement des importateurs, l’ARM a réactivé les autorisations préalables aux importations qui ont été pourtant supprimées dans la dynamique de libéralisation des années 80. De plus, l’allongement de la période de restriction et la déclaration des importations constituent des mesures pour décourager l’importation au profit de la production nationale. Cependant, une trop grande restriction risque de créer une situation de pénurie et entraîne dans la foulée une hausse des prix pour les consommateurs d’où le comité de suivi pour veiller au respect des décisions prises y compris le prix fixé aux consommateurs. Donc, le revers de la médaille des restrictions d’importations est la flambée des prix qui risque de léser les consommateurs. Au final, qu’il s’agisse des pays développés ou des pays en développement, des politiques interventionnistes sont menées pour alléger, atténuer, adoucir les ravages que peut occasionner le libéralisme sur le secteur agricole (Duteurtre, Faye et Dièye, 2010). Cependant, en principe, pour les pays membres, ces interventions ne devraient pas se faire en dehors du cadre établi par l’OMC. Cette exigence se complexifie s’il faut tenir compte des situations différentes et des objectifs parfois opposés des pays membres. Elle l’est encore plus si les politiques de développement doivent désormais davantage intégrer la problématique de l’environnement.
Comment définir l’agriculture « péri-urbaine » ?
Selon une approche géographique, l’agriculture périurbaine se définit comme une activité agricole qui se pratique dans l’espace périurbain considéré comme « une ceinture située en dehors de la ville et prenant la forme d’un espace mixte où se trouvent à la fois des ménages occupant des emplois urbains et des agriculteurs » (Cavailhiès et al, 2003, p. 6). Pour définir l’agriculture « péri-urbaine », il semble pertinent de regarder d’abord comment la ville est définie. L’urbanisation est le « processus inhérent au développement social et économique d’une localité, d’un pays ou d’une région. [Elle] est une phase de transition d’une société véritablement rurale (équipements et modes de vie traditionnels ou homogènes) à une société urbaine (moderne ou hétérogène). » (Tabutin et al, 2009, p. 11). Ainsi, « la ville est un centre de densification humaine et de diffusion culturelle. Son existence repose sur des conditions économiques et politiques particulières d’organisation de la production et des échanges : un surplus agricole nourrissant des spécialistes non agricoles, une classe de dirigeants, une classe de marchands » (Smith et al, 2004, p. 26). Il nous faut préciser d’emblée que l’urbanisation en Afrique n’est pas forcément concomitante d’un développement économique et social, à l’instar des villes européennes qui ont parallèlement connu une industrialisation. On voit bien que dans cette définition de la ville l’agriculture est exclue des activités qui permettent de qualifier un territoire de ville. Parmi celles-ci, on peut noter les constructions immobilières, les infrastructures de communication en l’occurrence les routes et leur état de revêtement (Tricaud, 1996). La ville est aussi le lieu où dominent les activités économiques autre qu’agricoles et qui sont marquées par une division poussée du travail. La ville est également le lieu par excellence où siègent les élites sociales et les structures politiques centralisées qui exercent un rayonnement et une influence sur les territoires environnants. Par ailleurs, la définition de la ville est subordonnée au nombre d’habitants résidant sur un territoire donné. Ce qu’indique le terme de « densification humaine ». Selon les institutions statistiques, ce chiffre varie d’un pays à un autre. En France, le seuil de 2 000 habitants dans un espace limité suffit à qualifier ce territoire de ville alors qu’il en faudrait 10 000 habitants en Côte-d’Ivoire et seulement 5 000 habitants au Ghana, par exemple. Cette référence statistique peut aussi ne pas être considérée. C’est le cas au Sénégal où l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie (ANSD) qualifie un territoire de ville dès lors qu’il est érigé en Commune (Collectivité locale), peu importe le nombre d’habitants et la densité. « Au Sénégal, la définition de l’urbanisation se réfère à celle de la commune. Ainsi, le milieu urbain est constitué par l’ensemble des localités érigées en commune, et ce, quel que soit le nombre d’habitants » (ANSD, 2014, p. 223). L’érection d’une localité en commune découle d’une décision politico-administrative. A partir de ces éléments de définition de la ville qui croisent les approches économique, politique, administrative et démographique, il est permis de définir l’agriculture urbaine ou périurbaine comme une activité agricole qui se pratique à l’intérieur ou à la périphérie des territoires qualifiés de villes, c’est-à-dire considérés comme urbains quels que soient les critères selon les pays (Temple, Moustier et Tuyen, 2004). Or, selon notre analyse, l’accent est surtout mis sur les interrelations qui existent entre ville et agriculture dans une perspective dynamique liée aux mutations urbaines. Ainsi, l’agriculture urbaine ou périurbaine « est considérée comme l’agriculture localisée dans la ville et à sa périphérie, dont les produits sont destinés à la ville et pour laquelle il existe une alternative entre usage agricole et urbain non agricole des ressources ; l’alternative ouvre sur des concurrences, mais également sur des complémentarités entre [différents usages] » (Smith et al, 2004, pp. 27-28). Elle est par ailleurs définie par les Nations Unies comme « une industrie qui produit des biens alimentaires et énergétiques, pour répondre surtout à la demande quotidienne des consommateurs urbains. Ces activités ont recours à des techniques intensives d’utilisation des ressources naturelles et des déchets urbains pour produire une large gamme de produits végétaux et animaux » (Donadieu, 2003, p.158). On peut alors considérer que deux points contribuent à fonder la définition de l’agriculture urbaine ou périurbaine : l’échange, la complémentarité avec la ville du fait de la relation de proximité qu’elle entretient avec celle-ci (Bertrand et Roussier, 2004) tels que l’approvisionnement en produits frais et la fourniture de déchets organiques servants de fertilisants pour les agriculteurs, mais aussi la concurrence entre les usages agricoles et non agricoles de ressources tels que l’espace, l’eau, la main d’œuvre, les services, etc. En effet, l’agriculture périurbaine peut être définie comme « l’activité dont les ressources ou les produits peuvent faire l’objet d’une utilisation urbaine » (Moustier et Pagès, 1997, p. 48). Donc, on observe une possibilité de concurrence entre les activités purement urbaines et les activités agricoles pour tirer bénéfice des ressources disponibles. Cependant, aucune de ces définitions ne résout pas le problème de la délimitation de l’aire urbaine et périurbaine et, par voie de conséquence, celui de la circonscription de l’agriculture urbaine et périurbaine. A partir de quelle distance, par rapport au cœur de la ville, peut-on parler d’agriculture urbaine et périurbaine ? Certains chercheurs ont essayé un zonage géographique en fonction de l’endroit où se pratique l’agriculture par rapport au centre urbain. D’une part, on peut distinguer l’agriculture intra-urbaine dont les espaces agricoles sont englobés par la ville. D’autre part, il y a l’agriculture périurbaine qui se pratique sur des espaces situés au niveau des fronts urbain et rural. L’avantage de ce découpage territorial est qu’il permet de saisir la dynamique urbaine qui englobe, au fil de l’étalement urbain, les espaces qui étaient considérés comme périphériques. Temple, Moustier et Tuyen (2004) ont identifié un troisième zonage : le « rurbain » qui se trouve, en fonction de l’éloignement du noyau urbain, au-delà du périurbain. A ce stade, il convient de faire une précision concernant l’usage du terme de l’agriculture urbaine dans notre argumentaire. Pour nous, l’agriculture urbaine peut se définir selon une approche géographique, comme une activité agricole se pratiquant sur des espaces situés dans un territoire considéré comme urbain. Ainsi, nous distinguons l’agriculture intra-urbaine (c’est-à-dire à l’intérieur du noyau urbain et de son environnement immédiat) de l’agriculture périurbaine (c’est-à-dire en dehors de l’environnement proche du noyau urbain et vers les espaces de plus en plus ruraux). Par commodité, nous désignons par le terme agriculture « péri-urbaine » (en deux mots) l’agriculture intra-urbaine et l’agriculture périurbaine (en un mot) pour éviter l’ambiguïté qui sous-tend le terme d’agriculture urbaine. En effet, ce terme ne permet pas de localiser l’activité agricole dans l’espace urbain. Or, la situation géographique par rapport à la ville est déterminante dans le fonctionnement des systèmes de production agricoles. En fonction des zones concernées, les contraintes, les opportunités et les avantages liés à la ville se font sentir différemment chez les agriculteurs (N’Diénor et Aubry, 2004 ; Ba et Aubry, 2011). Après le constat de la pratique de l’agriculture en ville, une activité pourtant a priori exclusive à la campagne, nous pouvons nous interroger sur les causes profondes.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
L’agriculture « péri-urbaine » à Dakar : une problématique marquée par les questions du foncier, de l’eau et des déchets organiques
L’ISARD : un programme de recherche interdisciplinaire aux enjeux et objectifs multiples
La double question de l’intégration ou de l’effacement progressif de l’agriculture dans la ville de Dakar et la valorisation agricole des déchets organiques comme objet de thèse
« Intensifier écologiquement l’agriculture » grâce aux déchets organiques : produire plus et mieux ?
La pression et l’insécurité foncières comme entraves à l’exercice de l’activité agricole
Le déficit d’eau d’irrigation, un handicap pour la productivité agricole
La valorisation agricole des déchets urbains comme pratique stratégique mais contraignante pour les agriculteurs
La multifonctionnalité de l’agriculture, une opportunité pour développer des stratégies d’adaptation au contexte local et au projet d’écologisation ?
PREMIERE PARTIE. COMMENT ANALYSER LES METAMORPHOSES DES FONCTIONS DE L’AGRICULTURE AU SENEGAL ? DE LA PRODUCTION DE NOURRITURE A LA GESTION DE L’ENVIRONNEMENT
Chapitre 1. L’agriculture sénégalaise : de la campagne à la ville, et du local au global
1.1 Des politiques agricoles interventionnistes de l’Etat au libéralisme « tronqué »
1.1.1 Du Programme Agricole de 1960 au démantèlement des structures d’encadrement étatique avec la crise économique des années 80
1.1.2 Le rôle de l’Etat en question avec les politiques agricoles libérales de 1984 à 2004
1.1.3 Le retour de l’Etat dans le système politique agricole avec la LOASP de 2004
1.2 Les politiques agricoles du Sénégal face aux politiques d’intégration (sous)- régionales et à la mondialisation
1.2.1 Comment les politiques agricoles du Sénégal intègrent-elles les directives (sous)- régionales ?
1.2.2 Quelle efficacité pour des politiques agricoles conjoncturelles comme le Plan REVA et la GOANA pour résoudre des problèmes structurels ?
1.2.3 Des politiques commerciales protectrices pour adoucir la libéralisation des échanges agricoles
1.3 L’environnement et l’agriculture dans les relations Nord-Sud
1.3.1 La question stratégique de l’environnement dans les politiques de développement
1.3.2 Des engagements « mesurés » en faveur de l’environnement
1.3.3 L’agriculture sénégalaise face à la question de la multifonctionnalité dans le commerce agricole international
1.4 L’agriculture en ville comme symbole de l’échec des politiques agricoles ?
1.4.1 Comment définir l’agriculture « péri-urbaine » ?
1.4.2 L’agriculture « péri-urbaine » comme activité refuge contre la pauvreté urbaine
1.4.3 La faillite des politiques agricoles à maintenir les populations rurales sur leurs territoires
Conclusion
Chapitre 2. La gestion agricole des déchets organiques de la ville : une nouvelle fonctionnalité de l’agriculture ?
2.1 Des dispositifs juridiques et des modèles opérationnels de gestion des déchets urbains
2.1.1 Le déchet comme une matière ayant perdu sa valeur et son utilité
2.1.2 Les aspects législatifs et réglementaires de la gestion des déchets au Sénégal et en France
2.1.3 De la régie au « partage disputé » comme modèles de gestion des déchets urbains
2.2 De la valorisation matière à la valorisation énergétique des déchets
2.2.1 Le compostage et la récupération comme formes de valorisation matière des déchets
2.2.2 La valorisation énergétique des déchets est-elle une option avantageuse pour l’environnement ?
2.2.3 La mise en décharge des déchets comme limites de la valorisation ?
2.3 L’instabilité institutionnelle de la politique de gestion des déchets urbains à Dakar
2.3.1 De l’essai de privatisation à l’échec de l’étatisation de la gestion des déchets à Dakar
2.3.2 L’hybridité de la gestion privée et communautaire des déchets à Dakar
2.3.3 L’Etat au centre de la gestion des déchets à Dakar
2.4 La gestion des déchets organiques urbains par l’agriculture ?
2.4.1 La multifonctionnalité de l’agriculture comme élément de l’écologisation des sociétés
2.4.2 Les différentes approches « normative, juridique et positive » de la multifonctionnalité
2.4.3 Les « ambiguïtés » du concept de multifonctionnalité en agriculture
Conclusion
Chapitre 3. L’approche interdisciplinaire comme cadre méthodologique
3.1 Les sciences humaines et sociales face à l’émergence de la question de l’environnement
3.1.1 Le processus de construction sociale de l’environnement
3.1.2 L’interdisciplinarité pour appréhender l’objet « environnement »
3.1.3 La construction de la sociologie comme discipline scientifique autonome
3.1.4 La déconstruction épistémologique de la sociologie pour intégrer l’environnement
3.1.5 L’agriculture « péri-urbaine » à la croisée des sciences humaines et sociales
3.1.6 De l’approche économique à la « socio-géographie » des déchets
3.2 De l’analyse stratégique à l’analyse en termes d’innovation et de traduction
3.2.1 Les stratégies d’adaptation des maraîchers
3.2.2 L’analyse en termes d’innovation et de « traduction » de l’acceptabilité sociale de la multifonctionnalité de l’agriculture
3.2.3 Une sociologie compréhensive pour appréhender le terrain
3.3 Des méthodes qualitatives pour aborder le terrain de Dakar
3.3.1 La recherche documentaire et la quête de données qualitatives sur le terrain
3.3.2 Des entretiens semi-directifs pour comprendre les logiques d’action
3.3.3 L’observation participante pour étudier les acteurs de l’« intérieur »
3.3.4 Les modalités de traitement et d’analyse des données de terrain
Conclusion
DEUXIEME PARTIE. LA PLACE DE L’AGRICULTURE ET DE L’ENVIRONNEMENT DANS LES POLITIQUES D’URBANISME A DAKAR : LES PRATIQUES DES ACTEURS
Chapitre 4. Des pratiques agricoles déterminées par la géographie des Niayes et l’urbanisation
4.1 Les interactions entre le milieu des Niayes et les maraîchers
4.1.1 Les Niayes comme zone à vocation agricole ?
4.1.2 Des activités extra-agricoles sur les sites maraîchers
4.1.3 L’adaptation des maraîchers aux caractéristiques des Niayes
4.2 Une population maraîchère aux profils contrastés
4.2.1 Les maraîchers « locomotives du changement »
4.2.2 Les maraîchers « impliqués pour la relève »
4.2.3 Les maraîchers « productivistes pour le développement économique »
4.2.4 Les maraîchers « opportunistes pour accéder aux facteurs de production »
4.2.5 Les maraîchers « isolés des sphères dirigeantes et relationnelles »
4.3 Les éléments de fonctionnement du système maraîcher à Dakar
4.3.1 L’insécurité et la pression foncières à l’encontre du maraîchage
4.3.2 Des choix agricoles guidés par le déficit d’eau d’irrigation
4.3.3 Déchets ou fumiers : de quelles matières organiques s’agit-il ?
4.3.4 Le partenariat financier et commercial entre les banabanas et les maraîchers
4.4 Le micro-jardinage ou le maraîchage hors-sol à Dakar comme exutoire à déchets
4.4.1 L’introduction et la pratique du micro-jardinage à Dakar
4.4.2 Le potentiel de valorisation des déchets dans le micro-jardinage à Dakar
4.4.3 Le lombricompostage est-il une alternative à la solution nutritive ?
4.4.4 La viabilité de la technologie du micro-jardinage à Dakar en questions
Conclusion
Chapitre 5. Inclusion ou exclusion de l’agriculture « péri-urbaine » dans le projet urbain de Dakar ?
5.1 L’agriculture dans les politiques de planification et de gestion urbaine à Dakar
5.1.1 La grille d’analyse proposée par le concept de référentiel
5.1.2 L’approche cognitive et constructiviste de l’action publique locale à Dakar
5.1.3 L’agriculture « péri-urbaine » en marge de l’action publique locale ?
5.2 La mise en agenda de la problématique agricole dans les politiques d’urbanisme à Dakar
5.2.1 Les conditions de mise en agenda politique de la question agricole à Dakar
5.2.2 La genèse et le fonctionnement des organisations maraîchères
5.2.3 La capacité des maraîchers à faire inscrire la question agricole dans l’agenda politique local
5.3 Les stratégies des maraîchers pour le maintien de l’agriculture en ville
5.3.1 L’alliance stratégique entre maraîchers et scientifiques
5.3.2 Le discours écologique dans le monde agricole à Dakar
Conclusion
Chapitre 6. Les maraîchers face au projet d’écologisation de l’agriculture à Dakar
6.1 Les maraîchers dans le contexte socio-culturel local
6.1.1 L’encastrement des valeurs et de la rationalité économique dans le système maraîcher local
6.1.2 Des rationalités socio-culturelles complexes au cœur du maraîchage
6.1.3 La compatibilité du système de rationalités des maraîchers avec l’utilisation agricole des déchets organiques
6.2 Les maraîchers et les scientifiques s’enrôlent pour agir par « action mesurée »
6.2.1 Un système de vases communicants entre le profane et le scientifique à l’épreuve du problème foncier
6.2.2 L’inégalité d’accès des maraîchers aux réseaux socioprofessionnels
6.2.3 La dynamique de diffusion de l’innovation chez les maraîchers
6.3 Les facteurs de changement et de résistance au changement des pratiques agricoles
6.3.1 Le poids des trajectoires socioprofessionnelles et des facteurs psychosociologiques sur les décisions des maraîchers face aux déchets organiques
6.3.2 L’influence des variables technico-économiques dans le choix des maraîchers
6.3.3 Les propriétés des déchets organiques comme verrous ou stimulants à leur adoption ?
6.3.4 Comment changer des habitudes agricoles tenaces ?
Conclusion
CONCLUSION GENERALE
L’intensification écologique de l’agriculture « péri-urbaine » par l’usage des déchets organiques
L’agriculture « péri-urbaine » comme stratégie d’autosuffisance alimentaire
La question du maintien de l’agriculture en ville à Dakar
L’agriculture pour résorber les déchets urbains ?
Les maraîchers face à l’écologisation agricole par les déchets organiques
Dépasser les facteurs de blocage à l’utilisation agricole des déchets organiques
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
SIGLES ET ABREVIATIONS
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