La valeur une question récurrente dans la vie des organisations

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La valeur : une question récurrente dans la vie des organisations

En s’appuyant sur la théorie de la justification de Luc Boltanski et Laurent Thévenot (2011 [1991]), sur l’approche de la valeur de John Dewey (2011a [1939]) et sur des études de cas empiriques, D. Stark (2011a) affirme que toute organisation procède à une réflexion permanente sur ce qui a de la valeur : quels sont les nouveaux produits ou services susceptibles d’être proposés au marché ou à la société ? Quels sont les technologies ou processus de production et de gestion devant être intégrés au fonctionnement de l’organisation ? Comment les comportements et les performances des directions, des départements, des équipes ou des salariés doivent être évalués ?
Le fait qu’une organisation fasse partie de l’ESS soulève d’autres questions : quelles se trouve en Annexe 2. À la fin de chaque entretien, nous avons demandé les documents internes (présentations, rapports, comptes rendus, documents de travail, fichier Excel, etc.) jugés pertinents pour épauler leurs argumentations ou pour nos recherches. Pour identifier les pratiques de justification de la valeur, nous avons relu et codé sur NVivo toutes les notes de terrain prises au cours des réunions et des entretiens, ainsi que les documents fournis par les salariés de l’UCPA. Dans une première lecture nous avons identifié les pratiques et les avons associés à une période de gestion. Dans une deuxième lecture nous avons codé le matériel selon les pratiques identifiés dans la première lecture.
Les organisations et leurs membres doivent ainsi définir quotidiennement ce qui a de la valeur, ce qui est souhaitable ou désirable, ce qui est digne, ce qui est juste, ce qui est louable et ce qui est bien (Cottereau et Marzok 2012). Ils doivent ainsi trier entre une multitude de choix et sélectionner ce qui compte, ce qui est important et le plus pertinent. Les salariés évaluent les décisions, les comportements et la performance, justifient leurs décisions et leurs actions et offrent des raisons et des motifs pour expliquer pourquoi les choses doivent être faites d’une façon plutôt qu’une autre (D.
Stark 2011a). Quand un salarié ou un groupe de salariés expliquent une décision, une action ou un résultat, ils le font en se référant de manière explicite ou implicite à des « critères d’évaluation » (valeurs ou principes moraux)25. Les critères d’évaluation auxquels les acteurs recourent pour se justifier renvoient à des « registres de valeurs »26, à des principes d’équivalence, à des définitions de ce qui est bien et de ce qui est juste, à des grammaires sociales ainsi qu’à des logiques d’action (Boltanski et Thévenot 2011 [1991] ; D. Stark 2011a). Or, pour qu’un critère d’évaluation puisse être mobilisé au sein d’une argumentation ou d’une prise de décision, il doit s’incarner dans des pratiques de justification. C’est ainsi que, toujours selon D. Stark (Ibid., p. 24), les organisations peuvent être considérées comme des lieux où les différents acteurs s’engagent dans des pratiques de justification de la valeur.
Les moments où les acteurs d’une organisation s’engagent dans des pratiques de justification de la valeur d’une décision ou d’une action constituent des « épreuves »27, c’est-à-dire des moments d’incertitude et d’indétermination au cours desquels les acteurs exercent leurs « compétences morales » afin de qualifier, juger ou justifier une décision, une action ou quelqu’un (Boltanski et Thévenot 2011 [1991] ; Nachi 2006). Les pratiques de justification de la valeur permettent aux acteurs d’exercer leurs compétences morales à travers les « modes d’expression » d’un critère d’évaluation et les « évidences » qui permettent d’en apporter la preuve. Ces modes d’expression peuvent être des personnes, des idées, des instruments de mesure, des artefacts ou encore des objets (D. Stark 2011a, p. 12-13). Les évidences peuvent prendre la forme d’indicateurs qualitatifs comme par exemple un texte ou une anecdote, ou quantitatifs tels qu’une somme d’argent ou une donnée chiffrée (Boltanski et Thévenot 2011 [1991]).

La dissonance : l’expression de la mise en tension de valeurs

Les organisations sont des systèmes où cohabitent des visions du monde, des systèmes de croyances et des registres de valeurs multiples. Les décisions, les ressources, les produits, les biens, les services et les processus y portent de multiples « étiquettes »28 et sont susceptibles d’ être interprétés différemment au sein d’une même organisation (Clippinger 1999 ; D. Stark 2011a, p. 25)29. Il apparaît, dès lors, crucial de reconnaître que les organisations sont de cadres d’action où divers principes d’évaluation sont en jeu (Ibid., p. 13).
Divers registres de valeurs et critères d’évaluation peuvent, en effet, s’entrechoquer, s’affronter et entrer en conflit au sein d’une même organisation. D. Stark appelle « dissonance » une telle situation où des critères d’évaluation divers ou antagonistes se chevauchent (Ibid., p. 27). Les partisans de différentes conceptions de la valeur s’affrontent alors, se disputent et entrent en compétition afin de se justifier et imposer leur point de vue. Le résultat manifeste d’une telle rivalité est une friction, un affrontement bruyant. La métaphore musicale matérialise parfaitement ici le fait que la dissonance, si l’on s’en tient à la définition proposée par le dictionnaire, exprime une « (…) rupture de l’harmonie d’un accord ou d’une ligne mélodique par l’introduction d’une ou plusieurs notes qui leur sont étrangères » (CNRTL [Internet] 2018a). Un contexte organisationnel harmonieux, où régnait un certain accord sur ce qui a de la valeur et ce qui compte, se voit ainsi bouleversé par la présence de critères de valeur différents ou étrangers. L’apparition de telles notes étrangères suscite quelques interrogations : quels critères d’évaluation sont ici en jeu ? Quels critères d’évaluation doivent être pris en compte ? Comment ces critères d’évaluation se manifestent-ils ? Comment vérifier leur présence ? Etc.
La coexistence de différents critères d’évaluation au sein d’une même organisation génère donc de l’incertitude, et cette pluralité de principes et de registres d’évaluation rend le futur plus incertain. La présence de multiples critères d’évaluation peut ainsi conduire à une situation troublée, indéterminée, source de perplexités (Dewey 1993 [1938]). Comme le signale D. Stark (2011a, p. 5) : « At the most elementary level, a perplexing situation is produced when there is principled disagreement about what counts ».

Les conséquences de la dissonance : cacophonie, compartimentage ou hétérarchie

En cas de dissonance entre critères d’évaluation, les organisations et leurs membres peuvent adopter plusieurs stratégies aux résultats variés. C’est ainsi que, dans son ouvrage The Sense of Dissonance, D. Stark (2011a) analyse plusieurs cas où une situation de dissonance conduit à ce qu’il nomme alors l’« hétérarchie ». Son analyse nous amène également à considérer deux autres issues : la « cacophonie » et le « compartimentage », soit un total de trois dénouements possibles à une situation de dissonance.
Le premier dénouement possible à une situation de dissonance est donc la cacophonie, laquelle advient lorsque la dissonance reste désorganisée. Selon le dictionnaire, la cacophonie est, en effet, un « (…) mélange de bruits, de sons discordants qui produisent un effet désagréable à l’oreille » (CNRTL [Internet] 2018b). La divergence de valeurs crée, dès lors, une friction qui devient destructive en produisant un désaccord et des relations conflictuelles entre les acteurs. Elle rend difficile ou interrompt la routine organisationnelle en remettant en question les connaissances de l’organisation tout en faisant obstacle au flux d’activités et à la prise de décisions.
Le deuxième dénouement possible à une situation de dissonance est le compartimentage, lequel se produit lorsque les notes dissonantes sont cloisonnées afin de retrouver l’harmonie. Les critères d’évaluation sont alors associés à des services, ou unités, séparés, délimités et protégés de toute « contamination » (D. Stark 2011a, p. 26-27). Il existe alors des accords ou lignes mélodiques qui ne se croisent pas.
Le troisième dénouement possible est l’hétérarchie, laquelle apparaît, selon D. Stark (2002 ; 2011a), dans le cas d’une dissonance organisée. Dans le cas d’une hétérarchie, l’organisation peut saisir les notes dissonantes et les accueillir de façon productive. Les acteurs prennent en compte les différents critères d’évaluation et agencent à nouveau les ressources de l’organisation. L’incertitude qui résulte du mélange de critères d’évaluation ouvre de nouvelles perspectives d’action. Comme il n’existe pas « one best way » ou une seule métrique pour définir la valeur, mais plutôt plusieurs chemins qui co-évoluent mutuellement sans pour autant converger, l’organisation se trouve systématiquement incapable de considérer ses routines et ses connaissances comme allant de soi (Ibid.). Il se produit alors, comme dans le cas d’une cacophonie, une certaine friction résultant du chevauchement entre plusieurs critères d’évaluation. Dans le cas de l’hétérarchie, cette friction ne se réduit toutefois pas à un simple bruit et crée une musique nouvelle, c’est-à-dire de l’innovation dans la mesure où elle déclenche une réflexivité organisationnelle. Ce faisant, les hétérarchies parviennent donc à créer, innover et se montrer productives en accueillant plusieurs façons d’évaluer ce qui compte. L’existence de divergences, de rivalités et de registres et de critères d’évaluation doit être encadrée pour être constructive, et les partisans de chaque critère d’évaluation doivent se soumettre à l’exercice de la justification raisonnée et savoir rythmer les moments de réflexion et d’exécutions de tâches, ceci tout en gardant présent à l’esprit que les désaccords ne sont jamais entièrement résolus (Ibid., p. 27).

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNERALE
Section 1. Contexte de la thèse
Section 2. Problématique de la thèse
Section 3. Plan de la thèse et description des chapitres
PARTIE I – POURQUOI LES ENTREPRISES DE L’ESS S’ENGAGENT-ELLES DANS DES PROCESSUS D’EVALUATION DE LEUR VALEUR SOCIALE ?
INTRODUCTION DE LA PARTIE I
CHAPITRE 1 – DISSONANCE INTERNE : LA GESTION D’UN CONFLIT DE VALEURS AU SEIN D’UNE ORGANISATION DE L’ESS
Introduction du Chapitre 1
Section 1. La dissonance de valeurs au sein des organisations
Section 2. Le cas UCPA : du compartimentage à l’hétérarchie ?
Conclusion du Chapitre 1
CHAPITRE 2 – DISSONANCE EXTERNE : LA DEMANDE DE PREUVES D’UN ENGAGEMENT POUR LES VALEURS
Introduction du Chapitre 2
Section 1. Les exigences de légitimité et de preuves dans la relation entre les financeurs solidaires et les entreprises de l’ESS
Section 2. L’analyse de consonance entre l’image que les financeurs perçoivent de l’UCPA et l’image que l’UCPA veut projeter
Conclusion du Chapitre 2
CONCLUSION DE LA PARTIE I
PARTIE II – COMMENT LES ENTREPRISES DE L’ESS S’ENGAGENT-ELLES DANS DES PROCESSUS D’EVALUATION DE LEUR VALEUR SOCIALE ?
INTRODUCTION DE LA PARTIE II
CHAPITRE 3 – LES PARTIS-PRIS DE LA METHODE D’EVALUATION DE L’UTILITE SOCIALE DU GRÉUS
Introduction du Chapitre 3
Section 1. Parti-pris 1 : Une conception pragmatiste de la valeur et de l’évaluation
Section 2. Parti-pris 2 : L’utilité sociale comme convention socio-politique
Section 3. Parti-pris 3 : Une vision non-utilitariste de la valeur sociale des organisations de l’ESS
Conclusion du Chapitre 3
CHAPITRE 4 – L’EXPÉRIMENTATION DE LA MÉTHODE D’ÉVALUATION DE L’UTILITÉ SOCIALE DU GRÉUS À L’UCPA
Introduction du Chapitre 4
Section 1. Étape 1 : lancement de la démarche ou définition d’une situation problématique
Section 2. Étape 2 : Identification initiale ou « dire ce à quoi nous tenons »
Section 3. Étape 3 : Dialogue pluraliste ou épreuve de la publicisation
Section 4. Étape 4 : Identification finale ou Modèle d’utilité sociale vérifié
Section 5. Étape 5 : Mesure des effets ou quantification
Conclusion du Chapitre 4
CONCLUSION DE LA PARTIE II
CONCLUSION GÉNERALE
Section 1. Des questions ayant guidé cette recherche aux réponses apportées
Section 2. Une mise en perspectives du travail mené
ANNEXES
ANNEXE 1. INFORMATION SUR LA JOURNEE D’ECHANGES-DEBATS SUR L’EVALUATION DE L’UTILITE SOCIALE A L’ICP
ANNEXE 2. INFORMATIONS SUR LES REUNIONS DE PREPARATION ET NEGOCIATION DU PROJET DE RECHERCHE-ACTION ET D’ENTRETIENS AUX PRINCIPAUX RESPONSABLES DE L’UCPA
Section 1. Liste de dates et participants aux réunions de préparation et négociation du projet de recherche-action
Section 2. Liste de dates et participants aux entretiens individuelles semi-directives aux principaux responsables de l’UCPA
Section 3. Trame des entretiens individuelles semi-directives aux principaux responsables de l’UCPA
ANNEXE 3. ANALYSE TRANSACTIONNELLE DE LA RELATION ENTRE FINANCEURS SOLIDAIRES ET ENTREPRISES DE L’ESS
Introduction à l’analyse
Section 1. La grille de lecture : approche transactionnelle
Section 2. Quelques définitions préliminaires : la finance solidaire, les financeurs solidaires et les formes d’engagement pour la valeur sociale en finance
Section 3. L’analyse transactionnelle : les dimensions sociales de la relation entre entreprises de l’ESS et les acteurs de la finance solidaire
Synthèse de l’analyse
ANNEXE 4. RAPPORT SUR LE MODÈLE FINAL D’UTILITÉ SOCIALE UCPA
Partie I. « Expériences fondamentales »
Partie II. « Style organisationnel »
Partie III. « Contributions »
Partie IV. Conclusion « Utilité sociale »
ANNEXE 5. RAPPORT SUR LA MESURE DE L’UTILITÉ SOCIALE UCPA
Partie I. « Synthèse (socio-anthropologique) de l’utilité sociale »
Partie II. « Représentations véhiculées en lien avec l’utilité sociale »
Partie III. « Les effets des expériences d’utilité sociale et leur mesure »
Partie IV. Annexes du Rapport sur la mesure de l’utilité sociale UCPA
ANNEXE 6. INFORMATION SUR LE COLLOQUE « INVENTER L’ASSOCIATION DE DEMAIN ET RELEVER LES DEFIS DE LA SOCIETE D’AUJOURD’HUI »
BIBLIOGRAPHIE
LISTE D’ENCADRÉS

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