La vaccination d’hier à aujourd’hui
La variolisation : première mesure d’immunoprophylaxie de l’histoire
Certaines maladies graves ne se contractent pas à deux reprises. Ce précepte est connu depuis l’Antiquité, comme en attestent de nombreux témoignages. Thucydide, un historien athénien, écrit par exemple à propos de l’épidémie de peste qui a ravagé Athènes en 430 avant Jésus Christ: «Ceux qui en avaient réchappé n’avaient plus de craintes personnelles, car on n’était pas atteint une seconde fois de façon qui fut mortelle. Ils s’attachaient même plus ou moins à l’espoir frivole qu’à l’avenir non plus, une autre maladie ne pourrait davantage arriver à les terrasser». Devant la terreur qu’inspiraient les épidémies, des hommes ont tenté d’imiter la nature en provoquant de façon artificielle des formes atténuées de certaines maladies pour se protéger de leur forme mortelle. La première maladie importante traitée selon ce mode de prévention est la variole (Moulin, 1996). Egalement appelée petite vérole, la variole est une maladie infectieuse très contagieuse et épidémique, due à un poxvirus. Son taux de létalité variait de 20% à 60%, et elle touchait particulièrement les enfants, chez lesquels ce taux pouvait dépasser 80% (Riedel, 2005). Elle laissait les survivants grêlés de cicatrices défigurantes, mais protégés lors des épidémies ultérieures. La variole se contractait majoritairement par voie aérienne, mais également après exposition sur une lésion cutanée, un mode de contamination qui donnait lieu à une forme d’infection beaucoup moins sévère (Fenner, 1988). La connaissance de ces propriétés a dû amener les médecins à tenter d’administrer de manière préventive des préparations à base de pustules varioliques pour provoquer une forme atténuée de la maladie, et bénéficier de ses propriétés protectrices vis-àvis de la forme sévère. Ce procédé, appelé variolisation, ou inoculation, constitue la première tentative de prévention des maladies infectieuses grâce à l’immunoprophylaxie (Paul, 2008).
L’origine de cette pratique est incertaine. On trouve les plus anciennes mentions concernant la variolisation dans des documents chinois datant du 17e siècle, mais certains témoignages la font remonter au VIe siècle de notre ère, en Chine, alors que d’autres avancent qu’elle était pratiquée depuis bien plus longtemps en Inde ou dans certaines tribus africaines. Cependant, la variolisation ne s’est diffusée massivement qu’à partir du 17e siècle, au moment ou la variole a connu une exacerbation de sa virulence (Moulin, 1996). La pratique s’est répandue progressivement le long de la route de la soie. Au début du 18e siècle, elle était utilisée dans l’Empire Ottoman, puis elle a gagné l’Europe et le nouveau monde. Il semble qu’une technique de variolisation consistant à mettre en contact des enfants sains avec des malades atteints de « petite vérole de bonne espèce » existait en Europe dans certains milieux populaires, mais beaucoup de références attribuent à Lady Mary Wortley Montagu l’introduction et la promotion de la pratique en grande Bretagne en 1721 (Moulin, 1996). Lady Mary, qui fut elle-même atteinte de la variole, était l’épouse de l’ambassadeur anglais en Turquie. Ayant eu connaissance de la méthode de variolisation utilisée à la cour Ottomane, elle convainquit le médecin de l’ambassade d’inoculer ses propres enfants. Suite à cette initiative, d’autres tentatives de variolisation furent conduites, notamment sur des prisonniers, puis sur des enfants orphelins. S’appuyant sur ces succès et sa position sociale, Lady Mary fit la promotion du procédé, qui s’imposa comme une mode médicale dans les milieux aristocratiques anglais, avant de gagner rapidement et massivement toute l’Europe (Riedel, 2005). La variolisation atteignit le nouveau monde la même année, et fut utilisée lors de l’épidémie de 1721 à Boston (Fenner, 1988).
Malgré les risques qu’elle comportait, la pratique de la variolisation apportait un niveau de protection avéré du point de vue individuel, comme en attestent les travaux du mathématicien Daniel Bernoulli (Bazin, 2008), mais ses effets démographiques sont cependant incertains. En effet, si on enregistre bien, au moment de l’introduction de la variolisation, un déclin sensible de la mortalité due à la variole en Europe, le développement parallèle d’autres mesures sanitaires, telles que l’isolement des malades, ainsi que les variations naturelles de la virulence du virus peuvent également avoir contribué à cette tendance (Moulin, 1996).
Edward Jenner et l’introduction du vaccin antivariolique
Malgré le recours grandissant à la variolisation comme mesure préventive, la variole continuait de faire des ravages en Europe à la fin du XVIIIe siècle (Moulin, 1996). Or, au cours de cette même période, il a été de plus en plus observé en milieu rural que les laitières exposées à la variole des vaches étaient rarement grêlées, et souvent pas ou peu sensibles à la variolisation (Fenner et al., 1988). Plusieurs personnes ont donc testé indépendamment la possibilité de protéger les humains de la variole en leur inoculant la variole des vaches, mais c’est le médecin anglais Edward Jenner (1749-1823) qui démontra pour la première fois son caractère protecteur, et qui, en faisant inlassablement la promotion de cette nouvelle technique, contribua à sa diffusion dans le monde entier (Fenner, 1988). Le 17 mai 1796, E. Jenner administra du fluide provenant des lésions d’une laitière infectée par la variole des vaches à un enfant de 8 ans, James Phipps, avant de l’exposer à la variole humaine, par variolisation. L’expérience confirma le caractère protecteur de la variole des vaches contre la variole humaine, et Jenner communiqua ses résultats en 1798 dans un petit livret intitulé An Inquiry into the Causes and Effects of the Variolae Vaccinae, a disease discovered in some of the western counties of England, particularly Gloucestershire and Known by the Name of Cow Pox (Riedel, 2005; (Moulin, 1996) .
Au cours des trois années suivant sa publication, l’Inquiry fut traduite en cinq langues, et la vaccination Jennérienne se répandit rapidement dans toute l’Europe et en Amérique. Cette nouvelle procédure supplanta très vite la variolisation, car elle présentait une innocuité très supérieure. En effet, alors que le vaccin ne produisait qu’une lésion localisée au site d’inoculation, la variolisation, elle, pouvait entrainer des lésions généralisées qui étaient fatales chez 1 à 2% des sujets immunisés (Figure 2). D’autre part, cette procédure représentait une source de dissémination du virus de la variole, ce qui n’était le cas du vaccin, qui contenait des souches d’Orthopoxvirus différentes du virus de la variole humaine (Fenner, 1988).
A l’origine, les vaccins étaient préparés à partir de lésions de vaches infectées par la vaccine, mais en raison de leur difficulté d’accès, E. Jenner proposa la vaccination de bras à bras (Figure 3). La méthode fut largement adoptée, mais fut ensuite remise en cause, car elle comportait des risque de transmission de la syphilis, et que son efficacité pouvait décliner au cours du temps. Les vaccins furent donc ensuite élaborés à partir de lésions de veaux inoculés, ou de chevaux souffrant d’une maladie également causée par un poxvirus appelée javart (Fenner et al., 1988).
Tandis que la couverture vaccinale s’étendait, la mortalité due à la variole déclinait de façon spectaculaire et durable (Figure 4). Les épidémies étaient moins fréquentes et beaucoup moins sévères qu’au 18e siècle, et les cas recensés étaient presque toujours relatifs à des personnes non vaccinées (Fenner et al., 1988).
Dans ce contexte, les gouvernements de nombreux pays décidèrent que la protection contre la variole n’était pas quelque chose qui pouvait être laissée à l’appréciation de chacun: la variolisation, en tant que source potentielle de variole fut interdite, et la vaccination fut rendue obligatoire. Par la suite, les rappels de vaccination furent introduits, suite à l’apparition chez des adultes vaccinés de cas de symptomatologie toutefois modérée (Fenner et al., 1988). Les campagnes de vaccination se poursuivirent, et grâce à elles, la variole fut éliminée dans de nombreuses régions du monde. Edward Jenner pensait que son vaccin pouvait permettre d’éradiquer la variole, et en absence de réservoir animal du virus, ce scénario était théoriquement possible (Paul, 2008). En 1959, l’OMS lança donc une campagne de vaccination de masse, suivie d’une stratégie de « surveillance et d’endiguement », consistant à isoler les cas et à vacciner les individus aux alentours de foyers d’épidémie, afin d’éliminer la variole des régions où elle était toujours endémique, en particulier en Afrique subsaharienne et dans le sous continent Indien (Paul, 2008). Vingt ans plus tard, le 9 décembre 1979, soit 183 ans après l’expérience d’Edward Jenner, une commission d’experts certifia l’éradication de la variole. Cette terrible maladie devint la première, et jusqu’à ce jour la seule maladie contagieuse éradiquée activement.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 LA VACCINATION D’HIER A AUJOURD’HUI
1. La variolisation : première mesure d’immunoprophylaxie de l’histoire
2. Edward Jenner et l’introduction du vaccin antivariolique
3. Louis Pasteur et le principe de l’atténuation de la virulence
4. Les vaccins inactivés
5. La culture cellulaire ouvre le champ de la vaccinologie aux virus
6. Les vaccins sous-unitaires
7. Le panel de vaccins disponibles
CHAPITRE 2 LES MECANISMES DE LA PROTECTION VACCINALE
1. Les effecteurs de la réponse vaccinale
1.1. Les lymphocytes T CD4+
1.2. Les anticorps
1.3. Les lymphocytes T CD8+ cytotoxiques (CTL)
2. Les vaccins et leurs effecteurs
3. Les cellules mémoire
3.1. Caractéristiques des cellules mémoire
3.2. Mémoire B et protection vaccinale
CHAPITRE 3 SUCCES, LIMITES ET PERSPECTIVES DES VACCINS
1. Les vaccins ont contribué de façon remarquable à l’amélioration de la qualité de vie
2. …mais ils présentent des limites
3. …et de nouvelles approches sont nécessaires pour étendre leur champ d’action et améliorer leurs performances
CHAPITRE 4 SECURITE VERSUS IMMUNOGENICITE : LE « DILEMME VACCINAL »
CHAPITRE 5 L’INDUCTION DES REPONSES VACCINALES
1. Les réponses cellulaires T
1.1. Les voies de présentation de l’Ag
1.1.1. La présentation de l’Ag par les molécules CMH II
a) Capture des Ag
b) Génération des peptides antigéniques
c) Assemblage des complexes CMH II-peptide
d) Régulation de la capture, de l’apprêtement et de la présentation de l’Ag dans les DC
1.1.2. La présentation de l’Ag par les molécules CMH I
a) La présentation CMH I classique
(1) Génération des peptides antigéniques
(2) Transport des peptides et assemblage des complexes CMH I/ peptide dans le réticulum endoplasmique
b) La présentation croisée
1.2. Les mécanismes d’activation des cellules T
1.2.1. Le dialogue T-DC
1.2.2. Les étapes moléculaires de l’activation des cellules T
1.2.3. Après activation des cellules T : instruction et orientation
a) L’acquisition des marqueurs d’adressage vers les tissus cible
b) Les mécanismes de polarisation des cellules T
1.2.4. Les cellules mémoire
2. Les réponses anticorps
2.1. Cinétique de la réponse anticorps vaccinale
2.1.1. La réponse anticorps primaire
a) Les réponses T dépendantes contre les Ag protéiques
(1) La réaction extra-folliculaire
(2) La réaction du centre germinatif (CG)
(3) Devenir des plasmocytes et des lymphocytes B mémoire
b) Les réponses T indépendantes contre les polysaccharides
2.1.2. La réponse anticorps secondaire
CHAPITRE 6 LES STRATEGIES POUR AMELIORER L’IMMUNOGENICITE DES VACCINS SOUSUNITAIRES
1. L’administration des Ag grâce à des micro-organismes vivants hétérologues : la vectorisation des Ag
2. La production de protéines recombinantes aussi immunogènes que des agents pathogènes vivants
2.1. Prolonger la persistance de l’Ag
2.2. Conférer à l’Ag une nature particulaire, et/ou des structures répétitives
2.3. Délivrer l’Ag dans un contexte inflammatoire
2.4. Cibler l’Ag à la surface des CPA
CONCLUSION