Les critères de distinction des deux catégories d’EP
Il existe deux cas : soit le texte constitutif prévoit la qualification de l’EP, soit il ne le prévoit pas. Il y a même des cas où les textes ne qualifient pas à juste raison les EP qu’ils créent. En tout cas, il appartient toujours au juge d’effectuer, dans la mesure où le texte constitutif est de nature réglementaire, un examen in concreto sur la nature réelle de l’activité de l’établissement public pour en déduire son caractère. C’est précisément dans ce cadre que le juge administratif a pu relever qu’il peut exister des EP « à double visage »4. En outre, il est utile de préciser que dans le cas où les statuts de l’EP sont de nature règlementaire – et c’est toujours le cas dans le droit malagasy –, le juge a le pouvoir d’ « inverser » la qualification de celle prévue par les dispositions règlementaires5. La distinction des deux catégories a évolué depuis l’arrêt de 1921. Désormais, elle est fondée sur l’analyse de trois critères cumulatifs dégagés par la jurisprudence6 , à savoir l’objet du service, l’origine du financement et les modalités de fonctionnement. L’objet du service correspond à l’activité effectivement réalisée par l’EP, il s’agit soit d’ opérations qui se rapprochent sensiblement de celles des entreprises privées, en l’occurrence la production, la vente et l’échange des biens et de prestations, soit de services qui sont notamment du domaine d’intervention traditionnel des collectivités publiques, comme le maintien de l’ordre public, le recouvrement des impôts, l’enseignement… En décidant de classer l’objet du service dans le premier cas, le juge le qualifie d’EPIC, et dans le second cas, d’EPA. Quant à l’origine des ressources, lorsque l’EP fonctionne essentiellement au moyen de subventions du budget de l’Etat et donc gratuitement, le service public en question est administratif. Les EPIC, pour leur part, ont des ressources variées telles que les droits et les redevances perçus sur les usagers en contrepartie des prestations fournies, le prix et la valeur réelle du bien ou de la prestation coïncident. Enfin, le fonctionnement des EPIC, en principe, est similaire à celui entreprises du secteur privé. Dans cette optique, il va de soi que leur personnel est soumis aux règles du Code du travail7, sauf en ce qui concerne le Directeur8 et l’agent comptable9 détaché auprès de l’EP en question. D’ailleurs, la plupart des statuts des EPIC prévoient expressément que le statut de leur personnel est de droit privé. Les EPA usent essentiellement des prérogatives exorbitantes du droit commun et sont soumis à des sujétions également exorbitantes du droit commun10. Sur la base de ces critères, le juge décide de soumettre les actes et la mise en jeu de la responsabilité de l’EP soit au régime de droit privé pour un SPIC, soit au régime de droit public pour un SPA. Les deux formes de service public peuvent toutefois être retrouvées au niveau d’un même EP, dans ce cas, le fond c’est-à-dire le caractère du service dont il s’agit détermine le régime juridique applicable et la compétence du juge. Dans le droit malagasy, ces critères ont été repris par les textes qui régissent les EP, notamment la loi n° 98-031 du 20 janvier 1999 portant définition des établissements publics et des règles concernant la création de catégories d’établissements publics11. Par ailleurs, à l’occasion de l’auto-évaluation (répétée) de la gestion des finances publiques de Madagascar en 2014, 57 EPA et 47 EPIC ont été recensés.
L’action de l’Etat à travers les services publics
L’essence même de l’Etat réside dans la satisfaction de besoins collectifs ressentis et exprimés par l’ensemble de collectivité. Afin, d’aboutir à cette tâche, l’Etat recourt à différents moyens dont le service public. Selon l’Ecole de Bordeaux, le service public s’entend de « toute activité dont l’accomplissement doit être assuré, réglé et contrôlé par les gouvernants, parce que l’accomplissement de cette activité est indispensable à la réalisation et au développement de l’interdépendance sociale ». Les services publics recouvrent des réalités diverses telles que sociales, politiques et juridiques. Ils répondent à des exigences tout d’abord social en ce que le bien-être de la collectivité passe avant tout par la prise en main par l’Etat et l’administration de la satisfaction des besoins d’intérêt général de ladite collectivité. En effet, il s’agit d’un « vecteur de cohésion sociale et économique ». Il appartient dès lors aux pouvoirs publics – qui disposent d’un choix discrétionnaire – au plus haut niveau d’adopter des politiques qui donnent priorité à la réalisation de certaines activités tendant à cet objectif. Et enfin, ces politiques sont mises en œuvre à travers les pouvoirs normatifs de l’Etat. Il faut ainsi relever que la volonté d’ériger une activité en un service public relève de la seule décision de l’Etat, par conséquent, cette activité est soumise à un régime exorbitant du droit public. D’ailleurs, il est tout à fait remarquable que la notion de « service public » a des incidences significatives dans l’ensemble des matières qui dérogent au droit privé.
L’administration
L’EPIC est administré par un organe collégial appelé « Conseil d’administration ». Il lui appartient de « voter le budget (de l’EPIC), de gérer (son) patrimoine et de définir l’action générale de l’EPIC sous réserve des compétences de l’autorité de tutelle » 17. En outre, il est compétent pour décider des orientations générales des activités de l’EPIC, de son organisation et de son fonctionnement. Et ses délibérations sont transmises aux autorités de tutelle pour approbation afin d’être exécutoires. Le choix du mode de désignation de ses membres est prévu par les statuts. Le pouvoir de tutelle dispose souvent d’un large pouvoir d’appréciation, en nommant luimême son représentant qui siègera en conséquence au sein de l’organe délibérant. Parfois, les textes constitutifs peuvent prévoir une fonction, et c’est la personne qui occupera le poste qui sera membre. La démarche qui assure égalementune indépendance face aux autorités de tutelle est le recours à la représentation des intérêts en cause à travers l’élection d’un représentant par les acteurs concernés, il en est ainsi des socioprofessionnels ou de leur groupement qui exercent des activités dans le secteur. De cette manière, la composition du Conseil d’administration procède d’un souci de participation effective des différents acteurs du secteur concerné à la gestion de la structure : il s’agit notamment de l’Etat, du personnel et des usagers. De la variation du nombre de sièges détenus par les représentants de chaque catégorie dépend l’influence pesante ou non de la catégorie sur les décisions éventuellement adoptées. C’est dans ce sens que pour la plupart des EPIC, le nombre élevé des représentants de l’Etat – dont les autorités de tutelle – garantit le système de la tutelle et soustrait ces entités de toute forme d’indépendance. A partir du moment où les statuts de l’EPIC prévoient ce mécanisme, l’idée d’autonomie est remise en cause. En effet, lorsque l’ordre du jour est connu à l’avance, l’autorité de tutelle aura déjà son mot à dire sur les projets de décision à adopter lors des assemblées et la transmission des décisions adoptées ne sera qu’une simple formalité. Ainsi, afin de garantir l’autonomie textuelle aux EPIC, le principe représentatif et le pluralisme doivent être mis en exergue à travers leurs textes constitutifs. Dans la pratique, jusqu’à maintenant, les crises de certains EPIC s’expliquent par la composition majoritaire de leur Conseil d’administration par des représentants de l’Etat qui suivent la position adoptée par les autorités qui les ont désignés. L’auteur Jacques Chevallier parle de « monolithisme des conseils »18. il en ressort que l’influence politique peut également jouer dans d’autre sphère telle que le secteur économique, la représentation de l’intérêt économique peut dès lors être faussée. Une remarque doit être faite sur la participation des parlementaires au Conseil d’administration des EPIC. Le rapport du Conseil d’Etat sur les établissements publics en 2009 énonce que « si la participation de parlementaires est estimée nécessaire, ce qui doit rester un cas exceptionnel dans un organisme placé sous la tutelle du pouvoir exécutif » 19. Le Conseil d’Etat va même jusqu’à expliquer leur mode de désignation. Alors que selon le concept pur et dur du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs, cette situation ne saurait être admise. En effet, l’EPIC – étant une personne morale de droit public créée pour gérer un service public – constitue un relais du pouvoir exécutif auquel est rattachée l’administration dont l’un des moyens d’action est le service public. Par ailleurs, les incompatibilités auxquelles les personnes investies d’un mandat électif sont soumises interdisent l’exercice d’une telle fonction sauf éventuellement si le statut de l’EPIC en question est prévu par une loi, mais tant qu’il s’agit d’un décret, la situation de conflits d’intérêt peut naître en raison du lien de rattachement qui lie l’EPIC avec les autorités de l’exécutif.
La prépondérance de la tutelle financière dans la gestion des EPIC
Le pouvoir de tutelle financière quant à elle est exercé par le ministère en charge des Finances et du Budget. C’est la tutelle financière qui est la plus poussée dans la pratique puisqu’elle procède d’un souci de préservation des deniers publics dans la mesure où les EPIC peuvent se voir allouer des subventions du budget général de l’Etat. Au titre du pouvoir de tutelle financière, les statuts des EPIC peuvent prévoir l’obligation de ceux-ci de soumettre les actes budgétaires importants à l’accord préalable de l’autorité chargée de la tutelle financière, notamment le budget, les emprunts, les acquisitions d’intérêts, les décisions concernant la rémunération des dirigeants et du personnel. L’accord préalable concernant l’acte budgétaire est intéressant dans la mesure où celui-ci ne devient exécutoire qu’après avoir obtenu l’approbation des autorités de tutelle. En principe, il s’agit d’une supervision de la part de l’autorité de tutelle. La procédure est la suivante : le Directeur élabore le projet de budget, il le soumet au Conseil d’administration pour adoption. Le budget adopté est transmis à l’autorité chargée de la tutelle technique qui appose son visa. Et enfin, il est transmis à l’autorité chargée de la tutelle financière pour obtenir un « quitus ». A l’autre extrémité, il y a la substitution, la forme la plus extrême de toute tutelle. Dans des circonstances exceptionnelles telles que le retard de l’adoption du budget, le déficit excessif, l’omission de l’inscription des dépenses obligatoires, l’autorité tutélaire peut décider suivant une procédure strictement encadrée par la loi l’adoption du budget ou l’inscription et l’ordonnancement d’office des dépenses obligatoires. Du point de vue organisationnel, la tutelle financière est également mise en œuvre à travers le placement de deux agents différents au niveau des EPIC, le contrôleur financier et l’agent comptable. Le contrôleur financier placé sous la tutelle technique du Ministère chargé des finances36 est un agent qui est placé par ce dernier au niveau des institutions – dont les EPIC –. Dans la procédure d’engagement, l’ordonnateur de l’EPIC soumet la demande d’engagement financier (DEF) au Contrôleur financier qui donne à son tour son visa sur le titre d’engagement financier (TEF). Il assure le contrôle a priori des engagements de dépenses. Et d’une manière générale, il effectue un contrôle a priori sur toutes décisions qui ont un impact budgétaire. Le comptable public quant à lui relève de la Direction de la Comptabilité Publique auprès de la Direction Générale du Trésor. Après avoir reçu le visa du contrôleur financier, les engagements de dépense sont transmis à l’agent comptable placé au niveau des EPIC pour procéder à certains contrôles37 avant le décaissement. Ainsi, c’est lui qui assure la tutelle comptable de l’EPIC. La tutelle comptable peut être traitée dans cette partie, puisqu’il s’agit d’une composante de la tutelle financière. L’exécution budgétaire, comme il a été présenté plus haut, fait intervenir trois autorités distinctes à savoir l’ordonnateur, le contrôleur financier et le comptable public. Cette distinction découle d’un principe essentiel des finances publiques, le principe de la séparation de l’ordonnateur et du comptable public. Il s’agit d’une part d’une séparation organique, et d’autre part, d’une séparation fonctionnelle. Dans les EPIC étudiés, l’intervention de l’agent comptable pose problème en raison de la rigidité de la procédure et les exigences strictes posées par les règles de la comptabilité publique.
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Table des matières
LISTE DES ABREVIATIONS
INTRODUCTION
Premiere partie : L’ENVIRONNEMENT JURIDIQUE DES EPIC
Section première : Les EPIC dans l’organisation administrative
Paragraphe premier : La distinction fondamentale entre le SPA et le SPIC ou le summa divisio
1 – Les critères de distinction des deux catégories d’EP
2 – Les lois du service public
Paragraphe 2 : L’EPIC et la mission d’intérêt général
1 – L’action de l’Etat à travers les services publics
2 – Le choix des structures responsables de la gestion des services publics
Section 2 : La spécificité des EPIC
Paragraphe 1 : L’organisation administrative des EPIC
1 – L’administration
2 – La direction
Paragraphe 2 – L’organisation financière des EPIC
1 – L’autonomie financière
2 – La soumission des EPIC au droit fiscal
Section 3 : Les principes qui gouvernent les EPIC
Paragraphe premier – L’autonomie
Paragraphe 2 – Le principe de spécialité
Section 3 – La soumission partielle des EPIC à un régime dérogatoire du droit commun
Paragraphe premier – La reconnaissance de certaines prérogatives de puissance publique
Paragraphe 2 – Les sujétions exorbitantes du droit commun : la tutelle
Section 4 – Les diverses formes de tutelle s’exerçant sur les EPIC
Paragraphe 1 – Le pouvoir de tutelle technique
Paragraphe 2 – La prépondérance de la tutelle financière dans la gestion des EPIC
Paragraphe 3 – La portée du pouvoir de contrôle des autorités de tutelle
Deuxième partie – LA COHABITATION DIFFICILE ENTRE LES AUTORITES DE TUTELLE ET L’EPIC ET LES IMPACTS SUR LE SERVICE PUBLIC
Section première : Le statut d’EPIC et les nouvelles contraintes
Paragraphe premier – Les contraintes liées à la spécialisation des EPIC
Paragraphe 2 – Les EPIC et les contraintes financières
Section 2 : Les différents aspects des difficultés relationnelles entre les autorités de tutelle et les EPIC sous tutelle
Paragraphe premier – L’exercice excessif de la tutelle
1 – Le désir des autorités de tutelle d’accroître leur pouvoir
2 – La place de la tutelle dans la distribution du pouvoir au sein du Conseil d’administration
3 – L’existence d’une hiérarchie entre les formes de tutelle s’exerçant sur un EPIC
Paragraphe 2 – L’exercice insuffisant du pouvoir de tutelle
1 – La fixation de missions importantes sans mettre à disposition des EPIC les moyens adéquats
2 – Une carence relative aux orientations claires et précises de la part des tutelles
3 – Le principe de la concertation ignoré par les autorités compétentes
Paragraphe 3 – Les trafics d’influences dans le fonctionnement des EPIC
TROISIEME PARTIE : LA NECESSITE DE REFORMES PROFONDES
1 – Revaloriser les principes du SP
2 – Les aménagements du cadre juridique des EP en général
3 – La recherche de l’équilibre entre l’autonomie et le pouvoir de tutelle
4 – L’amélioration des missions de conception, de contrôle et d’évaluation
5 – L’amélioration du mode de financement
6 – L’intégration de la composante managériale
7 – L’adoption des orientations stratégiques au niveau national
8 – « La tutelle des tutelles »
9 – Le recours à la privatisation
10 – L’institutionnalisation de la pratique de la concertation
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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