LA TRITURATION DE LA VÉGÉTATION ÉPIGÉE DES JACHÈRES
Distribution du mercure en surface
Les teneurs de Hgtot exprimées en fonction du poids de sol et mesurées en surface sont faibles dans tous les usages. Elles varient de 24,83 ± 13,90 (parcelle PB) à 49,98 ± 30,05 ng.gol Uachère de 40 ans). Bien que les ooncentrations exprimées en ng.gol observées en surface dans la jachère forestière de 40 ans soient les plus élevées, d’après les tests de Wilcoxon et de Tlikey elles ne sont statiquement supérieures que par rapport aux pâturages et similaires aux concentrations mesurées dans les cultures (37,03 à 41,39 ng.g· I). Toutefois, lorsque ces concentrations sont normalisées par rapport à la matière organique, la teneur en mercure de la jachère est significativement plus élevée que dans tous les autres usages. Les teneurs rencontrées dans les cultures et les pâturages se distinguent difficilement les unes des autres: d’un côté CT, CB et PT sont similaires, de l’autre CB, PT et PB le sont aussi. Lorsque les concentrations sont normalisées par rapport aux teneurs en argile et en matière organique, Les facteurs d’enrichissement ont été déterminés en calculant Je rapport entre la concentration en mercure des horizons inférieurs sur celle de l’horizon de surface.elles ne sont plus statiquement différentes entre ces quatre usages (CT, CB, PT et PB). Les 3 tests de Tukey effectuées sur les valeurs de Hg exprimées en ng.cm· , même normalisées par rapport aux teneurs en argile et en matière organique, aboutissent à des résultats similaires tableau 2).
Distribution du mercure dans les horizons profonds
Les concentrations de Hg (exprimées en ng.g ») augmentent dans les horizons inférieurs dans toutes les parcelles. Elles varient entre 60 ± 28 (jachère foestière de 40 ans) et 111 ± 47 ng.g’ , (parcelle PT) à l’horizon 20-25 cm. A 50-55 cm, elles atteignent 82 ± 40 (jachère de 40 ans) à 160 ± 50 ng.g » (PT). Quant aux différences de concentrations de Hg entre les usages elles s’amenuisent avec la profondeur. À 50-55 cm, PT présente une concentration de Hg significativement plus élevée que celle des autres usages, tandis que CT, CB, PB et J ne présentent pas de concentrations statistiquement différentes (82 à 90 ng.g’l), et ce également sur les valeurs normalisées. Sur les valeurs exprimées en ng.cm’3, les tendances sont très similaires. Cette augmentation des concentrations de Hg dans les horizons inférieurs se traduit par des facteurs d’enrichissement relativement élevés (tableau 3). Ces facteurs varient de 1,39 ± 0,75 (J) à 5,67 ± 6,44 (PT) entre les horizons 0-5 et 20-25 cm bien qu’ils ne soient pas statistiquement différents. Les différences sont plus marquées entre les horizons 0-5 et 50-55 cm : les pâturages présentent les plus forts taux d’enrichissement (4,08 ± 1,34 et 4,90 ± 1,40 pour PB et PT respectivement), suivis par les cultures (2,27 ± 0,31 et 2,45 ± 0,84 pour ‘CT et CB respectivement). Le plus faible facteur d’enrichissement apparaît dans la forêt secondaire: 1,90 ± 1,08. Les facteurs d’enrichissement sont plus élevés entre les horizons 0-5 et 20-25 cm qu’entre les horizons 20-25 et 50-55 cm, pour tous les usages.
Comportement du mercure le long des profils de sol
Les tests de corrélation de Spearman (tableau 4) montrent que dans les usages CT, CB et PT, le Hg apparaît positivement corrélé à la matière organique (r compris entre 0,37 et 0,47; p < 0.001 pour Clot et N lol ) dans l’horizon de surface. Dans PB par contre, les teneurs en matière organique ne sont pas corrélées aux teneurs en Hg (1′ = 0,03 et 0,19 pour ClOt et Ntol respectivement). Celles-ci semblent au contraire fortement corrélées aux teneurs en argile (1′ = 0,50). Quant à la forêt secondaire, ses teneurs de Hg ne présentent pas de corrélations significatives ni avec la matière organique, ni avec les teneurs en argile. À l’horizon 20-25 cm8, les teneurs en Hg exprimées en ng.goi des parcelles CB et PT ne sont plus positivement corrélées aux teneurs en matière organique. Dans le cas de PB, les corrélations avec la matière organ ique sont même fortement négatives (rClO’ = -0,81 et rNIOI = -0,87). En revanche une forte corrélation avec Ca y est observée (l’Ca = 0,78). Quant à la forêt secondaire, ses teneurs en Hg sont fortement négativement corrélées à la fois à la matière organique (root = 0,78; rNlot = -0,76; rArg = – 0,73) et à l’argile, mais positivement corrélées au K+ et au Fe3+(rK = 0,75; l’Fe = 0,71). Dans l’horizon 50-55 cm, le mercure n’est plus positivement corrélé à la matière organique dans aucun des usages. D’autre part, seuls la jachère forestière et PB présentent des corrélations significativement positives entre le Hg et les teneurs en argile. En revanche, on observe des corrélations positives du Hg avec Mg et Ca. Ces corrélations sont très fortes dans la jachère (l’Mg = 0,90 et l’Ca = 0,91 respectivement), moins fortes dans les autres usages (l’Mg compris entre 0,18 et 0,34; et l’Ca compris entre 0,39 et 0,58).
Discussion
Très faibles teneurs de Hg dans les sols de colonisation ancienne
Les teneurs de Hg mesurées dans les sols étudiés s’avèrent particulièrement faibles, de 24,83 ± 13,90 à 49,48 ± 30,05 ng.g O dans l’horizon 0-5 cm, et restent en deçà des valeurs ‘ généralement rapportées dans la littérature. Par exemple, des études menées dans la région du Tapaj6s en Amazonie centrale, également sur des Ultisols argilo-sablonneux mais sous forêt primaire, rapportent des teneurs plus élevées: 87 ± 43 ng.g O en surface (Patry, 2008), 61 ± 25 ‘ ng.g O (Béliveau, 2007) et de 55 à 70 ng.gol (Farella et al., 2007). Dans le bassin du Rio ‘ 8 Suite à un problème technique, nous n’avons malheureusement pas pu obtenir les données permettant le calcul des coefficients de corrélation de 1’horizon 20-25 cm de la parcelle CT. Negro, Fadini et Jardim (2001) ont mesuré de fortes teneurs de Hg (164 ng.g ol en moyenne). Selon Grigal (2003), la teneur de base en Hg dans les sols amazoniens serait de 140 ng.g o ).
De nombreuses études ont mis en évidence l’impoltance du rôle joué par la matière organique et l’argile dans la distribution du mercure dans les sols (Schuster, 1991; Wasserman et al., 2003). Les sols de la région Bragantina, caractérisés par de faibles teneurs en argile et en matière organique, compteraient parmi les plus pauvres d’Amazonie brésilienne (Smith et al., 1995), ce qui serait associé à une faible capacité d’adsorption du Hg.
Toutefois, le long historique d’utilisation des terres dans cette région, colonisée depuis le 1geme siècle, contribuerait fOltement à ces faibles teneurs. D’une part, les concentrations de Hg mesurées en surface, tant absolues que normalisées par rappOlt aux teneurs en argile et en matière organique, sont faibles par rappolt à celles enregistrées sur les mêmes types de sols dans des régions plus récemment colonisées (Brabo et al., 2003; de Oliveira et al., 2007). Brabo et al. (2003) ont ainsi mesuré une teneur moyenne de 77 ± 26 ng.g »1 dans l’horizon 010 cm d’un sol sablo-argileux extrêmement en pauvre matière organique, dans l’Acre.
D’autre part, les facteurs d’enrichissement calculés dans cette étude sont particulièrement élevés: de 1,39 à 5,67 entre les horizons 0-5 et 20-25 cm, et de 1,90 à 4,90 entre les horizons 0-5 cm et 50-55 cm. D’après les données de de Oliveira et al. (2007), le facteur d’enrichissement calculé entre les horizons 0-10 cm et 20-40 cm dans les terres fermes du bassin du Rio Negro varient entre 0,97 et 1,21. Dans la région du Tapaj6s, les facteurs d’enrichissement de Hg calculés sous forêt primaire entre les horizons 0-5 cm et 20-25 cm varient de 1,44 (Mémoire de maîtrise de Patry, 2008) à 1,72 (Mémoire de maîtrise de Béliveau, 2007). Bien que des facteurs d’enrichissement élevés puissent également souligner une percolation impoltante du Hg vers les horizons inférieurs, ni la topographie ni la structure du sol du site étudié ne justifient une percolation du mercure si élevée par rappolt aux autres sols amazoniens de même type. En revanche les facteurs d’enrichissement significativement plus élevés dans les pâturages entre les horizons 0-5 et 50-55 cm (4,08 ± 1,34 et 4,90 ± 1,40 pour PB et PT respectivement) que dans les cultures (2,27 ± 0,31 pour CT et 2,45 ± 0,84 pour CB) peuvent s’expliquer par leur texture légèrement plus sablonneuse. Les facteurs d’enrichissement élevés enregistrés dans cette étude traduiraient donc davantage de fortes pertes de Hg en surface, dues à l’utilisation ancienne des sols. En effet, une colonisation ancienne des terres en Amazonie brésilienne s’accompagne de nombreux épisodes de brûlis. Or Farella et al. (2006) ont souligné le rôle prépondérant du feu sur la perte de Hg par le système. Les sols amazoniens, caractérisés par la perte de bases Na, Ca, Mg, K (Jordan, 1984) et par uneabondance de A1 3 + et W qui occupent la majorité des sites cationiques (Vitousek et Sanford, 1986), possèdent une faible capacité d’adsorption (Jordan, 1985). Lors de la combustion de la biomasse forestière, l’apport soudain d’une grande quantité de cations dans le sol déstabilise le précédent équilibre cationique. Les nouveaux cations entrent en compétition avec les atomes de mercure déjà présents dans le sol pour l’occupation des sites cationiques. Ceux-ci, remobilisés, sont alors susceptibles d’être lessivés hors du système (Farella et al., 2006). Par ailleurs, ces sols ont subi de multiples épisodes de défrichement, favorisant l’érosion en particulier de la matière organique et de la fraction fine de la surface du sol (Roulet et Grimaldi, 2001), tel que le soulignent les données reliées à la matière organique et aux argiles quand on compare l’horizon de surface à ceux des profondeurs. Or c’est dans la fraction fine du sol que se retrouvent les oxyhydroxydes de fer, qui jouent un rôle particulièrement important dans l’adsorption du mercure par les sols amazoniens (Roulet et al., 1998a; Roulet et al., 1999).
Meilleure rétention du Hg dans la forêt secondaire
Bien que tous les usages étudiés présentent de faibles teneurs en Hg, les valeurs rencontrées dans la forêt secondaire de 40 ans tendent à être plus élevées que celles mesurées dans les autres usages récemment perturbés et le facteur d’enrichissement de cette forêt est aussi significativement plus faible entre les horizons 0-5 et 50-55 cm. Farella et al. (2007) et Fostier et al.(2000) ont également enregistré une meilleure rétention du Hg dans les sols sous couvert forestier, phénomène qui pourrait s’expliquer, selon eux, par une immobilisation importante des cations basiques dans la biomasse végétale. Ces auteurs ont observé qu’à partir de 15 ans, la mise en jachère permettait un retour des concentrations en cations basiques aux valeurs initiales d’une forêt non perturbée. Les jachères ou forêts secondaires immobilisent en effet les cations remobilisés par le brûlis associé aux précédents usages du sol, les recyclant d’une façon efficace, similaire à celle des forêts primaires. L’immobilisation de ces cations permettrait alors la libération des sites d’adsorption sur le complexe d’échanges, et par conséquent une meilleure rétention des atomes de mercure dans le sol (Farelia et al., 2007; Patry, 2008). Dans notre étude, la forêt secondaire présente simultanément une rétention significativement supérieure du Hg et des concentrations significativement plus faibles de cations basiques par rapport aux parcelles récemment défrichées, fait qui viendrait confirmer l’hypothèse de Farella et al. (2007). Par ailleurs, la diminution du ruissellement grâce au couvert forestier et l’abaissement de la nappe phréatique sous une forêt peut également limiter les pertes de mercure par le système. En effet, la présence d’arbres entraîne une évapotranspiration plus impoliante et limite la recharge de la nappe phréatique (Crosbie et al., 2007). Les cultures et les pâturages, qui ont des besoins en eau plus faibles, permettent généralement une recharge plus importante des réserves en eau du sol, et conduisent à une remontée de la nappe phréatique, favorisant du même coup les pertes de cations par lessivage (Scanlon et al., 2004; Zimmermann et al., 2006). En outre, la chute de la litière, dans la jachère forestière, qui augmente le stock de matière organique du sol pourrait aussi contribuer à une meilleure rétention du mercure dans le sol (Schuster, 1991).
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Table des matières
AVANT-PROPOS
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
RÉSUMÉ GÉNÉRAL DU MÉMOIRE
INTRODUCTION GÉNÉRALE
1. L’AMAZONŒCOLONISÉE
2. L’ AGRlCULTURE FAMILIALE EN AMAZONŒ
3. LA CULTURE SUR BRÛLIS
3.1 Impacts de la culture sur brûlis
3.2. Rôle de la culture sur brûlis dans la contamination au mercure
4. LES ALTERNATIVES À LA CULTURE SUR BRÛLIS
5. LA TRITURATION DE LA VÉGÉTATION ÉPIGÉE DES JACHÈRES
6. ApPROCHE ET MÉTHODES DE L’ÉTUDE
6.1. Un projet en collaboration avec EMBRAPA
6.2. La région bragantine, amazonie orientale
6.3. Hypothèses et objectifs de recherche Il
6.4. Méthodes de collecte et d’analyses des échantillons
RÉFÉRENCES
CHAPITRE 1: Propriétés physico-chimiques du sol sous différents usages en Amazonie
brésilienne: étude comparée du brûlis et de la trituration des jachères
RÉSUMÉ
1. INTRODUCTION
2. MATÉRlELETMÉTHODES
2.1 Caractérisation de la zone d’étude
2.2 Caractérisation des usages du so1.
2.3 Méthode d’échantillonnage
2.4 Analyses de laboratoire
2.5 Analyses statistiques
3. RÉSULTATS
3.1 Propriétés physiques
3.2 Matière organique
3.3 pH, cations échangeables et phosphore
4. DISCUSSION
4.1. Propriétés physiques
4.2. Matière organique
4.3. Cations échangeables
4.4. Phosphore
5. CONCLUSION
RÉFÉRENCES
CHAPITRE II: Impacts des usages sur les teneurs en mercure de aols amazoniens cie
colonisation ancienne
RÉSUMÉ
I-INTRO’DUCTI0N
2- MA TÉRIEL ET MÉTHODES
3-RÉsULTATS
3.1. Distribution du mercure en surface
3.2. Distribution du mercure dans les horizons profonds
3.3. Distribution du mercure le long des profils de sol
4- DISCUSSION
4.1. Très faibles teneurs de Hg dans les sols de colonisation ancienne
4.2. Meilleure rétention du Hg dans la forêt secondaire
4.3. Pertes de mercure dans les cultures et les pâturages
4.4. Comportement du mercure le long des profi Is de sol
5- CONCLUSION
RÉFÉRENCES
CONCLUSION GÉNÉRALE
1. SYNTHÈSE DES RÉSULTATS DE L’ÉTUDE
2. LIMITES DE L’ÉTUDE ET OUVERTURE À DE FUTURES RECHERCHES
3. PERSPECTIVES
3.1 Le potentiel écologique de la trituration des jachères
3.2. La viabilité socio-économique cie la trituration des jachères
RÉFÉRENCES
APPENDICE A: VARIABILITÉ ENTRE LES ÉCHANTILLONS
APPENDICE B : RÉSULTATS DES TESTS DE WILCOXON ET TUKEY….
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