Propositions relatives ร des expรฉrimentations et recherches didactiques
Sous le prisme de la transposition didactique, les propositions des didacticiens apparaissent comme une impulsion donnรฉe pour faire entrer un objet dโenseignement dans les prรฉconisations des programmes. Grรขce ร de nombreuses expรฉrimentations, ils justifient lโintรฉgration de la calculatrice au regard de sa complรฉmentaritรฉ avec lโenseignement existant.
Plusieurs rรฉflexions et expรฉrimentations viennent expliciter diverses utilisations pertinentes de la calculatrice ร lโรฉcole รฉlรฉmentaire. Ces expรฉrimentations sont publiรฉes sur des revues destinรฉes aux enseignants : Mathecole, et Grand N notamment.
Dรจs 1978, un article de Mathecole est consacrรฉ ร la calculatrice dans lโenseignement primaire (Hutin, 1978). Raymond Hutin y rapporte son compte rendu suite ร un forum dont le thรจme principal รฉtait ยซ la calculatrice de poche dans lโenseignement des mathรฉmatiques et s on influence sur les plans dโรฉtude de la scol aritรฉ obligatoire ยป. Les didacticiens et enseignants suisses sโinterrogent sur la portรฉe de lโintรฉgration dโun nouvel artefact ร lโรฉcole. Raymond Hutin relate deux faits fondant ces interrogations : premiรจrement les รฉlรจves peuvent disposer de calculatrice chez eux, pour faire leurs devoirs notamment, et lโรฉcole ne peut lโignorer ; en second lieu, la sociรฉtรฉ change avec ce nouveau moyen de calcul et il serait intรฉressant de former les travailleurs de demain ร lโutiliser avec pertinence. Au-delร de ces considรฉrations, Hutin expose lโutilitรฉ de la calculatrice pour les apprentissages. Tout dโabord, elle peut รฉtendre les connaissances mathรฉmatiques : elle permet dโagir sur des nombres plus grands et donc d e dรฉpasser les expรฉrimentations matรฉrielles rรฉalisables par les รฉlรจves. En second lieu, elle est source dโengagement: chacun peut ยซ accรฉder ร la joie de la dรฉcouverte personnelle ยป (Hutin, 1978) car celle-ci ne dรฉpend plus uniquement des compรฉtences en calcul. Dรจs les annรฉes 80โ, les didacticiens semblent plaider pour une utilisation de la calculatrice , mais quelle serait lโintรฉgration de cet artefact en classe ?
Malgrรฉ une intรฉgration reconnue et lรฉgitimรฉe par tous les didacticiens รฉcrivant sur le sujet, le statut de la calculatrice reste interrogรฉ.
Auxiliaire de calcul ou outil pรฉdagogique ?
Dans un article de Grand N (1992-1993), รric Bruillard se prononce sur le statut que devrait avoir la calculatrice et dรฉfend celui dโauxiliaire de rรฉsolution. Pour que lโintรฉgration de la calculatrice soit lรฉgitime et pรฉrenne, il faut quโelle reste un outil qui ยซ prolonge les possibilitรฉs ยป de lโutilisateur. Bruillard signale ร ce sujet que la calculatrice ne peut accompagner la pratique dโun รฉlรจve que si celui-ci est en mesure dโexercer un contrรดle du rรฉsultat produit. Ainsi, lโobjectif premier serait dโamener les รฉlรจves ร ยซ rรฉsoudre avec les outils ยป. En ce sens, la mission de lโรฉcole serait de mener un apprentissage liรฉ ร lโutilisation de lโoutil, tout comme elle mรจne un apprentissage des techniques opรฉratoires, pour rรฉsoudre.
Lโutilisation de la calculatrice deviendrait alors un objectif dโapprentissage : savoir utiliser une calculatrice en รฉtant conscient de ses portรฉes et de ses limites. En statuant en faveur du rรดle dโauxiliaire de rรฉsolution, Bruillard exclut la perspective ยซ dโoutil pรฉdagogique ยป. En effet, la calculatrice peut รชtre un moyen de crรฉer de nouvelles situations permettant dโaborder des notions diffรฉremment, elle peut aussi รชtre le support de nouveaux problรจmes. Bruillard avertit du danger de ces modalitรฉs qui rรฉside dans leur caractรจre facultatif : la calculatrice serait alors assimilรฉe ร un moyen comme un autre dโaccรฉder ร certaines compรฉtences. Son utilisation pourrait alors รชtre rapprochรฉe dโune innovation pรฉdagogique discutable et ne jamais faire lโobjet dโun apprentissage dans les รฉcoles.
Roland Charnay rejoint la vision de Bruillard en admettant que ยซ la calculatrice est dโabord un auxiliaire de calcul ยป (Charnay, 2004). Lorsquโelle exerce ce rรดle, elle permet de libรฉrer les รฉlรจves des calculs coรปteux et de concentrer leur effort sur le dรฉveloppement des compรฉtences visรฉes par la rรฉsolution de problรจmes : la comprรฉhension de la situation, lโanticipation des calculs et lโorganisation des donnรฉes. Alors que Bruillard (1992-1993) sโinterroge sur le moment pertinent pour intรฉgrer la calculatrice au regard de la technique opรฉratoire, Charnay annonce que ยซ le recours ร la calculatrice est dโautant plus intรฉressant quโon ne sait pas (encore) calculer par dโautres moyens ยป. Certaines situations de dรฉcouverte de nouvelles opรฉrations sont simplifiรฉes au regard des compรฉtences en calcul des รฉlรจves et ne leur permettent pas dโรฉtendre leurs connaissances mathรฉmatiques ร dโautres contextes plus complexes qui font davantage sens. Un dรฉcalage se crรฉe donc entre les compรฉtences visรฉes par la situation (le sens) et les procรฉdures effectives des รฉlรจves qui sโappuient sur des savoir -faire antรฉrieurs sans les faire รฉvoluer (dรฉnombrement, dessinโฆ). La calculatrice pourrait, selon Charnay, remรฉdier ร ce dรฉcalage en favorisant des situations adaptรฉes aux capacitรฉs de comprรฉhension rรฉelles des รฉlรจves pour justement faire รฉvoluer leurs procรฉd ures de rรฉsolution.
De mรชme que la dictรฉe ร lโadulte permet de dรฉpasser des contraintes motrices pour รชtre au plus prรจs de ce que les รฉlรจves sont capables de produire ; la calculatrice pourrait permettre dโengager les รฉlรจves dans des situations quโils sont dรฉjร capables de comprendre et de rรฉsoudre en dรฉpassant leurs capacitรฉs en calcul (limitรฉes aux petits nombres). Lโauxiliaire de calcul est alors un outil qui ยซ prolonge les possibilitรฉs ยป (Bruillard, 1992-1993). Loin de nuire aux compรฉtences mathรฉmatiques des รฉlรจves, la calculatrice accompagnerait leur dรฉveloppement. Pour illustrer cette modalitรฉ dโutilisation, Charnay commente une activitรฉ de recherche du complรฉment dans une classe de CE1 (Grand N, 2004).
รtendre les connaissances mathรฉmatiques et favoriser la recherche autonome
Floris et Del Notaro (2011) exposent une expรฉrimentation menรฉe avec des รฉlรจves de 6 et 7 ans. Ils se placent dans lโoptique de la Thรฉorie des situations de Brousseau (1998) et intรจgrent donc la calculatrice ร un mil ieu qui convoque les connaissances des รฉlรจves et les fait รฉvoluer. Je ne synthรฉtiserai pas lโintรฉgralitรฉ de lโรฉtude, suivie sur plusieurs annรฉes, elle est composรฉe de nombreuses situations progressivement introduites par des modifications de contrat didactique. Lโactivitรฉ que je prรฉsenterai ici a รฉtรฉ mise en place aprรจs un travail sur la calculatrice comprenant une approche des entiers naturels et de leur suite (par additions itรฉrรฉes), un aperรงu de la paritรฉ des nombres, et une institutionnalisation de ces savoirs. La calculatrice est prรฉsentรฉe comme un authentique vecteur de savoir mathรฉmatique (Floris, 2005, p. 20). Le but de lโactivitรฉ est dโatteindre un nombre cible par additions itรฉrรฉes du mรชme chiffre (ex : 2 + 2 + 2 pour atteindre 6), en faisant le moins de manipulations possible ร la calculatrice. Par le biais de leurs dรฉcouvertes successives, les รฉlรจves sont amenรฉs ร remplir un tableau des nombres cibles, voici un exemple pour la cible 8 (exemple de tableau dโรฉlรจve Annexe 1)
Lโรฉtude menรฉe par Floris et Del Notaro amรจne ร penser la calculatrice comme ยซ un trรจs bon moyen pour รฉtudier le nombre et cela dรจs les premiers degrรฉs de la scolaritรฉ รฉlรฉmentaire ยป.
Grรขce ร la rapiditรฉ et la fiabilitรฉ (sauf erreur de frappe) quโelle offre aux รฉlรจves, ceux-ci ont pu sโintรฉresser aux suites de nombres et รฉtendre leurs connaissances mathรฉmatiques. Les รฉlรจves ont gรฉnรฉrรฉ des suites de nombres et ont observรฉ des phรฉnomรจnes numรฉriques : paritรฉ/ imparitรฉ, relation entre les nombres, lโรฉquivalence entre lโaddition itรฉrรฉe et la multiplicationโฆ
Le remplissage du tableau des nombres cibles permettait aux รฉlรจves dโobserver des rรฉgularitรฉs entre les nombres : tous les nombres quโon atteint en tapant plusieurs fois [+5] se terminent par le chiffre 0 ou le chiffre 5. Le langage oral produit lors de la mise en commun permettait de dรฉvelopper certaines notions mathรฉmatiques qui prenaient du sens dans le contexte des nombres cibles : pour obtenir 24 jโai tapรฉ 6 fois [+4], cette verbalisation donne du sens ร lโรฉquivalence entre additions itรฉrรฉes et multiplication. De plus la calculatrice offre des possibilitรฉs dโobservation de la commutativitรฉ de lโaddition la multiplication : dans le tableau des cibles on retrouvera le nombre 4 (6 fois) pour atteindre 24, mais aussi le nombre 6 (4 fois) pour atteindre le mรชme nombre. Malgrรฉ la complexitรฉ de ces situations prises en charge par des experts de la didactique des mathรฉmatiques, cette expรฉrimentation montre ยซ la richesse dโinvestigation ยป que peut procurer lโintรฉgration de la calculatrice. Ces รฉlรจves de 6-7 ans ont pu mener une investigation autonome, rรฉgularisรฉe par les mises en commun, ils ont รฉtรฉ dรฉtenteurs de leurs dรฉcouvertes et ont รฉtendu leurs connaissances mathรฉmatiques en explorant les relations entre les nombres.
Dโautres situations, peut-รชtre plus facilement exploitables ont รฉtรฉ proposรฉes par Roland Charnay (2004). Il propose notamment dโengager les รฉlรจves ร mรฉmoriser leurs tables par lโutilisation de la calculette : elle fournit en effet un rรฉsultat rapide et permet de contrรดler son appropriation du calcul mental. La calculatrice permet alors aux รฉlรจves dโรชtre plus autonomes pour lโentraรฎnement au calcul mental, et de disposer de moyens fiable s de vรฉrification (le professeur nโest plus lโunique dรฉtenteur du rรฉsultat). Par binรดme les รฉlรจves peuvent se livrer ร des rรฉvisions de tables de multiplication ou dโaddition et jouer pour apprendre.
Une รฉvolution mitigรฉe en 2015
Les programmes de 2015 rรฉaffirment lโimportance de lโarticulation des diffรฉrents moyens de calcul : ยซ Le calcul mental, le calcul posรฉ et le calcul instrumentรฉ sont ร construire en interaction ยป (p. 201). Cependant, la calculatrice nโest pas citรฉe dans les compรฉtences des รฉlรจves de cycle 2. Elle nโapparaรฎt quโร partir du cycle 3 ยซ Utiliser une calculatrice pour trouver ou vรฉrifier un rรฉsultat ยป. Loin des prรฉconisations des programmes de 2002, les programmes de 2015 rendent lโutilisation de la calculatrice assez facultative ou du moins assez incertaine. Les รฉlรจves doivent maรฎtriser cette compรฉtence mais rien nโest formulรฉ pour expliquer ce qui y contribue.
Le document dโaccompagnement ยซ Le calcul aux cycles 2 et 3ย ยป intรจgre le calcul instrumentรฉ aux divers moyens de calculer. Lโutilisation de la calculatrice a alors pour objectif de :
– ยซ Libรฉrer lโesprit et centrer la rรฉflexion sur lโรฉlaboration dโune dรฉmarche de rรฉsolution ยป
– Permettre des essais et ajustements lors de calculs rรฉpรฉtitifs.
– Sensibiliser les รฉlรจves au contrรดle de leurs calculs par vรฉrification ร la calculatrice.
Malgrรฉ la prรฉsence de la calculatrice, les programmes de 2015 nโencouragent pas une rรฉelle intรฉgration de cet artefact. Ils ne prรฉcisent pas les modalitรฉs de mise en ลuvre en classe et ne permettent pas dโenvisager un enseignement qui met en lien la calculatrice avec les autres moyens de calcul.
Alors que les recherches et expรฉrimentations didactiques tendent ร montrer un intรฉrรชt ร lโutilisation de la calculatrice en classe, les programmes actuels ne prรฉconisent pas une utilisation frรฉquente et durable de cet outil. La transposition externe effectuรฉe sur lโobjet calculatrice est donc mitigรฉe et ne conduit pas ร une utilisation lรฉgitimรฉe . Outre les รฉclairages didactiques et les prรฉconisations des programmes, lโintรฉgration dโun objet dโenseignement est aussi influencรฉe par les reprรฉsentations des enseignants ร son รฉgard et par les moyens dont ils disposent pour lโassocier ร leurs pratiques.
Quel regard les enseignants portent-ils sur la calculatrice en classe ? Lรฉgitiment-ils son intรฉgration ? De quelles ressources disposent-ils pour construire lโinteraction des diffรฉrents moyens de calcul prรฉconisรฉe par les programmes de 2015 ?
Les ressources disponibles
Lors des entretiens, le manque de ressources disponibles a รฉtรฉ souvent รฉvoquรฉ : ยซ On devrait lโutiliser plus souvent et souvent dans les mรฉthodes elles ne sont pas proposรฉes, on te dit pas comment faire pour que ce soit bรฉnรฉfique ยป (Mathilde, CM1-CM2) ยซ Moi je suis le Cap-Maths donc oui elle y est des fois, mais รงa me convainc pas assez pour lโintรฉgrer vraiment ร ce que je fais donc je fais des activitรฉs avec mais jโessaie je teste ยป (Emmanuelle, CE2-CM1)
ยซ La calculette elle peut servir en plus ร faire des petits concours, faire de vraies sรฉances ludiques autour du calcul, mais je sais pas si il existe des sรฉquences dรฉtaillรฉes pour lancer les enseignants sur รงa ยป (Julie, CP) ยซ cโest notre rรดle on devrait lโutiliser plus souvent en classe, mais cโest un manque dโhabitude aussi, quand on est pas sรปr de ce que รงa apporte et quand on sait pas trop par oรน commencer cโest compliquรฉ, jโai vu des activitรฉs intรฉressantes sur la calculatrice mais cโest un peu dรฉcrochรฉ on sait pas trop oรน รงa sโinsรจre ยป (Emma, CE1-CE2)
Ces propos rapportรฉs mettent en lumiรจre un des freins ร lโintรฉgration de la calculatrice : le manque de ressources pour articuler lโutilisation de lโoutil aux compรฉtences visรฉes.
Contrairement aux constats de Bruillard ou de Charnay, ces enseignantes ne considรจrent pas la calculatrice comme un facilitateur de la pratique mathรฉmatique, ou comme un frein au dรฉveloppement des compรฉtences visรฉes. Ici, leur rรฉticence semble davantage provenir du manque dโapports didactiques relatifs ร une intรฉgration pratique de cet instrument.
Un des leviers dโintรฉgration de la calculatrice ร lโรฉcole รฉlรฉmentaire serait donc la formation continue des professeurs des รฉcoles.
Frรฉquence dโapparition
Le manuel ยซ Jโapprends les maths ยป ne propose quโune activitรฉ autour de la calculatrice, en pรฉriode 5. Aucune dรฉcouverte de lโoutil nโest engagรฉe, le guide pรฉdagogique stipule nรฉanmoins que ยซ si cela sโavรจre nรฉcessaire, la sรฉance commencera en rappelant comment on allume la calculette, comment on remet lโaffichage ร 0, quelles sont les touches dont on apprendra plus tard lโusage, etc. ยป (p 203). Cette phrase confirme lโhypothรจse รฉvoquรฉe prรฉcรฉdemment : les rรฉdacteurs de ce manuel semblent reporter lโapprentissage du calcul instrumentรฉ en cycle 3. La sรฉance proposรฉe re ssemble dโailleurs ร une situation dโinitiation, aucune autre utilisation de la calculatrice nโest proposรฉe dans la suite du manuel.
Le manuel ยซ Vivre les maths ยป propose deux sรฉances relatives ร la calculatrice, une en pรฉriode 3 et une en pรฉriode 5. Ce nombre nโexprime pas une forte frรฉquence, nรฉanmoins les informations didactiques exposรฉes dans le guide pรฉdagogique laissent ร lโenseignant le choix de lโutiliser plus souvent. Cet ouvrage didactique reprend les prรฉconisations des programmes en รฉvoquant son utilitรฉ pour dรฉvelopper la compรฉtence ยซ choisir le moyen de calcul le plus appropriรฉ ร la situation que lโon doit traiter ยป, ยซ pour mieux se concentrer sur les stratรฉgies de rรฉsolution ยป ou pour permettre ยซ le recours ร des nombres assez grands ยป (p 204). Le choix de la mettre ร disposition des รฉlรจves, ou de certains รฉlรจves, est laissรฉ ร lโenseignant. Mais cette modalitรฉ intรฉressante nโest pas accompagnรฉe : les situations (rรฉsolution, vรฉrification, recherche) ne sont pas annotรฉes pour permettre ร lโenseignant de lโintรฉgrer (pour tous les รฉlรจves ou en diffรฉrenciation). Lโutilisation de la calculatrice reste alors facultative bien quโappuyรฉe par les programmes et reprise avec pertinence par ce manuel.
Le manuel ยซ Maths tout terrain ยป consacre une page dโexplications didactiques relatives ร la calculatrice dans son guide du maรฎtre. Dans ces commentaires destinรฉs aux enseignants, les auteurs du manuel rappellent que la calculatrice est un sujet ยซ riche qui a suscitรฉ bon nombre de controverses qui ne sont, pour la plupart, pas encore tranchรฉes ร lโheure actuelle ยป (p 29). Ils axent alors lโintรฉgration de la calculatrice dans un souci dโinitiation ร lโoutil de travail. Ces remarques explicites attestent du manque de prise de position des programmes de 2015 qui exposent le calcul instrumentรฉ dans les moyens dont lโรฉlรจve dispose pour calculer mais qui ne prรฉcisent pas, ou peu, les modalitรฉs didactiques de son intรฉgration. Lโutilisation de la calculatrice est peu frรฉquente dans ce manuel (une seule sรฉance), cependant son intรฉgration anticipรฉe permet une utilisation dans les pรฉriodes suivantes, notamment avec des informations mรฉthodologiques dans le fichier de lโรฉlรจve.
La calculatrice est souvent lโobjet dโactivitรฉs dรฉcrochรฉes
Les manuels semblent suivre les orientations des programmes en intรฉgrant la calculatrice aux apprentissages mathรฉmatiques des รฉlรจves de CE2. Nรฉanmoins, ces pratiques sont sommaires et ne sโarticulent pas aux autres activitรฉs du domaine ยซ Nombres et calculs ยป. Hormis dans le manuel ยซ Cap Maths ยป, la calculatrice fait lโobjet dโune sรฉance dรฉcrochรฉe indiquรฉe comme telle dans le sommaire. Elle nโest pas reconnue comme un moyen de calcul ยซ ordinaire ยป comme le prรฉconisait Roland Charnay (1993-1994) puisquโelle ne fait pas partie des ressources des รฉlรจves pour rรฉsoudre. En consacrant une ou deux pages dโactivitรฉs composites oรน tous les emplois de lโoutil sont prรฉsents, les manuels nโengagent pas une pratique rรฉflรฉchie : tous les rรดles sont confondus dans la mรชme sรฉance (vรฉrification, aide ร la rรฉsolution, support du problรจmeโฆ) et ne peuvent de cette maniรจre รชtre intรฉgrรฉs aux pratiques des รฉlรจves. Le manuel Cap Maths, quant ร lui, donne ร voir une interaction accessible des diffรฉrents moyens de calcul. La calculatri ce est intรฉgrรฉe aux activitรฉs en รฉtant une ressource disponible pour rรฉsoudre (indiquรฉe dans la colonne ยซ matรฉriel ยป). Contrairement aux autres manuels qui dรฉveloppent les diffรฉrentes utilisations indรฉpendamment des autres apprentissages, dans le ยซ Cap Maths ยป chaque emploi est รฉtudiรฉ en adรฉquation avec la situation en jeu et la compรฉtence visรฉe : la calculatrice nโest pas lโobjet de la sรฉance mais un รฉlรฉment du milieu didactique.
– Il existe peu dโaccompagnement didactique pour encourager les pratiques :
En prรฉsentant la calculatrice dans une sรฉance dรฉcrochรฉe, et sans informations didactiques supplรฉmentaires pour expliciter son intรฉrรชt dans dโautres situations, son utilisation en classe est soumise au jugement du professeur. Cette difficultรฉ est รฉvoquรฉe par les enseignants dans les entretiens รฉtudiรฉs prรฉcรฉdemment : peu de ressources permettent dโenvisager une rรฉelle intรฉgration de la calculatrice en classe. Les recherches didactiques donnent des pistes dโexploitation mais sont majoritairement axรฉes sur des sรฉquences isolรฉes, et les manuels ne se prononcent pas en faveur dโune utilisation frรฉquente et assimilรฉe aux autres apprentissages.
Lors des entretiens, les enseignants tรฉmoignaient tous dโune utilisation lors de la rรฉsolution de problรจmes, or aucune ressource ne vient accompagner cet emploi. Pourtant cette pratique se doit dโรชtre rรฉflรฉchie, Roland Charnay (2004) รฉvoquait ร ce titre lโimportance de prendre en considรฉration la maniรจre dont lโรฉlรจve conรงoit la situation afin que la calculatrice ne soit pas un frein ร la rรฉsolution. Il prรฉcisait alors que lโenseignant avait la responsabilitรฉ de lโintroduire ยซ au bon moment ยป en prenant en compte lโobjectif de la situation (dรฉmarche ou calcul), les nombres en jeu (permettent-ils le recours ร des procรฉdures personnelles ?), la conception de lโรฉlรจve et ses compรฉtences (levier de diffรฉrenciation). Seul le manuel Cap Maths soutient le choix du professeur en donnant des exemples de rรฉsolution dโรฉlรจves et en indiquant si le recours ร la calculatrice est pertinent. Les autres manuels ne dรฉfinissent pas clairement les enjeux de lโutilisation de la calculatrice en classe. Le manuel ยซ Vivre les maths ยป sโy essaie, en admettant les mรชmes perspectives que le ยซ Cap Maths ยป :
ยซ Pour รฉviter les automatismes, il est nรฉcessaire dโhabituer les รฉlรจves ร recourir ร toutes les techniques de calcul. Savoir calculer, cโest choisir le moyen le plus appropriรฉ ร la situation que lโon doit traiter : technique opรฉratoire traditionnelle, calcul mental ou outils modernes que la technologie met ร notre disposition. En particulier, il faut utiliser une calculette dans les situations oรน son usage sโavรจre pertinent. La calculette permet ร lโรฉlรจve de se libรฉrer de tรขches annexes de calcul pour mieux se concentrer sur les stratรฉgies de rรฉsolution, et par exemple, procรฉder par ยซ essais et erreurs ยป. Elle autorise aussi le recours ร des nombres assez grands, sans compliquer inutilement le travail demandรฉ.
Son utilisation dans les premiรจres รฉtapes dโun apprentissage numรฉrique ne soit pas constituer une entrave ร lโรฉlaboration de procรฉdures personnelles nรฉcessaires ร la bonne comprรฉhension de la notion en jeu. Il appartient ร lโenseignant de distinguer les cas oรน la calculette peut รชtre mise ร la disposition des รฉlรจves, ces cas pouvant dโailleurs varier dโun รฉlรจve ร lโautre.
Il est conseillรฉ de toujours vรฉrifier des opรฉrations faites ร la calculette en faisant appel aux ordres de grandeur. ยป (Guide pรฉdagogique, p 204)
Nรฉanmoins, ces informations intรฉressantes nโapparaissent que dans la section consacrรฉe ร la calculatrice, et ne sont pas reprises lors des autres situations, dans lesquelles la calculatrice aurait pu avoir un intรฉrรชt.
Le peu dโaccompagnement didactique prรฉsent dans les manuels peut provenir du manque de prise de position des instructions officielles de 2015. Les programmes ne lรฉgitiment pas clairement une utilisation frรฉquente de la calculatrice mais indiquent pourtant la nรฉcessitรฉ dโune interaction entre les diffรฉrents moyens de calcul. Les manuels reprennent ces directives en prรฉsentant chacun un module consacrรฉ ร la calculatrice, mais restent รฉvasifs quant ร son utilisation dans lโannรฉe scolaire.
– Les rรดles attribuรฉs ร la calculatrice sont relativement restreints :
Tous les manuels รฉvoquent une dรฉcouverte (guidรฉe ou non) de lโobjet calculatrice : ceci permet de constater quโaucun ne considรจre la calculatrice comme ยซ un objet entiรจrement maรฎtrisรฉ ยป (Favre et Tiรจche Christinat, 2007, p 107). Ils intรจgrent tous la nรฉcessitรฉ dโune appropriation de lโoutil pour que son utilisation soit intรฉressante.
Outre cette dรฉcouverte de lโoutil, les manuels prรฉsentent nรฉanmoins des emplois diffรฉrents de la calculatrice. Alors que le rรดle dโauxiliaire de rรฉsolution est le plus recommandรฉ et quโil admet lโunanimitรฉ des consentements des chercheurs, ce nโest pas le plus exposรฉ par ces supports didactiques. Ceci peut sโexpliquer par le fait que ce rรดle suppose de considรฉrer la calculatrice comme ยซ un moyen de calcul ordinaire ยป (Charnay, 1993-1994) mis ร disposition des รฉlรจves lorsque la situation le permet. Or, pour que cette position soit prise par les manuels, il faudrait que cet emploi soit reconnu et lรฉgitimรฉ dans les programmes. Seul le manuel Cap Maths revendique cette position en indiquant, dans ses avant-propos, que les calculatrices peuvent รชtre utilisรฉes ยซ comme outil de calcul dans certaines activitรฉs ou pour vรฉrifier un rรฉsultat obtenu mentalement ou par รฉcrit. Elles peuvent alors aussi รชtre mises ร la libre disposition des รฉlรจves pour rรฉsoudre des problรจmes lorsque lโenseignant lโestime nรฉcessaire ยป (p XIX).
|
Table des matiรจres
INTRODUCTIONย
I. LA CALCULATRICE ET SON PROCESSUS DE ยซ TRANSPOSITION DIDACTIQUE ยป
A. LE SAVOIR A ENSEIGNER DU POINT DE VUE DES DIDACTICIENS
1. La calculatrice : un artefact complexe
2. Propositions relatives ร des expรฉrimentations et recherches didactiques
a) Auxiliaire de calcul ou outil pรฉdagogique ?
b) รtendre les connaissances mathรฉmatiques et favoriser la recherche autonome
c) Outil de diffรฉrenciation pรฉdagogique
B. LA CALCULATRICE ET LโEVOLUTION DES INSTRUCTIONS OFFICIELLES 1980-2016
1. Un tournant majeur en 2002
2. Un recul observรฉ en 2008
3. Une รฉvolution mitigรฉe en 2015
II. LA TRANSPOSITION DIDACTIQUE INTERNE : QUEL EST LE SAVOIR ENSEIGNE ?ย
A. LES REPRESENTATIONS DES PROFESSEURS
1. Mรฉthodologie
2. Rรฉsultats
a) Lโutilisation personnelle
b) Les pratiques de classe :
c) Les ressources disponibles :
B. ANALYSE DES RESSOURCES
1. Moment de lโintรฉgration
2. Frรฉquence dโapparition
3. Rรดles attribuรฉs ร la calculatrice
C. CONCEPTIONS DES ELEVES
1. Mรฉthodologie
2. Rรฉsultats
a) รcole 1
b) รcole 2
III. EXPERIMENTATION DIDACTIQUE : INTEGRER LA CALCULATRICE AUX APPRENTISSAGES MATHEMATIQUES EN CE2ย
A. DEMARCHE GENERALE
1. Le mode dโemploi personnel
2. Les ยซ bons calculatrice ยป
3. Le rรฉpertoire dโactivitรฉs
B. DEVELOPPER DES COMPETENCES DE CALCUL MENTAL
1. Lโactivitรฉ ยซ Plus vite que la calculette ยป
2. Les rรฉsultats
a) La gestion de classe
b) Les savoirs en jeu
c) Lโaspect motivationnel
C. ACCOMPAGNER LA RESOLUTION DโUN PROBLEME
1. Rรฉsolution par le calcul instrumentรฉ
2. Vรฉrification
D. RENFORCER LA CONNAISSANCE DU SYSTEME DE NUMERATION DECIMAL
1. Dictรฉes de nombres sur la calculatrice
2. Modifier un ou plusieurs chiffre(s) dโun nombre affichรฉ
CONCLUSIONย
IV. ANNEXESย
Annexe 1: Exemple tableau des nombres cibles dโรฉlรจve
Annexe 2: Guide dโentretien
Annexe 3: Questionnaire initial, classe de CE2
Annexe 4: Rรฉsultats du questionnaire initial CE2
Annexe 5: Exemples de modes dโemploi personnels
Annexe 6: Rรฉpertoire dโactivitรฉs
Annexe 7: Exemples de carnets ยซ Plus vite que la calculette
Annexe 8: Exemples de procรฉdures personnelles pour la rรฉsolution du problรจme 1
Annexe 9: Fiche issue du ยซ Guide dโactivitรฉs pour la calculatrice ยป
V. BIBLIOGRAPHIE
Tรฉlรฉcharger le rapport complet