La transmission des valeurs républicaines dans l’Éducation Nationale
Les valeurs républicaines telles que nous les connaissons sont fondées sur la Constitution de 1958, elle-même reprenant des éléments présents dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. L’article premier pose les bases sur lesquelles la République française est fondée, en tant que forme de gouvernement vis-à-vis de ses citoyens : elle est « indivisible, laïque, démocratique et sociale » et se doit de garantir l’égalité entre les citoyens sans discrimination quelconque. La devise de la République «Liberté, Égalité, Fraternité», tel qu’est cité dans l’article 2 de la Constitution, fait écho et synthétise très justement l’ensemble de ces valeurs. Les citoyens sont libres et souverains, égaux entre eux et ont un devoir de fraternité. Le principe de liberté individuelle est indissociable d’un état de droit démocratique, celui d’égalité assure l’uniformité de tous les citoyens dans leurs droits et devoirs, et finalement celui de fraternité traduit le devoir citoyen de lutter contre toute forme de discrimination et de respecter autrui, permettant ainsi la cohésion des citoyens de la République Ces valeurs capitales sont déclinées dans l’ensemble des valeurs républicaines transmises à l’École. En effet, afin de s’assurer du respect des valeurs de la République par l’ensemble de la citoyenneté, l’Éducation Nationale a comme devoir d’instruire les futurs citoyens à ces valeurs, car leur adhésion auxdites valeurs est la conditio sine qua non pour assurer la survie de la République, ce qu’elle représente et ce qu’elle défend . Les valeurs républicaines ont été au cœur de l’École depuis fort longtemps. Selon les périodes, cela a été fait de manière plus ou moins explicite. Il convient donc faire un rapide détour historique afin d’analyser l’évolution de cette transmission, car seulement ainsi nous pourrons appréhender son importance dans l’Éducation Nationale dans l’actualité.Dès 1883, une formation du citoyen apparaît explicitement à l’école (primaire), elle s’appellera « instruction morale et civique » . Cette matière consacrerait un peu de temps pour enseigner, de façon explicite, verticale et magistrale, les valeurs fondatrices de la République française, afin de s’assurer le bon développement du citoyen «patriotique».
Colas Degenne estime que peu de changements vont être opérés dans cette matière jusqu’en 1960, soit trois quarts de siècle en transmettant les valeurs républicaines selon la même pédagogie verticale et magistrale, par une Éducation Nationale qui avait une optique assimilationniste – celle-ci sera traitée ultérieurement dans ce travail. Les périodes de crises identitaires et nationales sont propices à la remise en question, c’est ce qu’en témoigne le fait qu’en 1923, après la « Grande Guerre », cette instruction morale et civique va intégrer des classes supérieures de l’école élémentaire.
L’éducation interculturelle
Claude Clanet définissait l’éducation comme une action étant exercée par « un adulte qui en a la charge sur un être jeune en vue du développement physique, intellectuel et moral de celui-ci et de son milieu où il est destiné d’y vivre ». Si nous pouvons y voir une sorte de conception de l’éducation comme une transmission verticale de savoirs, détenus par la figure d’autorité qu’est l’enseignant, nous garderons tout de même l’importance de cet « être jeune » qui serait un individu en voie de développement. Le rôle de l’éducation est ici très savamment mis en évidence : l’École éduque, dans tous les sens du terme, les élèves afin d’en faire ces citoyens de la République, celle-ci étant le « milieu où il est destiné d’y [l’élève] vivre ». Qui dit éducation dit donc transmission, enseignement, apprentissage et, aussi, développement. Qu’en est-il de l’interculturalité et quels sont les apports d’une éducation interculturelle ? L’étymologie suggère une transversalité ou une rencontre entre deux cultures. Giraud remarque que l’interculturel impliquerait une relation et un dialogue entre des cultures différentes, ceci à travers l’intermédiaire de sujets porteurs de ces cultures. Pour Martine Abdallah-Pretceille, l’éducation interculturelle vise à une reconnaissance réciproque des personnes sans anéantir l’Autre. D’après Francisca-María Rodriguez Vázquez, des études pointent que plus un sujet connait de cultures différentes, plus il produira une réflexion critique sur la sienne. Cette mise en perspective promue par l’appréhension d’autres cultures permettrait donc au sujet se remettre en question quant à ses propres valeurs, mais aussi il serait plus enclin à trouver les similitudes entre sa culture maternelle et la culture faisant objet d’étude, ouvrant ainsi son esprit à d’autres horizons et favorisant sa conception de l’altérité dans un pied d’égalité.
L’enseignement d’une langue, l’appréhension d’une culture
Avant de pouvoir inférer sur le rôle de l’enseignement des langues vivantes étrangères dans la transmission des valeurs républicaines dans l’Éducation Nationale, nous allons faire un état des lieux de l’enseignement des langues vivantes étrangères et leur incidence dans le développement personnel, moral et civique des élèves.
Il y a un lien indissociable entre une langue et sa culture : la langue est l’expression linguistique d’une culture : «s’il n’est pas de culture sans langue, il n’est pas, non plus de langue sans culture». En conséquence, la partie linguistique et la partie culturelle sont les deux aspects capitaux lors de l’apprentissage d’une langue vivante étrangère.
C’est d’ailleurs l’indissociabilité de ces deux aspects qu’a fait de l’esperanto (une langue créée dans le but d’en faire la langue internationale parlée par tous) un échec total : car sans une Histoire, sans une culture pour la soutenir, une langue n’est rien d’autre qu’une agglutination de sons et de caractères23. Nous ne pouvons donc pas négliger le composant culturel lors de l’enseignement d’une langue vivante étrangère : cette éducation à l’interculturalité par le biais de l’enseignement d’une langue permettrait de passer d’une approche purement linguistique à une vision plus globale de la compétence communicative interculturelle – la capacité à communiquer et à interagir à travers des frontières culturelles.
Également, Rodrigo-Alsina avait détaillé ce qu’il considérait comme quelques-uns des objectifs de la communication interculturelle. Nous devons donc énoncer l’importance d’une approche de communication interculturelle dans la transmission d’une langue, communication favorisée avec des échanges de nature diverse mais devant se faire entre les apprenants et des sujets détenteurs de la culture étudiée – donc des sujets devant être contemporains à l’élève, afin de pouvoir favoriser une communication, qu’elle soit directe ou indirecte. D’abord, il faudrait établir les fondements de l’échange interculturel : commencer un dialogue interculturel afin de connaître autrui et d’appréhender l’altérité. Ce dialogue devra donc être critique, mais aussi autocritique. L’interculturalité bien acquise commence par la connaissance de soi-même, d’après Weber.
L’évolution de l’enseignement de l’espagnol dans l’Éducation Nationale
D’abord, il convient de s’intéresser à l’histoire de l’enseignement des langues vivantes en France et à ses enjeux. Au début du XXème siècle, l’enseignement des langues vivantes étrangères ou régionales semble pour certains « une menace pour la cohésion nationale » dans un contexte en faveur de l’usage exclusif du français comme langue véhiculaire sur tout le territoire national et la seule langue portant les valeurs de laïcité. Nous appréhendons donc le terreau initial de l’Éducation Nationale qui aurait vu d’un mauvais œil l’apprentissage de langues étrangères, surtout certaines pouvant faire l’objet de communautés implantées sur le territoire français. Ce discours de repli identitaire et de fermeture aux autres cultures, s’il peut être compris dans des temps de crise tels que la première moitié du XXème siècle, n’a guère sa place dans l’Éducation Nationale actuelle, qui, elle, prône désormais l’interculturalité et le « vivre ensemble ». l est aussi convenable de placer les faits dans leur contexte. L’espagnol, bien qu’aujourd’hui soit la deuxième langue du monde en termes de nombre de personnes la parlant, n’a pas eu toujours la même place dans la société française et son image a été marquée par les événements historiques du monde hispanique. L’espagnol en France, du fait de la quantité de migrants arrivés en France au XXème siècle, pouvait être perçu comme une « langue de boniches ». Au même temps, l’Espagne évoquait deux idées opposées dans l’imaginaire collectif des Français : les fantômes de la menace anarchiste et communiste avec les exilés espagnols fuyant le franquisme après la Guerre Civile Espagnole et le dénigrement d’une nation soumise à une dictature national-catholique (enfreignant donc en même temps les valeurs démocratiques et celles de laïcité de la République française). Et lorsque l’on se représentait l’Amérique Latine, on y voyait surtout un scénario de coups d’états permanents, d’ingérences et de dictatures et un territoire objet de convoitise autant par l’influence soviétique que par le monde capitaliste, avec les États-Unis en tête.
La place actuelle de l’enseignement de l’espagnol dans l’Éducation Nationale
Les élèves français sont réputés comme étant « mauvais » en langues, les raisons historiques de cette conception ayant déjà été abordées ; comme dans tout stéréotype, il y a une part de vérité et une part de mythe. Cet enseignement a été qualifié par certains chercheurs comme le « parent pauvre des enseignements obligatoires de l’école française ». Néanmoins, parmi toute l’offre de langue vivantes, l’espagnol se positionne comme clair vainqueur des LVB (Langues Vivantes B) : 79,4% des élèves de l’enseignement secondaire apprennent une deuxième langue vivante et parmi ceux-ci, 72% choisissent l’espagnol, cette langue se positionnant loin devant la deuxième langue de choix pour LVB : l’allemand avec seulement 16,5% des élèves. L’espagnol est donc le premier choix pour la LVB, l’anglais étant de loin le premier choix pour la LVA.
De plus, le choix de l’espagnol – notamment en LVB – est en hausse depuis 2014 et de façon générale, si 99,1% des élèves du secondaire (LVA, LVB et LVC confondues) apprennent l’anglais, 57,4% apprennent l’espagnol, suivi par l’allemand avec 15,9% des élèves. Si l’anglais s’est imposé comme la langue de choix de tous les élèves (de par son importance comme langue internationale de communication, comme nous l’avons déjà évoqué), l’espagnol a néanmoins une place très importante et une portée non négligeable : 3 277 603 élèves du Primaire et du Secondaire étudiaient l’espagnol en 2018-2019, ce qui montre l’intérêt pour la langue et la culture espagnoles, ainsi que le poids éducatif et culturel de cette matière, qui comportait 20 059 professeurs en 2018 2019 (dans l’éducation secondaire, secteur public et privé confondus), soit 27,4% du total des enseignants de langues. De plus, de nombreux projets internationaux, dont la quantité est telle que leur énumération serait stérile, sont de plus en plus mis en place afin de favoriser une communication interculturelle entre les différents acteurs européens. Dans un contexte actuel propice à l’échange et à l’ouverture de nouveaux horizons, à la création d’un dialogue entre divers acteurs, entre apprenants et enseignants, avec des plateformes telles que eTwinning et bien d’autres dispositifs mis en place, l’enseignement de langues vivantes – ce « parent pauvre » de l’Éducation Nationale – montre un intérêt nouveau vis-à-vis des enjeux du système éducatif actuel. De nombreux projets de partenariats, dont leur nature et quantité sont également bien trop importantes pour être cités dans ce travail, sont mis en place à travers l’Europe et des accords se font entre les systèmes éducatifs des différents pays afin d’arriver à créer une culture européenne plus ouverte et soudée.
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Table des matières
1. Introduction
2. L’état de la question
2.1. La transmission des valeurs républicaines dans l’Éducation Nationale
2.2. L’éducation interculturelle
2.3. L’enseignement d’une langue, l’appréhension d’une culture
2.4. L’évolution de l’enseignement de l’espagnol dans l’Éducation Nationale
2.5. La place actuelle de l’enseignement de l’espagnol dans l’Éducation Nationale
3. Étude de cas : Description et analyse de l’expérience professionnelle
3.1. Description des groupes pris en charge
3.2. Observation non-participante du projet « Passeurs d’histoire et de mémoires autour de la Retirada»
3.3. Étude d’un projet interdisciplinaire : l’enseignement à la liberté d’expression à travers l’espagnol Langue Vivante B et l’Enseignement Moral et Civique
3.4. Analyse des séquences mises en place en enseignement général
3.4.1. La classe de 2de
3.4.2. Les classes de 1ère
3.4.2.1. Séquences sur la question de l’identité du soi et l’acceptation d’Autrui
3.4.2.2. Le harcèlement en ligne
3.4.2.3. Les migrants italiens en Argentine et l’appréhension de l’altérité
4. Bilan et perspectives
5. Conclusion
Bibliographie
Annexes
7.1. Annexe 1 . Collection de photos du photojournaliste Oscar Ruíz Martínez sur le quartier de Santa Fe, à Ciudad de México
7.2. Annexe 2. Campagne de sensibilisation du Gobierno de Navarra : « En la vida como en el deporte »
7.3. Annexe 3. Tableau Los emigrantes, Antonio Berni (1956)
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