LA TRANSHUMANCE CHEZ LES PEULS
Une grande tradition : le pastoralisme
Les populations rurales sahéliennes ont une vieille tradition pastoraliste dont les Peuls sont les plus emblématiques représentants. Le pastoralisme s’est largement développé au Sahel car l’environnement s’y prête : larges étendues de pâturages, taux relativement réduit de maladies animales, faible densité d’occupation humaine (Boureima, 1999). Compte tenu de la répartition et de la variation des précipitations, la couverture végétale naturelle est, sur les plans quantitatif et qualitatif, très inégale dans le temps et dans l’espace. Fragile, elle peut être aussi facilement dégradée par le surpâturage. Le sol, qui la supporte, peut ainsi subir les effets pervers de l’érosion éolienne et hydrique (ablation des horizons superficiels réduisant de manière notable la fertilité des sols et pouvant, dans les zones plus humides, engendrer la formation de cuirasses latéritiques qui empêchent la végétation de se développer).
Afin d’apporter un équilibre entre les ressources naturelles et les besoins en eau et en fourrage des animaux, la mobilité semble être une alternative qui s’impose aux éleveurs s’ils désirent maintenir les productions de leur troupeau. D’après Toutain et al. (2001 ), cette mobilité est à la fois« une stratégie de recherche des meilleurs fourrages au meilleur moment, mais aussi une disposition de sécurité pour faire face aux aléas climatiques ou à toute autre contrainte qui menace la survie de leurs animaux, une forme de partage des ressources entre les personnes en répartissant la pression humaine sur le plus large espace possible, une façon aussi d’échapper aux contraintes ou aux rivalités sociales (conflits agriculteurs/éleveurs). La mobilité trouve donc des justifications diverses, aussi bien techniques que stratégiques, sociales ou même philosophiques, profondément ancrées dans la culture des populations qui la pratiquent ». Pour la plupart des gens, les Peuls représentent des pasteurs nomades. En réalité, la situation actuelle est beaucoup plus diversifiée au niveau des formes de mobilité rencontrées chez les éleveurs peuls.
Les systèmes d’élevage mobiles se distinguent des systèmes sédentaires par la nature des déplacements du bétail. Dans tous les systèmes, le bétail peut effectuer des déplacements le long des circuits de pâture, le bétail revenant quotidiennement, ou parfois tous les deux ou trois jours, au point d’attache (campement, village, point d’eau). Mais dans les systèmes mobiles, il s’y ajoute des déplacements directionnels, dont la destination diffère du point de départ. Alors que les circuits de pâture se font avec ou sans berger, les déplacements directionnels sont toujours conduits par un berger et leur but général est de rejoindre les aires de pâture qui satisferont mieux les besoins nutritionnels des animaux que les aires abandonnées (Schelcht et al., 2001 ). Dans la zone soudano-sahélienne, l’élevage mobile connaît deux formes bien distinctes : le nomadisme et l’élevage transhumant (la transhumance étant explicitée dans le chapitre 1.2. de cette synthèse bibliographique).
Le nomadisme
Les premiers nomades ont suivi les troupeaux d’herbivores sauvages au cours de leurs déplacements saisonniers, aussi bien au Moyen-Orient, qu’en Afrique tropicale, en Laponie, en Sibérie ou en Amérique du Sud (Daget et al., 1995). Le terme de nomadisme est utilisé pour caractériser des mouvements qui ont lieu au sein d’une région et qui ne sont pas prévisibles (sans itinéraire ni calendrier) mais directement liés aux aléas (Barraud et al., 2001 ). Cette définition converge avec celle de Daget et al. (1995), qui désigne le nomadisme pastoral comme « un système de production caractérisé par un constant déplacement des éleveurs et de leurs troupeaux, pendant toute l’année, à la recherche de l’eau et de l’herbe ». Les systèmes nomades exploitent surtout les confins sahélo-sahariens et la zone nord-sahélienne (précipitations de 100 à 300 mm/an) et, parfois en fin de saison sèche, la zone sahélienne centrale.
En Afrique de l’Ouest, les populations nomades les plus connues sont certainement les Maures, les Peuls Wodaabe, les Toubous, les Touaregs et les Arabes Mohida. Dans ses formes les plus pures ou les plus absolues, le pastoralisme nomade sahélien est à la fois un mode de vie et une activité économique. Comme mode de vie, il est l’expression de tout un ensemble de valeurs et de relations sociales. Comme activité économique, il consiste essentiellement dans l’exploitation d ‘animaux domestiques par l’utilisation extensive de ressources naturelles. Toute forme de pastoralisme repose ainsi sur une sorte d’équilibre entre trois facteurs (Maliki et al., 1988) : un groupe social de producteurs, des animaux domestiqués (bovins, ovins, caprins ou camélidés), un environnement naturel (plus précisément l’eau et les pâturages). Mais cet équilibre n’est pas donné une fois pour toutes : il est plutôt le résultat d’une adaptation constante des trois facteurs à des situations précaires, instables, toujours sujettes à des fluctuations et à des variations (Maliki et al. , 1988). Dans le nomadisme, le déplacement des troupeaux est accompagné de celui de la plupart des membres de la famille ou du clan, alors qu’il n’est suivi que par une partie de la famille ou voire seulement que par les bergers dans les élevages transhumants (Schelcht et al., 2001 ). Compte tenu des derniers épisodes de sécheresse et de l’avancée croissante des terres cultivées sur les zones de parcours, les effectifs des populations nomades et ceux de leur bétail tendent à régresser constamment, au point d’être dorénavant très inférieurs à ceux des systèmes transhumants comme le montre Thiam (1991) pour le Sénégal.
La transhumance
Le mot transhumance, étymologiquement, vient du latin « trans » : au-delà, et « humus » : terre. Plusieurs auteurs ont essayé de définir cette transhumance. Certaines de ces définitions ne s’attachent qu’à la notion de déplacement du bétail. D’après Turner (1999), la transhumance est« un déplacement alternatif et périodique des animaux entre deux régions de climat différent». Pour Diallo et al. (1985), l’aspect saisonnier est mis en évidence puisque la transhumance est « un déplacement de troupeau utilisant alternativement et saisonnièrement deux zones de pâtures ». D’autres auteurs insèrent dans leur définition le caractère sédentaire des éleveurs qui pratiquent la transhumance. D’après Daget et al. (1995), « le système de production transhumant consiste en un déplacement saisonnier des troupeaux, d’une région à une autre, par des éleveurs qui ont une habitation permanente ». Cependant la transhumance ne s’accompagne pas forcément de la sédentarité d’une partie de la famille.
Ainsi, pour Rochette (1997), « la transhumance est une forme plus systématique de mobilité puisque les déplacements sont calqués sur les saisons et se font en direction des pâturages connus. La mobilité s’accompagne généralement et de plus en plus souvent d’une sédentarisation partielle des familles et de certaines bêtes ». Enfin, certaines définitions développent en outre le caractère prévisible des transhumances (à la différence du nomadisme). D’après Barraud et al. (2001 ), « le terme de transhumance est utilisé pour caractériser un mouvement saisonnier, cyclique, entre deux pôles, et prévisible dans ses grandes lignes. Cette mobilité concerne bien évidemment les troupeaux. Elle est distincte de la mobilité des éleveurs et de leur famille qui est le plus souvent différente ». Pour Toutain et al. (2001 ), les éleveurs peuvent faire preuve d’adaptation dans leurs pratiques de transhumants : ainsi, « à partir d’un terroir d’attache, tout ou une partie de la famille et des troupeaux se déplace selon des parcours qui se ressemblent d’une année sur l’autre mais avec chaque fois des adaptations aux circonstances ».
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Table des matières
INTRODUCTION
1 – GENERALITES
1.1. Les Peuls
1.1.1. De nombreuses dénominations
1.1.2. Bref historique du peuplement
1.1.3. Effectif et distribution actuels
1.1.4. L’hétérogénéité du monde peul
1.1.4.1. D’un point de vue linguistique
1.1.4.2. D’un point de vue économique
1.1.4.3. D’un point de vue social
1.1.4.4. D’un point de vue écologique
1.1.5. Une grande tradition : le pastoralisme
1.1.5.1. Des systèmes d’élevage mobiles et sédentaires
1.1 .5.2. Le nomadisme
1.2. La transhumance
1.2.1. Définitions
1.2.2. Le déterminisme de la transhumance
1.2.2.1. Facteurs alimentaires
1.2.2.2. Facteurs agricoles
1.2.2.3. Facteurs sanitaires
1.2.2.4. Facteurs socio-économiques et culturels
1.2.3. Les différents types de transhumance
1.2.3.1. La grande transhumance
1.2.3.2. La petite transhumance
1.2.3.3. La transhumance compensatoire ou commerciale
2.LA TRANSHUMANCE CHEZ LES PEULS
2.1 . Le départ de la transhumance et sa préparation
2.1.1. Les facteurs influençant le moment du départ
2.1.2. La prise de décision sur la destination et la date du départ
2.2. Le déroulement de la transhumance
2.2.1. Quelques précisions
2.2.2. Le chemin parcouru
2.2.3. La destination
2.2.4. La distance entre terroir d’attache et zone d’accueil
2.3. L’importance du lait pendant la transhumance
2.4. La signification de la transhumance pour les Peuls
2.5. Les raisons et les conditions de la transhumance
2.5.1. Facteurs agro-écologiques
2.5.2. Facteurs politiques
2.5.3. Facteurs économiques
2.5.4. Facteurs socioculturels
2.5.4.1. Gain en prestige
2.5.4.2. Contacts sociaux
2.5.4.3. Recherche de l’épouse
2.5.4.4. La transhumance comme expression de la fulanité
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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